Nous avons relié la morale, l'évolution de la conscience et la non dualité. Il y a autant de nuances morales qu'il y a de mentalités culturelles mais ce relativisme morale doit être nuancé du point de vue de l'évolution. Certaines conceptions morales sont davantage en phase avec l'évolution que d'autres. Pour chacun de nous à un moment donné il y a une morale et ses impasses qui nous appelle à un nouvel ensemble de valeurs morales jusqu'à ce que peut-être un sens de l'action par delà la morale cristallise en nous la manifestation de l'évolution de la conscience non duelle elle-même.
Revenons au cas de Bush et de Ben Laden. Comment sortir de cette impasse où une mentalité archaïque semble justifier une autre mentalité anachronique et vice versa. En fait nous ne sortirons pas de cette possible impasse évolutive tant que nous ne connaîtrons pas précisément la nature de l"'écosystème culturel" formé par les cultures de Bush et de Ben Laden.
L'esprit commercial semble dominer les pulsions guerrières si bien que les conflits interétatiques semblent de plus en plus improbables. Et si certains conflits interétatiques ou interethniques demeurent, ils durent tant qu'ils sont commercialement rentables en tant que conflit.
Cependant le commerce a généré un nouveau type de violence meurtrière : le terrorisme. La frustration commerciale, la frustration capitaliste génère des agents du terrorisme. Le nihilisme anarchiste qui suscita les premiers actes terroristes au 19ème siècle visait à semer le chaos afin que de cette société capitaliste il soit fait table rase. Le terroriste musulman ou l'auteur de massacre aveugle veut l'annihilation d'une société qu'il juge pervertie sans bien voir en quoi il est aussi le produit mental de cet ordre politique et social mondial.
Ben Laden a certes des valeurs morales dignes de notre moyen âge occidental. Mais il est avant tout le produit de ce nouvel ordre mondial. Le terrorisme entre dans la droite ligne de la pathologie d'une culture qui valorise l'esprit commercial. Cet esprit se caractérise par son amplification démesurée d'une logique de la peur et du désir. L'univers médiatique au coeur du système engendré par l'esprit commercial ne cesse de chercher à susciter le désir d'acheter ; pour distiller sa publicité, il ne cesse de fasciner par la peur dont le terrorisme constitue un élément essentiel. Le libéralisme économique est fondé sur le désir de gagner de l'argent car l'argent est ce qui permet d'acquérir les conditions matérielles nécessaires à notre bonheur. Même le gourou qui entend nous libérer du désir nous invite à gagner plus pour participer financièrement à développer son entreprise de salut sans voir que l'argent soutiré à ses disciples nourrit ce monde du désir et de la peur qui caractérise la mentalité commerciale. Le libéralisme économique dont la valeur est le gain d'argent en vue de réaliser ses désirs a alors beau jeu de dénoncer les politiques de solidarités imposées étatiquement qui au fond nourrissent la fainéantise de ceux qui en profitent et bien sûr de ceux qui la dispensent en tant que fonctionnaires de l'Etat. l'Etat se vide de sa puissance et quand il lui en reste il doit servir une politique de croissance des gains même si ces gains ne profitent pas à tous.
Le gain étant la valeur première, certains considéreront l'injustice de leur naissance dans un milieu modeste financièrement et ils estimeront les moyens de l'acquérir importent peu. Car l'enrichissement est spectaculaire mais de plus en plus mal réparti.
Tableau récapitulatif des gains de productivité dans ces trois pays entre 1985 et 1994
France
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USA
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Japon
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croissance du PIB
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23%
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25%
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38%
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croissance de l'emploi
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3%
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15%
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11%
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Part des gains de productivité du capital
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86%
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25%
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71%
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Part de la croissance de l'emploi ( dans la croissance du PIB )
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14%
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60%
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29%
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Le vol sera de plus en plus courant dans les classes modestes. Les trafic d'armes, de drogues, d'êtres humains les plus divers sont estimés à plus de 20% des richesses mondiales. Mais peu de criminels des classes modestes au final tirent bénéfice de ces richesses. Beaucoup dans l'échelle du crime resteront à une échelle de revenu modeste parce qu'ils seront arrêtés, que la féodalité du crime les ponctionnera ou qu'ils flamberont leur gain en flambant par la même occasion leur espérance de vie. Certains d'ailleurs reviendront à une morale permettant de sortir d'une morale guerrière féodale.
A côté de ceux pour qui le crime est un moyen de réussir comme un autre, il y a ceux qui tout en désirant la richesse restent attachés à une morale du respect de la famille, du voisin, des lois, etc. cet attachement à la morale les contraint la plupart du temps à une condition de revenu plus ou moins modeste. Ceux-ci sont les plus frustrés par ce système : ils travaillent sans gagner vraiment et ils voient ceux qui ne respectent pas les lois s'enrichir. Ils commencent alors à avoir des attitudes nihilistes en votant pour des personnalités et des partis politiques à tendance totalitaire ou même en s'engageant dans des mouvements politiques ou religieux totalitaires même si on leur répète à longueur de temps l'immoralité politique des totalitarisme. L'un deviendra un sympathisant du Front national l'autre se rapprochera de mouvances musulmanes radicalisées. Au pire l'un tirera sur le Président, massacrera un étranger de couleur ou un homosexuel présumé et l'autre participera à la Djihad en se rendant dans un pays où les musulmans sont attaqués ou en participant à un attentat terroriste. Les médias mettront en lumière les faits divers sans jamais procéder sérieusement à la mise en cause de l'esprit commercial et son amplification de la logique de la peur et du désir.
Ils suggéreront que la menace demeure, ils laisseront la parole à des politiciens adeptes eux mêmes d'une version plus ou moins radicale du libéralisme économique qui trouvant cette peur légitime développeront l'appareil sécuritaire de l'Etat contre les criminels, les racistes, les homophobes, les terroristes, etc. Ces politiciens ne sont même pas pleinement conscients qu'ainsi ils participent à l'amplification de la logique de la peur et du désir propre à la mentalité commerciale.
L'esprit commercial conduit donc à une logique nihiliste. Mais en nous limitant à la criminalité et au terrorisme nous manquerions une autre dimension catastrophique.
Pour gagner de l'argent, on doit augmenter ses profits. On s'est donc habitué à tolérer la fabrication de machines dont l'usure est pensée de telle sorte qu'il faut les renouveler plus fréquemment. Le frigidaire de nos grands-parents a duré 20 ou 30 ans, le nôtre dure à peine entre 5 et 10 ans. On a ainsi développé une surconsommation de produits de qualité très moyenne qui répandent dans la nature des produits très nuisibles. Dans le domaine des multimédias et télécommunication, on retarde volontairement la fusion de tous les appareils en un seul qui fasse lieu d'ordinateur, de télévision, de chaîne hi-fi, de téléphone, de console de jeu, etc. On diffuse un support de mémoire quand un autre est déjà au point et beaucoup plus performant. On utilise les progrès de la génétique pour s'assurer le monopole des semences dans le domaine agroalimentaire au risque de mettre en péril la biodiversité. L'esprit commercial a privilégié les énergies non renouvelables qui rendent les monoples énergétiques plus faciles et il retardera le développement des énergies renouvelables qui risqueraient d'encourager les désirs d'autarcie énergétique et pire l'idée de quasi gratuité de l'énergie.
L'esprit commercial est donc nihiliste dans la mesure où sa logique implique le non respect des équilibres naturels, il nous conduit inexorablement vers des catastrophes écologiques tant qu'une forme d'organistion internationale n'aura pas le pouvoir de le contrôler en tout point du globe.
Comment arrêter cette dérive de l'esprit commercial dont la logique du profit n'est jamais satisfaite ? Celui qui veut profiter a toujours à l'idée qu'un jour il ne sera plus là pour en profiter alors il commence à négliger le conséquences de ses profits : le terme profit, l'idée de profiter de la vie sont les symptômes d'une logique de la peur et du désir qui ne cesse d'accroître les désirs et les peurs en accroissant ainsi le chaos de l'humanité. Il faut bien sûr diffuser l'esprit spirituel qui vise entre autre un état de conscience où joie et sérénité ne dépendent plus d'une logique de la peur et du désir mais plutôt d'une conscience de plus en plus consciente. Les logiques politiques anticapitalistes communistes ou religieuses (en Iran par exemple) ont été elles-mêmes prisonnières de la logique de la peur et du désir : elles n'ont lutté contre l'esprit commercial individualiste qu'en lui opposant un esprit collectif oppressant. L'esprit spirituel qui se libère des carcans religieux ne cherche pas à guérir l'individualisme par le collectivisme : l'esprit spirituel requiert un individu libre du point de vue de l'esprit mais aussi matériellement. L'individualisme commercial a posé les préambules d'un esprit libre des conventions sociales. L'esprit spirituel s'il veut encadrer l'esprit commercial doit donc libérer les êtres humains de tout ce qui les obligerait pour simplement vivre à s'inféoder à l'esprit commercial. Il faut donner du temps aux chercheurs spirituels afin qu'ils puissent travailler à leur tâche essentielle et en diffuser les acquis au plus grand nombre. Imaginons le jour où chacun disposerait d'un revenu minimum d'existence... Nombre de gens sensibles spirituellement ne collaboreraient plus à fabriquer des produits de mauvaises qualités ou à faire signer des contrats bidons, parce qu'ils doivent survivre. On verrait justement de plus en plus des gens fabriquer des produits de qualité sûrs de leur revenu de base. Bien sûr il y aurait de nombreux paresseux mais ceux qui encore prisonniers de l'esprit commercial chercheraient des profits seraient encore plus nombreux et ils seront plus difficiles à cadrer. Il faudra leur imposer des règles qu'aujourd'hui on n'impose pas à l'économie : il faudra interdire toutes les pratiques illicites en luttant contre la corruption de leur argent, il faudra ponctionner une partie de leur profit ce qui implique de mettre fin aux paradis fiscaux...
Or en ces domaines où sont les prémisses de mouvements qui allieraient une recherche spirituelle libre des carcans religieux et idéologiques collectivistes avec :
- un idéal de l'unité humaine,
- un sens du respect des équilibres naturels,
- une volonté de libérer des énergies de la conscience au lieu que l'humanité servent des énergies inconscientes que l'argent matérialise entre autres,
- un refus de la propagande médiatique,
- etc.
A ma connaissance, il y a bien un mouvement spirituel de plus en plus actif : il suffit de voir dans les librairies la place des ouvrages spirituels. Mais cela reste souvent une recherche de bien-être individuel et un engagement dans la façon individuelle de vivre. Il y a un mouvement intégraliste qui entend agir culturellement et donc politiquement avec des acteurs comme Ken Wilber ou Andrew Cohen, mais sont-ils aussi clairs qu'ils le croient avec la puissance de l'argent ? La seule tentative balbutiante convaincante vis-à-vis de l'argent et de la libération du fait d'avoir à gagner sa vie émane de Sri Aurobindo et de sa compagne spirituelle Mira Alfassa connue sous le nom de Mère.