jeudi 26 décembre 2013

L'EVEIL DU VOIR AUTOCREATEUR AVEC DOUGLAS HARDING ECLAIRE LE DEBAT ENTRE LIBRE-CHOIX ET DETERMINISME. Libre-arbitre comme participation à la liberté absolue. Episode 2.

 
Dessin de Gabriel Durand

On consultera notre première réflexion sur ce thème qui pose les bases de notre questionnement.

Un tableau sur la question spirituelle et le débat libre-choix/déterminisme.

On oppose souvent liberté et déterminisme dans la spiritualité. Au-delà d'un débat philosophique à coup d'arguments, nous envisagerons les pratiques spirituelles en jeu quand on évoque soit le libre-choix, soit le déterminisme.

Pour les uns, l'éveil spirituel ne peut prendre place qu'en reconnaissant le déterminisme pour s'en libérer. Pour les autres, c'est d'abord et avant tout un acte libre par excellence : il faut se convertir, choisir de de retourner son attention vers l'intérieur. Dans cette approche, il y a en jeu un choix radical à l'intime de nous-même pour que s'éveille l'intériorité en nous.

Pour aller vite sur les positions philosophiques des uns et des autres, une première approche consiste à dire qu'on retrouve d'un côté des spiritualités orientales (se réclamant du vedantisme ou du bouddhisme) insistant sur nos mécanismes égocentriques illusoires pour découvrir la seule position intérieure non illusoire et des spiritualités occidentales (au sens large) mettant en avant la participation de la personne à sa divinisation en Dieu.
Bien entendu, cette première approche reste caricaturale. En occident, les stoïciens dans une certaine mesure et Spinoza plus encore penchent vers le déterminisme. Les monothéistes affirment le libre-arbitre mais admettent une prédestination divine qui inclut des grâces corrigeant les failles de la liberté induites par un mésusage du libre-choix. Dans la notion de karma, propre aux spiritualités orientales, il y a une place pour une responsabilité personnelle dont ne rendrait pas compte une doctrine centrée strictement sur une mécanique impersonnelle.

L’éveil spirituel met en jeu de façon nécessaire une connaissance libératrice.

Pour connaître le point de vue qui nous libère de tout ce qui détermine, il faut le comprendre et le connaître. La libération de ce point de vue n'est pas prioritairement un choix mais une prise de conscience libératrice d'une illusion sur soi-même.
Je peux imaginer ce point de vue libérateur, le fantasmer et partager des opinions à son sujet. Mais alors j'en suis très loin. Douter de mes imaginations et de mes opinions souvent citées, imitées et déformées revient à devenir ma propre autorité. Prendre conscience de la vérité de ceci est en un premier temps une forme de libération au niveau de la pensée.
Ceci dit, il faut bien admettre que le plus souvent ce sont des passions qui nous meuvent en dépit du bon sens ou que ce dont des émotions produites en nous par des circonstances qui nous emportent. Modifier par la connaissance et le doute des pensées ne suffit donc pas à nous libérer radicalement. La raison nous permet de reconnaître que nous sommes déterminés mais elle n'est encore pas le point de vue libérateur.

Je peux raisonner au sujet du point de vue libérateur, je peux penser ce qu'il n'est pas ; mais aussi rigoureuse soient mes analyses et interprétations, je ne le connais pas encore de première main. Douter de la pensée évite de simplement penser-voir ou voir-penser (au sens de mêler indument des sensations et des pensées).

Stephen Jourdain (qui défend fortement le libre-arbitre au cœur de l'éveil spirituel) écrit à ce sujet dans La bienheureuse solitude de l'âme :
Steve : Mais je ne peux pas "voir-penser" ou "penser-voir". Cela, ça n'existe pas - c'est une monstruosité.
Question : Nous n'avons jamais une vision directe de l'arbre ni d'aucune chose, nous ne savons que voir-penser !
Par contre penser-voir me laisse perplexe. Ça représente quoi ?
Steve : C'est plus subtil à déceler en soi, mais tout aussi grave que voir-penser. Dans ce dernier cas, on surimpose un voile de pensée sur la sensation pure. Dans l'autre, on surimpose un voile de sensation sur la pensé pure.

[Par exemple la pensée "j'ai mal" se renchérit de douleur alors que la pensée ne peut pas avoir mal (l'exemple est de nous)] 
Mais ce doute ainsi développé s'il reste fruit de l'activité pensante ou l'activité sentante ne parviendra pas à nous libérer.

Je connais quand "je" vois singulièrement sans voile c'est-à-dire quand je distingue pensées, sensations et émotions dans la perception. Ici le voir est donc une perception consciente qui enveloppe d'une part les pensées et d'autre part les sensations (le voir sensitif dont on parlait précédemment). On comprendra que le "je" usuel en tant que processus mental et émotionnel C'est le voir perceptif lui-même qui constitue l'essence de la connaissance la plus authentique qui me libère de tout ce qui me détermine. C'est ce voir perceptif dans lequel je dois me laisser enfin voir pour poser un pas sur le chemin de la libération. Aucun doute sur ce point.
La libération consiste en un voir qui précède nos compréhensions usuelles. Ce voir perceptif se réalise en nous donnant la lumière qui nous désillusionne de l'ignorance du voir dans laquelle nous vivions.

Douglas Harding nous propose des expériences permettant de découvrir ce voir toujours déjà là. Il s'agit d'une reconnaissance peut-être plus que d'une connaissance au sens usuel. Douglas Harding nous invite par exemple à observer ce que nous voyons ici et maintenant de nous-même sans accoler aucune représentation au fait qui se présente. La photographie suivante en première personne y correspond assez bien :


A l'instant présent, se constate l'absence de notre tête et de notre visage dans le champ visuel. L'espace du champ de vision s'étend à gauche et à droite bien au-delà de nos sensations tactiles. Et il faut l'admettre le champ de conscience va au-delà de tout le champ visuel.

Au centre de moi-même, à 0 distance de ce que je suis, est-ce que je trouve ma personne, mon ego ? En fait au centre de moi-même, il y a un presque rien de conscience en lequel tout apparaît : sensations, pensées, émotions et y compris ma personne qui ne trône plus faussement au centre de la conscience.

La lumière de ce presque rien de conscience éclaire donc toute chose. Ma pensée ne parvient pas à englober ce presque rien, elle est vue en cette pure lumière consciente. Et si je me maintiens dans cette ouverture, lorsqu'une émotion surgit ou lorsqu'une passion nous emporte, pouvons-nous être submergé en profondeur ? En prenant refuge dans la lumière de ce presque rien de conscience, ne trouvons-nous pas un havre de paix intangible ?

Cette reconnaissance a été motivée dans le récit préparatoire précédent par le désir de se libérer de la mécanique déterministe. En tant que telle cette reconnaissance de la conscience au centre par cette même conscience au centre transcende amplement un simple questionnement sur le déterminisme de l'ego. Cette reconnaissance révèle et corrige d'un même geste l'erreur et l'ignorance de la conscience égocentrique qui veut mettre l'ego au centre. 

La transformation de la personne dans la lumière de l'éveil met en jeu un choix personnel car la seule (re)connaissance de notre intériorité essentielle est insuffisante.

Une fois l'éveil du voir ayant percé à un instant, il peut y avoir des pensées et des émotions oublieuses du voir perceptif, il peut demeurer des opinions et des imaginations actives qui nous en écarte. Le voir perceptif qui s'est fait jour au travers d'une expérience momentanée n'est pas éveillé à lui-même instant après instant. L'ego peut demeurer par certaines de ses facettes dans l'ombre de la lumière transformatrice du voir. L'illusion et l'ignorance ont connues une trouée, une échappée libératrice. Mais le nuage brumeux, l'obscurité, etc. qui les caractérisent peuvent reprendre le dessus. L'intensité de la lumière propre à l'éveil du voir pour la personne peut donc varier même si la présence de cette lumière à elle-même, elle, ne varie pas. [Ceci induit une conception de l'éveil qui ne se contente pas d'être impersonnel ou qui affirme qu'une fois réalisé tout devenir cesse, qu'il n'y a plus rien à intégrer]

Si le geste de l'éveil au voir a été reconnu, ne sommes-nous pas capables de le réitérer ? Ne suffit-il pas de réitérer par le souvenir ce simple geste de retourner son attention vers le point de vue intérieur où tout paraît ? L'erreur de la position égocentrique de l'ego ignorante du centre véritable de l'être peut être systématiquement combattu par ce retournement vers l'intérieur, un choix de conversion du regard intérieur.

L'éveil au voir perceptif est une reconnaissance libératrice pouvant mettre en jeu en amont la connaissance de déterminismes. En aval de l'éveil au voir, la transformation dans le voir ne met-elle pas davantage en jeu un libre choix entre libre-arbitre et serf-arbitre ? Plus nous vivrons dans la lumière intérieure plus notre arbitre sera libre, plus nous négligerons cette lumière intérieur plus notre arbitre sera enchaîné à des penchants mécaniques.

L'éveil ne devient transformation de la personne que relié à une question de choix égoïque ou personnel si l'on préfère.
Nous avons le choix d'avoir foi ou non en cette vision qui s'est éveillée, nous avons le choix d'espérer ou non une transformation de notre personne en cette vision. Nous avons le choix d'aimer avec nos préférences individuelles ou d'aimer de l'amour même issu de cette vision. 
Délibérer revient à ne pas choisir. Douter de l'essentialité du pur voir perceptif revient déjà à choisir la non-vision en prolongeant le voir penser et le penser voir caractéristique de l'ego égocentrique.
Cette approche du pur voir perceptif comme lié à notre choix personnel le plus radical et intime nous fait revenir aux fameuses vertus théologales chrétiennes que sont amour, foi et espérance.

La liberté se joue à chaque pensée, à chaque émotion, en regard de chaque désir et sensations, etc. Vais-je me laisser voir en mes pensées limitantes jusqu'à me laisser transformer ou bien me laisser happer dans le voir-penser ou le penser-voir ? Vais-je me laisser submerger par l'émotion balançant entre refoulement et justification erronées ou bien vais-je m'abandonner intérieurement à son ressenti en plénitude dans le pur voir perceptif ? Etc.


Fénelon a repéré un enjeu pratique dans le rapport du moi à sa liberté qui permet de saisir les enjeux de notre approche :
Je ne m'étonne point de ce que Dieu permet que vous fassiez des fautes dans le temps même des ferveurs et du recueillement où vous voudriez le moins en faire. La Providence qui permet ces fautes est une des grâces que Dieu vous fait en ce temps-là ; car Dieu ne permet ces fautes que pour vous faire sentir votre impuissance de vous corriger par vous-même. Qu'y a-t-il de plus convenable à la grâce que de vous désabuser de vous-même, et de vous réduire à recourir sans cesse en toute humilité à Dieu ? Profitez de vos fautes, et elles serviront plus, en vous rabaissant à vos propres yeux, que vos bonnes œuvres en vous consolant. Les fautes sont toujours fautes ; mais elles vous mettent dans un état de confusion et de retour à Dieu qui nous fait un grand bien (VIII, 551 cité in François Varillon, Fénelon ou le pur amour)
Si Dieu est interprété ici comme la liberté absolue autocréatrice à laquelle nous participons plus ou moins consciemment, la faute qui nous détermine en tant que mécanisme d'inconscience devient l'opportunité de quitter une nouvelle fois l'égocentrisme ignorant pour nous laisser transformer dans l’œil divin qu'est le pur voir perceptif.
Reconnaître Cela qui nous éveille au meilleur ne revient-il pas simultanément à nous libérer de ce qui peut nous déterminer tant que nous l'ignorons et à choisir la liberté du voir perceptif qui enveloppe pensées, sensations et émotions au lieu de rester enfermé dans le penser voir (sensitif et émotif) ou le voir (sensitif) penser ?

Bilan et retour au débat libre-choix/déterminisme par rapport à la pratique spirituelle :

En aval de la percée du voir, le rôle d'un choix personnel de participer ou non à l'activité transformatrice de la lumière de la pure conscience nous est apparu indéniable.
En amont de cette percée, nous avons beaucoup insisté sur la (re)connaissance libératrice qui donne davantage crédit à l'approche déterministe.

A la croisée de l'aval et de l'amont, il y a selon nous superposition de la prise de conscience libératrice de l'illusion et acte personnel de participation à la liberté absolue autocréatrice.

Mais en ce qui concerne l'amont de la percée authentique du voir dans la conscience personnelle ordinaire, n'y a-t-il pas déjà en jeu le choix pour le serf-arbitre ou le libre-arbitre qui prolonge ou renforce la mécanique déterministe ? Le mauvais choix enfonce dans l'inconscience et le bon choix nous rapproche du saut vers la source même de la perception consciente. Notre réflexion nous amène donc à reconsidérer en amont le libre-arbitre se superposant au déterminisme. [à suivre donc]

En aval, l'éveil s'exprimant dans un contexte culturel mental, n'y a-t-il pas des déterminations constitutive d'un inconnaissance par ignorance de ce qu'est en profondeur la conscience et qui font obstacle à sa pleine révélation ? Le libre-choix de l'ego humain n'est-il pas un peu comme la liberté de mouvement d'une mouche ? Une mouche va vers la droite ou vers la gauche librement mais parfois se cogne à une limite inconnaissable jusqu'à ce par hasard volant dans une direction, elle ne la rencontre plus. Nous, plus conscients qu'elle, libre de ses limites, savons qu'elle s'est heurtée à une vitre. Elle l'ignore. C'est une ignorance due à son être même de mouche. La lumière de la conscience à travers elle ignore ce qu'est une vitre même si la lumière de la conscience parce qu'il y a perception de la mouche et libre mouvement peut y être consciente.

La liberté de l'ego lui permet sans aucun doute de participer consciemment à sa transformation éthique en un être d'amour et de compassion mais cette transformation spirituelle est certainement insuffisante pour participer pleinement consciemment à une évolution de la conscience humaine elle-même. En tant qu'être humain, nous pouvons être conscient que la lumière essentielle de la conscience est autocréatrice mais notre pensée et nos sentiments ne nous permettent pas d'y participer consciemment pleinement si eux-mêmes représentent les limitations mêmes de notre humanité.

Il y a un "je ne sais pas" spiritualiste qui commence par être un acte juste d'humilité mais qui malheureusement finit par s’avérer être la continuation en bonne et due forme des limites de notre espèce sans autre question.

Conscient d'une insatisfaction vis-à-vis de ce déterminisme plus fondamental, conscient d'une aspiration mystérieuse qui ne peut se satisfaire d'une paix intérieure intangible, l'aventure de l'éveil commence à s'ouvrir véritablement à une aventure évolutive. Il ne s'agit en rien de renoncer à la paix de la vision de la lumière intérieure mais il s'agit de s'ouvrir à la possibilité que les ténèbres lumineuses qui lui sont propres recèlent des possibilités d'être que nous ignorons encore, mais que nous pouvons participer à libérer en intensifiant notre aspiration, en la dégageant de la gangue de nos habitudes trop humaines.

Dessin de Gabriel Durand 2013

Quelques enjeux critiques de notre approche dans le champ de la spiritualité contemporaine.

Invoquer que le corps-esprit individuel est soumis au déterminisme même si se réalise l'éveil comme Balsekar ou Wayne Liquorman l'affirment nous paraît permettre de justifier le pire au nom de l'éveil. Mais ne pas voir qu'en un sens notre corps-esprit individuel est prédestiné par la conscience absolue autocréatrice serait aussi une erreur.

Les héritiers de Prajnanpad et d'Arnaud Desjardins ne tombent pas dans un piège aussi grossier puisqu'ils entendent respecter un ordre éthique en n'agissant pas en dessous de leur dignité mais dès lors ne faudrait-il pas qu'ils brisent la forteresse mentale qu'est elle-même une théorie du déterminisme non questionnée ? Cette théorie ne conduit-elle pas les tenants de cette théorie à éloigner l'expérience de la lumière de l'éveil pourtant si proche et si simple à obtenir ? Pour nous, la transformation spirituelle, si elle commence avant l'expérience de la lumière de l’éveil, n'est qu'un balbutiement, ce ne sont que des changements au sein d'un position égocentrique d'un ego qu'on espère de plus en plus sain pour atteindre le véritable éveil. Cette approche progressive même si elle promet un saut final s'inscrit dans le mythique "beaucoup d'appelés et peu d'élus". Si on part de l'éveil directement, la relation maître-disciple est totalement différente voire totalement transmutée car dans le contexte d'un partage autour du pur voir perceptif, il ne peut y avoir au sens profond qu'une amitié spirituelle fondée sur une égalité originelle dans la vision de l'essentiel. L'ami spirituel nous ramène au pur voir, nous partageons avec lui l'essentiel, il ne saurait y avoir avec lui aucune inégalité même si en terme de mûrissement l'ami l'est nettement plus. A ce propos, celui qui est plus mûr sur un aspect de sa personne est entendu plus aisément si l'on écoute depuis le pur voir. Et il convient de rappeler que le plus mûr n'est pas toujours celui qui transmet de manière la plus brillante le geste de l'éveil. Donc comme l'éveil ne garantit pas notre maturité humaine, croisant de nouveau les apports de Prajnanpad et Desjardins, il s'agit de se méfier de nous et de ceux qui ayant reconnu le pur voir s'identifie au maître intérieur en refusant de reconnaître que le disciple du maître intérieur demeure essentiel pour se transformer en sa lumière à l'aide de tous ses reflets mondains que sont les paroles de nos amis plus centrés que nous sur un aspect d'humanité.
 
Stephen Jourdain insistait lui beaucoup sur un choix originaire défaillant en nous qu'il nous fallait redresser dans le geste d'éveil. Mais ce geste incluait-il un mûrissement de sa personne elle-même ? Il y a une dimension tragique du mûrissement dans la lumière de l'éveil qu'il n'a peut-être aperçu que sur le tard, d'après ce que nous en dit Gilles Farcet dans Sur la route spirituelle. Le geste d'éveil est à réitérer et surtout si une part de nous se refuse à sa lumière transformatrice mais ce geste de liberté ne doit pas être un geste de sécession vis-à-vis d'autrui. Stephen Jourdain s'est toujours méfié du terme non-dualité mais la non-dualité dans le sens le plus noble n'est pas étrangère à une ouverture dans le dialogue. Le geste de désidentification, choix pour la liberté libre de toute identification, peut entendre l'ouverture qui se propose dans le dialogue : aucun terme n'est définitivement galvaudé y compris celui de non-dualité sinon c'est le retour du dogmatisme et le surgissement d'une non-liberté. Par le dialogue l'éveil s'ouvre à une dimension cosmique qui le conditionne et pas seulement une dimension personnelle ou transpersonnelle admirant l’œuvre cosmique au côté de son créateur. La liberté individuelle est étroitement liée à sa constitution lucide mais aussi en partie inconsciente inscrite dans le moule offert par le corps cosmique et son devenir. Le choix du pur voir perceptif créateur ne nous arrache jamais au déterminisme cosmique qui à la fois le conditionne, le filtre dans certaines limites ou encore l'amène à s'ouvrir davantage. Un geste de liberté n'est pas qu'un choix mais aussi un geste d'ouverture et d'aspiration, un besoin d'être (plus) jamais satisfait de l'expérience d'être qu'il est.

Enfin, souligner la clarté d'intention, vouloir être libre plus que toute autre chose, etc. risque de nous détourner ce à quoi il nous faire face à savoir nos mécanismes inconscients. Notre libre-arbitre ne fonctionne jamais à 100% parce que notre participation à la liberté absolue autocréatrice ne peut être qu'imparfaite tant que nous serons dans un mental humain. Nous touchons ici à une des limites du mouvement intégral et son éveil évolutionnaire qui n'entend pas vraiment ce que pourrait être un saut évolutif de conscience. S'affirmer comme un leader évolutif apparaît quelque peu trop humain pour être crédible. Là encore il y a beaucoup d'inconscience. Mais un Andrew Cohen qui n'était pas à l’abri de l'autoritarisme justifié par son leadership évolutif paraît assez sincère pour entendre sur ce point ses propres disciples et  a affirmé vouloir exploré ce point.

mercredi 4 décembre 2013

LE PROBLEME DU LIBRE ARBITRE TEL QU'IL SE POSE A LA LUMIERE DE LA LIBERTE AUTOCREATRICE ABSOLUE. Libre-arbitre comme participation à la liberté absolue (épisode 1).

Les termes courant du débat déterminisme/libre arbitre.

Voici un résumé des positions sur le débat autour du libre-arbitre et du déterminisme qu'on trouve dans l'article free-will de la page Wikipédia anglo-saxonne :
Cette régionalisation des positions réduit les multiples positions philosophiques possibles :


Une phénoménologie rigoureuse de la conscience alliée à la prise en compte des faits matériels réduit selon nous ces possibilités.

Tout d'abord, nos connaissances scientifiques nous amènent à admettre que le fait de l'indéterminisme s'enroule sur le fait du déterminisme.

Considérons le fait indéterministe. Il a été largement démontré par la science contemporaine à l'encontre d'un modèle hyper-déterministe type démon de Laplace qui renseigné sur toutes les conditions initiales à un certain temps t0 pourrait prédire toutes les conditions à chaque instant t0+t.
Le fait indéterministe se distingue d'un probabilisme statistique concernant des objets car il met en jeu non seulement l'objet mais l'instrument de mesure et l'observateur.
On peut estimer que ce qui est vrai au niveau microphysique vaut en un certain sens aux niveaux macro-physiques puisque une émergence y est envisageable.

Nous allons montrer que l'indéterminisme est une condition nécessaire de la liberté.

Considérons d'abord une expérience de pensée proposée par Peter van Inwagen.
Si on revenait en arrière dans le temps par une sorte de replay, l'acte de choisir librement sans être déterminé aboutira à d'autres suites d'événements que ceux observés lors du premier passage. Chaque replay ouvrira une série d'événements nouveaux.
Cantonnons-nous à un choix à 2 options. Plus on ferait de replay plus on devrait observer une situation semblable à une probabilité d'avoir à tant de pourcents tel choix et à tant de pourcents tel autre choix.
Ceci est une expérience de pensée qui nous fait voir qu'un choix libre non déterminé se présente comme une situation d'indéterminisme fondamental.

Prenons quelqu'un à qui dans une pièce est demandé de choisir toutes les minutes d'appuyer sur un bouton lumière verte ou un bouton lumière rouge. Dans une salle adjacente où les lumières rouge et vertes s'allument, ne pourrait-on pas faire des paris considérant qu'il y a hasard ? Du point de vue de son intériorité le sujet qui choisit d'appuyer sur tel ou tel bouton pourrait affirmer choisir librement et du point de vue extérieur on aurait une situation d'indéterminisme. A l'inverse, si dans la salle on découvrait une suite d'éclairages vert ou rouge obéissant à des lois, l'impression de libre choix devrait être considérée comme illusoire.

Cependant cette deuxième expérience se rapproche de l'expérience de Benjamin Libet (résumé ici par le site automates intelligents) :
Diverses observations semblent confirmer l'hypothèse du caractère illusoire de la décision volontaire. On peut citer celle, aujourd'hui très connue et commentée, des neurobiologistes Benjamin Libet et Bertram Ferstein de l'Université de Californie. On demande à un sujet de plier un doigt volontairement, en indiquant précisément à quel moment il prend la décision d'accomplir ce mouvement. Des appareillages adéquats enregistrent le temps mis entre l'annonce de la décision et la réponse du motoneurone et du muscle concerné, soit environ 200 millisecondes, ce qui est normal. En revanche, environ une demi-seconde avant l'annonce de cette décision, des enregistreurs placés sur le crâne du même sujet notent une activité électrique neuronale dans l'aire du cerveau en charge de la prise et de l'exécution de la décision. Ceci peut être interprété comme le fait que l'action précède la conscience, d'un temps considérable. Il y a donc quelque facteur en amont de la décision consciente qui provoque son déclenchement. Faut-il en déduire que nous sommes des automates, et que l'impression de libre arbitre n'est qu'une illusion ?

L'expérience de Libet suggère que l'indéterminisme peut être incompatible avec tout libre-arbitre. Toutefois à partir des deux expériences précédentes (le replay et le jeu des lumières verte et rouge), nous pouvons au moins conclure qu'un indéterminisme observé extérieurement est la condition nécessaire d'une impression intérieure non illusoire de libre choix.

Une condition nécessaire n'est pas une condition suffisante. L'expérience de Libet suggère l'existence d'un mécanisme indéterministe qui par sa mécanique fait pencher quelque chose aléatoirement d'un côté ou l'autre sans que la chose soit libre d'effectuer des choix conscients non causés inconsciemment.

Spinoza a suggéré qu'une pierre à qui une impulsion aurait été donnée, devenant consciente de cette impulsion devenue sa force propre pourrait croire se mouvoir volontairement librement alors que sa volonté ne serait pas libre, l'impulsion lui ayant été transmise de se mouvoir en tel sens avant qu'elle en soit consciente. Imaginons maintenant un mécanisme indéterministe prenant conscience de soi : ne serait-il pas encore plus facilement victime d'une illusion comparable à la pierre lancée, dans la mesure où il observerait en lui une indétermination se déterminant ? L'existence d'un coup de dé ne prouve pas le libre choix, si ce coup de dé nous détermine à telle option.

Donc si l'indéterminisme est la condition nécessaire d'un libre choix, il n'en est pas la condition suffisante.

Pour que l'indéterminisme ne s'oppose pas à un libre choix, il faudrait qu'il ne soit pas extérieur à la conscience et que de cet extérieur il la détermine, il faudrait qu'il soit le fruit même de la conscience.

Il est vrai que la conscience individuelle ne peut guère prétendre envelopper en son sein l'indéterminisme. Mais reconnaissons que tout ce qui apparaît y compris notre conscience de soi personnelle apparaît dans une conscience pure.


Rien n'est jamais apparu en dehors de cette conscience pure y compris notre conscience individuelle. L’œil même du savant qui se dit matérialiste n'est pas un œil matériel, c'est un œil au sens figuré de conscience pure.

Du point de vue de cette conscience pure universelle et unique en laquelle toute conscience individuelle s'étend, l'indéterminisme observé sera la vision d'une libre création, d'une autocréation dont nous sommes co-auteurs.
La vision en première personne, à laquelle nous invite Douglas Harding entre autres, nous met donc en contact avec une liberté absolue.
La conscience pure ne fait pas de choix : elle recrée instant après instant à l'identique ce qui apparaît en elle et elle innove tout en recréant.

Considérons la position du problème de l'existence ou non du libre-arbitre une fois que s'est éveillée la liberté autocréatrice de l'absolu dans l'intériorité du sujet. 

Quand on me demande d'allumer au choix la lumière verte ou la lumière rouge,  le choix qui surgit préférentiellement dans la conscience est vu surgissant de la conscience pure et non du sens individuel qui s'y ressent au premier plan. Or je suis en profondeur conscience pure plus que ce sens individuel qui s'y montre au premier plan. Ce qui émerge dans la conscience pure est de l'être même dont surgit la conscience pure. Le voile de lumière ténébreuse de la conscience pure pour le sens individuel ne recouvre que la liberté absolue et autocréatrice du tout. Si le sens individuel adhère à celle-ci, comment pourrions-nous dire qu'il en est déterminé ? Si la conscience veut du hasard du point de vue du sens individuel, pourquoi ne demeurerait-elle pas libre ? Par ailleurs Libet lui-même nuançait son expérience en évoquant la possibilité d'un veto accessible au sens individuel de la conscience. C'est en revenant à ce presque rien de la conscience pure que par participation le sens individuel peut se désidentifier d'un mouvement intérieur vu alors comme un mécanisme à transformer. Le sens individuel par son veto appelle une autre manière d'être du sein de la conscience pure. Et parfois ce mouvement avant de pouvoir de s'exprimer devient une virtualité dont l'énergie est exploitée pour un autre mouvement. 

Les questions autour du libre choix ou du déterminisme se déplacent donc :

- Après cet éveil à la liberté absolue autocréatrice de la conscience pure, la dimension égoïque du sujet qui demeure dans cette conscience pure participe-t-elle ou non de cette liberté absolue ? Autrement dit l'ego, ce sens individuel de la conscience, persiste-t-il comme phénomène relatif agissant inexorablement selon l'absolu qui le détermine ? Ou bien malgré le fait que sa réalité soit relative le sens individuel de la conscience s'ouvre-t-il à de nouvelles manières d'être davantage soi par la grâce de la liberté absolue à la quelle il peut participer de plus en plus consciemment ?

[On trouvera ici dans notre épisode 2 sur Le libre-arbitre comme participation à la liberté absolue une approche prenant en charge ce questionnement]

- Avant cet éveil de la liberté absolue autocréatrice, y a-t-il une forme de libre choix quelconque de l'ego d'un sujet qui ignore encore la conscience pure dont il tire pourtant la possibilité même de sa conscience individuelle ? Ou dans le geste retour à cette liberté autocréatrice alors qu'elle était plus ou moins oubliée et ignorée, y a-t-il une forme de choix personnel ?