samedi 16 mai 2009

VISION SANS TETE ET MOUVEMENT INTEGRAL : SITUER LA VISION SANS TETE DANS L'EVOLUTION DES MENTALITES. EPISODE 1.


Dans la Revue What is enlightenment ? de septembre-décembre 2006, on lit un compte rendu critique de Ross Robertson du livre Open to the source de Douglas Harding :

Open to the source thoughtfully captures Harding's methodes and philosophy, which he named the "headless Way" after his initial life-altering insight. It also showcases his flair for creative wordsmithery as, page after page, he marvels at the depths of that consciousness beyond time and space with unusual warmth, novelty and precision. Yet the spiritual shine that glimmers through Harding's meditation starts losing some its luster as he applies it to the complex questions and challenges of life in the world of time and space. For example : "It is unnecessary...,"he writes,"to worry about what to say or do, or think or feel : the fitting expression of First Personhood occurs as a matter of course, spontaneously.... When they are really required, the rigth things are done." This common idea about enlightenment - then an always appropriate response to life will automatically result from the experience of mystical or non-dual states - may be true in some cases, but as a blanket teaching, it is problematic. In the postmodern era, we've discovered that one's interpretation of those higher states - and thus, how one expresses them in action - is always dependent of the degree of one's development and filtered through the many layers of one's historical and cultural conditioning. In this respect, there is much more to spiritual liberation in the twenty-first century than eperiencing mystical oneness, staying in the present moment, end then just letting the rest flow naturally.
That being said, Harding himself is still brimming with vitality ans inspired conviction at almost a hundred years old - no small feat, and no small testament to the kind of irrepresible strength that pours fourth from those who dare to venture into that trackless territory which lies forever beyond the mind."

Nous traduisons ces propos :

Open to the source rend compte judicieusement des méthodes et de la philosophie de Harding qu'il a appelé la "Vision Sans Tête" d'après son changement fondamental de perspective de vie. Cet ouvrage met en valeur son sens du maniement créatif des idées si bien que page après page on s'étonne de la profondeur de cette conscience au-delà du temps et de l'espace avec une inusuelle chaleur, nouveauté et précision. Cependant le rayonnement spirituel qui luit à travers les méditations de Harding commence à perdre un peu de son brillant lorsqu'il l'applique à la question complexe de la vie dans le monde du temps et de l'espace. Par exemple : "il n'est pas nécessaire...", écrit-il, "de se soucier quoi penser, quoi faire ou que ressentir : l'expression appropriée de la première personne advient, en ce qui concerne le comportement, spontanément.... Quand elles sont vraiment requises, les choses justes sont faites." Cette idée courante à propos de l'éveil - qu'une réponse toujours appropriée à la vie résultera (automatiquement) de l'expérience mystique ou des états non-duels - peut être vraie dans certains cas, mais comme un enseignement au sens général, c'est problématique. A l'époque postmoderne, nous avons découvert que l'interprétation par celui qui éprouve ces états plus élevés - c'est-à-dire comment celui-ci entend les exprimer dans l'action- est toujours dépendante du degré du développement de celui [qui les vit] et est filtrée à travers les nombreux niveaux du conditionnement culturel et historique de celui-ci. Fidèle à cette approche, il y a beaucoup plus de libération spirituelle en ce 21e siècle que d'expérience mystique de l'Unique se tenant dans l'instant présent et s'accordant naturellement à son mouvement tranquille.
Ceci étant dit, Harding lui-même est encore débordant de vitalité et de conviction inspirée pour un quasi centenaire - ce n'est pas une petite prouesse et un témoignage mineur au service de cette sorte de force irrépressible qui pousse en avant ceux qui osent tenter l'aventure dans ce territoire sans chemin qui s'étend pour toujours au-delà de la pensée.

Pour celui qui a été éveillé par Douglas Harding, un défi est posé : où situer l'expérience qu'il propose dans les lignes et les états de développements pris en compte dans le mouvement intégral néo-wilberien dont se réclame les rédacteurs de What is enlightenment ? dirigée par Andrew Cohen (qui s'y présente comme un guru spirituel) ?

Nous devons considérer pour répondre à cette question deux modèles sous-jacents au jugement de Ross Robertson dans l'article précédent :

- Le premier modèle est un résumé de la spirale dynamique de Clare Grave réaménagée par Don Beck et à la quelle se réfère souvent le mouvement intégraliste néo-wilberien (avec qui Don Beck collabore et s'identifie) :
LES NIVEAUX EN SPIRALE DES CODES CULTURELS DES SYSTEMES DE VALEURS HUMAINS
vMEMES COLOR THEME CENTRAGE
[focalisation]
PENSEE SYSTEMES DE VALEURS—STYLES DE VIE ELEMENTAIRES
Niveau 8 Turquoise WholeView Nous Holistique Harmonie et Holisme, Vit pour la Sagesse
Niveau 7 Jaune FlexFlow Moi Systémique Processus Naturels d'Ordre & Changement, Vit pour la Mutualité
Niveau 6 Vert HumanBond Nous Humaniste Égalité et Lien Humain Social, Vit pour l'Harmonie
Niveau 5 Orange StriveDrive Moi Matérialiste Succes et Gain Matériel, Vit pour le Gain
Niveau 4 Bleu TruthForce Nous Absolutiste Autorité, Stabilité, "Une seule bonne Façon", Vit pour plus tard
Niveau 3 Rouge PowerGods Moi Égocentrique Pouvoir, Gloire, Exploitation, Pas de Limites, Vit pour Maintenant
Niveau 2 Violet KinSpirits Nous Animiste Mythes, Ancêtres, Traditions, Les Nôtres, Vit pour le Groupe
Niveau 1 Beige SurvivalSense Moi Automatique Rester en Vie, Réactif, Survie Basique, Vit pour Survivre

- Le second est issu d'un dialogue entre Ken Wilber et Allan Combs (il est adapté par nos soins) :

Ce deuxième schéma reprend dans notre adaptation le premier mais il lui lie des types de réalisations spirituelles. Il affirme qu'une expérience spirituelle de non dualité ou d'unicité de l'Être n'a pas le même contexte et la même profondeur si on est le chamane d'une communauté amazonienne première ou si on est un néo-chamane soucieux des équilibres écosystémiques. Notre néo-chamane considère que l'entreprise d'être maître et possesseur de la nature est vaine et qu'il faut se mettre à l'écoute de la nature par des techniques psychospirituelles chamaniques.

Autre exemple, s'agit-il du même niveau spirituel entre un samouraï japonais, Seigneur de guerre d'un monde féodal qui utilise la mort à soi du zen pour parachever sa libération face aux risques de mort durant le combat et un gandhiste qui détaché de son corps considère l'impact d'une action non-violente en vue d'obtenir justice ? Le samouraï est au moins rouge et tout au plus bleu même si pour atteindre son but, il peut expérimenter une forme de conscience témoin du point de vue de laquelle il sait qu'il n'est pas son corps. Un ghandiste pourrait être orange en revendiquant la rationalité de sa position qui considère toute violence comme le prélude au meurtre que pourtant les sociétés réprouvent. Il pourrait être vert pluraliste estimant la violence comme une négation de la différence.


Pour situer l'expérience dont il est question avec Douglas Harding nous devons donc examiner ce qui de façon implicite ou explicite le situe dans ce schéma de développement. Mais aussi en quoi sa démarche elle-même interroge le mouvement intégral néo-wilberien.

Tout d'abord on remarquera que bien avant Ken Wilber Douglas Harding a souligné la complémentarité de la connaissance intérieure (la science-1 en première personne) avec la science usuelle (la science-3 en troisième personne). Douglas reconnaissait l'évolution de l'univers et du point de vue intérieur, il insistait sur la conscience de l'auto-création du tout en première personne.

Ainsi en mettant les divers schémas de Harding dans les quadrants de Ken Wilber, on constate juste une absence de réflexion sur l'évolution des divers types d'organisations collectives humaines :
Mais cette absence d'enquête sur ce point implique-t-elle que la conception de la communauté humaine offerte par la Vision sans Tête peut mélanger divers types de mentalités telles que le conçoivent les membres du mouvement intégral néo-wilberien ?

Il semble que tous les niveaux soient renseignés. L'enseignement de Douglas Harding implicitement opère donc une évolution des mentalités. Il nous fait bien passer d'un monde de la survie à un monde au-delà du problème de la survie égocentrique.
Tout d'abord, il nous libère de l'esprit de clan [mème violet]. Il donne au mème rouge sa noblesse authentique. Il révèle que le mème bleu n'est peut-être pas si autoritaire qu'on a voulu le dire : du point de vue de l'évolution de la conscience, il est holarchique. En effet il relie le microcosme et le macrocosme, il induit que le monde humain devrait s'accorder aussi dans une conscience unissant le tout et la partie dans un ordre ouvert. Le symbole ici ne déchoit pas : la raison peut l'expliciter sans procéder à une démythologisation. Douglas Harding est friand d'ailleurs des symboles et des allégories dans son enseignement mais jamais il ne succombe à la mythologie et à ses approximations qui exigent pourtant la conviction.
La vision de ces mèmes qu'en donne la Vision Sans Tête confirme l'hypothèse que le mème rouge et le mème bleu dont parle la spirale dynamique sont des figures dégénérées de mentalités plus parfaites. Dans d'autres postes de blog nous avons d'ailleurs suggéré à la suite de Sri Aurobindo ou de Kireet Joshi que les Seigneurs de guerre féodaux ou les monarchies absolues sont certainement des dégénérescences historiques d'une systémique hiérarchique parfaite initiale (holarchique au sens de Ken Wilber). Les constats issus de la confrontation de la Vison sans Tête avec la Spirale Dynamique appuient implicitement donc notre propre hypothèse développementale inspirée de la vision intégrale de l'évolution des mentalités selon Sri Aurobindo, Mère, Satprem ou encore Kireet Joshi :



Car au-delà de ces langages symboliques ou mythologiques, le langage rationnel est plus explicite : il s'agit de mener une démarche expérimentale scientifique où l'individu se plie à des observations issues d'un certain dispositif en vue d'éprouver des théories [mème orange]. Là où la raison implique un changement d'idée habituellement suite à un déplacement de perspective théorique, ici, elle implique une transformation de soi par acceptation immédiate du donné perceptif. Ce donné est à la fois subjectif et universel : il s'inscrit bien à la suite des Lumières que Descartes a ouverte en posant son "je pense donc je suis". Chez Douglas Harding le "je suis" est lié à un "je perçois" plus qu'à un constat d'activité de pensée. Par ailleurs pour Douglas Harding, il n'est pas d'autre "je suis" à vrai que celui qui se constate par ici :

Le solipsisme est l'idée que l'ego qui doute ne connaît avec certitude personne d'autre que lui-même : on a accusé Descartes de ne pouvoir sortie de cet écueil et à vrai dire les modernes n'y ont pas vraiment réussi. Avec Douglas Harding ou d'autres comme Wittgenstein, le solipsisme s'avère un faux problème car il n'est pas un isolement de l'individu mais le constat que dans l'unicité de la conscience, il y a des individualités relatives à cette unique conscience en interaction.
L'intersubjectivité est donc une expression d'une conscience unique qui se pluralise en multiples individualités. Avec Douglas Harding, il n'y a pas de frontière sociale, culturelle ou raciale. Il est un des pionniers du dialogue entre les religions : son livre Les religions du monde nous livre les fruits de sa recherche. Ceci est lié à la mentalité pluraliste qui a nettement émergé dans les années 1960 dans les pays occidentaux [mème vert]: l'accueil de la différence est donc nécessaire pour approfondir sa vision en Première Personne. Être donné à son individualité par la Première Personne suspend tout souci touchant la survie : la Première Personne n'a pas souci du lendemain et elle appelle l'individu qui se relâche en elle à vraiment s'abandonner à sa providence dès lors que celui-ci a exercé sa raison au mieux.
Toutefois en fondant le pluralisme sur le face à espace, Douglas évite le narcissisme du relativiste pluraliste qui craint de ne plus être regardé dans la foule. L'autre tout comme mon identité individuelle surgissent d'un unique espace dans lequel au fond ils ne sont plus en confrontation mais en cours d'harmonisation :

Les donnés de la science s'unissant à celle de la vision en Première Personne, on prend alors conscience d'une auto-création systémique mystérieuse englobant même la vie sociale [mème jaune]. La science explique le système de mieux en mieux mais elle n'explique pas son jaillissement à l'être. Participant à ce jaillissement pleinement puisqu'en Première Personne, cette Première Personne ne semble pas comprendre elle-même son propre jaillissement à la manifestation de chaque instant. Le système et la conscience sont ceux de l'univers lui-même : ce n'est plus un simple bricolage intellectuel allié à la vision en Première Personne. Il y a une expérience du tout auto-créé en une partie-tout. Elle est paradoxalement intégrale et incomplète, ignorante d'elle-même. Quand elle s'énonce, elle se sait une interprétation qui pourra être transcendée et inclut dans une autre sans jamais résorber ce mystère auto-créateur. On retrouve autrement formulée un aspect de la post-métaphysique du courant intégral.
Il ressort ainsi des propos de Douglas Harding confrontés à ceux de Ken Wilber que l'intégration de son approche au mouvement intégral n'est guère problématique : le niveau de mentalité requis pour faire une expérience approfondie de la vision sans tête semble au moins implicitement celui du mème turquoise. D'ailleurs, pour creuser les divers aspects de la conscience en Première Personne, Douglas Harding propose une spiritualité intégrale qui comprend la connaissance (le vrai), la dévotion (le bon), la consécration des oeuvres (le bien) et le goût du beau. L'importance spirituelle de ces principes se retrouve dans toutes les branches du mouvement intégral au sens le plus large (Steve McIntosh, Ken Wilber ou Sri Aurobindo, etc.).

Revenons maintenant au cœur de la polémique lancée par Ross Robertson en rappelant le passage suivant :

"il n'est pas nécessaire...", écrit-il, "de se soucier quoi penser, quoi faire ou que ressentir : l'expression appropriée de la première personne advient, en ce qui concerne le comportement, spontanément.... Quand elles sont vraiment requises, les choses justes sont faites." Cette idée courante à propos de l'éveil - qu'une réponse toujours appropriée à la vie résultera (automatiquement) de l'expérience mystique ou des états non-duels - peut être vraie dans certains cas, mais comme un enseignement au sens général, c'est problématique. A l'époque postmoderne, nous avons découvert que l'interprétation par celui qui éprouve ces états plus élevés - c'est-à-dire comment celui-ci entend les exprimer dans l'action- est toujours dépendante du degré du développement de celui [qui les vit] et est filtrée à travers les nombreux niveaux du conditionnement culturel et historique de celui-ci."

Ce que Douglas Harding permet vraiment de critiquer dans le mouvement intégral wilbérien est le peu de cas qui est fait de l'individualisation spirituelle. Quand on lit Ken Wilber, on peut lire ce genre de propos son ouvrage Integral Spirituality, p. 277 :

"Once you learn any developpemental scheme, such as SD, a peculiar fact starts to become apparent. You can be listening to somebody who is coming from, say, the multiplistic level (orange altitude), and it is obvious that this person is not thinking of these ideas himself; almost everything he says is completely predictable. He never studied Clare Graves or any other developmentalist, and yet there it is, predictable value after predictable value. He has no idea that is the mouthpiece of this structure, a structure he doesn't even know is there. It almost seems as if it is not he who is speaking, but the orange structure itself that is speaking through him - this vast intersubjectiv network is speaking through him."

Nous traduisons :

" Une fois que vous apprenez n'importe quel schème développemental, tel que la Spirale Dynamique, un fait pariculier commence à devenir apparent. Vous pouvez écouter quelqu'un qui provient du niveau mental de la multiplicité (le mème orange) et il est évident que cette personne ne pense pas par elle-même à ces idées ; La plupart de ce qu'elle dit est tout à fait prédictible. Il n'a jamais étudié Clare Graves ou aucun autre développementaliste et maintenant il y a là valeur prédicitible après valeur prédictible. Il n'a aucune idée que c'est l'expression de cette structure, une structure dont il ne sait mêm pas qu'elle est là. La plupart du temps il semble que ce n'est pas lui qui est en train de parler mais la structure orange elle-même qui est en train de parler à travers lui - cette vaste toile intersubjective est en train de parler à travers lui."

Certes la pensée de Douglas Harding n'exclut absolument pas le déterminisme concernant l'ego qui en tant que tel est un événement de l'univers parmi d'autres. L'ego par contre transcendera de plus en plus un déterminisme subi quand il apercevra l'auto-création de l'univers au sein de la conscience en première personne. En tant que objet et participant de cette auto-création, l'ego hérite alors d'une forme de liberté. Peu importe la mentalité qui s'exprime alors à travers l'ego, dès lors que celui-ci est conscient de l'auto-création dont il l'objet et le participant, il hérite de la liberté de la première personne, il se veut de plus en plus transparent à l'auto-détermination de la conscience. Il y a un principe d'individualisation à la croisée

Notre individualité entraperçoit en soi un feu d'amour de la conscience en première personne : elle devient Fils de cette première personne parfaitement uni à la première personne, non pas créé mais engendré dans son intemporalité mêmeà l'évolution temporelle. Pour nous, Douglas Harding nous approche de ce que Sri Aurobindo, Mère et Satprem appelle l'être psychique. Ce que nous avons appelé principe d'individualisation dans d'autres postes de ce blog.

Par exemple, dans une rencontre, il n'y a pas seulement moi et l'autre, moi constatant que l'autre exprime inconsciemment telle structure de mentalité. En effet du point de vue de la première personne, il y a d'abord deux individualisations au sein d'une seule conscience. L'une n'a pas plus de valeur que l'autre. En ce sens, Douglas écrit dans Vivre sans Tête :

"l'Illumination n'est pas quelque chose qui advient localement à un homme : c'est la Réalité se rencontrant elle même, l'Univers arrivant à se connaître lui-même à travers cet homme. Ce n'est pas que je vois pour vous, mais comme vous, comme tous les êtres. L'Illumination ne ressemble en rien à un acquis personnel ou à une expérience privée ; il est dans sa nature de se répandre dans toutes les directions, de concerner et, d'une manière ou d'une autre, d'aider le monde entier."


Du point de vue spirituel, une personne n'est donc pas en soi pas plus avancée qu'une l'autre car (reprenant notre propre individualisation du vocabulaire décrivant cette Première Personne) peut-il y avoir une comparaison entre individualisations au sein d'une seule et unique conscience ? Au contraire quand l'individualisation de l'un se situera en première personne, elle deviendra humble et ouverte face au mystère de son autre individualisation qui au fond participe à la sienne. En fait, il y a bien des déterminismes obligés car l'individualisation se sert d'habit mentaux universels et parfois ce sont les mécanismes des modes qui l'emportent au lieu de la formation d'une véritable expression mentale individuelle à l'aide de ces divers habits et masques mentaux. Beaucoup d'individualisations sont donc inconscientes de leur véritable nature qui est au fond libre de toute identification mentale. Mais une fois conscient en première personne de l'auto-création qui l'anime, l'individualisation entre dans une dynamique évolutive qui a une dimension tout autant individuelle que universelle. En ce sens on ne peut prétendre offrir mentalement à autrui son chemin une fois qu'il s'est éveillé à la première personne car ce serait risquer de compromettre son individualisation. Explorer correctement la prise de conscience de la Première Personne fait voler en éclat toutes les clôtures mentales et nous porte directement au-delà du mème jaune comme nous l'avons montré.

Selon nous, le mouvement intégral néo-Wilbérien n'a pas assez de concept et de sens spirituel suffisamment développé pour se garder de dérives niant l'individualisation au-delà de l'ego dans la conscience en Première Personne. Wilber lui-même et de nombreux membres du mouvement intégral évoque l'âme mais elle est vue comme une étape (la deuxième sur le maillage Wilber Combs) et non comme une dimension entière de l'absolu au même titre que l'universel immanent ou la transcendance. L'âme y est parfois vue comme la dimension individuelle qui est le serviteur authentique de l'évolution mais selon nous ce n'est pas seulement un serviteur de l'évolution universelle de la conscience, l'âme est pour nous une dimension essentielle de l'évolution de la conscience ! Le "nous" (le "we") qui revient sans cesse dans Integral Spirituality risque de manquer peut-être d'ouverture intérieure au mystère de l'individualisation multiple de l'absolu qui s'amplifie dans le partage de notre unique et seule vraie nature commune. La communauté des amis de Douglas Harding n'a certes pas d'ambition politique comme en a clairement le mouvement intégral mais est-ce vraiment l'heure d'une politique centrée sur cette unité de l'Être ? En tout cas sans cette sensibilité effective au mystère du Principe d'individualisation qui se révèle en Première Personne toute organisation se voulant spirituelle ne fera que prolonger des jeux de pouvoir entre dominants et dominés. En Première Personne, il n'y a pas de maître et de disciple dans une relation où l'un suit docilement ce que l'autre affirme. En Première Personne, il y a d'abord des gens qui renforcent leur autonomie (dont le mème orange avec la raison est une structure mentale propre à son émergence universelle) et qui peuvent découvrir en eux cet élan individualisateur, même si leur identité n'est qu'une expression partielle et inachevée de cet élan puisque encore mêlée à des mécanismes universels qui la déterminent (dont surtout les structures égocentriques qui reviennent souvent obstruer la vision sans tête).

Ce feu intérieur qui brille d'amour à la fois pour la Première personne provient donc de la Première Personne elle-même. Ce feu porte en lui même si nous ne l'apercevons pas nettement la plus authentique part de notre individualité l'élan individualisatieur de la conscience en Première Personne.

C'est ce feu individuel qui assure la spiritualisation de notre identité grâce à une intuition et une énergie inédite. Que peut-on en dire sans de nouveau malgré soi créer de l'adoration malsaine qui justifie les vieilles luttes de pouvoir ? Comme Douglas nous pouvons juste affirmer que plus la conscience en Première Personne s'approfondit plus nous saurons ce que nous devons faire et surtout plus la pensée la plus juste nous sera donnée. En ce sens ce n'est pas un lieu commun ! C'est une expérience au-delà de l'interprétation. Car contrairement à ce que Ken Wilber affirme au nom d'une postmétaphysique inspirée des postmodernes, on peut certainement envisager que des archétypes existent au delà du monde mental même si eux-mêmes sont entrés à un moment donné dans la manifestation de ce monde mental et que d'autres peuvent entrer en manifestation plus tard formant une nouvelle vision mentale ou alors posant les bases d'une vision en Première Personne surmentale voire supramentale. Nous voici donc au-delà de l'opposition entre métaphysique et fin de la métaphysique puisque nous affirmons qu'une expérience d'un monde d'archétypes lui-même évolutif n'est pas impossible. A vrai dire, la conscience en Première Personne est surement la conscience pleine et entière de l'Être comme Douglas Harding l'affirme. Autrement dit la conscience en Première Personne est Dieu lui-même dans toute son infinité. De ce point de vue, l'évolution de la conscience n'est qu'un changement temporel de regard de l'Être divin sur lui-même dont la possibilité était là en lui-même de toute éternité.
Ce que Douglas Harding n'envisage absolument pas ou ce que Ken Wilber évoque sans bien le considérer est la possibilité que notre aventure humaine soit celle d'une espèce de transition et que nous éprouvions devant notre descendant le même étonnement que notre chien qui nous comprend assez pour s'étonner de ce qui lui échappe de notre conscience. Mais quoi qu'il en soit d'une éventuelle conscience au-delà et différente du mental, le chien comme nous aujourd'hui pouvons percevoir en Première Personne :

Nous en revenons donc encore à cette représentation tout droit inspirée de l'enseignement de Douglas Harding que nous avons individualisée en prenant au sérieux l'évolution consciente mentalement de la conscience (non enfermée dans aucun niveau mental). Quant à Douglas Harding, il individualise cette évolution consciente de la conscience en utilisant le vocabulaire du mystère émerveillant de l'auto-création ou parfois plus provocateur en parlant d'un idiot :

"Les idées, l'inspiration, la protection, l'aide à chaque instant s'écoulent sans obstruction de leur Source, dont on peut faire l'expérience ici sans en prendre (y penser) conscience.
Paradoxalement, pour être vraiment créatif, pour comprendre vraiment les choses là, il faut avoir conscience d'être un idiot ici, tête vide, "sans la moindre idée", nul.
"

Nous pouvons essayer de figurer ainsi ce dont il est question :

Les mentalités sont les lunettes teintées des masques qu'on ignore porter. Mais quand le masque est démasqué par la vision sans tête, il devient transparent. Les lunettes de nos mentalités demeurent mais déjà elles n'empêchent plus la lumière de l'Être de les illuminer de plus en plus consciemment et de déraciner tout ce qui l'empêche de se révéler toujours autrement à elle-même comme pure lumière pleine des possibilités de toutes les couleurs.

Ken Wilber se rapproche davantage de ce fait perceptuel (si nous osons ce barbarisme inspiré du "percept" de Deleuze qu'il différencie du concept et du fonctif) lorsqu'il écrit dans Integral Spirituality p.209 :

"Allow it all. Swallow the Kosmos whole. You know that everybody is right. So stop lying about it, and thus move from self to Self. There is room for everything in the Kosmos. Open up and let it all in. Stretch your mind until it breaks open and you need maps no more, and AQAL is a faint memory of a map that helped you find You, and helped I find I-I, and then toss AQAL in the family photo album of that summer when you found God by giving up the search. By geaving up the search and resting in the Searcher, end then you needed maps no more.Not for that. The territory alone will suffice, surely, in the radiance of the timeless Now blinding your ego with your Self, overcoming all difficulties in spiritual seeking by giving up seeking itself, nodding your head in recognition that the great game or play is up, the game of Hide and Seek is over, because you were It and You found out."

Nous traduisons :

"Tout permettre à cela. Absorber le Kosmos entier. Vous savez que tout le monde a raison. Donc cessez de mentir à ce propos et cela conduit du soi au Soi. Il y a de la place pour tout dans le Kosmos. Développer l'ouverture et laisser tout y entrer. Pousser votre esprit jusqu'à ce qu'il se brise ouvert et vous n'aurez plus besoin de cartes, et AQAl sera un vague souvenir d'une carte qui vous aura aidé à vous trouver VOUS, qui aura aidé le JE à trouver JE-JE, et alors mettez AQAL de côté dans l'album photo de famille de cet été où vous trouviez Dieu en abandonnant la recherche. En abandonnant la recherche et en reposant dans le Chercheur, alors vous n'avez plus besoin de carte. Pas pour çà. Le territoire seul suffit, assurément , dans la radiance de ce pur Maintenant san temps aveuglant votre ego avec votre Soi, dépassant toutes les difficultés de la recherche spirituelle en abandonnant la recherche elle-même, inclinant la tête à la recognition que le grand jeu ou la partie est terminé, le jeu de Cache-cache et de Recherche est fini parce que vous êtes Cela et Vous l'avez découvert."

A suivre .....

mercredi 13 mai 2009

UNE FORTERESSE INTERIEURE QUI A DU COEUR. STOICISME ET VISION SANS TETE.


Dans sa Philosophie de la volonté, tome 1, Aubier, p.444-445, Paul Ricoeur parle d'un consentement imparfait du stoïcisme :

"Cette admiration, les Stoïciens ne l'ont accordée au tout qu'avec parcimonie. Si leur philosophie du tout sauve leur philosophie de l'effort, en retour celle-ci gangrène celle-là d'une hargne amère. Pourquoi déprécier la nature au moment où elle va pénétrer dans l'âme ? On ne peut à la fois pratiquer le mépris des petites choses et l'admiration du tout. La limite finale du stoïcisme, c'est de rester aux lisières de la poésie de l'admiration."

Pour appuyer ce jugement sur le stoïcisme, il part du Manuel d'Epictète :

" Il y a des choses qui dépendent de nous ; il y en a d'autres qui n'en dépendent pas..."

Selon lui, "le stoïcisme ne soupçonne pas que mon corps a précisément cette signification insolite de n'être ni jugement ni chose, mais vie en moi sans moi ; ignoré comme chair du Cogito, il est repoussé parmi les choses indifférentes. Toute la stratégie stoïcienne tient dans ces deux corollaires : réduction du corps au déjà-cadavre, de l'affection à l'opinion ; il n'y a pas de "passions sde l'âme" du fait du corps, il n'y a que des actions de l'âme : le corps est inerte et l'âme impénétrable."

Paul Ricoeur s'appuie sur quelques passages des stoïciens.
Du côté du mépris, on citera Marc-Aurèle, Pensées pour moi-même, IV, 4 : "Tu n'es qu'une petite âme qui porte un cadavre, comme disait Epictète."

Et du côté de l'admiration, le même affirme : "... et toi, ne diras-tu pas : chère cité de Zeus !"

Alors faut-il passer vite à une autre sagesse moins contradictoire et plus humaine ? Car réduire une affection à une opinion n'est-ce pas nier la souffrance ?

Avec Douglas Harding nous pouvons aussi distinguer ce qui dépend vraiment de nous et ce qui n'en dépend pas ultimemement même si souvent cela en dépend beaucoup.

Une panne ou une crevaison ne dépendent guère de moi. J'aurai beau avoir fait réviser ma voiture, une crevaison pourra m'arriver. Mes projets de rendez-vous seront compromis mais le temps dépend-il de moi ?
Le temps là-bas dans lequel les événements du monde arrivent sans qu'il me soit permis d'espèrer qu'ils dépendant ultimement de moi n'empêche pas toutefois de regarder ici dans ma direction une absence d'événement.

Mon corps vieillit dans la temps mais ce qui ici permet qu'il soit vu vieillit-il ? Regarder ici ce qui transcende le temps et échappe à tous les événements du monde ne dépend-il pas seulement de moi ?

Qu'est-ce qui m'empêche de jouir de cette évidence de ce que les stoïciens appelleraient une forteresse intérieure ? Ce qui est ici, en effet, n'est-il pas inatteignable par les événements du monde y compris par la dégradation inéluctable (jusqu'à présent) du corps ?

Les affections (sensations, impulsions, émotions, désirs, passions, etc.) ne sont-elles pas là-bas dans le domaine du corps ? Alors quand le stoïcien traite l'opinion pour traiter l'affection, n'a-t-il pas raison ? Ce qui rend l'affection insupportable n'est-ce pas l'illusion de penser qu'elle me touche et me fait vraiment souffrir alors qu'en fait ici ce qui se tient en dehors des événements ne peut en souffrir. Bien entendu la conscience d'ici n'est pas insensible à la souffrance de ce qui produit là-bas mais l'erreur serait de croire que ce qui est ici est prisonnier de ce qui se produit là-bas.

Les formules radicales pour découvrir ce qui vraiment ne dépend que de nous et n'implique en rien notre corps et toutes nos implications dans le monde sont certainement nécessaires. En Inde, L'advaïta védanta insistera sur cette idée que "je ne suis pas ce corps" voire que le monde et le corps sont des manifestations illusoires.

Le stoïcien qui s'adresse à ce qui doit réaliser ce qui ne dépend que de nous parle d'une petite âme qui ne doit pas oublier qu'elle traîne un cadavre. Cette radicalité est peut-être nécessaire pour découvrir le trésor intérieur de cette liberté que le monde ne peut pas nous arracher quoi qu'il nous arrive. C'est bien cette conscience de presque rien qui confère à notre petite âme la liberté de ne plus dépendre des événements immédiats du monde. C'est en même temps cette liberté qui permet quand le corps fonctionne d'agir dans le monde sans la perdre de vue.
Distinguer ce qui dépend de moi et ce qui n'en dépend pas m'amène d'une part à constater une tendance de ma volonté à s'identifier à des projets dans le monde qui me rendent prisonnier du monde en me faisant le serviteur de pulsions charnelles (d'appétits diraient-on à la façon de ces sagesses antiques) d'appropriation, de reproduction et de reconnaissance. D'autre part vraiment considérer ce qui dépend de moi m'amène à considérer ce qui relie ma petite personne à ce qui ici ne dépend absolument pas du monde. Marc-Aurèle comme nous aperçoit alors nettement un vide qui entoure le monde : « elle[l'âme] fait le tour du monde entier, du vide qui l’entoure et de la forme qu’il a » (Marc-Aurèle, Pensées pour moi-même, Livre XI, § I).

Ce schéma de Douglas Harding éclaire alors d'une manière prodigieuse la formule énigmatique de Marc-Aurèle. Le presque rien qui entoure le monde est une donnée de la perception dès que je veux bien regarder ici :

Et si maintenant j'ouvre mon regard au tout ou si je comprends bien que l'apparence phénoménale qui se présente devant moi est bien interdépendante de toutes celles qui peuvent se présenter, je comprends que Marc-Aurèle puisse écrire dans ses Pensées pour moi-même :

« Livre IV, § XIV. - Tu as subsisté comme partie du Tout. Tu disparaîtras dans ce qui t’a produit, ou plutôt, tu seras repris, par transformation dans sa raison régénératrice. »

Et au final, croisant la vision en première personne telle que me l'a transmise Douglas Harding et ses amis avec ce que m'ont appris les stoïciens, j'incarnerai ce schéma :

De ce point de vue, je ne vois pas en quoi il y aurait une contradiction entre un soi-disant mépris des petites choses et une admiration du tout. Je me suis détaché de ce que en tant petite personne je ne pouvais pas changer et je confie au tout le mouvement de transformation harmonieux auquel je participe passivement et activement.
Ma petite personne connaît désormais le chemin vers cet état de conscience tranquille que les événements ne peuvent troubler : j'accepte vraiment passivement ce qui cherche à se transformer. Je ne me résigne pas à ce qui se produit, je le veux en toute confiance.
Ma petite personne peut alors se consumer d'amour à l'occasion pour la volonté du tout que son imperfection l'empêche de vouloir parfaitement c'est-à-dire de pleinement consciemment vouloir. Son amour est alors mis à l'épreuve : il lui est demandé de faire la volonté du tout activement. Chercher l'action inspirée devient son chemin. Le stoïcien qui reste un homme de raison ne me semble pas aller jusque là... Mais est-il nécessaire de parler de ce que la raison ne permet pas d'expérimenter ?

Au-delà de la sagesse et de l'amour intellectuel du tout, voici ce qui parfois s'est entrevu et que je symboliserai ainsi :

Il y a alors comme une flamme tout au fond du coeur qui réveille un feu du corps et appelle un feu du ciel. Cela mène peut-être à voir au-delà de la raison. Cela pourrait se décrire parfois comme une raison surmultipliée (est-ce ce que certain appelle kundalini ? ou ce que Platon appelle l'ascension érotique ?), parfois cela n'amplifie plus seulement énergétiquement la manière d'être mais esquisse comme une autre vision de ce qui est.

Quoi qu'il en soit, ces expériences mystiques au sein de la vision en première personne n'empêchent pas celle-ci de demeurer à leur commencement et à leur fin comme leur condition nécessaire d'apparition et de disparition. La vision en première personne est-elle un pallier vers une conscience plus évoluée ou bien est-elle la source discrète de véritables incendies du coeur ? Certains comme Sri Aurobindo ou Ken Wilber penchent explicitement pour une spiritualisation de la conscience éventuel prélude à son évolution. D'autres diront que la vision en première personne est Dieu en personne à qui son mystère auto-créateur échappe en tout sens. Reste à explorer nos vies vécues en première personne...

dimanche 22 mars 2009

ENTRETIENS DE MERE ET VISION EN PREMIERE PERSONNE DE DOUGLAS HARDING.


Le 8 juillet 1953, la Mère de l'ashram de Sri Aurobindo dans un de ses Entretiens propose cet exercice :

"Il faut, si on peut, agrandir sa conscience.
J’ai connu quelqu’un qui voulait agrandir sa conscience ; il disait qu’il avait trouvé un moyen, c’était de se coucher sur le dos dans la nuit, dehors, et de regarder les étoiles et de tâcher de s’identifier à elles, et de s’en aller là-dedans dans un monde immense, et alors de perdre tout à fait le sens de la proportion, de l’ordre de la terre et de toutes ces petites choses, et de devenir vaste comme le ciel — on ne peut pas dire comme l’univers parce que nous n’en voyons qu’un tout petit morceau, mais vaste comme le ciel avec toutes les étoiles. Et alors, vous savez, les petites saletés pendant ce temps-là, elles tombaient, et on comprenait les choses à une très grande échelle.
C’est un bon exercice."

Pour approfondir cet exercice, on pourra lire ce post de José Le Roy sur Henri Michaux en cliquant ici.

mercredi 4 mars 2009

POUR EN FINIR AVEC LES PREUVES DE L'EXISTENCE DE DIEU.


Pour éventuellement en finir avec Dieu, il y a en gros 3 types de preuves de l'existence de Dieu qu'il nous faut examiner.

Le premier type met en jeu le processus évolutif de l'univers. Pour Dawkins cela relève bien évidemment du hasard et de la nécessité. Mais il est vrai que la démonstration traditionnelle de cette preuve reste liée à Aristote : il faut une cause ultime qui soit un moteur immobile pour que le mouvement de l'univers persiste nécessairement. Cette preuve a plusieurs défauts :
1 - chez Aristote, elle présuppose qu'on ne peut pas imaginer une chaîne de cause à l'infini. Si on ne présuppose pas une cause première cette chaîne de cause même infinie ne pourrait pas se mettre en route. Comme si il ne pouvait pas exister une boucle où l'univers se recyclerait en lui-même pour mener à bien son processus.
2 - cette preuve suppose qu'on ne puisse pas concevoir le temps et la mobilité qu'en dehors d'une atemporalité et une immobilité. Pourtant au cinéma les images de chaque instant du film existent en un sens simultanément, le cinéma est lié à l'idée qu'un regard qui se focalise sur telle image puis sur telle autre a une impression de temps continu où les images forment un processus événementiel.
3 - cette preuve pense bien sûr qu'il y a une finalité or précisément le jeu du hasard et de la nécessité ne permettrait-il pas de rendre compte du fonctionnement de l'univers. Ses lois sont le lit d'un fleuve que le hasard a creusé dans ses énergies-espaces-temps multidimensionnels et qu'il ne cesse d'affiner et de transformer jusqu'à son éventuelle dissolution. D'ailleurs cette preuve du divin finit par entrer en opposition avec des spiritualités ou des religions qui estiment que l'univers est une illusion dont la découverte de l'absolu nous détache.

Le deuxième type de preuves va s'appuyer sur la déficience de toute preuve métaphysique. Si une suprême conscience ou une forme d'absolu existe et qu'elle ne se révèle pas à nous ou qu'elle est possible à imaginer mais non nécessaire en apparence, n'est-ce pas parce qu'elle met au défi notre choix de la rechercher individuellement et non pas intellectuellement et scientifiquement ? A supposé que cette évolution, le processus d'énergies-espaces-temps de l'univers ait un sens ou du moins que nos existences individuelles doivent prendre une orientation, qu'est-ce cela impliquerait sinon d'orienter notre action ? Tout le pari devient de savoir si çà vaut le coup d'explorer les religions et d'aller à la rencontre de maîtres spirituels ou d'autres chercheurs spirituels qui témoignent d'un sens de la vie. Blaise Pascal dans le cadre d'une invitation à la pratique du catholicisme évoque un tel pari où nous n'engageons que notre existence misérable si on y réfléchit bien contre l'espoir d'une révélation qui nous en libère. Si ce pari est un échec qu'aurons-nous perdu à vrai dire ?

 

Le présupposé du pari pascalien élargi à la décision d'explorer religions et spiritualités est que toutefois la condition d'un homme sans religion et sans spiritualité est misérable. En quoi une vie consacrée à la recherche scientifique serait-elle misérable ? Pour Pascal, la science est inutile car elle ne résout aucun problème existentiel majeur : la mort, le sens de la vie. La science est très souvent un divertissement pour ne pas affronter l'impossibilité de vivre seul avec soi-même. La science est liée à une curiosité et à une défiance vis-à-vis de tout ce qui témoigne de faits irrationnels. Que nous sert de savoir l'âge de l'univers et le fait que nous descendons d'un primate à l'heure où notre planète aura 10 milliards d'habitants dans des conditions écologiques de moins en moins favorables à leur survie ? La science prétend nous sauver mais elle a davantage créer des moyens de nous détruire et de nous polluer que des moyens de vaincre la mort. Les choses qu'elle a produits et produit de plus positifs ne sont-ils pas des divertissements ? Bien sûr la médecine a fait reculer en moyenne la date de la mort mais a-t-elle mis fin à la mort ? D'ailleurs si elle parvenait à régénérer nos des organes voire à donner à nos cerveaux les moyens de perdurer, la mort serait-elle vaincue ? Une catastrophe naturelle (un trou noir, la dissipation irréversible de l'énergie thermodynamique) ou technologique (une guerre bactériologique ou thermonucléaire), un accident ou une panne ne finiraient-elles pas par nous emporter ?
A vrai dire l'athée ne voit pas en quoi la religion et la spiritualité ne seraient pas au final des divertissements plus malsains que la science ? Il suffit de regarder l'histoire passée et les actualités pour voir que les religions ont fait bien plus de victimes que les sciences. L'athée ne craint pas la mort, une fois mort il sera toujours temps de réviser ses conceptions si il y a quelque belle proposition qui se présente. Mais ce que aujour'hui les religions présentent pour leur propagande est-il attirant ?



Si un dieu apparaît et ose condamner un athée qui s'est bien conduit envers ses frères humains mais n'a pas cru bon de croire en lui, l'athée aura-t-il du regret de ne pas avoir cru en lui ? Pourtant il s'agit bien de cela dans la version de Pascal. Un tel Dieu ne mérite-t-il pas le mépris ? et il n'y a rien il n'a pas besoin de se faire disciple du sens, il peut courageusement s'en donner un.
D'ailleurs si nous sommes des êtres de hasard et de nécessité, ne sommes-nous pas vraiment libre de quoi que ce soit et de qui que ce soit ? Cette liberté peut bien sûr nous amener à disparaître précipitamment mais elle nous permet peut-être de participer de plus consciemment à notre évolution puisque par le jeu du hasard et de la nécessité nous sommes des êtres capables d'intervenir sur ce jeu. Pourquoi renoncer à cette liberté en nous soumettant à un ordre des choses imposés par d'autres voulant imposer par la force ou la propagande leur façon de voir religieuse ou spirituelle ? Ne valons-nous pas mieux que cela en acceptant que rien n'est écrit d'avance, qu'au contraire nous sommes ceux qui écrivons notre histoire ? C'est une telle spiritualité athée et matérialiste qu'il nous faut développer qui elle seule intègre vraiment les données de la science et ne la réduit pas à un divertissement. Assumer notre liberté n'est-ce pas assumer notre solitude, notre angoisse face à elle et notre ennui face à ce qui ne la comble pas en terme de projet créateur ? L'athée n'est-il pas celui qui assume sa misère existentielle dans la mesure où il n'use pas d'un bouche trou psychologique qui lui permettra de ne pas assumer la valeur positive de cette misère à savoir notre seule liberté ?

Le troisième type de preuve est celui qu'on nomme l'argument ontologique. On le résume souvent en disant pense à un être qui aurait des perfections infinies. Parmi ses perfections, il aurait celle d'une existence absolue. Son essence est donc pensable de façon cohérente et elle implique son existence. Ne faut-il pas en conclure qu'un tel être existe obligatoirement ? A vrai dire en l'état cet argument a peu d'intérêt : la cohérence d'une pensée n'implique aucunement son existence et l'existence pensée comment pourrait-elle justifier une existence réelle ?
Descartes propose cependant une version plus élaborée et plus embarrassante de cet argument : il nous invite à penser à l'infini et à constater que cette idée déborde notre pensée.
On pourrait essayer de symboliser l'expérience de pensée que nous propose Descartes comme ceci :





Ce dernier dessin pose problème. Si l'infini déborde notre pensée alors ne devrait-il pas quand on fait grandir à l'infini une boule dans notre conscience englober aussi la conscience du penseur ? Comment peut-on laisser le penseur à côté d'une tentative d'idée d'infini ?


Descartes ne parle pas de cet englobement du je suis par l'idée de l'infini. Il insiste pour dire que l'ego cogito est transcendé par une telle idée et qu'on peut à partir d'une telle transcendance sur le plan mental envisager une transcendance qui transcende même l'idée mentale d'infini. Cet au-delà au-delà de tout qu'on peut approcher par l'idée d'infini qu'il a mis en nous est Dieu.

Prenons au sérieux cet englobement du je suis de l'ego d'une pensée pure par l'infini. Comment traduire cela visuellement ? Un exercice spirituel de Douglas Edison Harding m'inspire cette solution :


En continuant à englober de ce symbole infini le champ de vision, on constate que les deux cercles de l'infini (00) s'estompent pour devenir un seul champ de vison. On découvre les limites du champ du vision et le sens de l'ego qui le regarde se tient sur son bord.


Mais dès lors dans cette expérience de l'infini, le je suis limité de l'ego ne s'identifie-t-il pas à un Je suis tout ce qui est conscient ici. Ce je suis tout n'inclut-il pas ce je suis individualisé qui a dirigé l'expérience mais aussi un presque rien de conscience qui entoure le champ de conscience et l’imprègne ? C'est ce presque rien de conscience d'où émerge le je suis individuel et universel à la fois puisque ce Je suis se fait ce moi particulier compris dans le tout qui apparaît.


Dans ce schéma de Douglas Edison Harding semble manquer encore l'idée de Descartes relativement légitime d'un au-delà du monde de la pensée humaine. La conscience mentale qui ici englobe par sa conscience le tout et le soi et expérimente le rien qui s'appose partout en elle doit pouvoir percevoir la possibilité d'une conscience plus élevée qu'elle et radicalement autre. Il suffit de rappeler que la conscience qui se manifeste à travers la conscience mentale humaine comprend aussi toutes les formes de conscience qui la précèdent telles la conscience émotionnelle (chez les grands mammifères), la conscience sensorimotrice (animale), etc. sans que les consciences qu'elle comprend ne puisse la concevoir avant qu'elle ne se développe. Un moustique, que comprend-il d'une conscience humaine tandis que la conscience humaine comprend de plus en plus le monde de la conscience du moustique. La chauve-souris perçoit le monde par des sens que nous n'avons pas mais ne sommes-nous pas capable grâce à notre technologie de traduire cette perception visuellement (le radar et le sonar) ? Et si vraiment il y a un vécu de la chauve-souris qui nous est inaccessible subjectivement alors n'avons-nous pas raison de suivre Descartes avec sa notion de transcendance englobant de tout ce qui est par-delà notre conscience mentale ? Au final nous proposons de rendre compte ainsi de l'argument ontologique revisité par nos soins :


A vrai dire nous voilà capable d'assumer nos responsabilités dans cette réalité auto-créatrice dont nous sommes un vecteur d'individualisation. Nous sommes un peu athée au sens où personne n'a quoi que ce soit à nous révéler d'autre car au cœur le plus profond de nous-même nous sommes le processus d'auto-création qui révèle tout ce qui est. Nous sommes le hasard et la nécessité vécus de l'intérieur. Depuis cet intérieur, depuis la transcendance de la transcendance, il n'y a plus de hasard puisque tous les hasards sont vécus consciemment comme des expressions d'une unique liberté créatrice.

L'argument ontologique revisité par nos soins à l'aide de Douglas Harding transcende le conflit entre science et religion :


C'est bien nous-même la seule autorité spirituelle quand nous nous retournons à l'intérieur et quand nous cessons de concevoir ce que nous sommes, ce que l'univers est et ce que le divin pourrait être de l'extérieur.

POUR PROLONGER LA REFLEXION sur la spiritualité et l'infini :