mardi 31 mars 2015

QUELLE SPIRITUALITE POUR UNE FRATERNITE REPUBLICAINE ? APPORTS DE LA CULTURE SPIRITUELLE MUSULMANE.

Abd Al Malik artiste connu pour sa recherche spirituelle musulmane dans Place de la république, Pour une fraternité laïque écrit p.7-8 :
Aujourd'hui un Français, c'est aussi bien un Français athée, qu'un Français musulman, qu'un Français chrétien, qu'un Français juif.
Un Français n'est pas issu d'une caste sociale particulière et n'a pas une couleur de peau spécifique.
Être français, c'est être spirituel.
Être porteur d'une véritable spiritualité laïque qui, avant même de s'articuler dans le langage, est à la fois, raisonnement, intuition de l'idée immanente républicaine et sa transcription claire et intelligible.
L'identité française prend source dans le refus de toutes les bassesses
Comme l'atteste la volonté émancipatrice de notre histoire moderne
Qui n'a eu de cesse de redéfinir la conception de l'homme et son rapport au réel
conception initiée par la révolution culturelle humaniste et mûrie pendant trois siècles jusqu'aux Lumières et à la Révolution française
 Dès lors ce refus s'exprime à la fois par l'affirmation des valeurs fondatrices : Liberté, Égalité, Fraternité et par la négation d'un ordre ancien
 
 Comme en écho Abdennour Bidar qui, lui aussi, a grandi en explorant la spiritualité musulmane écrit dans Plaidoyer pour la fraternité écrit p.11-12 :
Frères et sœurs humains de tous bords et de toutes origines,
Je vous écris cette longue lettre, ce Plaidoyer, pour vous parler de l'urgence d’œuvrer tous ensemble maintenant à quelque chose de très simple, de très beau et de très difficile à la fois : la fraternité. La fraternité tout court, et pas seulement la fraternité de tel sang ou de telle religion.
Pourquoi la fraternité ? Elle est ce qui manque le plus à notre vivre-ensemble, et ce dont l'absence - ou la rareté - nous fait le plus souffrir.
Comment faire, tous ensemble, pour que cet idéal devienne maintenant une véritable direction, un projet de société concret, un projet de civilisation vers lequel nous ferons converger d'abord nos cœurs, et à partir d'eux nos éducations, nos institutions, nos engagements, nos métiers et toutes nos forces vives ? Telle est, me semble-t-il, la responsabilité collective qui nous attend. Voilà ce qui va orienter chacune de nos existences vers un but qui rend cette vie digne d'être vécue. Un but qui insufflera à nos vies la dimension spirituelle qui lui manque si souvent. Un but partagé par tous et qui réunirait, comme au temps de la résistance chantée par Aragon, ceux qui croient au ciel, à tel ou tel ciel, et ceux qui n'y croient pas.
Je veux donc vous lancer - nous lancer à tous - un défi : spiritualisons nos vies par l'entrée en fraternité universelle !

Mais derrière ces deux projets de nourrir spirituellement la vie républicaine à partir d'une recherche spirituelle enracinée dans la culture musulmane, il y a une nuance de taille.

Abd Al Malik dans Place de la république, Pour une fraternité laïque écrit p.18-19 :
Soyons honnête, dans notre pays, les caricatures de Charlie Hebdo (certes acte démocratique par excellence parce qu'éclatant symbole de la liberté d'expression) ont clairement contribué à la progression de l'islamophobie, du racisme et de la défiance envers tous les musulmans. [...] Aussi croire pouvoir caricaturer jusqu'à l'obsession le Prophète d'une communauté de croyance déjà bien malmenée (de l'extérieur comme de l'intérieur), dans un contexte national et international explosif, sans créer ou renforcer des clichés et des stéréotypes, déjà trop présents, est pure inconscience. en outre, de toute évidence, nous vivons en démocratie et en démocratie aucun pouvoir sans borne ne pourrait être légitime. [...] Soyons juste donc, cette fameuse liberté d'expression n'est pas une valeur non négociable.

Abdennour Bidar dans Plaidoyer pour la fraternité écrit p.55-56 :
[...] pour que l'islam soit une chance pour la France : qu'il fasse le choix de se repenser de fond en comble à la lumière spirituelle de la liberté, de l'égalité, de la fraternité, de la démocratie, de la laïcité. Certains musulmans me disent que c'est acquis ? Non, tout ou presque reste à faire. Non, la civilisation et la religion islamiques ne vont pas bien, et tout est à réécrire au présent de l'indicatif, tout est à revoir pour le débarrasser de ses anachronismes et de ses rhumatismes. A commencer par son manque d'autodérision, sa difficulté tragi-comique à rire de lui-même... et  à accepter que d'autres lui rendent ce service de se moquer de ses obscurantismes ! S'il était en bonne santé spirituelle, les caricatures du Prophète l'auraient fait rire de lui-même, ou ua moins sourire. Ne sait-il donc plus que la grandeur de l'homme est non seulement de rire de tout en général, mais du sacré en particulier ? Car la capacité de rire face à ce qui nous impressionne - le sacré, le mal, la mort - témoigne de notre capacité de résistance et de résilience en face de ce qui voudrait nous anéantir d'angoisse et de chagrin.
On a derrière cette différence frappante une différence de vision de la laïcité. La vision d'Abd Al Malik ne s'inscrit pas, quoiqu'il en dise, dans une laïcité républicaine à la française mais dans une demande de laïcité multiculturaliste. Celle d'Abdennour Bidar est elle vraiment un appel à un islam intégré à la laïcité républicaine comme il y a des chrétiens intégrés à la laïcité à la français y compris dans leur  recherche spirituelle.

La laïcité républicaine implique une irrévérence pour toute appartenance communautaire y compris et surtout religieuse car vouloir un citoyen affranchi de ses tendances identitaires revient à vouloir un citoyen capable de reprendre l'irrévérence en auto-dérision.
Abd Al Malik (et sa femme) semblent mettre l'irrévérence de Charlie Hebdo sur le même plan que le non respect de la minute de silence pour les victimes des terroristes dont les journalistes de Charlie Hebdo. P.20, on lit :
"L'irrévérence française... Ils semblent moins s'en contenter lorsqu'ils observent ce manque de respect, puisque c'est de cela qu'il est question en réalité, lorsque certains élèves refusent d'observer la minute de silence en hommage aux victimes [...]"

Ne pas respecter une minute de silence pour des gens assassinés pour des idées n'est pas de l'irrévérence mais une complicité implicite avec les assassins. Il y a un fossé entre le manque de respect aux personnes et le manque de respect aux idées. On ne doit pas de respect moral aux idées et les caricatures nous sont utiles pour nous le rappeler comme le suggère Abdennour Bidar. On doit respect à la fraternité par contre. Parfois cela implique de maltraiter les idées de l'autre avec précaution mais quand nous commençons à vraiment vouloir être fraternel prendre des gants devient moins utile.

La caricature post-attentat est d'ailleurs éloquente :

Le musulman symbolisé ici est-il le Prophète comme l'affirme Abd Al Malik ?
Abd Al Malik ne voit pas qu'on ne peut pas caricaturer l'authentique lumière intérieure car il faudrait la voir sensiblement pour la caricaturer et la voir c'est percevoir son éclat invisible, intangible, inaudible, etc. en toute chose. Aucun dessinateur de Charlie Hebdo n'a jamais dessiné le Prophète de l'islam (même si cela a été peut-être son intention) car si on tentait de le faire, il faudrait réussir à représenter l'éclat de cette lumière intérieure le transfigurant... Charlie Hebdo n'a donc publié que des caricatures de représentations du Prophète qu'il pouvait croiser sur les réseaux sociaux, une représentation le plus souvent sans profondeur spirituelle. Sur cette manche, il s'agirait plutôt de la caricature d'une représentation symbolique du musulman sans éclat spirituel notable. Et malheureusement comme Abdennour Bidar le suggère faute d'autodérision beaucoup de musulmans ne sont pas conscients de véhiculer une représentation caricaturale de leur religion dès lors si facilement caricaturable... 

Cette caricature post-attentat est aussi à la hauteur de la fraternité en montrant un musulman capable de pleurer sur les morts de Charlie (et il y en a eu qui était vraiment Place de la république) et la rédaction de Charlie trouvant par là la force de ne pas en vouloir foncièrement à tout l'islam...

Du point de vue moral on ne peut donc pas mettre sur le même plan l'irrévérence d'une caricature et le désir de marquer son opposition à une idée y compris en approuvant le meurtre de ceux qui la défendent. 

L'attaque violente sur le plan des idées de n'importe quelle idée ne met pas en péril la liberté de conscience. L'attaque violente de personnes parce qu'elle a telle idée met en péril la liberté de conscience. 

Il faut en laïcité républicaine distinguer liberté de conscience et liberté d'expression. Dans notre approche française de la laïcité il n'y a pas liberté totale d'expression mais liberté totale de conscience. 
Personne n'est tué ou torturé par la République française pour ses idées, c'est la préservation de la liberté absolue de conscience. 
Et il y a des idées condamnées par la loi : négationnismes, racismes, homophobie, etc. Le condamné doit des dommages et intérêts, etc. même s'il garde sa liberté de conscience. 
Enfin il y a des idées et des types de pensées qui sont promues par l'éducation nationale de la République au dépend d'autres jugées obscurantistes, passéistes, fausses. La liberté d'expression n'est donc pas une liberté d'expression égalitariste contrairement à certains desiderata multiculturalistes. Les sciences dures, les sciences humaines ou la philosophie sont des forces vives de la République. Aucune religion ne l'est directement. 

Si spiritualités laïques, il y a, elles doivent donc parler le langage de la science et de la philosophie, elles doivent abandonner l'idée de sacraliser l'héritage religieux dont elles proviennent éventuellement. Car s'interpréter pour une spiritualité religieuse dans le langage de la science et de la philosophie pour devenir une spiritualité laïque demande d'intégrer le sens critique contraire à toute sacralisation théorique, de privilégier l'expérience testable à la croyance aveugle, etc. 

Abd Al Malik finit son propos sur la vertu de foi. Mais sa vision de la foi est liée à l'exemplarité de figures passées (p.26). Pour nous la foi au sens spirituel n'implique pas d'abord fidélité mais confiance. Nous n'avons pas à être fidèle à ce qui nous a fait croître à un moment si cela nous empêche de croître par la suite. La reconnaissance et la gratitude pour ce qui nous a fait croître n'impliquent pas la fidélité. Par contre nous pouvons avoir confiance en cet appel à croître qui ne peut jamais être fidèle intégralement à aucune forme passée.
La foi en science et en philosophie ne peut pas être en une doctrine fixiste mais foi en une évolution croissante de l'intelligence du réel qui donne la force d'abandonner les visions du monde passées ou traditionalistes qui peuvent lui faire obstacle. Cette foi-là, je la place au-delà de toutes mes convictions et je suis prêt à lui relativiser toutes mes convictions.


Enfin avec Abdennour bidar, je pense que l'intégration à la fraternité laïque est une démarche autant des non-musulmans que des musulmans. Il écrit p.38-39 :
L'autocritique au-delà de l'autodéfense, cela vaut dans les deux sens. Il s'agit, pour l'islam, de dépasser le premier réflexe de dire : "ça ne ma concerne pas, je n'y suis pour rien." Pour la société française, de dire : "Ces terroristes sont revenus fous de Syrie, moi qui les ai élevés, je n'y suis pour rien." D'un côté la posture victimaire, de l'autre celle du bouc émissaire. L'autocritique doit prévaloir sur ces logiques d'accusation entre la France et ses musulmans. "La France est méchante, elle ne veut pas de nous" contre "Les musulmans ne veulent pas s'intégrer et ils en sont incapables".
[...] L'islam accuse la France de le rejeter, de le discriminer, de le stigmatiser. L'islam accuse la France de se conduire avec les musulmans sur son territoire comme auparavant avec les indigènes de ses colonies. L'islam accuse la France de faire payer à ses musulmans l'indépendance de l'Algérie. En retour, la France suspecte l'islam d'être foncièrement incompatible avec la modernité, la démocratie, les droits de l'homme, la laïcité, etc. La France fait passer à ses musulmans un interminable test d'intégration. Alors que pour la plupart, fils ou petit-fils d'immigrés nés et grandis ici, ils sont français depuis longtemps. Les musulmans en tirent toujours plus de rancœur... et les deux s'enchaînent ainsi ainsi dans une spirale maudite, de plus en plus dangereuse.
La France avec ses filles et ses fils musulmans sont appelés à se relever de ce malheur en se soutenant mutuellement, en s'aidant mutuellement à lutter contre leurs démons respectifs. [...] Ce sont peut-être les mêmes [démons] en miroir, des monstres siamois.

Il poursuit p.41-42 :

Au-delà de la France, la mondialisation doit rassembler les Orients et les Occidents dans la prise de conscience qu'aucune civilisation n'est plus autosuffisante et n'a un destin à part -elles sont irréversiblement interpénétrées et chacune a désormais besoin du concours de toutes les autres.
Notre défi commun le plus fondamental, décisif pour l'avenir ? Je le dis souvent d'une formule : aujourd'hui, nous avons tous besoin d'intégration, et pas seulement les immigrés de fraîche ou de longue date. 
Arrêtons d'assimiler intégration et immigration ! Oui, les immigrés de fraîche date ont besoin d'être intégrés. Mais nos valeurs - dignité de l'être humain, liberté, égalité, fraternité, solidarité, laïcité, mixité - ont besoin d'être réapprise par notre société tout entière, et pas seulement rappelées à quelques musulmans radicaux !

samedi 21 mars 2015

LA PHILOSOPHIE COMME VOIE INITIATIQUE ET CONCEPTION D'UN IDEAL EDUCATIF.

Article de  dans son blog "Heureux à l'école! " 

La philo, ou l’absurde logique scolaire
Prenez des ados bien mûrs, vérifiez qu’ils n’ont jamais trempé dans le moindre exercice de questionnement et placez-les sur le grill stressant de la terminale pour découvrir d’un seul coup : les philosophes Grecs et Romains, (pas les Indiens, ni les Arabes ou les Chinois, pas les autres, pas le temps), les concepts énoncés au fil des siècles (à raison d’une séance par semaine sur moins de 6 mois, on survole). Sans oublier quelques astuces de rhétorique, thèse, anti-thèse, synthèse pour avoir au moins 10.
Ce n’est pas de la philosophie mais du gavage. Le but étant d’apprendre par cœur des tonnes de trucs, sans formation initiale, sans imprégnation de l’expression, sans incorporation lente de l’exercice de philosopher. Sans aucun goût découvert au fil du temps pour le débat, l’écoute, l’art du contre pied ou celui de l’élaboration.
C’est tout simplement idiot et parfois néfaste. La plupart des adultes qui découvrent les sujets du bac philo de l’année le confessent : rien qu’un énoncé leur rappelle le haut-le-cœur de leur jeunesse à l’idée de plancher sur de telles phrases complexes.

Offrez aux futurs bacheliers de vrais atouts

Les futurs bacheliers et les jeunes diplômés ont un challenge de taille dans leur viseur : leur capacité d’adaptation à la vie réelle qui les attend. La philo en conserve de leur terminale ne leur sera d’aucun secours, en imaginant même qu’ils en retiennent une seule once. Si l’éducation nationale investissait tout de suite et dès la seconde dans des modules pratiques prodigués sur 3 ans, tels que : prendre la parole en public, rédiger une note de synthèse, savoir se relire, négocier par l’écoute relationnelle… Les jeunes seraient plus efficaces, moins perdus pour entamer leur premier job, ou tout simplement pour communiquer et prendre leur place.

La philosophie, ça doit commencer tout petit


Ce sont nos amis québécois qui ont inauguré cette démarche et elle contient une puissance insoupçonnée, tant pour les individus que pour les communautés où ils progressent. Commencer la philosophie dès la maternelle, c’est possible, si les enseignants sont un peu formés. Et ça marche ! Car tout petit déjà, on s’en pose des questions ! La justice (« C’est pas juste !»), la liberté, la propriété (« C’est à moi ! »), le temps, qu’est-ce qui est bien ? ou mal ? Et puis peut-être aussi apprendre à écouter d’autres points de vue, douter, remettre en cause. Au fil des années, s’ajoutent la citoyenneté, plus tard l’éthique.

Mais ce travail est l’œuvre d’une enfance, d’une adolescence, d’années de pratique. Pas d’une logique de presse-purée avec de jeunes adultes stressés par une note finale. Dans les quartiers difficiles, entamer un dialogue pourrait reprendre sens. En général, il y aurait peut-être enfin une autre perspective que de réduire nos enfants à des consommateurs qui appuient sur des boutons. C’est une invitation aux débats, à la rhétorique, à la palabre qui crée du lien.
La philo au bac, oui mais pas comme ça ! La philo au bac à sable, là… vraiment oui !
Pour aller plus loin, je vous recommande les « Goûters Philo » de Milan éditeur.
Par Brigitte Labbé, Michel Puech et Jacques Azam.

MA RÉPONSE EN L’ÉTAT

Cet article est assez provocant mais il pointe certains défauts de l'enseignement actuel de la philosophie que je reconnais.

1 - il y a encore un risque de gavage malgré, il faut le préciser, la baisse de niveau de l'épreuve depuis une dizaine d'année qui favorise une approche plus fondée sur l'essentiel.

2 - il demeure un stress de l'évaluation qui précipite nombre d'élèves du côté d'une philosophie scolaire. On échoue à les faire philosopher.

Mais étant professeur de philosophie en terminale, je puis contester certaines des affirmations de l'article et en tant que philosophe, je me permettrais de critiquer fortement certaines conceptions et plus précisément la conception ici présentées "des atouts pour un adolescent".

1 - je garde un excellent souvenir de mon professeur de terminale C, Gilles Susong, qui nous offrait un autre monde culturel que le nôtre. Car c'est bien là un enjeu décisif, les adolescents ont un monde qui souvent est en train de se clôturer. Car ils pensent malheureusement assez pour ce faire. Le cours de philosophie est une chance d'apprendre à penser de manière plus ouverte. Savoir soutenir simultanément une thèse et une antithèse est une méthode sure pour ne pas s'endormir dans un sommeil dogmatique. Dans mon expérience, je n'ai pas eu l'impression alors d'un survol de quoi que ce soit. Au contraire, j'ai connu une expérience d'ouverture déterminante.

2 - "prendre la parole en public, rédiger une note de synthèse, savoir se relire, négocier par l’écoute relationnelle…" sont aussi des techniques de base de tout "marchand de soupe" comme le dirait un Stephen Jourdain. Si vraiment on veut éviter de réduire "les enfants à des consommateurs qui appuient sur des boutons", il faudrait éviter de former les meilleurs à convaincre les autres de le devenir !!! Éduquer est-ce préparer nos enfants à reproduire un système ou à le faire évoluer ? Un des seuls atouts alors est bien la pensée philosophique qui reste le seul mode de pensée critique encore enseigné aujourd'hui capable de pointer les incohérences d'un discours et aussi de reconnaître les siennes (ce qui est plus enrichissant encore). La philosophie n'est pas seulement une façon de dialoguer : la CNV est meilleure si le dialogue est le but !!! car ne confondons pas dialogue et dialectique difficile relationnellement tant qu'on défend un ego au lieu de chercher une vérité. La philosophie n'est pas seulement se poser des questions comme le font les enfants, car la philosophie est aussi un art d'accéder à l'intuition surmentale (qui n'aurait rien d'un pressentiment) (au moins au double sens de Bergson et Spinoza si je puis me permettre d'indiquer des pistes pour entendre le signifié que ce concept pointe dans ma vision philosophique) car c'est aussi et avant tout un mode d'exploration spirituel. Ce que je lis concernant la philosophie pour les petits ignore dramatiquement cette dimension que seul notre XXème siècle occidental en philosophie a su complètement oublié ou presque.

3 - Personnellement usant de ma liberté professorale, j'initie mes élèves à la pensée occidentale la plus spirituelle au programme mais aussi à la pensée non-dualiste (Douglas Harding, Stephen Jourdain), à la philosophie chinoise, hindoue, islamique ou encore à la philosophie intégrale (Sri Aurobindo - Ken Wilber) et à partir de là on peut d'ailleurs constater qu'il ne manque pas grand chose à la tradition occidentale qui s'en trouve revigorée. A vrai dire seuls quelques auteurs au programme négligent toute dimension spirituelle propre à la démarche philosophique. Or c'est bien l'usage spirituel de la philosophie, le jnana yoga comme disent les hindous qui devrait être revigoré vu le genre de difficultés que nos sociétés vont devoir affronter. En fait les jeunes enfants ne pensent pas assez rigoureusement pour jouir pleinement de la philosophie comme phénoménologie herméneutique spiritualiste à la recherche d'une vision du monde adaptée aux défis non de la vie socio-économique actuelle mais des 50 prochaines années. La spiritualité des enfants peut être soutenue par la poésie ou par des récits mais ils ne peuvent pas vraiment manipuler des concepts rigoureux et ils glissent facilement vers la croyance à partir de ce que dit un adulte. Certes en ces domaines mêmes nous adultes manipulons des signifiants sans voir toujours le signifié et je me souviens que croyant faire de la phénoménologie j'étais encore en train de croire en pensant voir au lieu de percevoir. Mais quoi qu'il en soit, de nombreux adolescents aujourd'hui sont capables comme je le constate de percevoir au moins en partie ce que des concepts de philosophie spiritualiste pointent alors que des adultes s'y refusent : ils seront prêts à une évolution de la conscience quand le moment l'exigera et d'autres sans aucun doute y contribueront fortement. Car les adolescents d'aujourd'hui peuvent être des êtres engagés et authentiques à condition qu'on leur donne les moyens de penser. Souvent on rencontre aussi des adolescents qui ont une expérience spirituelle mais qui n'ayant pas de concepts sont en but à leur entourage ou restent incapables de s'y repérer.

4 - Plus le temps passe, plus je pense que la qualité d'être du professeur est déterminante pour rendre capable un élève de ce dont il ne croyait pas l'être. Les techniques pédagogiques sont très secondaires : la qualité d'être d'un enseignant est intimement lié au fait d'aider inconditionnellement l'enseigné à être plus authentiquement ce qu'il est en profondeur avant même de lui transmettre un savoir sur sa matière. En philosophie quand la dimension spiritualiste est retrouvée, le paradoxe est que la matière veut qu'on enseigne et questionne aussi ce qu'est la qualité d'être individuelle et collective. Le philosophe donnera donc forcément à ses élèves de quoi penser une éducation. Qui aujourd'hui donne aux futurs adultes des notions concernant la juste éducation des enfants ? N'est-ce pas à cet âge où un recul par rapport à l'éducation parental peut être envisagé surtout si cette éducation ignore ses maladresses (qui souvent vont tout de même jusqu'à justifier une certaine violence physique) ?

5 - Le baccalauréat garde un sens initiatique, peut-être faudrait-il un autre type d'épreuve ou bien l'envisager seulement quand on est prêt. Mais si l'élève n'était orienté en dépit du bon sens (partant de seconde 70% au moins des élèves doivent entrer en classe de première quel que soit leur niveau intellectuel, le niveau de leur classe et donc de l'établissement !!!) et aujourd'hui on envisage de supprimer le redoublement sans même utiliser les évaluations par compétences pour remédier aux compétences déficientes, si les classes n'étaient pas surchargées et si les professeurs avaient une assez bonne qualité d'être alors le défi pourrait être relevé donnant à l’élève une estime de soi, une confiance dans ses capacités d'auto-dépassement... Imaginons un tournant spiritualiste de la philosophie, alors l'initiation aurait tout son sens.

CECI DIT QUEL EST MON IDÉAL ÉDUCATIF ?

J'adhère à l'évidence que un monde vivant pousse en ce moment même aux milieux des décombres du vieux monde dominé encore quoi qu'il en pense par la bestialité. Plus le temps passe, plus je sais que je vois ce Monde nouveau si et seulement j'y participe. L'évidence de l'horreur du vieux monde fait partie des ruines. C'est même une impression de grisaille interne dépressive qui participe de l'auto-destruction du vieux monde. Le monde nouveau n'est vue qu'à partir d'une certitude de Joie sans objet qui accueille une force créatrice et transformatrice.

Un deuxième point me saute aux yeux : l'éducation n'est plus une sortie (ducere) hors de soi (e-) mais une initiation à soi c'est-à-dire une intégration de puissance de pensées, d'émotions (voire de sentiments) ou encore de capacités physiques répondant aux besoin d'une âme. Ici je croise les valeurs chrétiennes selon laquelle nous avons à rendre compte du développement de nos talents.

La société du vieux monde ne connaît que des egos manipulables par leurs désirs égocentriques puisque foncièrement mimétiques et qui donc suscitent de la concurrence. Même la bonne conscience de ce vieux monde a cette mécanique. La société du vieux monde ignore tout de l'âme.

L'éducation véritable consiste certainement à permettre à une âme de ne pas se perdre dans les mécaniques des pensées, des désirs et des pulsions. Aujourd'hui la paresse, l'inertie l'emporte souvent faute de souligner un idéal d'évolution et de création. La spiritualité contemporaine avec la non-dualité nous donne d'échapper peu à peu à la mécanique. Mais quid du mouvement de transformation du monde ? L'ego n'est que le visage défiguré de notre âme quand pire malheur il n'en est pas la tombe où elle se tient étouffée dans le silence. L'éducation authentique est au service d'un principe d'individualisation. Celui qui aime ses enfants ou le professeur qui se soucie de ses élèves travaille pour leur proposer ce qui leur facilitera de devenir ce qu'ils sont : il leur donne de quoi s'individualiser. Un tel parent ou un tel professeur lutte parfois contre l'ego de l'enfant ou de l'enseigné pour en libérer l'influence de son âme, le principe d'individualisation qui au cœur de la conscience pure commande le devenir un individu quand il est uni intuitivement, mentalement, émotionnellement à cette conscience pure.

Ceci commande même la manière dont parfois on peut introduire auprès d'un enfant ou d'un enseigné une manière de voir y compris par exemple la non dualité : il s'agit juste d'une boîte à outils ou de moyen de partager une sensibilité (poétique) dont l'enfant peut user s'il le désire pour ne pas se faire engrener dans la mécanique ; il ne s'agit pas encore une fois de s'enfermer dans telle croyance mentale en niant telle possibilité ou au contraire en affirmant telle réalité sans en faire du tout aucune expérience.L'éducation ainsi entendue est clairement en opposition avec n'importe quelle attitude religieuse.

Plus on s'approche du continent perdu de l'âme, plus on peut aider les plus jeunes âmes à se trouver au cœur de l'humanité. Il ne s'agit pas d'une manière de penser mais d'une aspiration au cœur de la conscience pure. C'est un monde paradoxal où la plénitude de la conscience se découvre un besoin d'être, une soif de conscience encore plus ample.

Le monde de l'âme, le monde psychique vraiment libre du monde psychologique qui ne trouvera jamais de solution en lui-même est une dimension spirituelle que l'éducation de demain devra sans aucun doute découvrir si elle veut s'accomplir.

Pour l'instant à ma connaissance la tentative qu'est L'école du progrès telle qu'elle a été développée autour de Mère et Sri Aurobindo reste l'une des rares après certainement l'Académie platonicienne à souligner le rôle central de l'âme (principe d'individualisation au cœur de la conscience pure) qui donnerait tout son sens à une éducation de la pensée, de l'intelligence émotionnelle et de la maîtrise d'un corps en vue ensuite de lui offrir la capacité d'une évolution de la conscience par delà les limites de la conscience ordinaire humaine.