Aujourd'hui un Français, c'est aussi bien un Français athée, qu'un Français musulman, qu'un Français chrétien, qu'un Français juif.
Un Français n'est pas issu d'une caste sociale particulière et n'a pas une couleur de peau spécifique.
Être français, c'est être spirituel.
Être porteur d'une véritable spiritualité laïque qui, avant même de s'articuler dans le langage, est à la fois, raisonnement, intuition de l'idée immanente républicaine et sa transcription claire et intelligible.
L'identité française prend source dans le refus de toutes les bassesses
Comme l'atteste la volonté émancipatrice de notre histoire moderne
Qui n'a eu de cesse de redéfinir la conception de l'homme et son rapport au réel
conception initiée par la révolution culturelle humaniste et mûrie pendant trois siècles jusqu'aux Lumières et à la Révolution française
Dès lors ce refus s'exprime à la fois par l'affirmation des valeurs fondatrices : Liberté, Égalité, Fraternité et par la négation d'un ordre ancien
Comme en écho Abdennour Bidar qui, lui aussi, a grandi en explorant la spiritualité musulmane écrit dans Plaidoyer pour la fraternité écrit p.11-12 :
Frères et sœurs humains de tous bords et de toutes origines,
Je vous écris cette longue lettre, ce Plaidoyer, pour vous parler de l'urgence d’œuvrer tous ensemble maintenant à quelque chose de très simple, de très beau et de très difficile à la fois : la fraternité. La fraternité tout court, et pas seulement la fraternité de tel sang ou de telle religion.
Pourquoi la fraternité ? Elle est ce qui manque le plus à notre vivre-ensemble, et ce dont l'absence - ou la rareté - nous fait le plus souffrir.
Comment faire, tous ensemble, pour que cet idéal devienne maintenant une véritable direction, un projet de société concret, un projet de civilisation vers lequel nous ferons converger d'abord nos cœurs, et à partir d'eux nos éducations, nos institutions, nos engagements, nos métiers et toutes nos forces vives ? Telle est, me semble-t-il, la responsabilité collective qui nous attend. Voilà ce qui va orienter chacune de nos existences vers un but qui rend cette vie digne d'être vécue. Un but qui insufflera à nos vies la dimension spirituelle qui lui manque si souvent. Un but partagé par tous et qui réunirait, comme au temps de la résistance chantée par Aragon, ceux qui croient au ciel, à tel ou tel ciel, et ceux qui n'y croient pas.
Je veux donc vous lancer - nous lancer à tous - un défi : spiritualisons nos vies par l'entrée en fraternité universelle !
Mais derrière ces deux projets de nourrir spirituellement la vie républicaine à partir d'une recherche spirituelle enracinée dans la culture musulmane, il y a une nuance de taille.
Abd Al Malik dans Place de la république, Pour une fraternité laïque écrit p.18-19 :
Soyons honnête, dans notre pays, les caricatures de Charlie Hebdo (certes acte démocratique par excellence parce qu'éclatant symbole de la liberté d'expression) ont clairement contribué à la progression de l'islamophobie, du racisme et de la défiance envers tous les musulmans. [...] Aussi croire pouvoir caricaturer jusqu'à l'obsession le Prophète d'une communauté de croyance déjà bien malmenée (de l'extérieur comme de l'intérieur), dans un contexte national et international explosif, sans créer ou renforcer des clichés et des stéréotypes, déjà trop présents, est pure inconscience. en outre, de toute évidence, nous vivons en démocratie et en démocratie aucun pouvoir sans borne ne pourrait être légitime. [...] Soyons juste donc, cette fameuse liberté d'expression n'est pas une valeur non négociable.
Abdennour Bidar dans Plaidoyer pour la fraternité écrit p.55-56 :
[...] pour que l'islam soit une chance pour la France : qu'il fasse le choix de se repenser de fond en comble à la lumière spirituelle de la liberté, de l'égalité, de la fraternité, de la démocratie, de la laïcité. Certains musulmans me disent que c'est acquis ? Non, tout ou presque reste à faire. Non, la civilisation et la religion islamiques ne vont pas bien, et tout est à réécrire au présent de l'indicatif, tout est à revoir pour le débarrasser de ses anachronismes et de ses rhumatismes. A commencer par son manque d'autodérision, sa difficulté tragi-comique à rire de lui-même... et à accepter que d'autres lui rendent ce service de se moquer de ses obscurantismes ! S'il était en bonne santé spirituelle, les caricatures du Prophète l'auraient fait rire de lui-même, ou ua moins sourire. Ne sait-il donc plus que la grandeur de l'homme est non seulement de rire de tout en général, mais du sacré en particulier ? Car la capacité de rire face à ce qui nous impressionne - le sacré, le mal, la mort - témoigne de notre capacité de résistance et de résilience en face de ce qui voudrait nous anéantir d'angoisse et de chagrin.On a derrière cette différence frappante une différence de vision de la laïcité. La vision d'Abd Al Malik ne s'inscrit pas, quoiqu'il en dise, dans une laïcité républicaine à la française mais dans une demande de laïcité multiculturaliste. Celle d'Abdennour Bidar est elle vraiment un appel à un islam intégré à la laïcité républicaine comme il y a des chrétiens intégrés à la laïcité à la français y compris dans leur recherche spirituelle.
La laïcité républicaine implique une irrévérence pour toute appartenance communautaire y compris et surtout religieuse car vouloir un citoyen affranchi de ses tendances identitaires revient à vouloir un citoyen capable de reprendre l'irrévérence en auto-dérision.
Abd Al Malik (et sa femme) semblent mettre l'irrévérence de Charlie Hebdo sur le même plan que le non respect de la minute de silence pour les victimes des terroristes dont les journalistes de Charlie Hebdo. P.20, on lit :
"L'irrévérence française... Ils semblent moins s'en contenter lorsqu'ils observent ce manque de respect, puisque c'est de cela qu'il est question en réalité, lorsque certains élèves refusent d'observer la minute de silence en hommage aux victimes [...]"
Ne pas respecter une minute de silence pour des gens assassinés pour des idées n'est pas de l'irrévérence mais une complicité implicite avec les assassins. Il y a un fossé entre le manque de respect aux personnes et le manque de respect aux idées. On ne doit pas de respect moral aux idées et les caricatures nous sont utiles pour nous le rappeler comme le suggère Abdennour Bidar. On doit respect à la fraternité par contre. Parfois cela implique de maltraiter les idées de l'autre avec précaution mais quand nous commençons à vraiment vouloir être fraternel prendre des gants devient moins utile.
La caricature post-attentat est d'ailleurs éloquente :
Le musulman symbolisé ici est-il le Prophète comme l'affirme Abd Al Malik ? |
Cette caricature post-attentat est aussi à la hauteur de la fraternité en montrant un musulman capable de pleurer sur les morts de Charlie (et il y en a eu qui était vraiment Place de la république) et la rédaction de Charlie trouvant par là la force de ne pas en vouloir foncièrement à tout l'islam...
Du point de vue moral on ne peut donc pas mettre sur le même plan l'irrévérence d'une caricature et le désir de marquer son opposition à une idée y compris en approuvant le meurtre de ceux qui la défendent.
L'attaque violente sur le plan des idées de n'importe quelle idée ne met pas en péril la liberté de conscience. L'attaque violente de personnes parce qu'elle a telle idée met en péril la liberté de conscience.
Il faut en laïcité républicaine distinguer liberté de conscience et liberté d'expression. Dans notre approche française de la laïcité il n'y a pas liberté totale d'expression mais liberté totale de conscience.
Personne n'est tué ou torturé par la République française pour ses idées, c'est la préservation de la liberté absolue de conscience.
Et il y a des idées condamnées par la loi : négationnismes, racismes, homophobie, etc. Le condamné doit des dommages et intérêts, etc. même s'il garde sa liberté de conscience.
Enfin il y a des idées et des types de pensées qui sont promues par l'éducation nationale de la République au dépend d'autres jugées obscurantistes, passéistes, fausses. La liberté d'expression n'est donc pas une liberté d'expression égalitariste contrairement à certains desiderata multiculturalistes. Les sciences dures, les sciences humaines ou la philosophie sont des forces vives de la République. Aucune religion ne l'est directement.
Si spiritualités laïques, il y a, elles doivent donc parler le langage de la science et de la philosophie, elles doivent abandonner l'idée de sacraliser l'héritage religieux dont elles proviennent éventuellement. Car s'interpréter pour une spiritualité religieuse dans le langage de la science et de la philosophie pour devenir une spiritualité laïque demande d'intégrer le sens critique contraire à toute sacralisation théorique, de privilégier l'expérience testable à la croyance aveugle, etc.
Abd Al Malik finit son propos sur la vertu de foi. Mais sa vision de la foi est liée à l'exemplarité de figures passées (p.26). Pour nous la foi au sens spirituel n'implique pas d'abord fidélité mais confiance. Nous n'avons pas à être fidèle à ce qui nous a fait croître à un moment si cela nous empêche de croître par la suite. La reconnaissance et la gratitude pour ce qui nous a fait croître n'impliquent pas la fidélité. Par contre nous pouvons avoir confiance en cet appel à croître qui ne peut jamais être fidèle intégralement à aucune forme passée.
La foi en science et en philosophie ne peut pas être en une doctrine fixiste mais foi en une évolution croissante de l'intelligence du réel qui donne la force d'abandonner les visions du monde passées ou traditionalistes qui peuvent lui faire obstacle. Cette foi-là, je la place au-delà de toutes mes convictions et je suis prêt à lui relativiser toutes mes convictions.
Enfin avec Abdennour bidar, je pense que l'intégration à la fraternité laïque est une démarche autant des non-musulmans que des musulmans. Il écrit p.38-39 :
L'autocritique au-delà de l'autodéfense, cela vaut dans les deux sens. Il s'agit, pour l'islam, de dépasser le premier réflexe de dire : "ça ne ma concerne pas, je n'y suis pour rien." Pour la société française, de dire : "Ces terroristes sont revenus fous de Syrie, moi qui les ai élevés, je n'y suis pour rien." D'un côté la posture victimaire, de l'autre celle du bouc émissaire. L'autocritique doit prévaloir sur ces logiques d'accusation entre la France et ses musulmans. "La France est méchante, elle ne veut pas de nous" contre "Les musulmans ne veulent pas s'intégrer et ils en sont incapables".
[...] L'islam accuse la France de le rejeter, de le discriminer, de le stigmatiser. L'islam accuse la France de se conduire avec les musulmans sur son territoire comme auparavant avec les indigènes de ses colonies. L'islam accuse la France de faire payer à ses musulmans l'indépendance de l'Algérie. En retour, la France suspecte l'islam d'être foncièrement incompatible avec la modernité, la démocratie, les droits de l'homme, la laïcité, etc. La France fait passer à ses musulmans un interminable test d'intégration. Alors que pour la plupart, fils ou petit-fils d'immigrés nés et grandis ici, ils sont français depuis longtemps. Les musulmans en tirent toujours plus de rancœur... et les deux s'enchaînent ainsi ainsi dans une spirale maudite, de plus en plus dangereuse.
La France avec ses filles et ses fils musulmans sont appelés à se relever de ce malheur en se soutenant mutuellement, en s'aidant mutuellement à lutter contre leurs démons respectifs. [...] Ce sont peut-être les mêmes [démons] en miroir, des monstres siamois.
Il poursuit p.41-42 :
Au-delà de la France, la mondialisation doit rassembler les Orients et les Occidents dans la prise de conscience qu'aucune civilisation n'est plus autosuffisante et n'a un destin à part -elles sont irréversiblement interpénétrées et chacune a désormais besoin du concours de toutes les autres.
Notre défi commun le plus fondamental, décisif pour l'avenir ? Je le dis souvent d'une formule : aujourd'hui, nous avons tous besoin d'intégration, et pas seulement les immigrés de fraîche ou de longue date.
Arrêtons d'assimiler intégration et immigration ! Oui, les immigrés de fraîche date ont besoin d'être intégrés. Mais nos valeurs - dignité de l'être humain, liberté, égalité, fraternité, solidarité, laïcité, mixité - ont besoin d'être réapprise par notre société tout entière, et pas seulement rappelées à quelques musulmans radicaux !