mardi 10 février 2009

L'ENSEIGNEMENT DE SRI AUROBINDO ET LA VISION EN PREMIERE PERSONNE DE DOUGLAS HARDING.

Quelques extraits de Sri Aurobindo se rapprochent au plus près de ce sur quoi insiste Douglas Harding.

Ainsi on lit dans le tome 4 des Lettres sur le yoga p.89-90 :

" Un sentiment, c'est aussi la perception de quelque chose que l'on sent: perception dans le vital, dans le psychique ou dans la substance essentielle de la conscience. J'ai même souvent entendu qualifier de sentiments des perceptions mentales, quand elles étaient très vives. Si vous excluez tous ces sentiments, et d'autres similaires, en disant que ce sont des sentiments et non des expériences, alors vous laissez très peu de place aux expériences. Le sentiment et la vision sont les formes principales de l'expérience spirituelle. On voit et on sent le Brahman partout ; on sent une force pénétrer en soi ou en émaner; on sent, ou on voit, la présence du Divin au-dedans ou autour de soi; on sent, ou on voit, la descente de la Lumière; on sent la descente de la Paix ou de l'Ânanda. Envoyez promener tout cela sous prétexte que ce ne sont que des sentiments, et vous balayez la plupart des choses que nous appelons des expériences. Nous sentons aussi un changement dans la substance de la conscience ou dans son état. Nous sentons que nous nous élargissons et que le corps est un petit objet dans cette immensité (nous pouvons aussi le voir); nous sentons que la conscience du cœur est vaste et non plus étroite, malléable et non plus dure, illuminée et non plus obscure, de même pour la conscience cérébrale, la conscience vitale et même la conscience physique; nous sentons des milliers de choses de toutes sortes, et pourquoi ne les appellerions-nous pas des expériences? C'est bien entendu une vision intérieure, une sensation intérieure, une sensation subtile et non pas matérielle comme celle d'un vent froid, d'une pierre ou d'un objet quelconque, mais à mesure que la conscience intérieure s'approfondit, elle n'en est ni moins vive ni moins concrète, bien au contraire."


Et plus loin p.118, on lit :

"D'ordinaire, ils [ceux qui n'ont pas la connaissance mentale du Moi universel] le ressentent d'abord par l'intermédiaire du psychique, par l'union avec la Mère, et ne l'appellent pas le Moi ; ou alors ils ressentent simplement une immensité et une paix dans la tête ou dans le cœur. La connaissance mentale préalable n'est pas indispensable. Dans plus d'un cas, j'ai vu des sâdhak recevoir la réalisation du Brahman et demander: "De quoi s'agit-il ?", tout en la décrivant avec beaucoup de vivacité et d'exactitude, mais sans employer aucun des termes consacrés.

Alors que je venais d'écrire ces quelques lignes, j'ai reçu une lettre d'une sâdhikâ qui me dit: "Je vois ma tête devenir très calme, pure, lumineuse, universelle, vishvamaya." Eh bien, c'est le commencement de la réalisation du Brahman universel : c'est le Moi dans le mental, mais si je lui parlais en ces termes elle ne comprendrait rien."



Mère, Mirra Alfassa, la compagne spirituelle de Sri Aurobindo dans Quelques réponses de la Mère, p.184 écrit significativement :

Il ne faut pas se laisser écraser par le sens de l'immense ; il faut s'y baigner, au contraire, avec joie et sérénité. Si l'on était inévitablement enfermé entre les quatre murs de sa conscience personnelle, c'est alors que ce serait triste et écrasant... Mais l'infini nous est ouvert, nous n'avons qu'à nous plonger en lui.


29 mars 1937, Ashram de Sri Aurobindo


Elle propose dans ses Entretiens un exercice qu'elle tient d'une de ses connaissances qu'un pratiquant de la Vision sans tête, qu'on trouvera en cliquant ici.


Ici, en cliquant sur ce lien, on trouvera des extraits de Satprem, le disciple de Sri Aurobindo et confident de Mère, qui pointent dans cette même direction que la vision sans tête de Douglas Harding.


dimanche 8 février 2009

YOGA DES YEUX ET YOGA DE L'OEIL.

Les expériences suivantes doivent être vraiment expérimentées pour être jugées sur pièce. Car il s'agir de percevoir au-delà de simplement concevoir.

Commençons par le commencement avec l'exercice de Douglas Harding de l'oeil unique.

Formons avec nos deux mains une paire de lunettes comme le montre cette photo (empruntée au site visionsanstête.com) :


Il s'agit d'approcher doucement cette paire de lunettes qui comporte deux oculaires qui se mettront pense-t-on usuellement sur nos deux yeux.
Effectivement si je vois quelqu'un faire cet exercice, je vois bien la paire de lunettes se poser sur deux yeux. Mais si moi je fais cet exercice, combien de lunettes au final verrai-je ? Si elles sont collées sur mon nez, la barre séparant les deux lunettes ne disparaît-elle pas ? Cela ne nous conduit-il pas à affirmer que de mon point de vue, en première personne, nous n'avons qu'un seul oeil ? Bien sûr, nous avons deux yeux pour un observateur extérieur mais n'avons nous pas qu'un seul espace de vision du point de vue en première personne ? De ce point de vue intérieur, n'y a-t-il pas des sensations de yeux de chair qui s'inscrivent dans un seul champ de conscience ?

Allongé sur la plage, je jouis du champ de vision et plus largement du champ de conscience formé par toutes les perceptions, je suis l'oeil unique où se perçoivent ce que j'appelle mon corps et le monde environnant :


Une objection me vient à cette histoire d'oeil unique : j'ai bien le pouvoir de fermer un oeil de chair et pas l'autre. Le champ de vision n'est-il pas composé des deux champs de visions propres à chacun de mes deux yeux ?

Fermons un oeil.

Combien y a -t-il de champ de vision ? N'y a-t-il pas en fait toujours qu'un seul champ de conscience ?
Mon objection n'a t-elle pas confondu trop vite le regard que je dirige en dirigeant mes globes de chair et le champ de vision en amont ?
Si je ferme l'autre oeil et ouvre celui qui était fermé n'est-ce pas comme si en arrière plan le champ de vision prenait un autre conduit, comme si il s'angouffrait dans un autre regard ?

Et si je fais loucher mes yeux en les faisant converger vers mon nez :

Du point de vue d'un observateur extérieur, il devrait logiquement être possible de ressentir deux champs de visions séparés par le nez. Mais moi si j'opère de mon point de vue intérieur en première personne, la convergence de mes deux regards ne laisse-t-elle pas un seul de champ de vision malgré l'apparition visuelle d'un nez fantomatique ?


Nous allons procéder maintenant à cet exercice qu'on appelle le yoga des yeux et essayer de voir ce qu'il révèle du champ de conscience en faisant attention surtout au champ visuel.

Mettons nous en posture méditative, le dos droit, la nuque posée sur les épaules, le menton légérement en arrière pour ne pas le porter en avant, la respiration descend dans tout le diaphragmme :


Le champ visuel se présente ainsi en quelque sorte :


Cela forme comme une coupe dans laquelle se dépose la respiration qui se répand de là dans tout le corps.
Maintenant nous allons promener les yeux sans bouger.
Baissons les yeux :

Ce regard vers le bas met en valeur le corps par lequel ce champ de conscience s'ouvre sur un corps sans tête. Le regard vers le bas insiste sur ce par quoi ce champ de conscience s'individualise.


Dirigeons maintenant notre regard vers le haut du champ de vision :


Dès lors le corps qui nous individualise semble se perdre de vue :

Si on vraiment on pointe son regard vers le champ de vision, il se découvre de plus en plus impersonnel :
Quel indice reste-t-il alors de ce qui m'individualise ? Il y a bien sûr la mémoire mais ce qui l'exprime dans le champ de conscience n'apparaît-il pas en dessous ? Ne pointe-on pas dans le champ de conscience quelque chose qui s'ouvre au-delà de notre personnalité ?

Revenons à quelque chose qui étire moins les yeux, faisons le tour de notre champ de vision avec notre regard :

En faisant tourner les yeux en suivant le contour du champ de vision les deux yeux ouverts, ne prenons pas conscience d'un contour du champ de vision dans lequel le champ de conscience entier semble s'inscrire :


N'est-ce pas la voie rapide pour distinguer le monde des phénomènes perceptibles d'une dimension de conscience sans phénomène au sein de laquelle les phénomènes apparaissent et disparaissent ? Un rien de conscience atemporelle, aspatiale et surtout non mentale, non vitale et immatérielle ne devient-il pas de plus en plus comme une évidence insaisissable ?

Conscient du contour du champ de vision, regardons un panorama :

Bougeons notre tête sur la droite :

Bougeons encore notre tête sur la droite :

Bougeons notre cou non par rapport à nos épaules, mais par rapport à l'immobilité de notre champ de vision. Cela déraidit la nuque de l'envisager sans la planter sur les épaules et bougeant à partir d'elles :

Continuons à bouger vers la droite :

Pour regarder ce panorama, nous avons bougé notre corps mais la source du champ de vision a-t-elle bougé ? Le monde phénoménal n'offre pas le même point de vue. Si on place un repère sur le contour du champ de vision en première personne, peut-on dire qu'il a pas ? En amont du contour de ce champ de vision, n'y a-t-il pas immobilité ?

jeudi 5 février 2009

LE KARMA YOGA PAR SRI AUROBINDO.

Tout ce que nous avons voulu pointer spirituellement à travers notre carnet philosophique [plus particulièrement concernant le triple ou quadruple sentier] se trouve inclus et transcendé par ce que Sri Aurobindo écrit dans LA SYNTHÈSE DES YOGA, tome I, Le yoga des œuvres, Buchet Chastel, p. 326-336. 
Voici donc ce texte que nous tenterons d'illustrer par des images et divers dessins et schémas dont une grande partie sont aussi inspirés essentiellement par Douglas Harding :

"Par conséquent, la soumission totale de toutes nos actions à une Volonté suprême et universelle, une soumission sans condition et sans règle de toutes nos œuvres au gouvernement de cette Chose éternelle en nous qui doit remplacer le fonctionnement ordinaire de l'ego naturel, tel est le chemin et le but du Karma yoga. Mais quelle est cette Volonté divine suprême, et comment peut-elle être reconnue par nos instruments illusionnés, notre intelligence prisonnière et aveugle ?


D'ordinaire, nous nous considérons nous-mêmes comme un "je" séparé dans l'univers, qui gouverne un corps séparé et une nature mentale et morale séparée, qui choisit et détermine en toute liberté ses propres actions, qui est indépendant, et par conséquent seul maître de ses oeuvres et seul responsable. Pour le mental ordinaire qui n'a pas pensé ni examiné profondément sa propre constitution et ses éléments constituants (et même pour ceux qui pensent, mais qui n5ont pas la vision ni l'expérience spirituelle), il est difficile d'imaginer qu'il puisse y avoir autre chose de plus vrai en nous, de plus profond et de plus puissant que ce "je" apparent et son empire. Mais le tout premier pas de la connaissance de soi comme de la vraie connaissance des phénomènes, est de passer derrière la vérité apparente des choses et de trouver la vérité essentielle et dynamique - réelle, mais masquée - que leurs apparences recouvrent.

Cet ego ou "je" n'est pas une vérité durable, et encore moins la partie essentielle de notre être ; c'est seulement une formation de la Nature : une forme mentale qui centralise la pensée dans la partie perceptrice et discernante du mental ; une forme vitale qui centralise les sentiments et les sensations dans les parties vitales de notre être ; une forme physique de réceptivité consciente qui centralise la substance et les fonctions de la substance dans notre corps. Tout ce que nous sommes intérieurement, n'est pas l'ego, mais la conscience, l'âme ou l'esprit. Tout ce que nous sommes et faisons extérieurement et superficiellement, n'est pas l'ego, mais la Nature. Une Force cosmique exécutive nous façonne, et, à travers notre tempérament, notre milieu et notre mentalité ainsi façonnée, à travers cette forme individualisée des énergies cosmiques, dicte nos actes et leurs résultats. A dire vrai, nous ne pensons pas, nous ne voulons pas, nous n'agissons pas, mais la pensée a lieu en nous, la volonté a lieu en nous, l'impulsion et l'action ont lieu en nous ; notre soi-disant ego ne fait que rassembler autour de lui et rapporter à lui tout ce flot d'activités naturelles.

C'est la Force cosmique, c'est la Nature qui forme la pensée, impose la volonté, donne l'impulsion. Notre corps, notre mental, notre ego, ne sont qu'une vague de cet océan de force en action ; ils ne le gouvernent pas, mais sont gouvernés et diriges par lui. Dans sa marche vers la vérité et la connaissance de soi, le sadhak doit arriver au point où son âme ouvre l'oeil de la vision et reconnaît la vérité qui gouverne l'ego et la vérité qui gouverne les oeuvres. Alors il abandonne l'idée d'un "je" mental, vital et physique qui serait l'auteur des actes et le maître de l'action ; il reconnaît que Prakriti, la Force de la nature cosmique, conformément à ses modes établis, est la seule et unique ouvrière en lui et en toutes choses et en toutes les créatures.

Mais qu'est-ce qui a fixé les modes de la Nature ? Ou qu'est-ce qui est à l'origine des mouvements de la Force, qui la gouverne ? Il y a une Conscience - ou un Conscient - par derrière, qui est le seigneur, le témoin, le connaisseur, possesseur et support des oeuvres de la Nature, et qui leur donne sa sanction ; cette conscience est l'Âme ou Pourousha [ sâkshî, témoin, jnàtâ, connaisseur, bhôktâ, (celui) qui jouit des choses, bharta soutien, anoumantâ, (celui) qui donne la sanction, telles sont les cinq fonction du Pourousha selon la Guîtâ.].


Prakriti façonne l'action en nous ; Pourousha en elle ou derrière elle, est le témoin qui acquiesce, qui subit et soutient l'action. Prakriti donne forme à la pensée dans notre mental ; Pourousha en elle ou derrière elle, connaît la pensée et la vérité dans la pensée. Prakriti détermine le résultat de l'action ; Pourousha en elle ou derrière elle, jouit des conséquences ou les tolère. Prakriti forme le mental et le corps, les travaille et les développe ; Pourousha soutient cette formation et cette évolution et autorise chaque pas de son ouvrage. Prakriti applique la Force-de-Volonté qui œuvre dans les choses et dans les hommes ; Pourousha met en mouvement cette Force-de-Volonté selon sa vision d ce qui doit être fait. Ce Pourousha n'est pas l'ego surface mais un Moi silencieux, la source du Pouvoir, l'origine et le récepteur de la Connaissance derrière l'ego. Notre "je" mental n'est qu'une fausse réflexion de ce Moi, ce Pouvoir, cette Connaissance. Le Pourousha, ou Conscience sustentatrice, est par conséquent la cause, le réceptacle et le support de toutes les œuvres de la Nature, mais il n'en est pas lui-même l'auteur. Au premier plan, Prakriti, la Force de la Nature, et derrière elle, Shakti, la Force Consciente, la Force de l'Âme - car Prakritî et Shakti sont les deux faces, extérieure et intérieure, de la Mère universelle - sont responsables de tout ce qui se fait dans l'univers. La Mère universelle, Prakriti-Shakti, est la seule et Unique ouvrière.

Pourousha-Prakriti, la Conscience-Force, l'Âme soutenant la Nature -car les deux ne font qu'un et sont inséparables même dans leur séparation - est un Pouvoir universel et transcendant à la fois. Mais dans l'individu aussi, il y a quelque chose qui n'est pas l'ego mental, quelque chose qui est un en essence avec cette réalité plus grande, quelque chose qui est une pure réflexion ou une parcelle de l'unique Pourousha: c'est l'Âme, la Personne ou l'être incarné, le moi individuel, jîvatman ; c'est le Moi qui semble limiter son pouvoir et sa connaissance afin de donner un support au jeu individuel de la Nature transcendante et Universelle. Dans la réalité profonde, l'infiniment Un est aussi l'infiniment multiple ; nous ne sommes pas seulement une réflexion ni une parcelle de Cela, nous sommes Cela; notre individualité spirituelle, contrairement à notre ego, n'empêche pas notre universalité ni notre transcendance.

Mais pour le moment, l'âme ou moi en nous, absorbée par son individualisation dans la Nature, se laisse confondre avec l'idée d'ego; il faut qu'elle se débarrasse de cette ignorance; il faut qu'elle sache qu'elle est une réflexion ou une parcelle ou un être du Moi suprême et universel, et seulement un centre de Sa conscience dans l'action cosmique. Mais ce Jîva Pourousha, lui non plus, n'est pas l'auteur des oeuvres, pas plus que l'ego ou que la conscience sustentatrice du Témoin et Connaisseur. Encore et toujours, c'est la Shakti transcendante et universelle qui est le seul auteur. Mais derrière elle, se tient l'Un Suprême qui se manifeste à travers elle sous forme d'un pouvoir jumelé : PourouSha-Prakriti, lshwara-Shakti [Îshwara-Shakti et Pourousha-Prakriti ne sont pas tout à fait la même chose, car Pourousha et Prakriti sont des pouvoirs séparés, tandis que lshwara et Shakti se contiennent l'un l'autre. lshwara est Pourousha qui contient Prakriti et qui gouverne par le pouvoir de la Shakti qui est en lui. Shakti est Prakriti animée par Pourousha, et elle agit par la volonté d'lshwara, qui est sa propre volonté et dont elle porte toujours la présence dans son mouvement. La réalisation de Pourousha-Prakriti est de toute première utilité pour le chercheur sur la Voie des OEuvres ; car la cause déterminante de notre ignorance et de notre imperfection vient de ce que nous séparons l'être conscient de l'Énergie, et que l'être se trouve ainsi asservi au mécanisme de cette Énergie ; par cette réalisation, l'être peut donc se libérer de l'action mécanique de la nature, devenir libre et arriver à une première maîtrise spirituelle de sa nature. lshwara-Shakti se tient derrière la relation Pourousha-Prakriti et son action ignorante, et il s'en sert à des fins évolutives.
La réalisation d'lshwara-Shakti peut amener la participation à un dynamisme plus élevé, et une action divine, une unité et une harmonie totales de l'être dans une nature spirituelle. (Note de l'auteur)]. Le Suprême devient dynamique en tant que Shakti et, par elle, il est la seule origine et le seul Maître des œuvres dans l'univers.

Si telle est la vérité des œuvres, la première chose que le sâdhak doive faire, est de se retirer des formes égoïstes d'activité et de se débarrasser du sentiment d'un "je" qui agit. Il faut qu'il sente et voie que tout se produit en lui par l'automatisme plastique, conscient ou subconscient, ou parfois supraconscient, de ses instruments mentaux et corporels, qui sont eux mêmes mis en mouvement par les forces de la Nature spirituelle, mentale, vitale et physique.


Il y a bien une personnalité à la surface de son être, qui choisit et veut, se soumet et lutte, essaye de s'arranger avec la Nature ou de l'emporter sur elle, mais cette personnalité elle-même n'est qu'une construction de la Nature, et elle est dominée, poussée, déterminée par la Nature en sorte qu'elle ne peut pas être libre. C'est une formation ou une expression du Moi dans la Nature c'est un moi de la Nature plutôt qu'un moi du Moi c'est notre être naturel et évolutif, non notre être spirituel et permanent ; une personnalité temporairement construite, non la vraie Personne immortelle. Et c'est cette vraie Personne que le sâdhak doit devenir. Il doit parvenir à être intérieurement immobile, à se détacher de la personnalité extérieure active tel un observateur, et apprendre le jeu des forces cosmiques en lui en se tenant en arrière et en refusant de se laisser absorber comme un aveugle dans tous ses tours et ses détours. Ainsi, calme, détaché, s'étudiant lui-même et témoin de sa nature, il comprendra par expérience qu'il est l'âme individuelle qui observe les oeuvres de la Nature, accepte tranquillement ses résultats et donne ou retire son assentiment à l'impulsion qui la fait agir. Pour le moment, cette âme ou Pourousha n'est guère plus qu'un spectateur consentant, qui influence peut-être l'action et le développement de l'être par la pression de sa conscience voilée, mais qui le plus souvent délègue ses pouvoirs, ou un fragment de ses pouvoirs, à la personnalité extérieure - en fait, c'est à la Nature, qu'il les délègue, car ce moi extérieur n'est pas le souverain de la Nature mais son sujet, anîsh. Mais dès que le Pourousha est dévoilé, il peut exercer son assentiment ou son refus, devenir le maître de l'action, dicter souverainement un changement de Nature. Même si pendant longtemps, par suite d'une association enracinée et d'une accumulation d'énergie passée, le mouvement habituel continue de se dérouler indépendamment du consentement du Pourousha, et même si, d'une façon persistante, la Nature refuse le mouvement autorisé, par manque d'habitude passée, le sâdhak découvrira cependant que l'assentiment ou le refus du Pourousha finit par prévaloir : lentement et avec bien des résistances, ou rapidement et en adaptant vite ses moyens et ses tendances, la Nature se modifie d'elle-même et modifie ses fonctionnements dans la direction indiquée par la vision intérieure ou la volonté du Pourousha.

Ainsi, au lieu d'une maîtrise purement mentale ou d'une volonté égoïste, le sâdhak apprend une maîtrise spirituelle et intérieure qui fait de lui le Maître des forces de la Nature et de leur travail en lui, et non plus leur instrument inconscient ou leur esclave mécanique. Au-dessus et autour de lui, est la Shakti, la Mère universelle, et d'Elle, il peut obtenir la satisfaction de tous les besoins et tous les vouloirs de son âme profonde, à condition toutefois qu'il ait la vraie connaissance des voies de la Shakti et une vraie soumission à la Volonté divine qui est en Elle. Finalement, il devient conscient au-dedans de lui et au-dedans de la Nature, de ce suprême Moi dynamique qui est la source de sa vision et de sa connaissance, la source de la sanction, la source de l'acceptation, la source du rejet. C'est le Seigneur, le Suprême, l'Un en tout, l'Îshwara-Shakti, et son âme est une parcelle de Lui, un être de cet Être et un pouvoir de ce Pouvoir. Le reste de notre progrès dépend de notre connaissance des voies par lesquelles le Seigneur des oeuvres manifeste sa Volonté dans le monde et en nous, et les exécute à travers la Shakti transcendante et universelle.
Dans son omniscience, le Seigneur voit la chose qui doit être faite. Cette vision est sa Volonté, c'est une forme du Pouvoir créateur, et ce qu'il voit, la Mère toute-consciente, une avec lui, le prend en son moi dynamique et lui donne corps, puis la Nature-Force exécutrice l'effectue parce qu'elle est le mécanisme de leur omniscience omnipotente. Mais cette vision de ce qui doit être, et par conséquent de ce qui doit être fait, jaillit de l'être même du Seigneur, se déverse directement de Sa conscience et de Sa joie d'être, spontanément, comme la lumière jaillit du soleil. Ceci ne ressemble en rien à nos efforts mortels pour voir, à nos difficiles découvertes de la vérité de l'action et des mobiles de l'action, ou des justes exigences de la Nature. Quand en son être et sa connaissance, l'âme individuelle est entièrement une avec le Seigneur et directement en contact avec la Shakti originelle, la Mère transcendante, alors la Volonté suprême peut aussi jaillir en nous, de la même haute manière divine, comme la chose qui doit être, et qui s'accomplit par l'action spontanée de la Nature. Alors, il n'y a plus de désir ni de responsabilité ni de réaction ; tout se passe dans la paix, le calme, la lumière, le pouvoir du Divin qui soutient, enveloppe et demeure en nous.
Mais avant même que cette très haute manière de s'identifier soit accomplie, quelque lueur de la Volonté suprême peut se manifester en nous sous forme d'une impulsion impérative, d'une action inspirée par Dieu ; nous agissons alors par une Force qui se détermine elle-même spontanément, et après seulement, nous avons une connaissance plus complète du sens et du but de notre acte. L'impulsion à l'action peut aussi venir sous forme d'inspiration ou d'intuition, mais dans le cœur et dans le corps plutôt que dans le mental ; là, une vision effective entre en nous, mais la connaissance complète et exacte est encore retardée, et parfois ne vient pas, ou vient plus tard. La Volonté divine peut également descendre dans la volonté ou la pensée sous forme d'un unique commandement lumineux, ou d'une perception totale, ou d'un courant de perceptions continu qui indique ce qui doit être fait, ou sous forme d'une direction d'en haut qui est spontanément obéie par les parties inférieures de l'être.
Tant que le yoga est imparfait, seuls quelques actes peuvent être accomplis de cette manière, ou parfois une action générale procède de cette façon, mais seulement pendant les périodes d'exaltation et d'illumination. Quand le yoga est parfait, toute action revêt ce caractère. En fait, il s'agit d'un progrès continu dans lequel nous pouvons distinguer trois étapes : d'abord, la volonté personnelle n'est qu'occasionnellement ou fréquemment illuminée et mue par la Volonté suprême ou la Force consciente ; puis constamment, elle est remplacée par le Pouvoir d'action divin ; finalement, elle s'identifie à lui et se fond en lui. Pendant la première étape, nous sommes encore gouvernés par l'intellect, le cœur et les sens ; ils doivent chercher ou attendre l'inspiration et la direction divines, et ils ne la trouvent ou ne la reçoivent pas toujours. Pendant la seconde étape, l'intelligence humaine est de plus en plus remplacée par un mental supérieur spiritualisé, illuminé ou intuitif ; le cœur humain extérieur, par le cœur psychique intérieur ; les sens, par une force vitale purifiée et sans ego. Avec la troisième étape, nous nous élevons même au-dessus du mental spiritualisé et nous entrons dans les régions supramentales.

Pendant ces trois étapes, le caractère fondamental de l'action libérée reste le même : Prakriti fonctionne spontanément, non plus par ou pour l'ego, mais selon la volonté du Pourousha suprême et pour sa joie. A un niveau supérieur, tout devient la Vérité du Suprême absolu et universel qui s'exprime à travers l'âme individuelle et s'exécute consciemment à travers notre nature, non plus avec une perception tronquée, une exécution amoindrie ou déformée par notre nature inférieure trébuchante, ignorante et complètement falsificatrice, mais avec la toute-sagesse de la Mère transcendante et universelle. Le Seigneur s'est voilé lui-même et a voilé sa sagesse absolue, sa conscience éternelle dans la Nature-Force ignorante, et il permet qu'elle conduise l'être individuel avec la complicité de celui-ci et sous le masque de l'ego ; cette action inférieure de la Nature continue longtemps à prévaloir, souvent même en dépit de nos efforts imparfaits et mal éclairés pour obéir à un mobile plus noble et atteindre à une connaissance de soi plus pure. Nos efforts humains vers la perfection échouent ou progressent très incomplètement en raison de la force des actions passées de la Nature en nous, de ses formations passées, de ses associations depuis longtemps enracinées ; nous ne prenons le chemin du succès véritable et des hautes escalades que quand une Connaissance ou un Pouvoir plus grands que les nôtres percent la carapace de notre ignorance et guident ou remplacent notre volonté personnelle. Car notre volonté humaine est un rayon errant et égaré qui s'est séparé de la Puissance suprême. La période de lente sortie de ce fonctionnement inférieur et d'émergence à une Lumière plus haute et à une force plus pure, est la "vallée de l'ombre de la mort" pour le chercheur de perfection ; c'est un redoutable passage plein d'épreuves, de souffrances, de chagrins, d'obscurcissements, de faux pas, d'erreurs et de pièges. Pour raccourcir et alléger cette épreuve, ou pour y faire pénétrer la félicité divine, la foi est nécessaire, une soumission grandissante du mental à la connaissance qui s'impose du dedans, et, par-dessus tout, une aspiration vraie et une pratique sincère, correcte et sans défaillance. "Pratique sans défaillance le yoga, dit la Guîtâ, avec un cœur libre de tout découragement", car même si aux premières étapes du chemin nous buvons profondément le poison amer de la discorde intérieure et de la souffrance, la saveur ultime de cette coupe est la douceur du nectar d'immortalité et l'ambroisie de l'Ânanda éternel."