mardi 28 août 2007

NON DUALITE, MORALE POLITIQUE ET EVOLUTION DE LA CONSCIENCE. Episode 2.


Nous avons relié la morale, l'évolution de la conscience et la non dualité. Il y a autant de nuances morales qu'il y a de mentalités culturelles mais ce relativisme morale doit être nuancé du point de vue de l'évolution. Certaines conceptions morales sont davantage en phase avec l'évolution que d'autres. Pour chacun de nous à un moment donné il y a une morale et ses impasses qui nous appelle à un nouvel ensemble de valeurs morales jusqu'à ce que peut-être un sens de l'action par delà la morale cristallise en nous la manifestation de l'évolution de la conscience non duelle elle-même.

Revenons au cas de Bush et de Ben Laden. Comment sortir de cette impasse où une mentalité archaïque semble justifier une autre mentalité anachronique et vice versa. En fait nous ne sortirons pas de cette possible impasse évolutive tant que nous ne connaîtrons pas précisément la nature de l"'écosystème culturel" formé par les cultures de Bush et de Ben Laden.

L'esprit commercial semble dominer les pulsions guerrières si bien que les conflits interétatiques semblent de plus en plus improbables. Et si certains conflits interétatiques ou interethniques demeurent, ils durent tant qu'ils sont commercialement rentables en tant que conflit.


Cependant le commerce a généré un nouveau type de violence meurtrière : le terrorisme. La frustration commerciale, la frustration capitaliste génère des agents du terrorisme. Le nihilisme anarchiste qui suscita les premiers actes terroristes au 19ème siècle visait à semer le chaos afin que de cette société capitaliste il soit fait table rase. Le terroriste musulman ou l'auteur de massacre aveugle veut l'annihilation d'une société qu'il juge pervertie sans bien voir en quoi il est aussi le produit mental de cet ordre politique et social mondial.
Ben Laden a certes des valeurs morales dignes de notre moyen âge occidental. Mais il est avant tout le produit de ce nouvel ordre mondial. Le terrorisme entre dans la droite ligne de la pathologie d'une culture qui valorise l'esprit commercial. Cet esprit se caractérise par son amplification démesurée d'une logique de la peur et du désir. L'univers médiatique au coeur du système engendré par l'esprit commercial ne cesse de chercher à susciter le désir d'acheter ; pour distiller sa publicité, il ne cesse de fasciner par la peur dont le terrorisme constitue un élément essentiel. Le libéralisme économique est fondé sur le désir de gagner de l'argent car l'argent est ce qui permet d'acquérir les conditions matérielles nécessaires à notre bonheur. Même le gourou qui entend nous libérer du désir nous invite à gagner plus pour participer financièrement à développer son entreprise de salut sans voir que l'argent soutiré à ses disciples nourrit ce monde du désir et de la peur qui caractérise la mentalité commerciale. Le libéralisme économique dont la valeur est le gain d'argent en vue de réaliser ses désirs a alors beau jeu de dénoncer les politiques de solidarités imposées étatiquement qui au fond nourrissent la fainéantise de ceux qui en profitent et bien sûr de ceux qui la dispensent en tant que fonctionnaires de l'Etat. l'Etat se vide de sa puissance et quand il lui en reste il doit servir une politique de croissance des gains même si ces gains ne profitent pas à tous.


Le gain étant la valeur première, certains considéreront l'injustice de leur naissance dans un milieu modeste financièrement et ils estimeront les moyens de l'acquérir importent peu. Car l'enrichissement est spectaculaire mais de plus en plus mal réparti.


Tableau récapitulatif des gains de productivité dans ces trois pays entre 1985 et 1994



France
USA
Japon
croissance du PIB
23%
25%
38%
croissance de l'emploi
3%
15%
11%
Part des gains de productivité du capital
86%
25%
71%
Part de la croissance de l'emploi ( dans la croissance du PIB )
14%
60%
29%




Le vol sera de plus en plus courant dans les classes modestes. Les trafic d'armes, de drogues, d'êtres humains les plus divers sont estimés à plus de 20% des richesses mondiales. Mais peu de criminels des classes modestes au final tirent bénéfice de ces richesses. Beaucoup dans l'échelle du crime resteront à une échelle de revenu modeste parce qu'ils seront arrêtés, que la féodalité du crime les ponctionnera ou qu'ils flamberont leur gain en flambant par la même occasion leur espérance de vie. Certains d'ailleurs reviendront à une morale permettant de sortir d'une morale guerrière féodale.

A côté de ceux pour qui le crime est un moyen de réussir comme un autre, il y a ceux qui tout en désirant la richesse restent attachés à une morale du respect de la famille, du voisin, des lois, etc. cet attachement à la morale les contraint la plupart du temps à une condition de revenu plus ou moins modeste. Ceux-ci sont les plus frustrés par ce système : ils travaillent sans gagner vraiment et ils voient ceux qui ne respectent pas les lois s'enrichir. Ils commencent alors à avoir des attitudes nihilistes en votant pour des personnalités et des partis politiques à tendance totalitaire ou même en s'engageant dans des mouvements politiques ou religieux totalitaires même si on leur répète à longueur de temps l'immoralité politique des totalitarisme. L'un deviendra un sympathisant du Front national l'autre se rapprochera de mouvances musulmanes radicalisées. Au pire l'un tirera sur le Président, massacrera un étranger de couleur ou un homosexuel présumé et l'autre participera à la Djihad en se rendant dans un pays où les musulmans sont attaqués ou en participant à un attentat terroriste. Les médias mettront en lumière les faits divers sans jamais procéder sérieusement à la mise en cause de l'esprit commercial et son amplification de la logique de la peur et du désir.

Ils suggéreront que la menace demeure, ils laisseront la parole à des politiciens adeptes eux mêmes d'une version plus ou moins radicale du libéralisme économique qui trouvant cette peur légitime développeront l'appareil sécuritaire de l'Etat contre les criminels, les racistes, les homophobes, les terroristes, etc. Ces politiciens ne sont même pas pleinement conscients qu'ainsi ils participent à l'amplification de la logique de la peur et du désir propre à la mentalité commerciale.

L'esprit commercial conduit donc à une logique nihiliste. Mais en nous limitant à la criminalité et au terrorisme nous manquerions une autre dimension catastrophique.
Pour gagner de l'argent, on doit augmenter ses profits. On s'est donc habitué à tolérer la fabrication de machines dont l'usure est pensée de telle sorte qu'il faut les renouveler plus fréquemment. Le frigidaire de nos grands-parents a duré 20 ou 30 ans, le nôtre dure à peine entre 5 et 10 ans. On a ainsi développé une surconsommation de produits de qualité très moyenne qui répandent dans la nature des produits très nuisibles. Dans le domaine des multimédias et télécommunication, on retarde volontairement la fusion de tous les appareils en un seul qui fasse lieu d'ordinateur, de télévision, de chaîne hi-fi, de téléphone, de console de jeu, etc. On diffuse un support de mémoire quand un autre est déjà au point et beaucoup plus performant. On utilise les progrès de la génétique pour s'assurer le monopole des semences dans le domaine agroalimentaire au risque de mettre en péril la biodiversité. L'esprit commercial a privilégié les énergies non renouvelables qui rendent les monoples énergétiques plus faciles et il retardera le développement des énergies renouvelables qui risqueraient d'encourager les désirs d'autarcie énergétique et pire l'idée de quasi gratuité de l'énergie.

L'esprit commercial est donc nihiliste dans la mesure où sa logique implique le non respect des équilibres naturels, il nous conduit inexorablement vers des catastrophes écologiques tant qu'une forme d'organistion internationale n'aura pas le pouvoir de le contrôler en tout point du globe.

Comment arrêter cette dérive de l'esprit commercial dont la logique du profit n'est jamais satisfaite ? Celui qui veut profiter a toujours à l'idée qu'un jour il ne sera plus là pour en profiter alors il commence à négliger le conséquences de ses profits : le terme profit, l'idée de profiter de la vie sont les symptômes d'une logique de la peur et du désir qui ne cesse d'accroître les désirs et les peurs en accroissant ainsi le chaos de l'humanité. Il faut bien sûr diffuser l'esprit spirituel qui vise entre autre un état de conscience où joie et sérénité ne dépendent plus d'une logique de la peur et du désir mais plutôt d'une conscience de plus en plus consciente. Les logiques politiques anticapitalistes communistes ou religieuses (en Iran par exemple) ont été elles-mêmes prisonnières de la logique de la peur et du désir : elles n'ont lutté contre l'esprit commercial individualiste qu'en lui opposant un esprit collectif oppressant. L'esprit spirituel qui se libère des carcans religieux ne cherche pas à guérir l'individualisme par le collectivisme : l'esprit spirituel requiert un individu libre du point de vue de l'esprit mais aussi matériellement. L'individualisme commercial a posé les préambules d'un esprit libre des conventions sociales. L'esprit spirituel s'il veut encadrer l'esprit commercial doit donc libérer les êtres humains de tout ce qui les obligerait pour simplement vivre à s'inféoder à l'esprit commercial. Il faut donner du temps aux chercheurs spirituels afin qu'ils puissent travailler à leur tâche essentielle et en diffuser les acquis au plus grand nombre. Imaginons le jour où chacun disposerait d'un revenu minimum d'existence... Nombre de gens sensibles spirituellement ne collaboreraient plus à fabriquer des produits de mauvaises qualités ou à faire signer des contrats bidons, parce qu'ils doivent survivre. On verrait justement de plus en plus des gens fabriquer des produits de qualité sûrs de leur revenu de base. Bien sûr il y aurait de nombreux paresseux mais ceux qui encore prisonniers de l'esprit commercial chercheraient des profits seraient encore plus nombreux et ils seront plus difficiles à cadrer. Il faudra leur imposer des règles qu'aujourd'hui on n'impose pas à l'économie : il faudra interdire toutes les pratiques illicites en luttant contre la corruption de leur argent, il faudra ponctionner une partie de leur profit ce qui implique de mettre fin aux paradis fiscaux...


Or en ces domaines où sont les prémisses de mouvements qui allieraient une recherche spirituelle libre des carcans religieux et idéologiques collectivistes avec :
- un idéal de l'unité humaine,
- un sens du respect des équilibres naturels,
- une volonté de libérer des énergies de la conscience au lieu que l'humanité servent des énergies inconscientes que l'argent matérialise entre autres,
- un refus de la propagande médiatique,
- etc.

A ma connaissance, il y a bien un mouvement spirituel de plus en plus actif : il suffit de voir dans les librairies la place des ouvrages spirituels. Mais cela reste souvent une recherche de bien-être individuel et un engagement dans la façon individuelle de vivre. Il y a un mouvement intégraliste qui entend agir culturellement et donc politiquement avec des acteurs comme Ken Wilber ou Andrew Cohen, mais sont-ils aussi clairs qu'ils le croient avec la puissance de l'argent ? La seule tentative balbutiante convaincante vis-à-vis de l'argent et de la libération du fait d'avoir à gagner sa vie émane de Sri Aurobindo et de sa compagne spirituelle Mira Alfassa connue sous le nom de Mère.

jeudi 23 août 2007

NON DUALITE, MORALE POLITIQUE ET EVOLUTION DE LA CONSCIENCE. Episode 1.

Le thème de la non-dualité est un thème fondamental de la recherche spirituelle. Sur un plan métaphysique, il s'agit de savoir si la réalité est telle que le combat est père de toute chose ou si il existe un point de vue où tout ce qui est est profondément en paix. L'enjeu pratique est de savoir si la lutte, le conflit et donc les souffrances et les douleurs sont le dernier mot de l'existence individuelle ou s'il existe, d'un point de vue transcendant ces dualités, un état de paix où il n'y a qu'UN, harmonie, etc.


Le point de vue scientifique sur l'évolution des espèces qui s'inscrit pour l'essentiel à la suite des conceptions de Darwin a souvent mis en valeur un principe de lutte pour la vie. Bien sûr certains néo-darwiniens soulignent l'avantage de la coopération voire du sacrifice du point de vue de la survie d'une espèce. Mais le titre suggestif du livre de Richard Dawkins, Le gène égoïste nous conduit de nouveau vers la lutte pour la vie : la morale animale n'est qu'au service du gène et de l'espèce...

On peut s'interroger à vrai dire sur ce néodarwinisme qui manque de voir que le gène lui-même ne saurait être égoïste dans la meure où tout gène d'une espèce s'inscrit au sein d'un écosystème et plus largement au sein d'une biosphère. La lutte pour la vie s'inscrit au sein même d'un tout de la vie. Quand le commentateur animalier projette sa bestialité sur l'animalité, ne fait-il pas preuve d'anthropocentrisme ? Le lion qui mange la gazelle fait-il preuve de cruauté ? Il n'y a de bestialité que parce que nos pulsions ne sont plus régulées par des instincts ou par des sentiments centrés sur le sentiment d'incarner ici le tout de la vie...

Arnaud Desjardins défendant la non-dualité écrit dans la onzième lettre de ses Lettres à une jeune disciple :

"Chacun s'arroge le droit de décider ce qui est « juste » ou « injuste », qui sont les bons et qui sont les méchants, mais aucun jugement n'a jamais fait l'unanimité et l'hostilité, le mépris, la haine continuent à déchirer les humains entre eux - toujours au nom du Bien contre le Mal.

Vous n'êtes ni le président protestant G. W Bush ni son adversaire musulman Ben Laden, et le sort du monde ne parait pas dépendre de vous. Mais avezvous l'intention ferme de remplacer le jugement par l'amour ? Le Satan de l'émotion peut prendre des formes insidieuses dont non seulement vous ne voyez pas la nocivité mais qui, au contraire, vous paraissent plus que légitimes.

Je vais évoquer pour vous un souvenir qui peut paraître bien dérisoire par rapport à la gravité de l'enjeu. Dans la maison près de Ranchi où séjournait Swami Prajnànpad pendant la saison de la chaleur torride puis de la mousson, nous prenions le maigre repas du soir assis à même le sol, sur une petite plate-forme couverte éclairée d'une ampoule timide accrochée au mur. Sa faible lumière suffisait à attirer les mouches et les lézards. Avec une longue patience, un lézard s'approchait d'une mouche et tantôt la capturait avec sa langue et l'avalait, tantôt ne pouvait éviter qu'elle ne s'échappe. Un soir, mon condisciple Daniel Roumanoff m'a posé cette simple question : « Est-ce que tu te réjouis pour le lézard ou est-ce que tu te désoles pour la mouche - ou le contraire ? » Le lézard a besoin de se nourrir, la mouche cherche à survivre. Vers lequel des deux penche notre cœur ? Ce simple exemple (dérisoire pour nous mais tragique et pour le lézard et pour la mouche) m'a fait beaucoup réfléchir.

En cas de conflit, qui peut demeurer en communion avec les deux partis opposés ? Or, celui ou celle qui prend émotionnellement parti soit pour la mouche soit pour le lézard est convaincu de voir juste, d'être dans la vérité et que tous les « bons » devraient, bien entendu, ressentir ou penser comme lui ou elle. Et qu'en est-il lorsqu'il ne s'agit plus d'un conflit extérieur à vous mais d'une situation où vous êtes vous-même soit le lézard soit la mouche ? Là où l'un gagne, l'autre a perdu. La vérité inclut les deux termes et les transcende.

Ce mécanisme de jugement, qui a toujours divisé et opposé les hommes, les femmes, les peuples, les races, qui est la source de toutes les tragédies, règne sur l'humanité. Chacun sait où est le Bien, où est le Mal : dans son camp."

On doit rejeter toute émotionnalité morale : fulminer contre l'irrespect de la morale peut-il être signe d'une moralité rationnelle ? La morale concerne ma propre conduite et le discernement de ce qu'elle doit être. Juger autrui sur un plan moral pour le condamner n'a pas de sens si les valeurs morales d'autrui ne sont pas les mêmes que les nôtres.
On peut et on doit admettre du point de vue de la non-dualité une relativisation des notions morales de Bien et de Mal. Du point de vue du tout de la vie, il paraît infondé de prendre parti pour une forme de vie plutôt qu'une autre. Mais face au nazisme que vaut la non-dualité ? Certains sympathisants du nazisme ou certaines personnalités plus ou moins compromises avec le nazisme n'ont-elles pas défendu elles aussi une telle relativisation de la morale qui au final leur a permis de ne pas rendre compte de leurs actes ? La pensée de Heidegger en affirmant se détachant de la morale n'a-t-elle pas eu pour conséquence une telle attitude ? Et un homme respecté comme Karfried Graf Dürkheim a-t-il fait son possible contre les agissements du nazisme : comme Jean Mouttapa le souligne, il y a dans sa conduite des compromissions durant les années 1930-1940 que sa connaissance spirituelle n'a pas su déceler et qui n'ont pas été suffisamment clarifiées par la suite. Or le nazisme a une composante destructrice indéniable : qui sait ce qu'aurait fait Hitler s'il avait disposé de la bombe atomique avant sa chute ? De nombreux historiens soulignent qu'il aurait surement disposé de cette arme en 1946 s'il n'avait pas été vaincu auparavant... Une entière relativisation de la morale est-elle possible dès lors que l'humanité fait face à la possibilité de s'autodétruire par la guerre ou par son économie prédatrice qui menace les équilibres naturels qui assurent son existence ?

Le symbole du Tao est un symbole non dualiste : un cercle non dualiste inclut le processus de la dualité. Cependant le Tao bien compris nous montre que l'apparent processus dualiste est précisément participe à produire le cercle de la non-dualité : le cercle n'est pas divisé en deux moitié vertical mais en deux gouttes qui semblent se faire glisser l'une l'autre créant ainsi une dynamique. Bien plus chaque élément qui compose la dualité est en son essence profonde non duel contenant en son essence ce qui caractérise ce qui semble son opposé : chaque goutte contient un point dont la nature est celle de l'autre goutte, un point noir se situe au "centre" de la goutte blanche et vice-versa.
Si comme notre analyse du Tao le suggère il y a dans le processus de manifestation de la non dualité la présence profonde de cette non dualité en chaque élément de sa manifestation, on ne voit pas pourquoi ultimement la destruction pourrait inéluctablement l'emporter. Le processus inclut de la production et de la destruction de telle sorte qu'il ne se fige pas et qu'il reste toujours ouvert au jeu de sa manifestation. il est vrai qu'on peut imaginer que tout soit régulièrement détruit et que la manifestation renaisse dans un élan de production où la destruction est minorée. Cette théorie cyclique où régulièrement l'univers est totalement détruit se retrouve dans de nombreuses traditions spirituelles : en Inde on évoque le pralaya, les partisans du vedanta estiment qu'il ne s'agit pas de quelque chose de négatif vu que l'univers est illusoire. Arnaud Desjardins qui entend relativiser radicalement les notions de Bien et de Mal ne s'incrirait-il pas dans cette ligne ? Les spiritualités monothéistes parlent elles aussi de fin du monde mais en évoquant en même temps une apocalypse, c'est-à-dire une révélation de la gloire divine dans l'univers qui met fin au monde dominé par le mensonge du Mal et de la Mort. Ces spiritualités distinguent donc comme une destruction maligne et un forme de destruction divine. Arnaud Desjardins qui souvent se réclame du christianisme perçoit-il la possibilité d'un non-dualisme qui impliquerait la destruction des forces pures de destruction ? N'y a-t-il pas inhérent au monothéisme l'idée d'un Mal absolu ?


Les monothéistes les plus érudits ont toujours pris soin de chercher à concilier dans une équation impossible l'idée que le Bien était la source de toute chose et donc de la possibilité du Mal sans toutefois être complice du Mal qui serait ultimement déraciné. Ils ont donc développé l'idée d'un processus où les forces de destruction absolues seraient éliminées. De nombreux scénarios ont été ainsi développés : le livre de Leibniz, La Théodicée en fournit quelques uns.

Voici quelques éléments d'esquisses de solution à cette équation. Imaginons le Seigneur Suprême capable d'embrasser à l'avance les destins possibles de créatures personnelles libres de leurs actes. Ce Seigneur Suprême veut créer des créatures personnelles libres d'accepter sa présence ou de le refuser. Ce Seigneur Suprême s'il est de toute Bonté veut forcément que ses créatures personnelles partage sa nature divine. Il ne peut créer s'il est bonté une infinité de créatures personnelles dont il sait à l'avance qu'elles refuseront de partager sa divinité dans sa dimension de bonté qui la pénètre toute entière. De telles créatures s'enfer-meraient dans un refus de leur propre être qui leur vient de celui qu'elles refusent : les créer conduirait à les condamner à une souffrance éternelle. Le Seigneur Suprême s'il est toute bonté aspire à faire exister toutes les créatures personnelles susceptibles d'évoluer vers le Bien même si certaines tendent d'abord vers le mal. Tout ce qui est éternel par définition demeure semblable à lui-même mais le temps permet des retournements, des hésitations, etc. Pour Origène, un théologien du IIème siècle après Jésus-Christ le monde serait donc un moyen de convertir ceux qui face à l'éternité sont d'abord des démons. Dans cette perspective la réincarnation n'est pas exclue.

Toutefois ce genre de considération transforme le monde terrestre en un monde de passage, le salut risque d'être valorisé davantage que la manifestation de la bonté divine sur terre. Cette théologie caractérise précisément les fondamentalistes monothéistes qui sont prêt à négliger comme Bush l'environnement ou prêt comme Ben Laden à tuer des innocents au nom d'un salut situé hors de la vie terrestre. Les attitudes de Bush ou de Ben Laden s'inscrivent dans des perspectives où le salut nous attend à la fin du monde ou après notre mort. L'intégration du Mal et de la destruction au sein même du projet divin justifie la destruction au nom de Dieu : il faut détruire le Mal même si c'est au prix de la terre.


Alors comment considérer le processus de production et de destruction dans une approche non dualiste qui cependant évite de justifier des destructions injustifiables ?


Il est possible de considérer ce problème sous l'angle de l'évolution.

"Brulez les tous ! Dieu reconnaîtra les siens !" est une citation attribuée à un des participants au sac de Béziers qui appartenait alors aux Cathares. Cette citation explique la mise en oeuvre de l'Inquisition. L'idée de bonté au fondement de l'Inquisition est qu'il valait mieux donner un avant goût des supplices infernaux que de laisser une âme subir des supplices infernaux éternelles à cause de ses erreurs spirituelles et religieuses. Si telle âme est déjà sauvée la supplicier sur le bûcher ne la perdra pas mais le supplice des flammes donnera une chance supplémentaire à telle âme sur le mauvais chemin de se repentir : car avant d'atteindre l'éternité où il n'est plus possible de revenir sur son choix, un avant goût du supplice des flammes caractéristique de l'enfer peut de la dissuader de persister dans son ereur. Un terroriste islamiste ne raisonne guère autrement : ceux dont la foi ou la bonté leur fait mériter le salut s'ils meurent dans un attentat irons au paradis, et les autres feront face au jugement de dieu, leur dernière chance de conversion. Ben Laden et Bush dans une moindre proportion ont des mentalités dignes du moyen-âge. Leur morale et leurs conceptions du Bien et du Mal semblent donc datées. Au moyen-âge de telles conceptions relèvent peut-être d'un certains progrès puisqu'elles permettent d'instituer un ordre face à une violence chaotique. La violence se doit d'être ordonnée même si elle demeure violence. La tolérance ne peut émerger que là où on aspire à l'ordre : au milieu de la violence la tolérance ne signifie rien, seule la violence semble pouvoir permettre de susciter un ordre ou l'aspiration culturelle à un ordre qui sera la condition de possibilité d'une tolérance relative. Ainsi quoiqu'on pense de Bush il faut reconnaître qu'il n'a jamais empêché l'exercice de religions non chrétiennes sur le territoire des Etats-Unis. Où est alors vraiment l'erreur de Bush ? Autrement dit où sont les limites évolutives de sa mentalité culturelle et donc de ses conceptions morales ?

Si Ben Laden a une mentalité digne de notre Moyen-âge, Bush semble digne des mentalités apparues au XVIème siècle voire au XVème et qui dès le XIXème siècle avaient pris leur place au pouvoir : ces mentalités avaient intégré une forme relative de tolérance et s'étaient mises à considérer l'accroissement des richesses comme une valeur. La mentalité protestante s'est souvent caractérisée dès lors comme le fait de concilier tolérance et esprit missionnaire grâce à une approche commerciale. Certes l'esprit de mission portée par une conquête guerrière n'est pas loin mais le protestant sait que la victoire militaire vaut moins que la conquête commerciale qui garde un visage de tolérance pour mieux rendre le message religieux convaincant. Bush n'envisage l'usage de la guerre que pour contrer l'intolérant terrorisme ou pour nourrir la véritable guerre qui reste commerciale. Cependant pour l'instant les guerres de Bush ont fait plus de victimes que Ben Laden et ses imitateurs. Le Mal terroriste n'a donc pas trouvé son remède.

Les héros de fiction qui barrent la route aux terroristes en employant les moyens les plus inhumains tel Jack Bauer ne reflètent que notre ignorance à barrer la route au terrorisme, même si ce genre de scénario reste toujours attrayant de par l'engagement héroïque sans faille du héros.


Si nous acceptons l'idée d'appartenir à un processus évolutif, nous constatons que par le passé toute évolution biologique fût une réponse à une impasse rencontrée par l'espèce dominante. Le poisson lorsque l'eau disparaît ne peut plus respirer. Suite à ce genre de stress répété, une possibilité génétique s'est fait jour (cf. les travaux en biologie d'Elisabeth sahtouris et de Jean Claude Ameisen) : une respiration alvéolaire semble avoir été rendue possible. Tous les poissons n'ont pas développé des poumons et il est remarquable que depuis cet événement évolutif, de nouvelles évolutions du même genre ne se soient pas produites...



Quoi qu'il en soit dans ce que nous savons de l'évolution, il y a à l'œuvre une non dualité d'un processus de production et de destruction où une impasse destructrice engendre en réponse un saut évolutif qui matérialise une nouvelle possibilité évolutive.


Dans les affaires humaines il en est surement de même au niveau des mentalités culturelles. Des Hitler, des Ben Laden, des Bush sont donc en un sens des marqueurs de nos impasses culturelles, ils révèlent des impasses destructrices inhérentes à nos interactions culturelles. Comme nous l'avons dit, de nombreux éléments de la morale d'un Ben Laden, d'un Bush ont eu une pertinence historique, il y a plus ou moins longtemps. Mais aujourd'hui elles manifestent des forces de destructions que nous devons combattre : Hitler n'était-il pas lui aussi un nostalgique d'un ordre du passé idéalisé le tout mêlé à des considérations erronées de l'évolution et de son sens ?


La morale est de ce point de vue évolutif à la fois relative puisque relativement pertinente à un moment de l'évolution mais elle peut toucher à une forme d'absolu si nous devenons conscient de ce qui trace sa relativité. En effet dès lors que nous considérons que le processus non duel de production et de destruction sert une manifestation de plus en plus élaborée et intégratrice de la conscience, la morale a à la fois un principe et en même temps entre de plus en plus consciemment dans un flux de transformations incessantes jusqu'à sembler dépassée. La morale biblique à travers le décalogue avait peut-être déjà perçu quelque chose de cela : par exemple elle affirme "Tu ne tueras pas" et non "Tu ne dois pas tuer", le commandement est un horizon futur car il est admis que dans les circonstances actuelles, il est difficile de ne pas tuer.


Leibniz a dans ses essais de théodicée une image riche de sens. On peut comparer la vie à un fleuve avec des bateaux qui quittent le quai pour se laisser porter par lui. La force du fleuve portera à sa vitesse plus facilement les bateaux de faible poids. Les bateaux qui ont un gros poids ont davantage d'inertie et mettront plus de temps à atteindre la vitesse d'écoulement du fleuve. Le Mal pourrait être comparé alors à une question d'inertie.

Elargissons ce que suggère Leibniz à notre perspective. Ceux qui sont à bord d'un bateau dont l'inertie le maintient derrière auraient tort de proclamer leur conduite comme le modèle à suivre même si en un sens pour eux cette conduite reste appropriée. Autrement dit du point de vue évolutif nous devons accepter tout ce qui compose le courant de la vie. Rien n'est contre l'évolution puisque ce qui semble indiquer son impasse est précisément ce qui peut susciter son avancée. L'attitude non duelle dont parle Arnaud Desjardins est donc bien intégrée dans une perspective qui met en avant l'évolution de la conscience. Mais plus la conscience sera ouverte au principe évolutif plus elle agira justement dans le courant de la manifestation de la non dualité ici et maintenant. Alors la relativisation de la morale dans une perspective non duelle et évolutive est alors paradoxalement compatible avec son ancrage dans l'absolu. La morale est une structure mentale essentielle de la culture humaine mais qui a plusieurs figures au cours de l'histoire et qui au fil de l'évolution devient de plus en plus souple au point qu'elle se dissoudra certainement dans l'action de l'évolution de la conscience devenant pleinement consciente.