Beaucoup d'expressions de la spiritualité
 affirment qu'il faut que l'ego meurt et disparaisse. Il s'agit alors 
d'humilier l'ego, de lui apprendre à se laisser rabaisser dans son désir
 de reconnaissance. Ou bien encore de le soumettre à des milliers de 
prosternations, à des épreuves qui le dégoûte, etc.
On
 notera qu'une telle approche permet de justifier le pouvoir du gourou 
sur le disciple. Le disciple qui joue le jeu a l'impression de 
progresser mais en fait il justifie les abus de pouvoir d'un gourou. Le 
mot gourou implique les spiritualités de l'orient, mais on trouve dans la
 spiritualité monothéiste des idées et donc des comportements forts 
similaires.
Rappelons
 que psychologiquement de telles relations ne sont pas sans rappeler les
 relations parents/enfant. L'enfant est dépendant de ses parents, qu'il 
le veuille ou non, pour sa propre survie et son développement. Beaucoup 
d'enfants, si ce n'est la plupart, sont victimes d'abus de pouvoir à un 
moment ou à un autre. Ils sont alors incapables de discerner si 
l'intention éducative sert leur vérité ou si elle sert aussi et d'abord 
les intérêts de l'éducateur. Certains se sentent exister auprès de leur 
parents que dans l'humiliation... Manipuler de tels ressorts si cela 
était vraiment nécessaire à une démarche spirituelle nécessiterait donc 
une purification psychologique préalable. De telles pratiques ne peuvent
 pas avoir d'efficacité spirituelle avec des egos qui ne sont pas sains.
 
Peut-on
 surmonter les limites de l'ego en faisant œuvrer l'ego et son monde de 
dominant/dominé, de ce qui est orthodoxe ou hérétique, etc. ? 
Ne 
faudrait-il pas trouver le moyen judicieux de court-circuiter ce monde de l'ego autrement que par l'ego ?
Après
 avoir remédié à certains de mes déséquilibres psychologiques, j'ai 
constaté certes qu'une humiliation circonstanciée de l'orgueil une fois acceptée ou qu'un 
renoncement de l'ego à son affirmation de soi avaient entraîné plusieurs fois, pour moi, un lâcher-prise laissant une 
ouverture produire une expérience spirituelle sans précédent. Mais 
ceci ne donnait guère un chemin pour vivre vraiment à partir de la 
lumière de ce qui s'est alors révélé. Si le processus se produit 
plusieurs fois et qu'on veut bien s'observer, on constatera que l'ego 
demeure encore dans cette lumière. Il n'est plus égoïste et n'est plus seulement 
égocentrique mais il demeure. Une inflation de l'ego est même possible 
en présence de cette réalité. Nous ne sommes plus dans le diabolique de 
l'égoïsme séparateur mais dans le luciférien d'un reliquat d'égocentrisme qui 
survit dans la lumière divine. Sri Aurobindo parlait de zone 
intermédiaire. Ma propre expérience d'une inflation luciférienne de l'ego me fait voir que 
envisager l'humiliation et l'exigence de sacrifice de soi comme chemin spirituel 
pour aider les autres serait, par excellence, luciférien. 
L'emprise 
luciférienne sur la spiritualité contemporaine est encore énorme. 
Beaucoup de chrétiens ont fait leur aggiornamento à ce sujet même si 
dans de nombreuses composantes chrétiennes de telles tendances demeurent
 (opus dei, Les béatitudes, certains groupes pentecôtistes, etc.), mais malheureusement beaucoup de ceux qui 
ont quitté le judéochristianisme vont auprès d'un gourou (néo-hindouiste, bouddhiste, new age, intégraliste, etc.) accepter les mêmes logiques de plus belles.
J'en
 suis venu à distinguer trois états de conscience de l'ego : il y a un état 
égoïste, un état égocentrique et un état simplement égoïque. Il faut considérer ces trois états avant d'envisager la possible dissolution de l'ego qui n'aurait rien à voir avec une destruction de la personne en nous, mais avec plutôt un authentique élargissement de l'individualité dans une conscience universelle et transcendante. 
Il
 y a un état égoïste qui se caractérise par une négation de toute règle 
morale. La morale a sans doute une portée seulement relative, mais l'ego 
qui ignore la morale et qui n'envisage pas son dépassement mais 
seulement sa transgression en faveur de son seul désir est seulement 
égoïste. L'état égoïste consiste à ne jamais prendre en considération 
les autres. La démarche morale est relative, mais toujours nécessaire, car
 sinon on ne peut pas apercevoir l'état égocentrique est toujours à la 
racine de nos déviances égoïstes. Donner une importance à la morale 
pointe du doigt notre incapacité à donner vraiment un amour égal à soi 
et à l'autre. Nous découvrons que notre point de vue ordinaire reste 
égocentrique, c'est-à-dire toujours centré sur nous. Cette découverte est
 facilitée d'ailleurs par la lutte contre le moralisme : c'est-à-dire le
 refus de compenser les renonciations morales en voulant imposer 
socialement notre droiture morale. Nous sommes pour la justice entre 
nous, mais la morale n'a qu'une valeur relative à notre égo-(centrisme).
Pour
 découvrir un autre état que celui ordinaire de notre égocentrisme même 
moralisé, la vie (qui est certainement un meilleur gourou que tout 
autre) peut nous amener à être humilié ou à renoncer à nous-mêmes de telle sorte qu'on lâche-prise : 
c'est donc par un principe intérieur à nous-même et non par une demande 
extérieure que notre égo est relativisé. Soudain, nous vivons dans un 
état non égocentrique. La vision du monde et l'action ne sont pas de 
notre ressort égoïque. Notre réalité égoïque n'est plus au centre de 
notre perception du monde, elle est relative à une réalité absolue. 
Ainsi c'est une décision égoïque qui était à la source de notre effort 
spirituel pour lâcher-prise comme avant ce sont des décisions égoïques qui ont forgé en nous une conscience morale autonome contre nos égoïsmes. Desjardins ou d'autres insistent sur la constitution d'un ego de disciple rassemblant tous les aspects égoïques, cette foule de dimensions personnelles jusque là informes et chaotiques.
Une
 pédagogie spirituelle qui se contenterait d'imiter de l'extérieur la 
vie dans ses contraintes à des humiliations et à des renoncements serait
 bien fragile. Le pédagogue lui-même serait assez peu dans 
l'intelligence de la lumière intérieure de la vie. Une spiritualité 
moderne et authentique pointera directement cette lumière en nous. La 
voie directe de la non-dualité quand elle ne tombe pas dans une 
vénération de l'enseignant propose ce chemin. Les voies de l'oraison ou de la méditation peuvent nous apprendre à vivre dans cette lumière. Il ne s'agit pas seulement
 de changer son ego à partir de son ego pour faire l'expérience de la lumière absolue en 
nous. Il s'agit de s'appuyer sur des facultés égoïques non 
égocentriques pour découvrir cette lumière, à utiliser chaque instant pour vivre en elle et amener la réalité égoïque à
 se transformer en elle. La raison et le sens de l'observation non 
subjective sont des facultés que la modernité a développé chez 
beaucoup et sur lesquelles on peut s'appuyer pour faire ce cheminement.
La vision sans tête de Douglas Harding en ce qui me concerne m'indique comment découvrir aisément cette lumière en nous qui précède notre ego  : 
Il y a bien d'autres chemins pour faire cette découverte. Si
 la lumière intérieure qui relativise notre structure égoïque est vue 
avec intelligence, et non par des circonstances déstabilisantes, nous 
pourrons éviter peut-être davantage les circonstances lucifériennes, ce 
que Sri Aurobindo appelle zone intermédiaire dans sa phénoménologie spirituelle et qui nommée ainsi est moins 
connotée religieusement.
L’Éveil
 à la lumière intérieure par l'intelligence égoïque n'est donc pas le 
point d'arrivée de l'aventure spirituelle, mais son commencement. La 
réalité égoïque éclairée par cette lumière essentielle, en effet, n'est pas à l'abri 
de la dérive luciférienne, des pièges de la zone intermédiare. Dans le 
monde de la non-dualité de nombreuses personnes pensent qu'une fois 
éveillées à cette lumière intérieure et une fois  cet éveil stabilisé dans
 la durée, il n'y a plus rien à faire : sont-elles sincères ? Quelle est
 alors la réalité de nous-même, de notre individualité qui peut vraiment
 dépasser ces dangers ? 
On peut en venir (au sens d'un horizon de transformation) à l'idée d'une 
réelle abolition de l'ego et non à sa simple relativisation. De 
nombreuses traditions affirment la coïncidence de notre personne avec 
l'absolu : un Soi absolu émergerait où il n'y a plus d'ego du tout. Ou 
en d'autres termes, la structure égoïque serait pleinement vue dans sa 
vacuité au point où elle ne pourrait plus être vue que comme une 
illusion persistant avec l'individualisation corporelle. 
Personnellement
 ces visions me paraissent relativement possibles, mais une autre qui me 
paraît trop peu envisagée peut les compléter et les préciser : derrière 
la réalité égoïque, il y aurait une réalité personnelle divine, ce que 
certains chrétiens appellent le Fils de Dieu, le Christ en nous ou que 
Sri Aurobindo ou Mère (Mirra Alfassa) nomme l'être psychique, l'âme. L'ego serait 
complétement dissout quand notre dimension divine personnelle 
influencerait directement toute notre individualité en harmonie avec ses autres dimensions au lieu de n'être que la simple résultante d'une série 
de déterminismes extérieurs. La vie spirituelle ne serait plus liée à des décisions égoïques de suivre ou non cette lumière qui indique la volonté juste. Il n'y aurait plus de tentation, d'hésitation et donc d'effort vers le non-effort de la grâce. Ce qui permet d'être en Vérité au sein de toutes les dimensions du divin serait simplement effectué. Cette transformation spirituelle serait donc de plus en plus sans effort. Au final, l'aventure continuerait comme aventure de la manifestation divine mais non plus comme aventure spirituelle.
Cette dimension divine personnelle serait donc intiment liée à des dimensions divines cosmiques ou transcendantes (comprenant Soi et/ou vacuité). 
Et si cette vision est juste, alors il s'agit dans le processus de 
transformation de la structure égoïque qui demeure dans la lumière 
absolue d'une reconnaissance de la lumière de son âme. Une fois cette présence lumineuse reconnue, Il n'y a pas exactement auto-destruction de l'ego mais dissolution progressive de l'ego par un processus de psychisation et donc d'élargissement authentique de son individualisation. 
Autrement dit, l'ego disparaitra quand,  dans le rayonnement absolu, nous serons un rayon de la lumière divine personnalisée au service de la manifestation du divin dans le corps et l'univers. 
Plus simplement, l'individualisation égoïque pourrait être peu à peu complétement refondue dans l'individuation de la vie divine que nous sommes.
Vous trouverez un prolongement de cette approche creusant la distinction entre individualisation autour de l'ego et individuation du Divin (en cliquant ici). 









2 commentaires:
Cette distinction entre trois états de conscience de l'ego – égoïste, égocentrique et égoïque – produit une réflexion intéressante qui, tout en éclairant certaines dérives, ouvre sur un chemin authentiquement évolutif. Merci.
J,aime CE manier de pensse
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