DEVELOPPONS UNE INTELLIGENCE SURMODERNE DE NOTRE CONFIANCE ET DE NOTRE FOI EN LA VIE.
DEVELOPPER NOTRE AUTONOMIE ET NOTRE AUTHENTICITE N’EXCLUT PAS LA LEGITIMITE DES VOCABULAIRES DE LA FOI ET DE LA CONFIANCE.
On l'aura compris : le point de vue
envisagé ici est celui d'un « expérimentant » spirituel. Il est libre de toute
croyance exclusiviste, c’est-à-dire qui exclurait les autres croyances hormis
la sienne.
Il n'est donc pas prioritairement athée,
même si, je suppose, vous et moi sommes athées de nombreuses croyances
religieuses. Ce point de vue n'est pas non plus agnostique, même si être ouvert
dans l’expérience revient à reconnaître un non savoir. Enfin il n'est pas une
croyance religieuse, même si l’exploration de l’expérience de la vie
universelle peut amener à réaliser des dimensions qui sont décrites dans des
traditions spirituelles religieuses.
Autrement dit, il s'agit ici
d'éventuellement devenir un trouveur et un explorateur de l'intériorité. Il
s'agit de faire le pari que la présence de la lumière spirituelle se réalisera,
qu’elle nous transformera et que déjà elle nous transforme par son
illumination. Avoir foi dans la découverte de la lumière spirituelle qui nous
éclaire nous permet de ne pas craindre ce qu’elle montrera.
Soyez en sûr, il n'y a, dans l'instant,
aucun malaise au centre de nous-même. Un début de sincérité rencontrera le
malaise de l’ego qui y résiste. Nul besoin de l’étouffer, nous pouvons malgré
tout remonter à la source de ce qui nous donne vie.
A la source d’un tel élan de sincérité, là, nous
pourrons être enfin à l’aise en l'absolu. Absolument à l’aise, toute notre
personne telle qu’elle est, c’est-à-dire sa petitesse bien comprise, sera vécue
par l’océan de la vie comme une onde.
« Soyez-en sûr », « La foi », « La foi en
la lumière spirituelle qui nous éclaire et nous transforme », « Pari » !? Nous
disions viser à un point de vue d’« expérimentant » mais n'est-ce pas
la croyance et son vocabulaire qui revient malgré nous au galop ? Le discours de
la foi n’est-il pas renoncement à l’autonomie en matière spirituelle ? Cependant
ces objections n’intègrent pas une possible distinction entre croyance et foi.
Certes les confusions entre foi et croyance sont presque systématiques dans les
groupes religieux et elles sont courantes dans les mouvements spirituels. Mais nous
allons montrer que la cohérence de notre pari met en jeu leur distinction en un
sens favorable à l’autonomie et à l’authenticité. Parier, ici, ce n’est pas d’abord
un acte de croyance.
Les croyances restent des
représentations du spirituel. L’objet de notre pari est de passer de croyances à
la foi épurée comme simple confiance en la vie. Mais cette dernière ne prendra
vraiment consistance qu’avec l’expérience de la vie universelle.
Dans la rencontre des autres
spiritualités, je suis bien confronté à d’autres croyances que les miennes. Cependant,
si je dialogue sincèrement, j’y rencontrerai un même élan de la foi pour une
vie vécue en plénitude[i].
Mes croyances valent sans aucun doute moins que l’authenticité de la foi en la
vie. La croyance en quelque chose n’en implique pas nécessairement
l’expérience. La foi, elle, est requise pour faire le saut de l’expérience de
la vie universelle. Ce saut effectué, la foi dans
l’évidence de ce qui s’expérimente reste à nourrir pour vivre, sans la limiter, l’aventure qui suit.
La foi ou la confiance en l’évidence resteront nécessaires tant que nous avons
à nous libérer de croyances illusoires ou limitantes. En effet, elles restent souvent
assez fortes pour tout obscurcir y compris ce qui, le moment d’avant, relevait
pourtant de l’évidence. Mis à l’épreuve par la vie,
l’expérimentant est souvent tenté de revenir à ses vieilles croyances. Pour
faire face à ces difficultés, des distinctions sont ainsi essentielles :
1
- premièrement, il y a ce qui ressort de nos croyances,
notre foi peut grandir en s’en émancipant ;
2
- deuxièmement, il y a ce qui
manifeste la foi ou la confiance encore trop aveugles du chercheur spirituel,
il s’agit d’entrer dans un cercle vertueux faisant grandir la foi et la
connaissance ;
3
- troisièmement, il y a la foi ou la confiance comme poussée de la vie
universelle vers elle-même à travers nous ; son développement impulsera aussi
l’aventure spirituelle.
Nous allons approfondir ces
distinctions 1, 2 et 3 au regard de l’autonomie et de l’authenticité.
1 – Une foi
peut s’émanciper des croyances.
Du côté de la recherche spirituelle, la
foi et la croyance se ressemblent souvent jusqu’à se confondre. Dès lors, il
faut nous assurer d’un usage de la foi non contraire au fait d’être notre propre
autorité.
Il nous faudra aussi tenir compte du fait que le
vocabulaire de la foi aura toujours un passif religieux dans l'oreille d'un
athée ou d’un agnostique. Puisque notre pari a l’ambition d’intégrer des
spiritualités athées ou agnostiques, il nous faut distinguer foi spirituelle et
foi religieuse. Pour éviter une confusion dommageable entre ces formes de foi,
à chaque fois que cela sera pertinent, nous nous tournerons aussi vers la
notion de confiance (spirituelle) en la vie, qui,
elle, n’a pas de connotation religieuse immédiate. Nous
montrerons aussi l’intérêt d’user conjointement de ces deux notions pour mieux
appréhender leur développement vers plus d’autonomie et d’authenticité.
Dans l'optique d'être à soi-même sa
propre autorité, si la foi est inévitable quand on fait un pari spirituel, il
s’agit de savoir comment éviter ses errances. Nous chercherons donc à discerner
par un usage réfléchi du doute à quel endroit une foi spirituelle risque de
tolérer en nous des croyances préjudiciables pour vraiment vivre la vie en
plénitude. Un idéal de purification et d'élévation spirituelle de la foi doit
être poursuivi car « [u]ne foi qui serait fondée sur la compréhension d’un
dessein divin, d’un ordre, ne serait plus une foi, mais une croyance (subtile) »[ii], rappelle Yvan Amar. Avec lui, nous pouvons affirmer que la
purification des croyances a un profond sens spirituel :
«
C'est parce que la foi n'a nulle part où se fixer
qu'elle peut continuellement se jeter dans le Tout. »
[iii]
Mais nous montrerons que la foi dont nous
parlons ici devra aussi surmonter les doutes à son égard suscités par nos
vieilles croyances antispirituelles. La foi véritable, pour être une confiance
en la vie authentique, a besoin d'un doute de grande tenue. Ce doute n’a rien
des doutes mesquins qui nous confortent dans les croyances assurant la
perpétuation de notre ego-centrisme. Il n’a rien de ces doutes mesquins qui,
par cynisme, ignorent toute perspective évolutive et préfèrent l’impasse des
vieilles manières à de nouvelles formes d’être et de devenir. La foi
authentique et le doute de grande tenue n'ont aucune complaisance pour les
petits doutes. Ces « petits » doutes sont le plus souvent le produit
d’une mauvaise foi qui entretient telle forme de peur, tel amour du drame, etc.
Ce sont des obscurcissements de ce qui, en nous, a le goût de l’authentique, du
beau et du juste.
2 – Il y a un
cercle vertueux de la foi et de la connaissance.
En science expérimentale, il faut suivre
un protocole. Autrement dit, « pour réaliser une expérience », il
faut respecter les « instruction[s] précise[s] et détaillée[s] mentionnant
toutes les opérations à effectuer dans un certain ordre ainsi que les principes
fondamentaux »[iv]. Un
protocole scientifique nous oblige à de la rigueur et de la précision. Sa
pratique met ainsi en jeu une transformation cognitive de notre personne. La
foi en un progrès cognitif exige de se soumettre aux faits expérimentaux, pour
corriger nos erreurs et avoir une meilleure compréhension du réel. Dans les
sciences spirituelles, ces qualités sont éminemment requises. Mais, outre des
progrès cognitifs, elles incluent un développement de l’intelligence émotionnelle
et une transformation de notre volonté individuelle. Une science spirituelle
requiert foi ou confiance pour prendre le risque de suivre un protocole qui
transformera radicalement toute notre personne dans son rapport à elle-même. La
foi spirituelle sera à rude épreuve lorsque nous serons amenés à faire face à
des illusions qui ont été jusque-là constitutives de notre personne. Elle devra
tenir bon pour admettre ce qui relève de notre misère spirituelle.
Dans les sciences spirituelles, la foi et
la compréhension se mêlent profondément. Comprendre intimement à quoi ouvre
telle transformation revient à faire le saut pour s’y ouvrir. Si la vie en
plénitude est la clé de tout ce processus, la foi spirituelle comme confiance
radicale en la vie est une vertu de première importance.
3 – Notre pari est de percevoir la foi comme
poussée de la vie universelle à travers nous.
La foi est ici, d’abord, une disposition
pour « prendre le risque, malgré tout, de laisser émerger des prises de
conscience ». A l’évidence, tout procédé pratique, qui favorise l'émergence du
fait intérieur recherché, met en jeu une transformation de notre individualité
personnelle. Celle-ci approfondit notre lien au tout de la vie. La foi radicale
en la vie nous relie déjà à son tout. Elle est aussi la confiance qu’a la vie
en elle-même à travers nous. Pour en avoir une idée, observons un animal dans
un milieu naturel. Nous sommes parfois tentés de mettre en avant la fragilité
de son existence. Mais, lui, n’incarne-t-il pas une foi innocente en la
vie ? Pour nous qui sommes des animaux mentaux et émotionnels, cette
innocence de la foi est devenue un objet de reconquête. Dans notre cas, «
comprendre », c’est-à-dire entrapercevoir, ou même voir, que nous
existons au sein du tout de la vie, est nécessaire pour croître en foi et en
confiance. Lorsque la vie universelle est expérimentée comme un fait intérieur,
les vertus de foi ou de confiance spirituelles sont transfigurées mais des
efforts resteront peut-être nécessaires. Lorsque la vie universelle est
consciente en nous, l’abandon à son processus de transformation reste souvent
délicat. Des aspects intellectuels, émotionnels, pulsionnels et physiques de
notre personnalité y résistent. Dans l’adversité de ce processus, foi ou confiance
spirituelles restent donc requises. Elles nous ré-ancrent sur le fait de la vie
universelle pour en réaliser davantage la valeur infinie et la force
transformatrice.
Notre définition de la foi comme acte de « prendre le risque, malgré tout, de laisser émerger des prises de
conscience » aboutit à de nouvelles façons d’être et de devenir. Elle s’inscrit
dans le contexte d’un développement de la foi. Celui-ci passe par la
purification de nos croyances ainsi qu’une réflexion plus autonome et un doute
plus authentique. Ce développement de la foi sera consistant quand il se
fondera sur l’expérience de faits intérieurs spirituels. Nous partirons de ce
que nous croyons aujourd’hui pour suggérer comment nous pourrions aboutir à ce
type de foi.
Examinons la tentation du nihilisme qui récuse toutes les formes de confiance ou de foi en la vie.
Nous avons affirmé qu’avec la foi et la
confiance, la vie revient vers elle-même à travers nous. Foi et confiance
mettraient ainsi en jeu la relation intime entre notre vie individuelle et la
vie universelle. Si ce point de vue est juste, toutes les formes possibles de
foi devraient être l’individuation d’un certain type de confiance en la vie.
Dès le début de son livre Dynamique de la foi, Paul Tillich pointe
implicitement ce fait en donnant sa définition de l’acte de foi :
« Il y a foi quand on est ultimement concerné. »
Une telle définition évite de réduire le
vécu de la foi à la vie religieuse ou à la recherche spirituelle. Elle suggère
que l’acte de foi est commun à tous. Paul Tillich veut montrer que la foi, à
proprement parler, n’est pas réductible à sa forme extérieure. Pour lui, elle
est un mode d’être de nos existences. Pour mieux nous la faire entendre, il
ajoute plus loin :
« Toute négation de la foi exprime une foi, une préoccupation ultime,
aussi la dynamique de la foi triomphe-t-elle toujours. »
Bien avant Paul Tillich, dans le chant
XVII, 3, la Bhagavad Gîtâ disait déjà :
« La foi de chacun […] est conforme à sa nature propre. Un homme
se définit par sa foi : telle est la foi, tel est l’homme. »[v]
On peut soupçonner là des ruses de
théologiens pour utiliser un vocabulaire religieux applicable à tous y compris
à l’athée. Mais il y a la vérité du propos : nos croyances peuvent changer
du tout au tout mais notre foi ne fait que se déplacer. Il arrive que parlant
d’un passé religieux, on dise qu’on a perdu la foi, mais, à notre insu, on
confond alors la foi avec certaines croyances. Pour nous, le contraire de la
foi n’est pas l’incroyance. Un philosophe sceptique authentique aura foi dans
la pratique de la suspension de tous ses jugements. Sa foi sceptique lui fait
comprendre qu’il faut éviter toute conclusion dogmatique sur quoi que ce soit.
Sa relativisation des croyances par le doute est une foi pratique pour s’ouvrir
en profondeur au jeu de la vie.
Envisageons le pari que le développement
de la foi et de la confiance sous ses diverses formes fasse partie d’une
individuation de la vie universelle à travers nous. Les difficultés majeures
rencontrées pourraient alors être semblables à des pathologies où ce qui est
censé préserver une forme de vie corporelle s’en prend à la vie corporelle
elle-même. A l’aune de notre pari, l’impasse majeure du développement de la foi
et de la confiance est la négation de la valeur de la vie par une forme de vie.
Ainsi, s’il y a un ennemi de la foi et de la confiance, c’est le nihilisme[vi].
Deux sources d’impressions le nourrissent.
Dans un contexte de sécurité matérielle et sociale, une première source est
l’ennui. « La chair est triste,
hélas ! et j'ai lu tous les livres. », se lamente le poète Mallarmé.
Tout se vaut, rien ne vaut. Aucun ensorcellement, le désenchantement à perte de
vue, aucune inspiration, la langueur d’un bof inlassablement réitéré s’emparent
de l’enfant désormais lassé par tous ses jouets. Evidemment, le sentiment de
sécurité matérielle, d’abondance et de satiété reste passager. Une autre
impression prend le relai. C’est l’impression que la vie universelle finit
toujours par produire la tragédie, avec ses souffrances et la mort. Cette
seconde source de nihilisme se combine avec la première. Il y a un chaud froid
de la conscience éparpillée, désœuvrée à la conscience désormais préoccupée,
inquiète et angoissée. Amplifié par ce chaud-froid à répétition, « un vieil air languissant et funèbre »[vii]
instille son point d’interrogation mélancolique : « la vie vaut-elle
d’être vécue ? » L’animal fatigué reprend la route. Le fardeau de la
vie peut se porter, se dit-il. L’arrêt sur la question n’est pas souhaité. Des
petites impulsions de ne plus jouer le jeu de la vie s’emparent du sujet. Des
petites zones d’agressivité se hérissent devant qui voudrait déranger l’animal
portant son corps comme un fardeau de la vie. Et cela pourrait se passer ainsi
de suite sans qu’on prenne la peine de davantage s’y intéresser. Mais ce
trouble d’abord mineur et épisodique peut prendre des proportions inquiétantes.
Un premier point culminant de la
pathologie nihiliste est sans aucun doute la phase dépressive. En
arrière-plan, chaque avancée du mal est aussi l’aboutissement de petits doutes
mesquins à l’encontre de tout élargissement de notre ressenti de la vie :
un désir d’étroitesse finit par étrangler tout amour de la vie et endort toute
velléité d’en sortir. Le piège nihiliste s’est refermé : il y a les boîtes
de médicaments pour ne plus y penser, il y a le fantasme du « dernier soupir et
c’est terminé ». Tant que ces moments dépressifs sont ressentis comme
pathologiques, le nihilisme n’est qu’une tentation et on a la pensée de se
faire aider. Dans Le mythe de Sisyphe, Albert Camus partait de cette
interrogation : « Il n'y a qu'un problème philosophique vraiment
sérieux : c'est le suicide. Juger que la vie vaut ou ne vaut pas la peine
d'être vécue, c'est répondre à la question fondamentale de la
philosophie. » Inspiré de Camus, on peut défendre un courage d’être
malgré l’absurdité de la vie. Quant à nous, nous invitons à parier sur
l’expérience d’une vie vécue en plénitude. Nous parions que cette expérience
soulagera les difficultés existentielles avant de les surmonter dans une
évolution créatrice. Mais diagnostiquant l’absurdité de la vie, nihiliste
proclamé, un épigone spiritualiste de Schopenhauer argumentera, lui, en faveur d’une
défiance lucide envers la vie. La vie, c’est l’ego et ses désirs, ses pulsions
de mort. Pour échapper à l’impermanence de la vie qu’il juge vaine, il
soulignera que nous ne sommes pas le corps. Il applaudira l’épuisement des
valeurs, qu’elles soient prémodernes, modernes, etc. Il se délectera de tous
les charmes de l’effroi à l’annonce d’un inéluctable effondrement
civilisationnel. Nous, nous diagnostiquons une crise évolutive majeure, due à
une impasse de la conscience mentale humaine. Notre pari est un défi spirituel
pour la surmonter. Pour les nihilistes spiritualistes promoteurs du
renoncement, la tentation inhérente à toute valeur, c’est la soif de vie et, à
terme, la guerre des valeurs. Le courage d’être malgré l’absurdité de la vie
sera ainsi, selon eux, une soif de vie incohérente. Et bien sûr, parler de vie
en plénitude, d’évolution de la conscience, comme nous osons le faire, est,
dans leur perspective, un délire. Au mieux, quelques survivants chanteront
autour d’un feu le temps du moteur à explosion, ils méditeront calmement en
attendant que leur corps lâche et que la déflagration de la vie retourne à
zéro. Du point de vue de notre pari, cette attitude spiritualiste discutable de
retrait vis-à-vis du devenir de la vie jugée absurde reste de l’attentisme.
Malheureusement la pathologie nihiliste peut
avoir un autre point culminant. Elle prend des formes beaucoup plus dangereuses
dont certaines peuvent compromettre l’avenir terrestre. Nous avons vu que la
pathologie avait sa dose d’agressivité. Le dépressif la tourne vers soi, le
renonçant spiritualiste à l’encontre de tout devenir en soi. Ce-dernier y voit unilatéralement
l’illusion du désir et il cherche à étouffer en lui toute vitalité. Lorsque le
nihilisme n’est pas qu’une violence envers soi, son refus de la vie universelle
peut le conduire à s’opposer violemment aux autres formes de vie[viii]. Lorsqu’il se mêle à un faible sens moral et à quelques velléités
hédonistes, il finit par justifier au nom d’une forme de vie égoïste l’injustifiable
: « Pourquoi je ne pourrais pas faire ça ! Cette vie c’est de la
merde ! Et on va tous crever ! ». Ce nihilisme égoïste peut
prendre des figures collectives : « Nous ne voulons pas des autres
sur notre radeau de fortune, il deviendra de plus en plus inconfortable pour
tout le monde. Le naufrage aura lieu ; gagnons du temps ;
préservons-nous pour le moment ; Coûte que coûte. » Ce qui compte
alors, ce n’est que notre famille, que notre clan, que notre pays, etc. Fasciné
par la mort et la catastrophe, ce nihilisme réactive alors les pires
nationalismes, les impérialismes, les racismes, les fascismes, etc. Et partant
d’un diagnostic nihiliste de cet acabit, il y a la tentation de mettre sa foi
dans la croyance religieuse que la vraie vie est ailleurs, dans un
arrière-monde. On se met à juger que le monde humain, pourtant produit par le jeu
de la vie universelle, est corrompu définitivement par le péché. Il est le mal
dont il faut se défaire. La tentation nihiliste aboutit alors à arborer un
masque religieux d’une pureté terrifiante…
A l’encontre du nihilisme, nous
interprétons la foi spirituelle, d’abord et avant tout, comme confiance en la
valeur de la vie.
Approfondir conjointement notre compréhension
de la valeur de la vie, de la confiance et de la foi nous permet de mieux
éviter les impasses du nihilisme et des croyances.
Dans notre perspective laïque, parler d’une
foi en la vie pour l’opposer au nihilisme peut sonner comme une volonté de
constituer une religion de substitution. Certains républicains anticléricaux
ont pu avoir ce projet d’une religion civile. Celui-ci va à l’encontre d’une
laïcité offrant une possibilité spirituelle d’émancipation vis-à-vis de toute
identification mentale.
Pour éviter de faire de la laïcité une
religion de substitution, laisser ouverte la possibilité d'une spiritualité
athée et matérialiste est nécessaire. Cette option spirituelle semble mieux
respectée quand nous utilisons le vocabulaire de la confiance à côté de celui
de la foi. Son usage évite davantage de réduire la foi à une réalité
religieuse. Toutefois ce changement de vocabulaire ne garantit pas d’éviter
tout glissement vers des croyances.
Remarquons que le vocabulaire chrétien de
la foi, fides en latin, a trait aussi initialement à la fidélité et à la
confiance. Certes, dans beaucoup de pratiques religieuses, il se réduit à une
confiance en une divinité dont les contours sont réduits à un credo, un
manifeste religieux de croyances composé d’une liste de dogmes indiscutables. Pourtant
malgré ces dérives, certains mystiques ont régulièrement rappelé que le divin,
c’est la vie en plénitude, en tout et en tous. Pour eux, la foi prend vraiment sens
dans une expérience de la vie universelle au-delà de nos vies personnelles. Pour
eux, être conscient de la vie universelle et l’aimer plus que tout est la
dévotion au divin. La tragédie pourrait ne plus nourrir le trouble nihiliste
mais elle restera longtemps un défi pour la foi ou la confiance. Dans les
Evangiles, par exemple, Jésus-Christ transmet à ses disciples une expérience de
la vie divine, mais lui-même connaît encore une épreuve de la foi à l’approche
de sa crucifixion. Face aux poussées d’angoisse qui l’assaillent, il prie pour
vouloir ce qui est le mieux du point de vue divin : « Mon Père, si c’est possible, fais que cette coupe passe
loin de moi. Toutefois, que les choses ne se passent pas comme je veux, mais
comme tu veux. », dit-il selon l’Evangile de Matthieu, 6, 39.
Nous partirons d’une forme de confiance
athée en la vie apte à éviter le nihilisme. Puis nous reviendrons sur une foi en
une vie divine. Lorsqu’on affirme que l’essence de la vie est divine, peut-on
être sûr de faire face au tragique sans regarder la vie terrestre avec mépris ?
D’ailleurs, toute espérance d’une vie meilleure, y compris athée, ne
risque-t-elle pas de conduire au mépris nihiliste de la vie actuelle ?
Dans Le courage d’être, Paul Tillich reconnaît que dans le
christianisme, « […] le concept de foi a perdu son sens authentique et qu'il a pris
le sens de « croyance en quelque chose d'incroyable » »[ix].
Compter sur un réenchantement du monde basé sur l’extraordinaire ne semble pas
viable face aux pathologies nihilistes induites par la modernité et la
postmodernité. Ce serait être tenté par une régression aux mentalités
superstitieuses et obscurantistes prémodernes. Les croyances en
l’extraordinaire, ce sont toujours des croyances, des impressions et non des
expériences d’états de conscience. En nous
appuyant sur le livre Le courage d’être, on peut
rapprocher la confiance en la vie avec ce que, précisément, Tillich nomme le
courage d’être athée face aux tragédies. Celui-ci caractérise bien
l’existentialisme d’un Albert Camus. C’est un premier pas pour sortir des
marécages du nihilisme. Il peut rapprocher d’une confiance en la vie libérée du
sentiment d’absurdité qui la recouvrait. La foi en lien à « ce qui nous
concerne ultimement » met en jeu, même à travers un courage d’être, un acte
de confiance en une vie universelle intérieure à nous. En faire l’expérience,
ce serait en quelque sorte trouver l’essence de l’ordinaire. Ce serait prendre
conscience d’un trésor au cœur de la banalité de l’existence. Nous reprenons ce
dialogue entre athéisme et spiritualité, en pariant sur l’authenticité
spirituelle des témoins d’une vie vécue de plus en plus en plénitude. Pourquoi
juger la vie absurde si nous n’en percevons pas l’intériorité ? Inviter à
la confiance en la vie n’implique, ici, aucune croyance religieuse ou
philosophique spécifique. Cette confiance, ici, est une invitation à
l’expérience de la vie universelle puis à l’adhésion à son devenir en
plénitude.
Pour bien marquer notre volonté de
pluralisme spirituel, à côté du vocabulaire de la confiance, nous réinvestissons,
bien sûr, celui de la foi. Mais nous parlons d’une foi qui veut se libérer des
croyances dogmatiques en vue d’une expérience de la vie universelle. La foi
spirituelle est donc ici interprétée, comme précédemment, d’abord et avant
tout, comme confiance en la vie. Cette conception fait de nouveau écho à celle
de Paul Tillich. Toutefois interpréter la vie universelle comme une vie divine
introduit une dimension de foi qu’une confiance en la vie ne contient pas.
Peut-on être sûr que celle-ci ne permettra pas au nihilisme de resurgir ?
Revenons à la foi spirituelle de
Jésus-Christ face au pressentiment de sa crucifixion. Celui qui, comme lui,
aurait conscience d’être une individuation de la vie universelle peut connaître
une telle aventure. Il peut pressentir que sa propre existence personnelle
devra être brisée et broyée pour que le devenir de la vie emporte une victoire
évolutive. Il peut pourtant en ignorer intellectuellement ou intuitivement
toutes les raisons. Au tréfonds de son âme, il serait alors reconduit vers la
foi qui le relie indéfectiblement à la vie universelle. Purifiée, sa foi
l’amènerait à vouloir ce devenir et à s’y abandonner. Mais avant d’arriver à ce
total don de soi, son humanité n’en connaîtrait pas moins une traversée
d’angoisse.
Une telle interprétation de l’angoisse de
Jésus-Christ dans le jardin de Gethsémani, la veille de sa crucifixion, suppose
de croire réelle son expérience de la vie universelle. Quoi qu’il en soit, pour
un individu en qui cette expérience se vivrait, les tragédies de l’existence demeurent.
Face à celles-ci, sa confiance reste souvent nécessaire et l’amène à des choix
contre l’inauthenticité, l’indignité, l’inhumanité, etc. On peut se demander si
ces choix échappent à tout danger nihiliste. On pourrait s’interroger sur ce
qui amène Jésus-Christ à choisir le martyr plutôt que de fuir. Certains comme
Nietzsche ont vu dans la croyance de Jésus-Christ ou de Socrate une promotion
de la haine de la vie. On peut se questionner pour savoir dans quel but tous
les deux choisissent de ne pas fuir devant leur condamnation à mort alors qu’ils
en avaient la possibilité. Pour les comprendre, il faut peut-être prendre au
sérieux leur témoignage selon lequel l’expérience approfondie de la vie
universelle est une expérience de vie par-delà la naissance et la mort. Selon
eux, cette immortalité par-delà la mortalité du corps et de l’ego a aussi une part
évolutive individuelle qui peut s’expérimenter pendant cette vie terrestre. Si
c’est leur vécu, leur choix n’aurait rien d’une croyance fanatique et nihiliste
affirmant que la vraie vie est ailleurs. Pour beaucoup d’entre nous, ce ne sont
là que des objets de croyance, mais au nom de quoi nier que ce soit une
expérience spirituelle possible ? En tout cas, le soupçon de nihilisme
nous aura permis ici un acquis spirituel : il n’y a pas de sacrifice de
soi heureux sans une conscience d’être une individuation de la vie. En
l’absence de cette expérience ou d’une démarche sincère en vue de la réaliser,
toute foi qui mène au sacrifice peut nourrir des tendances nihilistes.
Avec la figure de Socrate, on peut parler
de confiance philosophique en la vie et non de foi dévotionnelle religieuse.
Mais adhérer mentalement aux arguments rationnels de Socrate en faveur de l’âme
n’est pas non plus en avoir l’expérience intérieure. La suspicion contre la foi,
en matière d’autonomie ou concernant la tentation nihiliste, ne sera pas surmontée
en décidant de privilégier une confiance raisonnable en la vie. Des raisons
d’avoir confiance en la vie restent des croyances. Celles-ci s’attachent alors
à la confiance comme elles s’attachent aux fois religieuses. De même, une
confiance athée en la vie peut être teintée de croyances dont les
représentations mentales rationnelles maintiennent la présence ego-centrique
d’un croyant. Idéologique, l’athéisme peut d’ailleurs être animé par un
fanatisme qui ressemble fort à n’importe quel fanatisme religieux. Les élans
athées d’agressivité nihiliste sont parfois plus effrayants que ceux des
croyants. Des athées fanatiques ne comptent pas sur un arrière-monde pour
assurer leur hégémonie sur l’histoire. Ainsi certains ont cru devoir accélérer
la disparition des personnes de l’ancien monde pour que les jeunes incarnent l’espérance
d’un homme nouveau. Rejeter le mot foi pour le mot confiance ne garantit assurément
pas contre toute dérive.
Par ailleurs, le vocabulaire de la foi a
des spécificités qu’il serait dommage de perdre. Il pointe, en effet, des
dimensions qui ne sont pas immédiatement présentes dans la confiance. Par
exemple, on dira que j’ai gagné ou perdu en confiance ou en foi, mais c’est
seulement de la foi qu’on peut dire à proprement parler
qu’elle nous a saisi. Mais inversement, la foi en
la vie universelle, lorsqu’elle s’interprète comme une foi en une vie divine,
peut trouver dans le vocabulaire de la confiance des ressources. Elles lui
permettront de mieux exprimer, par exemple, le don de soi auquel elle aspire.
Ainsi, il est courant de dire qu’on donne sa confiance à quelqu'un ; par contre,
lorsqu’on parle de foi en quelque chose ou
quelqu’un, on semble moins enclin à l’envisager comme un acte de don.
Il y a un intérêt à utiliser autant le
vocabulaire de la foi que celui de la confiance. En effet, les questionner l’un
et l’autre éclairent nos aspirations à vivre en plénitude la vie universelle.
Comme nous l’avons vu, c’est l’objet de la confiance, notre représentation de
ce à quoi on donne notre confiance, qui peut être soumis au questionnement. Le
vocabulaire de la foi a tendance, lui, à limiter le questionnement sur son
objet, comme nous l’avons déjà remarqué. Or certains de ces objets participent
de la haine de la vie et donc du nihilisme. Ceci dit, de son côté, la foi
facilite un examen de conscience du côté du sujet qui la vit : c’est notre
foi, comme expression de qui nous sommes, qui peut souffrir d’inauthenticité ;
c’est sa force et sa pureté dans le sujet qui détermine l’issue de l’affrontement
aux tentations nihilistes. Le vocabulaire de la confiance permet moins
immédiatement d’interroger la clarté d’intention du sujet dans l’acte en jeu.
Ainsi, quand on parle conjointement de confiance et de foi, on oublie moins
qu’il y a un acte avec un sujet, d’un côté et un objet, de l’autre. Or comme nous
venons de le voir, pour vivre plus authentiquement la vie en plénitude et être moins
sujet au nihilisme, ces deux côtés méritent notre attention.
La notion de valeur se rapproche aussi
des conceptions de la foi et de la confiance en la vie que nous voulons ici
approfondir. Elle permet aussi d’éclairer cet acte de l’individu dont l’enjeu
est la relation entre un objet, la vie dans son universalité créatrice et un
sujet, qui, au fond, est une tentative d’individuation de cette vie. Comme la
foi, la valeur n’est pas réductible à une orientation existentielle ou à un
objet de confiance que se donnerait l’ego. Les préférences de l’ego pour ceci
ou cela ne coïncident pas avec la valeur intrinsèque de ceci ou cela : ma
préférence pour les frites ne coïncide pas avec la valeur diététique des
frites. La valeur que nous donnons à la vie engage à la fois notre confiance et
notre défiance en la vie ; mais la valeur intrinsèque de la vie devrait
elle-même commander la nature de notre relation à la vie. Reconnaissons-le, le
mot valeur sous-entend dans son usage postmoderne plus une préférence qu’une
participation à une qualité d’acte ou d’être. Cette confusion favorise
d’ailleurs la tentation nihiliste. En effet, si c’est moi qui promeus la
valeur, alors tout se vaut ; mes déficiences en vide tout sens et, au
fond, seule la nulle valeur de la vie vaut. Cependant même si nous comprenons
que la valeur ne peut être séparée de qualités intrinsèques à des réalités,
notre foi en la vie tente d’emporter dans un même flux les valeurs qui nous
animent. Or, par exemple, comme la spirale dynamique le suggère, les valeurs
sont difficiles à harmoniser dans un tout. Par exemple, certaines sont plus
centrées sur la personne individuelle, d’autres plus à l’écoute du collectif.
Une foi ou une confiance en la vie plus authentique passera donc par une
meilleure perception de l’unité et de la dynamique qui donne vie à nos valeurs.
Autrement dit, elle passera par la prise de conscience de plus en plus fine de
la valeur infinie de la vie universelle.
UNE SCIENCE DU
DEVELOPPEMENT DE LA FOI EST NECESSAIRE A NOTRE AUTONOMIE ET NOTRE AUTHENTICITE.
Menons une analogie avec la foi
médicale et envisageons une science de l’art spirituelle qui développe foi et confiance
en la vie universelle et son expérience.
La foi comme confiance en la vie n’est
pas aveugle si elle s’appuie sur un fait expérimentable ou une évidence
testable. Cependant un inconvénient majeur demeure dans la perspective de notre
pari. L’usage du vocabulaire de la foi revisité avec celui de la confiance dans
des faits et des évidences ne garantit pas la fondation de véritables sciences
psychospirituelles. Savoir de quoi l’on parle, préciser le sens des mots n’est
pas encore confronter à l’expérimentation factuelle un ensemble de représentations.
On doit se demander si vraiment les notions de foi ou de confiance n’altèrent
pas notre projet de sciences spirituelles laïques. Autrement dit on doit se
demander si les notions de foi ou de confiance disqualifient notre tentative
d’édifier une spiritualité surmoderne. Avec la valorisation de l'acte de foi ou
de confiance en la vie, il y a toujours le risque que germe un refus de voir
tout ce qui interroge nos représentations.
Toutefois, il ne semble pas que tout acte
de foi ou de confiance revienne à une régression à des mentalités religieuses
prémodernes, refusant tout ce qui les mettent en question. Dans notre vie quotidienne moderne, l'acte de foi qui fait prendre un
traitement médical prescrit par un médecin n'est pas déraisonnable quand on n’a
pas fait soi-même le cursus de médecine. Inspirons-nous par analogie de la
science de l’art médicale qui prend au sérieux le rôle de la confiance dans le
soin. Ne pourrions-nous pas esquisser les bases d’une science de la foi
spirituelle ou de la confiance en la vie ?
Pour élaborer celles-ci, il nous faudra
examiner les fois religieuses des mystiques (poly)théistes. Faut-il les
condamner unilatéralement comme prémodernes et caractéristiques de la foi
aveugle ? Ou faut-il traiter radicalement les dérives des croyances qui les
entourent afin que leurs expériences spirituelles authentiques, libérées
de leurs cadres dogmatiques, viennent enrichir notre exploration surmoderne de
la vie universelle ?
Tout engagement sur un chemin de
transformation spirituelle implique un genre de foi qui sera mis en jeu dans
une relation de plus en plus unitive avec la vie universelle. Le terme de foi
est souvent ramené à une relation avec une vie divine. Mais une perspective
spirituelle liée au divin, si elle a du sens, sera aussi l’expérience d’une vie
universelle, manifestant tout être et toute chose. La foi mystique en la vie
divine donnerait moins prise aux errances prémodernes des religions si elle
prenait plus de précaution avec certaines croyances. Par exemple, affirmer que
la vie universelle est une vie divine personnelle reste le plus souvent une
croyance. Des visions mystiques peuvent n’être qu’une projection. Même si
l’expérience spirituelle de la vie universelle est, en parallèle, indubitable,
des visions de formes divines ne prouvent pas nécessairement que ces formes
soient des réalités. De telles visions ne doivent pas être confondues avec une
prise de conscience de divinités constitutives de l’être et du devenir de la
vie universelle. Si elles apparaissent et disparaissent, elles font encore
partie du spectacle de la vie : ce n’est pas encore une expérience d’une
dimension essentielle de la vie. Par exemple, nous ne disons pas qu’il est
impossible de réaliser qu’une dimension de notre personne est de la substance
même de la vie universelle. Il se peut que cette réalisation soit la révélation
de notre essence individuelle véritable. Toutefois, il nous semble que réaliser
la présence de la vie universelle, comme la source et la nature authentique de
tout ce qui est, sans qualification autre, sera plus immédiat, en général. Par
exemple, certaines spiritualités non duelles d’inspiration indienne assimilent
trop vite la vie universelle à notre « Je divin ». Elles peuvent dès
lors laisser dans l’ombre le vrai sens de notre individualité. Elles amènent à
affirmer que la vie centrée sur l’ego est dépassée alors que des petits désirs
personnels expliquent encore une grande part de nos comportements. Dans
l’expérience de la vie universelle, la modestie serait de demeurer ouvert, par
exemple, en maintenant un balancement entre diverses interprétations de
l’absolu. Ainsi, on peut, à côté de la présence impersonnelle de l’absolu, voir
l’indice de dimensions personnelles absolues sans perdre de vue l’enjeu
spirituel de l’individuation de la vie, à travers nous. Eviter de s’enfermer
dans un imaginaire dogmatique consisterait à demeurer ouvert au mystère de
cette vie universelle, c’est-à-dire ouvert, aussi, à des possibles paradoxaux
pour notre conscience actuelle.
Nous venons d’esquisser un traitement des
fois (poly)théistes qui visent à intégrer le meilleur des spiritualités
mystiques à l’exploration de la vie universelle. Ce traitement suppose
l’abandon des croyances religieuses exclusivistes. Mais plus spécifiquement, il
consiste à éviter des interprétations hâtives des visions mystiques, tout en
leur restant ouvert. Notre analogie de la foi spirituelle avec la foi médicale
semble ici assez bien fonctionner. La foi spirituelle joue le même rôle que
l’acte de foi pour suivre efficacement le traitement prescrit par un médecin. Dans
l’un et l’autre cas, il faut garder notre sens critique et rester ouvert
d’esprit.
Pour filer l’analogie, on peut aussi
considérer l’équivalent de la prescription du médecin : les enseignements
spirituels et leurs prescripteurs. Comme il nous faut de la fidélité à la
prescription médicale, il nous faut de la fidélité à nos pratiques spirituelles,
sinon il n'y aura aucune chance de guérir ou de se libérer. A la confiance dans
la compétence de notre médecin correspond la confiance dans celle de notre
enseignant spirituel. La médecine est liée aussi à une confiance dans la
communauté scientifique médicale qui garantit la compétence des praticiens et
assure de la rareté des effets secondaires des traitements. Certains scandales
peuvent l’ébranler. Du côté spirituel, il n’y a pas encore l’équivalent d’une
communauté de praticiens qui nous protégerait efficacement d’exercices illégaux
de la sagesse. Ceux qui partagent et explorent l’expérience de la vie
universelle condamnent parfois abusivement certains enseignements sans en
saisir l’intérêt. En contribuant au développement de sciences de l’art spirituelles,
notre pari est de tracer un chemin entre ces écueils.
La psychologie du développement
offre une réponse claire à l’objection selon laquelle les notions de foi ou de
confiance feraient barrage à des sciences spirituelles.
Les travaux en psychologie de James
Fowler sur le développement de la foi montrent qu'on aurait tort de croire que
la foi est étanche à toute science. Ce chercheur a marché sur les traces de
Piaget.
Ce-dernier a été un pionnier. Il a montré
qu’on peut situer un enfant dans son développement en fonction des types
d’opérations cognitives qu’il est capable d’effectuer. Voici un résumé de ce
qu’il a ainsi obtenu :
De nombreux autres chercheurs comme
Commons et Richards ont affiné et prolongé les travaux de Piaget. Ken Wilber
relie ces opérations mentales avec les types de mentalités repérées par la
spirale dynamique de Grave, Beck et Cowan. Il suggère qu'il y a une
correspondance entre les étapes du développement d’un individu de l’enfance à
l’âge adulte avec l’évolution des mentalités au sein d’une culture. Du point de
vue cognitif, voici un tableau synthétique possible inspiré des travaux de Ken
Wilber :
Fowler a appliqué la démarche initiée par
Piaget dans les travaux sur le développement cognitif à la question du
développement de la foi. Ses résultats ont été inclus par Ken Wilber à sa
propre synthèse. La définition de la foi utilisée suit nommément celle de
Tillich. Nous espérons en avoir montré la remarquable pertinence spirituelle
précédemment.
EXPERIENCE DE PENSEE
Fowler est parti d’un cadre théorique et
méthodologique inspiré par Erikson, d’une part, Piaget et ses continuateurs
comme Kohlberg, d’autre part. Il a
établi son modèle de développement de la foi en s’appuyant sur des enquêtes et
un certain nombre d’expériences[x].
Gary Leak a mis à l’épreuve ce modèle avec ses propres recherches. Il a proposé
un questionnaire pour évaluer, de la façon la plus simple qui soit, la pertinence des stades du développement de la foi qu’a proposé Fowler[xi]. Nous réadaptons ce questionnaire et nous vous proposons de vous
situer vous-même dans cette échelle du développement de la foi.
Pour chaque question posée choisissez
l’option A ou B puis cochez :
1.

2.
3.
4.
A-
Mon orientation, qu’elle soit religieuse, athée ou spirituelle, vient
essentiellement de mes propres efforts de compréhension.
5.
A- Je ne
vois pas d’embarras à côtoyer d’autres options ou à dialoguer avec elles,
qu’elles soient religieuses, athées ou spirituelles.
B- Je ne vois pas
d’intérêt à rencontrer d’autres options, qu’elles soient religieuses, athées ou
spirituelles.
6.
A-
Mon développement personnel, religieux, philosophique ou spirituel, m’a
occasionnellement obligé à entrer en conflit avec ma famille ou des proches.
7.
A- Il est vraiment
important que ma foi et/ou mes options philosophiques soient hautement
compatibles avec celle de ma famille et/ou de mes proches.
8.
A- Les traditions
et les croyances dans lesquelles j’ai grandi, qu’elles soient religieuses,
athées ou spirituelles, sont importantes pour moi et n’ont pas besoin de
changer.
B-
Les traditions et les croyances dans lesquelles j’ai grandi, qu’elles soient
religieuses, athées ou spirituelles, sont de moins en moins pertinentes pour
exprimer mes orientations actuelles en ces domaines.
Maintenant, pour analyser vos réponses du
point de vue de la psychologie du développement de la foi, il faut procéder au
calcul suivant :
-
Item 1, 2, 7, 8 :
1 point si B sélectionné
0 point si A sélectionné
-
Item 3, 4, 5, 6 :
0 point si B sélectionné
1 point si A sélectionné
Faites la somme de vos points entre 0 et
8.
Dans le tableau qui suit, consultez la
colonne de gauche pour vous situer dans votre développement de la foi.
Inspiré par les travaux de Ken
Wilber, ce tableau synthètise les stades du développement de la foi de Fowler
et Leak avec les stades du développement de la spirale dynamique.
A l’évidence, notre
vision du pari et de l’engagement spirituels en général s’adresse à ceux qui
ont au moins atteint dans leur développement la mentalité moderne. Ceci
correspond à ce que Fowler nomme le stade 4 (>4 points dans l’échelle du
développement de la foi de Gary Leak).
Si vous avez 8 points, soit vous êtes
a priori un bon candidat pour mener
l’aventure spirituelle surmoderne à laquelle nous essayons d’inviter, soit vous
êtes un éventuel aventurier qui œuvre déjà au-delà du deuxième palier des
mentalités.
Quoi qu’il en soit, si l’idée de développer de manière plus authentique
votre foi en la vie vous semble pertinente (quelles que soient vos orientations
religieuses ou philosophiques), nous vous invitons à poursuivre votre lecture.
La suite de notre propos continuera à consolider ces stades à partir et
au-delà du stade moderne de la foi. Si notre pari est juste, un basculement
spirituel de la foi en la vie aura lieu au stade surmoderne. La foi, comme
confiance en la vie, sera non seulement libre des croyances, mais elle prendra
source de plus en plus consciemment à partir de là où la vie nous engendre.
Notre foi en la vie devenue authentique basculera : d'une foi ou d’une
confiance que nous pensions avoir, nous passerions à une foi ou une confiance,
qui, à travers nous, s’ancreraient dans la vie elle-même.
Votre score au test qui précède a évalué le
développement de votre foi. A l’évidence, ce sont les capacités de s’ouvrir, de
raisonner et donc de douter avec discernement, qui, entre autres, sont
déterminantes dans son développement au-delà du stade 4, le stade réflexif. Ces
capacités de s‘ouvrir, de raisonner et de douter avec discernement mettent en
jeu, d’une part, votre capacité à être votre propre autorité et, d’autre part,
votre capacité à davantage devenir ce que vous êtes. La première de ces
capacités détermine notre autonomie (de réflexion rationnelle). La seconde a
trait à ce qui ressort de notre authenticité. Nous avons déjà précédemment
évoqué ces capacités essentielles à notre pari surmoderne mais nous allons les
approfondir ici dans leur rapport à la foi et à la confiance en la vie.
Nous commencerons
par revenir à ce qui peut renforcer l’autonomie (notre capacité à être notre
propre autorité) en matière de foi et de confiance. Vers la fin du chapitre qui
suit, nous considérerons le rapport entre foi, confiance et authenticité en
investiguant la question de l’auteur ultime de l’action.
L’autonomie et l’authenticité sont des
vertus précieuses pour développer psychospirituellement la foi comme confiance
en la vie. La foi, entendue en ce sens, n'est pas le monopole des théistes
religieux. D’ailleurs pour un (poly)théiste, il peut y avoir un décalage entre
son développement cognitif et son développement de la foi. Si, au niveau
cognitif, il est moderne ou postmoderne, au niveau de la foi, il peut avoir
encore des croyances prémodernes à dépasser. Si ce (poly)théiste prend au
sérieux l’identité entre son approche du divin et la vie universelle, il pourra
développer sa foi spirituelle avec plus d’autonomie et plus d’authenticité.
Pour qui que ce soit, la meilleure voie spirituelle reste décidément celle qui
conduit à l'expérience de la vie universelle. Au sein du développement de la
foi, ces vertus que sont l’autonomie et l’authenticité transforment
les spiritualités liées au divin. Nous montrerons
qu’elles ont alors de moins en moins de prétentions exclusivistes sur la vérité
spirituelle. Mais ces vertus transforment aussi les spiritualités issues du
bouddhisme ou de philosophie indienne non dualiste. Elles sont alors de moins
en moins prisonnières de dimensions mythologiques et d’institutions
prémodernes. Nous valorisons une foi spirituelle en la vie purifiée des
croyances pour contribuer à l’émergence d’une culture surmoderne. Dès lors,
tout athée pourra aussi avoir une part considérable dans l’élaboration de cette
culture. Assez authentique, il participera de l’affranchissement de toute
idéologie qui empêche de vivre la vie en plénitude.
POUR ÊTRE A NOUS-MÊME NOTRE PROPRE AUTORITE, DEVELOPPONS LA FACULTE DE L’INTUITION INTELLECTUELLE (LA BUDDHI EN SANSCRIT).
La démarche cognitive moderne nous a
appris à relativiser nos croyances théoriques pour d’abord donner notre
assentiment à des faits. Ceux-ci peuvent conforter une formulation théorique
ou, à l’inverse, l’invalider et nous mener à son renouvellement. Dans le
domaine spirituel, selon nous, il devrait en être de même ; nous devons
apprendre à donner notre assentiment d’abord à des faits plutôt qu’à des
croyances. A plusieurs reprises déjà, par des expérimentations intérieures,
nous avons pointé des faits à l’appui de nos dires. Ceux-ci ne sont pas
réductibles à des faits objectifs observables par tous, que ce soit ou non à
l’aide d’instruments. Ils mettent en jeu les fonctionnements de l’esprit et les
englobent. Nos expérimentations intérieures des sens du toucher, de la vue ou
de la respiration ont montré que nos croyances en une limite séparatrice entre
notre corps, les autres et le monde étaient discutables. Tracer mentalement une
limite entre soi, les autres et le monde ne devrait pas conduire à délaisser la
conscience du seul et même espace de perception où tout
apparait. Nous reviendrons encore sur ce point avec d’autres expérimentations.
L’assentiment aux faits objectifs est parfois difficile quand ils exigent
d’abandonner des croyances. La foi aux faits intérieurs est encore moins facile
pour nous car nos éducations modernes et postmodernes ne nous y préparent
guère. La notion de foi transmise par nos cultures religieuses et même
spirituelles est rarement connectée à une notion de fait.
S’appuyer sur des observations
expérimentales quand on examine ses croyances revient à cultiver le sens d’être
sa propre autorité. Apprendre à distinguer les faits intérieurs pour ne pas les confondre
avec les croyances n’est pas une idée neuve. En développant un assentiment
spécifique à ces faits, nous développons la faculté d’intelligence que le sanskrit appelle buddhi[xii]. Dans la philosophie indienne, ce terme pointe une intelligence au-delà de nos pensées usuelles, la
plupart du temps limitées à notre vie psychocorporelle personnelle. La buddhi
est,
dans de nombreuses formes de cette philosophie, la faculté réflexive capable de
contribuer en nous à l’intuition de la vie universelle[xiii].
Par intuition, il faut entendre ici voir
au lieu de penser, et il faut comprendre « expérimenter » au lieu de
« conjecturer » ou « pressentir »[xiv]. Les expérimentations intérieures que nous avons proposées et que
nous proposons par la suite cultivent ce voir. Par ce va-et-vient entre
expérimentation intérieure et réflexion, nous cultivons précisément la buddhi
et sa compréhension réflexive qui permet le basculement dans l’intuition de
la vie universelle. On retrouve aussi cette faculté dans le bouddhisme. Dans Anguttara
Nikaya, Bouddha nous fait ces mises en garde essentielles pour la cultiver
:
« Ne croyez pas une chose simplement sur des ouï-dire. Ne croyez pas sur
la foi des traditions, du fait qu’elles sont en honneur depuis de nombreuses
générations. Ne croyez pas une chose du fait que l’opinion générale la tient
pour vraie ou que les gens en parlent beaucoup. Ne croyez pas une chose sur le
témoignage de l’un et de l’autre des sages de l’antiquité. Ne croyez pas ce que
vous vous êtes imaginé pensant qu’une Puissance Supérieure vous l’avait révélé.
Ne croyez rien sur la seule autorité de vos maîtres ou des prêtres. Cela seul
que vous aurez vous-mêmes éprouvé, expérimenté et reconnu pour vrai, qui conviendra
à votre bien et à celui des autres, croyez-le et conformez-y votre conduite. »
La culture moderne s’est constituée en valorisant les démarches
scientifiques. Elle prédispose au développement de la buddhi, une réflexion qui
favorise et sert l'intuition des faits intérieurs. Elle invite à questionner
les croyances, les préjugés et les autorités extérieures. Elle nous forme à
interroger les croyances théoriques par des faits expérimentaux.
Nous avons fait ici une analogie entre
assentiment aux faits objectifs et une foi dans des faits intérieurs.
Nous pouvons aussi envisager qu’une foi guidée
par les faits intérieurs s’avère une foi en des forces de conscience de la vie
universelle à servir. Avant d’en avoir une pleine conscience, notre foi en la
vie universelle pourra se sentir intimement liée à notre investissement au
service de valeurs. Notre pari spirituel n’implique-t-il pas déjà que la valeur
infinie de la vie puisse s’expérimenter aussi comme un fait ?
Ce point paraît essentiel pour notre pari et son
aspiration à une culture surmoderne animée par des sciences spirituelles. Nous
ferons un grand pas en faveur de notre pari si nous pouvons établir des liens
entre la valeur infinie de la vie et une évidence de son fait intérieur. La
valeur infinie de la vie suscite les forces et les énergies qui animent sa
manifestation. Certaines mises en relation des valeurs humaines la servent plus
que d’autres. Avant de vous proposer d’expérimenter ce lien, nous allons encore
approfondir la science du développement d’une foi authentique et autonome en la vie. Nous allons
voir comment elle met en jeu le développement de la buddhi fondée sur la
confiance dans des faits intérieurs.
POUR ÊTRE PLUS
AUTHENTIQUE, EPURONS NOS FOIS THEISTES OU DEISTES DE TOUTE CROYANCE QUI ENFERME
ET EXCLUT.
La confiance en la vie comme amour de la vie inclut des voies spirituelles
déistes et théistes. Nous allons voir comment les purifier de croyances
incompatibles avec notre pari surmoderne.
Commençons par distinguer
déisme et théisme. Un déiste a en vue une vie divine sans forme. Il la recherche,
la contemple ou l’incarne sans se soumettre à aucune révélation religieuse. Il
a toute latitude pour modifier ses représentations en fonction de ce qui
s’expérimente ou se manifeste. Un théiste a une démarche fondée sur une représentation
du divin héritée d'une tradition religieuse : il vit au sein d’une
communauté qui s’en veut dépositaire et il avance sur les pas des phares de
cette tradition.
L’amour de la vie
en toute confiance, c’est l’amour de sa diversité et c’est être ouvert au pluralisme
(sur)moderne. Sur un chemin spirituel déiste ou (poly)théiste, l’attrait pour
un divin sans forme ou pour telle(s) forme(s) du divin n’est souvent qu’un
attachement à des représentations mentales. Notre pari surmoderne invite à reconsidérer
ces représentations. Il invite à privilégier celles qui peuvent être
réinterprétées au service d’une ouverture intérieure sensible au
pluralisme. Pour participer à une telle ouverture, ne s’agit-il pas d’être tout
autant ouvert à l’absence de formes qu’à leur diversité ? Inspiré par
Fowler, nous allons considérer le développement de fois théistes et déistes. Il
peut les mener à des fois conjonctives (stade 5), qui sont caractérisées par
leur ouverture aux autres fois. Puis, il peut les transformer en fois
universalisantes (stade 6), qui seront de plus en plus conscientes de
l’« Un innombrable ». Autrement dit, dans la terminologie de la
spirale dynamique, nous allons esquisser le saut vers des fois théistes et
déistes postmodernes puis surmodernes.
1 – Les fois théistes et
déistes peuvent être tentées par le fidéisme.
Face à l'extrême,
on peut admirer une foi aveugle en la vie qui ne s’appuie que sur elle-même
pour lutter jusqu’au bout.
Mais, d’un
côté, il y a la foi d’une personne, qui, comme l’autruche, met la tête dans le
sable pour ne pas affronter le réel. Et d’un autre côté, il y a celle d’une
individualité habitée par une foi nue en la vie en qui le réel est accueilli
tel qu’il est. La foi qui ferme les yeux sur le réel est une croyance fidéiste qui
ne veut croire que par la seule énergie de l’adhésion personnelle. Une telle
foi peut questionner l’ambivalence d’un engagement personnel. Mais elle exclut,
par définition, toute forme d'intelligence de son objet, même si, par ailleurs,
elle argumente contre toute croyance alternative à la sienne. Si une foi s’oppose spirituellement au fait de
demeurer et de croître dans le sens d’être à soi-même sa propre autorité, elle est certainement bloquée dans son
développement faute d'une purification de ses croyances. Ainsi quand les fois spirituelles évoluent vers plus d'autonomie et d'authenticité,
elles s'envisagent selon notre perspective dans un sens profondément non fidéiste[xv]. Une foi sans aucun autre appui que la
conscience de la vie universelle s’appuie, elle, sur l’essence du réel. Le
théisme flirte souvent avec un fidéisme pour lequel croire, c’est être sauvé.
Par exemple, tous les assauts du doute sont jugés comme une menace à l’encontre
de la foi et du salut du croyant. Sous couvert de résister aux doutes, on
résiste à la pression de la raison critique des mentalités modernes. Le
fidéisme se complaît à croire subjectivement et rejettera notre pari spirituel
qui défend une intelligence de l’objet de la foi. Par son fidéisme, un théiste
ne peut pas vivre pleinement le stade réflexif de la foi, le stade 4 dans
l’échelle du développement de la foi de Fowler. Sa réflexion, s’il y a,
s’ingénie à le maintenir aux stades précédents. Seule la traversée d’un doute
réflexif et méthodique nous amène vers le stade réflexif de la foi et ceux qui
suivent. Notre pari veut s’appuyer sur un solide développement cognitif et
affectif de la foi. Grâce à celui-ci nous pourrions atteindre une intelligence
intuitive du fait de la plénitude de la vie et une réalisation mystique de sa valeur
infinie. Ce stade de la foi universalisante, le stade 6 du développement de la
foi selon Fowler et Leak, est encore malheureusement trop souvent ignoré,
condamné et persécuté par l’obscurantisme fidéiste.
2 - Les fois théistes ont des sources prémodernes à purifier.
La purification de la croyance dans le cas d'une
foi en la divinité personnelle est souvent plus délicate pour les fois
théistes. Elles se sont souvent formées en justifiant un ordre social
prémoderne. Les dieux patriarcaux, les hiérarchies angéliques, les dieux vengeurs,
etc. ressemblent à des miroirs idéologiques des préjugés prémodernes. Cependant
cette purification vaut aussi pour une foi dans un absolu impersonnel. Une
telle foi peut sembler moins emprisonnée dans des forteresses mentales mais
elle devrait aussi s'interroger sur la place qu'elle réserve aux autres vivants
et aux personnes d’autres cultures et mentalités. Si elle n’aboutit pas à
l’altruisme élargi, elle reste sans aucun doute prisonnière d'une forme subtile
d'ego-centrisme, qu’il soit individualiste, tribal, ethnocentrique ou
anthropocentrique. Et si elle ignore que l'altruisme ne peut pas aller sans
justice, elle ignore les forces évolutives modernes de liberté, d'égalité et de
fraternité[xvi]. Une foi en la vie impersonnelle peut donc rester prisonnière de
représentations sociales et politiques. Ceci montre l’emprise des limites de la
conscience mentale sur des approches qui se prétendent capables d’une
non-identification aux pensées. S’ouvrir en profondeur à l’autre en accueillant
ses perspectives ouvre une dynamique propre à la foi postmoderne conjonctive
(stade 5).
3 – Les fois théistes et déistes peuvent tomber
dans les impasses d’une foi exclusiviste.
Un théiste ou un
déiste, même s’ils ont atteint le stade réflexif de la foi, peuvent s’enfermer
dans l’idée que seule leur voie serait la plus satisfaisante pour l’humanité. Peut-être un tel théiste ou un tel déiste seront-ils ébranlés quand
ils rencontreront chez un autre une foi admirable mais avec d’autres
représentations de son objet[xvii] ?
Si l’amour est l’essence
du divin, comment peut-il échapper à cette contradiction de l’amour
exclusiviste pour une forme divine ? Un théiste peut dépasser la tentation
prémoderne de s’arrêter à des vérités religieuses qui s’excluraient. Il peut parvenir
à l’idée qu’en suivant authentiquement sa perspective, il arrivera à une
réalité commune à toutes les voies spirituelles. Si l’amour du déiste ou du
théiste pour sa divinité est débordant, il peut commencer à ressentir que
celle-ci agit à travers toutes les autres formes de représentation du divin[xviii]. Dans cet amour, toutes les formes divines sont le chiffre ou le symbole
de leur divinité d’élection. Amoureux de Krishna, en rencontrant la ferveur de
Shiva, le théiste verra Krishna en arrière-plan de Shiva. Si Dieu est amour, un
chrétien, qui transcende son exclusivisme religieux, reconnaîtra le Christ
présent dans toute forme d’amour authentique. Un tel théiste ne serait plus en
train d'affirmer une préférence religieuse contre les autres ; son amour
d’une forme divine lui permettrait de comprendre la valeur de toutes les
autres. Un déiste qui a une divinité sans forme pourrait aussi ressentir sa
présence dans ces formes multiples. L’amour exclusif du théiste ou du déiste
pour leur divinité pourrait évoluer jusqu’à devenir absolument inclusif. Leur
foi deviendrait conjonctive (stade 5), c’est-à-dire ouverte aux autres fois,
puis elle pourrait éventuellement devenir universalisante (stade 6). Cette foi
serait alors une confiance en la vie débordante d’amour. L’amour confiant d’un
tel théiste ou déiste pourrait se percevoir comme un amour sans forme
privilégiée, un amour sans objet, un amour purement gratuit. Dans la jouissance
de lui-même, cet amour serait absolument inclusif. Ainsi, son inclusivité serait
l’aboutissement indissociable du développement de la foi et de l’abandon au simple
fait de la vie. Si cet amour le plus pur est au fond sans forme, toutes les
formes seraient celles qu’il se donne pour surabonder d’amour en les aimant. Le
déiste adhérera volontiers à l’idée d’un divin amour sans forme, mais mettre en
pratique un tel amour exige d’embrasser toutes les formes qu’il se donne. Face
aux impasses de l’amour dues à nos croyances, le seul remède est toujours davantage d’amour[xix].
On peut ainsi
développer une spiritualité liée à l’amour comme vie divine au-delà du
religieux[xx]. A ce niveau, du côté déiste et théiste, l'« Un innombrable » pourrait
être vécu à travers l’amour d’une communion divine de personnes. Et du côté du
matérialiste athée, de façon parallèle, au même niveau, l’« Un
innombrable » pourrait être vécu à travers la joie aimante d’un jeu
impersonnel d'énergies individuelles. Il y aurait là de quoi fonder une unique
fraternité pluraliste surmoderne. Une telle ouverture à l'« Un
innombrable » suggèrerait qu’il existe des chemins spirituels possibles où
une foi spirituelle se libère de toute croyance religieuse. Une telle fraternité
impliquerait par ailleurs qu’une foi spirituelle libre du dogmatisme (car au-delà
du stade 4 réflexif) a aussi du sens sur des voies qui ne sont ni théistes, ni
déistes.
Le théologien et le mystique théiste
opposeront la particularité de leur
tradition religieuse à nos raisonnements qui mettent en cause son intégrité. Pour
entrer dans la discussion des particularités religieuses, nous vous renvoyons à
notre annexe à ce chapitre placé en fin d’ouvrage. Là nous examinons plus en
détail quelques particularismes théologiques ou mystiques. Nous discutons de
réinterprétations qui feraient moins obstacle à une purification de la foi
spirituelle.
LA FACULTE DE L’INTUITION INTELLECTUELLE (LA BUDDHI EN SANSCRIT) PEUT SE DEVELOPPER DANS UNE VIE DE FOI THEISTE OU DEISTE.
Dans la tradition monothéiste, lorsque Jésus
dit par exemple en Jean 1, 39, « Venez et voyez. », on peut comprendre
qu'il invite, lui aussi, à voir plutôt qu’à simplement croire
par ouï dire, imaginer ou penser.
Si on prend au sérieux ce
passage des Evangiles, la spiritualité chrétienne requiert elle-aussi un
équivalent de la buddhi mise en valeur dans les traditions issues de l'Inde.
Ainsi la foi, y compris monothéiste, n'est pas toujours étrangère à cette
intelligence spécifique. Certes la foi demandée est
d’abord une confiance mystique en une relation personnelle avec Dieu, mais elle
entre aussi dans le
processus d'une intelligence[xxi]
croissante de faits
intérieurs. La plupart de ceux qui ont une spiritualité
théiste ou déiste ne vivent pas une expérience directe du divin : ils semblent
avoir une foi bien aveugle et donc au fond fidéiste. Mais à y regarder de plus
près, on doit distinguer divers niveaux d’authenticité des fois théistes ou
déistes. En effet, d'une part, il y a ceux qui s'adressent infantilement à un
ami imaginaire, sur lequel ils projettent leurs croyances religieuses. Mais,
d'autre part, il y a ceux qui essaient de s'adresser à leur figure divine à
travers le courant de la vie qu'ils perçoivent en eux et à l'œuvre autour
d'eux. Leur foi est donc d'abord une confiance radicale dans le fait de la
plénitude de la vie, comme source de valeurs. Elle n’est ni une adhésion rigide
à des dogmes ni une croyance aveugle en des récits aux allures légendaires. Ceux
qui ont ce type de foi n'ont donc pas un catalogue de réponses toutes faites à
proposer, ils tâchent d'être à l'écoute, ils explorent. Leur foi est donc une
fidélité à une liberté créatrice émergeant des profondeurs de la vie.
La foi comme confiance en la présence de la vie
universelle éclaire l’intelligence du tout de cette vie : dans son
éclairage s'expérimente que tout est relié, que tout est opportunité de
transformation spirituelle, etc. En retour, l’intelligence du tout de cette vie
fortifie la foi en cette présence de la vie universelle.
Dans ce cercle, la
distance et la séparation entre le moi et la vie universelle s’amenuisent. La
vie est de plus en plus expérimentée sans aucune séparation jusqu’à ce qu'elle se ressente comme étant aussi le cœur lui-même de
notre individualité. L'intelligence intuitive qui se dévoile dans
ce processus est précisément l'intelligence du tout de la vie :
quand notre individualité accède à plus d’intelligence du processus de la vie,
c’est la vie elle-même qui évolue plus intelligemment au travers de son
individuation en nous. Cette formulation vaut selon nous pour toute forme de
recherche spirituelle. La foi en la vie peut donc ainsi se passer de toute
croyance en une forme révélée de divinité[xxii].
Mais ce cercle vertueux
de la confiance en la vie vaut aussi certainement pour ceux qui identifient la
vie universelle avec une ou des divinités. La notion de divinité personnelle n’est
pas déraisonnable si on considère que l’évolution de l’univers tend à des
individuations de la vie universelle, de plus en plus fines, complexes et conscientes.
La vie en plénitude peut être perçue comme manifestation d'une ou plusieurs
dimensions transpersonnelles[xxiii] de l'absolu. Dès lors, on peut reprendre nos formulations précédentes sur la foi
spirituelle et les réécrire en fonction de ceux qui ont une démarche intérieure
déiste ou (poly)théiste. Cette réécriture consiste à y inclure ce qui concerne
une relation spirituelle personnelle. Dans une telle démarche, la foi signifie confiance en une relation personnelle avec la vie divine et elle
éclaire l’intelligence intuitive ; l’intelligence intuitive en retour
fortifie la foi en cette présence personnelle du divin de plus en plus expérimentée sans aucune
séparation. La vie spirituelle vécue comme relation personnelle est donc vécue
de plus en plus unitivement : l’amour pour le divin et l’amour reçu du
divin se réalisent un seul et même amour, l’amour du[xxiv] divin.
ETRE SA PROPRE AUTORITE REVIENT DONC A UNIR UNE FOI PURIFIEE A UN DOUTE DE
GRANDE TENUE. PAR CE BIAIS LA FACULTE DE L’INTUITION INTELLECTUELLE CROÎTRA.
Développer sa foi
spirituelle et la purifier de ses formes étriquées passe par plus d’amour, un
amour de plus en plus conscient de la vie pour elle-même et pour le vivant, à
travers nous. Beaucoup de voies spirituelles savent ne pas confondre abandon au
divin et déresponsabilisation. Mais à côté de cet axe plutôt mystique, il
nous semble nécessaire d’approfondir un lien entre une foi purifiée et un doute
libéré de toutes formes mesquines. Notre
foi spirituelle doit aussi être purifiée dans son rapport aux faits de
l’intériorité. Pour affermir cette pratique de purification de la foi, nous
pouvons nous ouvrir à un champ plus large que celui des seules spiritualités
religieuses (poly)théistes ou philosophiques déistes. Commençons par un adage
zen[xxv] :
«
Lorsque tu as assez de foi, ton doute est assez
grand. Quand ton doute est assez grand, tu as suffisamment de satori[xxvi].
Toute la connaissance, l’expérience, les
sentences merveilleuses, le sentiment de fierté que tu as accumulés avant ton
étude du zen, tout cela tu dois le jeter par-dessus bord. » [Nous soulignons]
Dans le bouddhisme zen,
le grand doute fonctionne donc de concert avec la foi. Dans le zen, et plus
largement dans le bouddhisme, la foi est une relation individuelle avec un
corps impersonnel d'enseignements autant qu’avec un enseignant censé en manifester
la réalisation. Le grand doute n'est pas contraire à cette foi et cette foi
doit permettre en retour de prendre le risque du grand doute.
La spiritualité
indienne centrée sur la reconnaissance du vrai Soi en nous nous invite aussi à
prendre une telle voie ; Nisargadatta Maharaj par exemple affirme[xxvii]:
« La foi exprimée dans les actions est le moyen sûr de la réalisation. De
tous les moyens, c'est le plus efficace. Il y a des enseignants qui dénient la
valeur de la foi et ne font confiance qu'à la raison. En fait, ce n'est pas la
foi qu'ils dénient, mais les croyances aveugles. La foi n'est pas aveugle :
avoir la foi, c'est accepter d'essayer. »
Dans les relations
qu’implique notre démarche spirituelle (sur)moderne, l’enjeu est de ne pas
s'enfermer dans les croyances. Il y a les croyances projetées dans une relation
avec le divin ; il y a celles qui génèrent l’aura d’un guide ; il y a aussi
celles qui définissent notre relation avec un enseignement ; etc. La
crédulité nous semble évitable. Nous parions que cultiver un doute réfléchi nous
libérera des croyances limitantes et nourrira une foi authentique en la
plénitude de la vie.
A tel niveau de développement individuel ou
collectif, tel type de croyance religieuse ou tel type d’interprétation de
l’expérience spirituelle peuvent être utiles ou avoir été utiles. Il parait inévitable
qu’un chercheur parte de croyances. La croyance est alors
inéluctablement la forme extérieure de la foi. Mais beaucoup, sinon la presque
totalité des croyants religieux et une part des croyants «spirituels», que sont tous les chercheurs de
vie en plénitude, se contentent de croire. Comme nous l’avons déjà vu, les fidéistes religieux prétendent même
qu'il suffit de croire pour être sauvé. Par le biais de ces jugements ils
montrent qu'ils confondent leur croyance avec une
démarche de vérité. Ils oublient qu'une croyance, aussi forte subjectivement qu'elle soit, n'est
qu’une croyance. Seule une validation par des faits objectifs matériels lui
conférerait du crédit. Et bien sûr seule l’expérience de faits intérieurs spirituels en ferait une vérité vécue. Les fidéistes évacuent toute forme de doute
de leurs croyances. Il y
a des doutes effectivement
motivés par les tentations de l'égoïsme. Il y a les doutes dus aux drames de la
vie extérieure. Mais il y a les doutes de la raison critique au service d'un
plus grand discernement intérieur. En évacuant sans discernement tous les
doutes, ils montrent qu'ils ont peu foi dans le nécessaire dépassement de leur
conscience ego-centrique. Paradoxalement, le refus fidéiste du doute peut même
finir par rejeter toute possibilité d’union intérieure au divin dès cette vie.
Ce sont des fanatiques plus ou moins doux extérieurement, mais dont la violence
mentale contre la lumière spirituelle est tout compte fait terrible. Leur
religiosité ne tolère en fait aucune aspiration profonde à l'expérience
spirituelle. Satisfaits qu'ils sont de leurs petits repères mentaux, ils se
ferment à toute ouverture supérieure.
Avant d’aller
plus avant, prenons conscience qu’une position de chercheur spirituel est et
reste celle d’un croyant « spirituel ». Donner son assentiment à un
enseignement spirituel n’est pas l’expérimenter en profondeur indépendamment de
ceux ou de celui qui l’enseignent. Si l’expérience d’un dépassement d’une conscience ego-centrique m'est
inconnue, j’ai tout intérêt à douter de ma compréhension de l’enseignement
auquel je prête foi. J’aurai beau évoquer telle expérience ou impression qui échappent à la vie
routinière quotidienne, cette expérience d'un dépassement de la conscience
ego-centrique me sera inconnue[xxviii]…
Le croyant religieux ou « spirituel » est souvent victime de ce qu'on appelle le
biais de confirmation[xxix]. Pour le définir comme tendance plus ou moins consciente, on peut se
référer à Bacon qui écrit ainsi dans le Novum Organum (1620) :
« Une fois que la compréhension humaine a adopté une opinion [...] elle
aborde toutes les autres choses pour la supporter et soutenir. Et bien qu'il
puisse être trouvé des éléments en nombre ou importance dans l'autre sens, ces
éléments sont encore négligés ou méprisés, ou bien grâce à quelques
distinctions mis de côté ou rejetés. »
Bacon est un de
ceux qui au XVIIème siècle posent les bases de la démarche scientifique
moderne. Selon nous, son propos n’est pas uniquement pertinent pour des
opinions touchant au seul domaine empirique. Les sciences de l’art spirituelles
sont concernées. Ce domaine a cependant ses particularités.
Par exemple, à
propos des biais de confirmation, une mise en garde spécifique est requise. On
peut facilement confondre ceux-là avec le processus de croissance du cercle de
l'intelligence de la foi. Ce n’est pas alors la foi qui
s’éclaire ; ce sont des croyances qui se renforcent à partir de tel indice
aux dépens de tel autre. Un biais de confirmation consiste en une interprétation
souvent discutable de tel fait extérieur ou intérieur jugé favorable à la
croyance. Les bénéfices de la raison critique sont alors ignorés pour le
domaine de la foi. Or une telle ignorance ne fait que maintenir la foi à un
degré prémoderne. Un biais cognitif renforce une croyance mais laisse inchangée
la profondeur intérieure de notre foi. Le témoignage d'une chrétienne charismatique
rapporté par Gérald Bronner est significatif[xxx] :
« Le fait de se laisser guider par le Saint-Esprit peut vous amener [...]
à aller à tel endroit plutôt qu’à tel ou tel autre. […] Je suis dans ma petite
cuisine et je cherche à faire du boulgour. [...] Et impossible de trouver mon
boulgour à l'endroit habituel. Alors finalement j'ouvre le frigidaire, je
commence à tourner en rond dans ma casserole. Et puis au bout d'un moment je
dis : « Oh Jésus, tu sais, c'est vraiment trop compliqué. Alors, viens à mon
secours. C'est pas passionnant, mais enfin quand même ! [...]. » Et à ce
moment-là, si je le verbalise, si je mets des mots, j'entends : « Là. » [...]
Et au milieu des assiettes, j'ai trouvé mon boulgour. Et pour moi, ça a été
euh... Ça a été un moment extraordinaire. Comme une effusion de l'Esprit. »
On pourrait avec
cette chrétienne charismatique voir ici une œuvre de la Providence divine.
D'autres pourraient réécrire ce récit et y voir une synchronicité, c'est-à-dire
une coïncidence significative entre vie intérieure et événements extérieurs.
Mais on peut y voir une simple reconnexion à une mémoire inconsciente d'un
geste passé. Quoi qu'il en soit, ce témoignage est typique d'un biais de
confirmation : ici rien n'entraîne un approfondissement de l'intelligence
de la foi ; il y a juste un renforcement de sa conviction subjective. Ici
un accroissement de l'intensité subjective de son assentiment est confondu avec
une expérimentation directe du divin. Certes la science médicale reconnaît
elle-même que la foi a des effets placebo, la croyance dans le soin et le
soignant crée un bien-être non négligeable. Les fois religieuses peuvent avoir
les vertus d’un placebo et en cela elles ont une vérité. Cependant la médecine
considère aussi qu’il faut promouvoir des médicaments et des pratiques
médicales dont l’effet bénéfique est supérieur à l’effet placebo. Pour nous, foi
aura un effet du même ordre seulement si elle permet une prise de conscience de
la vie universelle. Pour nous, la véritable santé spirituelle commence avec une
telle prise de conscience et, donc, les sciences de l’art spirituelles doivent
y mener. Plus précisément, elles auront à cœur de développer une foi autant
concernée par l’expérience de l’être de la vie que par une participation de
plus en plus consciente à son devenir. Nous sommes encore très loin de ceci avec
des fois religieuses qui se nourrissent de biais de confirmation.
Toute interprétation croyante (et pas seulement consciemment religieuse)
entourant l’expérience spirituelle encourt donc le risque d’être une
demi-vérité faisant obstacle à plus de plénitude et de perfection. N'importe
quelle croyance religieuse ou spirituelle peut devenir une forteresse mentale
où l'aventure intérieure finit par tourner en rond[xxxi]. Même si les croyances religieuses ont pour
cadre moteur la morale[xxxii], la racine ego-centrique ou une étroitesse mentale ne sont que trop rarement abolies, l’union à la source d'amour autocréateur
infini n'est que trop rarement opérée[xxxiii].
On répète à l'envi que
les cultures et les civilisations sont mortelles[xxxiv]. Les religions et les enseignements
spirituels le sont aussi et plus encore s’ils n’évoluent pas avec le devenir de
la vie universelle. Ce qui hier a été une aide peut se transformer bientôt en
obstacle évolutif[xxxv].
De nombreux enseignements
spirituels vivants sont devenus des mouvements religieux où la lumière qu’ils
transmettaient s’est perdue dans la foule ânonnante des croyants. Et cette
dégénérescence peut aller plus loin comme nous l’avons vu précédemment. La croyance religieuse, elle-même, avant de devenir une vieille outre vide
peut se figer en un moralisme apparemment
inoffensif mais satisfait de lui-même. Donc dès lors antispirituel...
Ceux qui font le pari de
la recherche spirituelle, risquent donc fort de se (faire) pièger. Ils sont tentés de rester dans le confort d'une croyance mentale communautaire qu'il ne
faut surtout pas trop déranger. Mais il y a quelques rares croyants religieux dont la foi sert l’expérience
de la vie universelle. Ils font revivre la dimension spirituelle de leur
religion. Ils réactualisent ces héritages culturels prémodernes dans des
mentalités plus ouvertes et inclusives. Ils ne craignent pas de mettre le vin
nouveau de la vie dans des outres neuves[xxxvi].
Toute religion
exclusiviste implique un « nous/eux » : « en pensant ceci, nous
sommes orthodoxes ; si tu penses cela, tu es hérétique ; eux qui
rejettent ceci sont des mécréants ». Toute voie spirituelle délimitée au
nom de son intégrité[xxxvii] risque de se fermer à une réelle spiritualité
du dialogue. Devenant prisonnière d’une forteresse mentale faite
d’énoncés dogmatiques indiscutables, une spiritualité perpétuera ou instituera
une nouvelle forme de religiosité fermée. Bien entendu, tout ceci est une évidence pour beaucoup, à
commencer pour ceux qui, comme nous le disions, ne craignent pas de mettre le
vin nouveau de la vie dans des outres neuves. Un pluralisme fraternel
surmoderne louera ceux qui vont au-delà des chemins explorés collectivement. Il
encouragera chaque aventurier spirituel à défricher son chemin individuel. Nous aspirons à
un pluralisme où la fraternité ne sera pas acquise au
mépris de l’individuation de la vie dans les personnes. Au contraire, en
nourrir la prise de conscience fait gagner plus d’intelligence collective[xxxviii].
Cette aspiration à une unité dans
la multiplicité nous amènera à surmonter tout ce qui lui fait obstacle. La conscience de
l’« Un innombrable » demeure l’objet premier de notre pari spirituel
surmoderne.
LA PURIFICATION DU DOUTE FAIT GRANDIR L’AUTONOMIE ET L’AUTHENTICITE DE NOTRE FOI EN LA VIE.
Le doute est la base du sens critique propre à
la modernité. Une foi (sur)moderne, qu’elle soit religieuse ou philosophique,
maniera le doute.
Le doute méthodologique est une démarche
inhérente aux sciences modernes. Les fois religieuses théistes prémodernes
refusent les doutes. Elles excluent les méthodes scientifiques modernes de leur
champ d’action. Elles insisteront pour y voir une menace de perte de foi. Centrée
sur le doute et la raison critique, la foi en la vie d’un athée sera, elle, une
foi typiquement moderne. Mais on ne peut ignorer les spiritualités théistes
plus modernes qui ont insisté sur une nuit de la foi[xxxix]
nécessaire à sa purification. Le doute le plus radical ne leur est donc pas
étranger.
Comme nous l’avons vu précédemment, dans
le bouddhisme, on affirme aussi un
lien étroit entre le doute et l'éveil à la lumière spirituelle. Un adage
T'Chan qui est à l’origine du zen en donne la mesure :
« Petit doute, petit éveil ; grand doute, grand éveil ; pas de
doute, pas d'éveil. »
Le grand doute
dont il s'agit n'est pas lié à la peur[xl]. Ce n'est pas non plus un jeu intellectuel ou
une joute où il s'agirait d'étriller les thèses d'un autre. Certains d'entre
nous ont d'ailleurs une agilité mentale supérieure à bien des instructeurs
spirituels qui pourtant rayonnent d'une manière d'être qui nous est
intérieurement inconnue. Tester l'instructeur revient aussi à tester la qualité
de son rayonnement. Une inflation de l'ego s’y masquerait-elle ? Des zones
d'ombres inéclairées sont-elles décidément trop inadéquates à ma personne pour
que j’engage en sa compagnie un processus spirituel ? Comment cet instructeur
gère-t-il le respect de notre égale dignité malgré des différences dans nos
avancements spirituels respectifs ? Il arrive que tel enseignant semble nous
consolider dans le sens de notre dignité et que son enseignement ne comporte
aucune humiliation. Au nom d'une nécessaire mise en cause de la position
ego-centrique, il nous demande juste de nous en tenir aux faits intérieurs.
Pourquoi alors ne pas tester authentiquement cet enseignement ? Si vraiment cet
instructeur transmet le cœur de son enseignement sans mettre en jeu la
nécessité d'accorder du crédit à la réalisation spirituelle de sa personne, il nous
appartient à nous seuls de tester son enseignement. Si douter nous retient de suivre
l'expérience proposée, le doute n'est alors que couardise. Le doute authentique
est « l'expression de la Grâce dans une conscience habitée par la croyance.
C'est grâce au doute [authentique] que l'on quitte la dépendance dans la
croyance », nous dit Yvan Amar[xli].
Aiguiser le sens
de sa dignité personnelle et affûter le sens de son autonomie, veut donc aussi
dire douter de ses propres croyances et aussi de ses doutes eux-mêmes pour les
purifier davantage. La foi - ou la confiance - en la vie en ressortira, à
l’occasion, plus réflexive et s’inscrira pleinement dans la dynamique du
meilleur de la mentalité moderne.
Nous allons donc proposer des exercices
spirituels pour renforcer notre autonomie et notre authenticité par le doute.
Avant de vous
confronter à des voies spirituelles ou des enseignants de la spiritualité
contemporaine, vous pouvez déjà développer ce prérequis. Il vous évitera bien
des déconvenues, tout en sachant mieux bénéficier de vos rencontres.
Nous vous
proposons donc maintenant quelques exercices à pratiquer pour explorer ce sens
d'être votre propre autorité, pour fortifier par là-même le sens de votre
propre dignité personnelle et trouver davantage d’authenticité.
Être autonome et authentique est
essentiel. Mais cela ne signifie pas suivre notre humeur ou notre désir. Il
s’agit d’aiguiser notre capacité à distinguer le vrai du faux, à différencier
ce qui sonne juste de ce qui détonne, etc. Il s'agit donc d'être avant tout sincère.
Même si personne n'aime
être mis devant sa misère, être sincère consiste à s'accueillir là où on en
est, tel qu'on est !!! Tel que nous sommes, nous sommes digne d'être
notre propre autorité ! Soyez en sûr, disions-nous déjà précédemment, il n'y a, dans l'instant, aucun malaise au centre
de nous-même. Là où nous pouvons être enfin présent à l'absolu en nous, aucun
obstacle ne pourra entraver notre besoin d’authenticité.
EXPERIENCE DE PENSEE
Un premier exercice spirituel[xlii] axé sur l’examen de nos valorisations
individuelles, suffira à estimer tout le chemin restant à parcourir pour
développer le sens d’être notre propre autorité.
Sommes-nous capable ici et maintenant de douter de tous nos
attachements préférentiels ?
Maître Eckhart, qui a inspiré le courant de la mystique rhénane prie
ainsi son Dieu[xliii] :
« Tant que l’homme conserve encore en lui
un lieu quelconque, il conserve aussi quelque distinction. C’est pourquoi je
prie Dieu de me libérer de Dieu ; car mon être essentiel est au-dessus de Dieu
[…]. »
Si je suis autonome et authentique, je devrai être prêt à me défaire
de tout attachement. Si je tiens davantage à tel attachement qu’à mon autonomie
et qu’à mon authenticité, je suis manipulable et je suis surtout victime
d’adhésion irréfléchie à des représentations, des croyances, des comportements,
etc.
Cependant cette distanciation ne sera pas ici un renoncement.
Il serait peu efficace du point de vue du détachement de se
débarrasser de sa télévision ou de son internet[xliv] pour être sûr de ne plus y être attaché.
Par exemple, être libre de la télévision ou d’internet consiste à être capable
de les quitter si quelque chose l’exige. Être libre des multimédias revient à
être concentré sur autre chose que l’on doit faire, même s’ils sont allumés
parce qu’un autre regarde. Ou encore en être libre, c’est être capable de se
tenir à tel ou tel créneau de temps, à tel ou tel moment, comme on se tient à
ses menus pour la nourriture. Parvenir à une telle liberté pour être notre
propre autorité dans l’usage de la nourriture, de la télévision, d’internet,
etc. n’est pas forcément simple, mais notre aspiration à plus d’autonomie et
d’authenticité peut nous faire progresser.
Mes attachements ne sont pas seulement liés à la valorisation d’un
objet, ce sont aussi des identifications rigides et restrictives. Ce sont donc
des obstacles sérieux à mon authenticité en matière de vérité spirituelle.
Mon autonomie est ce qui demeurera quand aucune dépendance n’aura
prise sur moi. Elle commencera donc à être en pleine possession de ses moyens quand,
en mon centre, je saurai n’être plus rien de défini sinon une lumière
embrassant tout. Mon authenticité l’emportera lorsque mes identifications ne
susciteront plus des revendications identitaires. Autrement dit mon autonomie
et mon authenticité prendront les devants lorsque « je » serai
parfaitement libre des diverses identités de mon « moi ». Ainsi mon
autonomie est là quand la présence à moi-même reste égale quel que soit l’objet
de mon entendement, de ma volonté ou de mon ressenti.
Certains aspects de nos identifications font obstacle au vrai et à
notre authenticité. Ils déforment de leurs préjugés nos perceptions, ils font
échouer nos expérimentations intérieures et ainsi, ils nous empêchent de reconnaître
en nous la vie universelle.
Procédons donc à un « examen de conscience » : quels
attachements peuvent nous rendre manipulable voire nous déterminer dès lors que
nous en sommes trop dépendant ?
Attachements à des biens : et si je perdais
mon toit, si je me retrouvais sans ressource. Si je ne parviens pas à me
représenter même fictivement sans ces biens ne suis-je pas manipulable ?
Les discours de ceux qui promettent réussite ou sécurité ne me
séduisent-ils pas ?
Attachements à des valeurs : et si le dieu
auquel je crois n’existait pas ? Si cette croyance m’empêchait de voir la
vérité ? Si mes valeurs politiques étaient des demi-vérités nocives
socialement ? Si mes valeurs morales contribuaient à une forme de
mal ? Si je ne suis pas capable de prendre une certaine distance vis-à-vis
de mes principes, est-ce que je ne vais pas sacrifier ma véritable autorité à
des préjugés ou des autorités extérieures ?
Attachements à des personnes, à des relations : mes parents, mes
enfants, mon couple, etc. Quand je suis seul, pourquoi me laisser emporter
émotionnellement par la pensée de mes relations ? Pourquoi craindre les
frictions qui sont nécessaires à ces relations ? Puis-je être capable
d’assumer ma propre autorité lorsqu’elle exige de changer le sens de ces
relations ?
Attachements à mon corps, à une certaine image sociale de
moi-même : et si je me ridiculisais en public ? Si je perdais mes cheveux,
si mon sexe ne fonctionnait plus ou changeait ? Si mon cerveau suite à un
disfonctionnement perdait le souvenir des noms propres ? Si tout ce que je
sais s’évanouissait de ma mémoire ? ... Quand je suis prisonnier
d’une image de moi-même ou d’une quelconque identité, qu’elle soit corporelle
ou sociale, je m’accroche à elles au mépris des faits. Ces identifications me
déterminent et je ne peux pas être authentiquement ma propre autorité[xlv].
Être sa propre autorité ne consiste donc pas non plus à jeter le bébé
avec l’eau du bain, dès qu’on trouve une critique à faire. Se détacher n’est
pas rejeter. Sinon être sa propre autorité serait un prétexte d’auto-détestation pour l’ego puisque nous ne sommes jamais
parfaits. Se détester, se mépriser, se culpabiliser
d’être ce qu’on est, et tout autre « sentiment » de soi de cet acabit, sont
plutôt des manières désagréables, mais fiables, de laisser l'ego au centre. Une autre façon de jeter le bébé avec l'eau du
bain et qui peut très bien fonctionner avec les précédentes est de toujours ronchonner contre les profiteurs
de tout poil, y compris ceux qui se baptisent eux-mêmes spirituels. Et ainsi
être sa propre autorité serait une stratégie subtile de parier sur une vie ego-centrique, assumée façon misanthrope
cynique rêvant d’humanité, sans jamais la chercher en soi. Mais quand notre
amour a été blessé, il est souvent difficile de penser que, pour y remédier, il
faut encore davantage d’amour[xlvi]. Se détacher, se libérer ne consistent
pas à moins aimer. Être sa propre autorité et avoir le sens de sa propre dignité consiste à repérer le bébé innocent,
l’innocence première de notre véritable nature dans l’eau sale du bain de notre
vie intérieure. Il s’agit de l’en sortir, d’en prendre soin et de la cultiver, elle qui ne demande qu’à grandir en nous. L'innocence, dont il est question, ne doit plus se confondre avec de la naïveté. Elle peut être découverte par un
doute de qualité qui restaure la capacité enfantine de s’étonner. Mais elle
sera émancipée de toute naïveté infantile, qui nous fait adhérer encore, sans y
penser, à des réponses toutes faites sur ce qu’est la vie ou sur ce que nous
sommes nous-mêmes.
Maître Takesui, un représentant du bouddhisme zen japonais du 17ème
siècle, précise en ce sens l’attitude caractéristique du grand doute :
« Il vous faut douter profondément, encore
et encore, en vous demandant ce que peut bien être le sujet dans l’audition.
Ne prêtez pas garde aux différentes pensées et idées illusoires qui peuvent
vous venir. Contentez-vous de douter de plus en plus profondément, en
rassemblant en vous-même toute la force qui s’y trouve, sans viser de but ou
vous attendre à quoi que ce soit, sans vouloir être illuminé, et sans même
vouloir ne pas vouloir l’être. Devenez tel un enfant en votre cœur. »[xlvii]
L’exercice du
doute méthodique de qualité, le « grand doute », a un intérêt spirituel majeur.
En Occident, le courant sceptique initié par Pyrrhon a su, le mieux, le montrer[xlviii].
Toutefois des enseignants bouddhistes, lorsqu’ils évoquent la vertu du doute, évoquent
aussi des pratiques de méditation. Nous allons donner quelques éléments pour
appréhender en quoi la pratique du doute et celles de la méditation convergent
pour renforcer notre autonomie. Ensuite, nous mènerons une expérimentation intérieure
de méditation de pleine conscience laïque qui, nous l’espérons, fera croître
votre sens d’être à vous-même votre propre autorité.
Une pratique du
doute méthodique, appliquée à des croyances et à des doutes mesquins, peut en
dévoiler les demi-vérités. Elle peut nous retenir d’en cautionner les troubles
émotionnels. Ce doute méthodique, appliqué systématiquement, peut aboutir à
l’absence de toute conclusion sur ce qui paraît dans la conscience. Sous le nom
de suspension du jugement ou de mise entre parenthèses de ce qui apparaît, il
est une étape cruciale dans la démarche sceptique développée par Pyrrhon. C’est
aussi, en tant qu’état, un des aboutissements espérés par les pratiques de
méditation. Nous avons ici une convergence indéniable entre doute méthodique et
pratiques de méditation.
Les techniques de
méditation, issues des spiritualités indiennes et bouddhiques, visent,
elles-aussi, une mise entre parenthèses de toutes nos pensées, affects et
sensations. Cependant elles peuvent s’avérer un raccourci pour opérer cette suspension
de nos jugements. Certaines de ces techniques peuvent être pratiquées en dehors
de tout cadre religieux, ce qui les détache vraiment de toute croyance. Elles
sont alors tout à fait efficaces pour mettre entre parenthèses, non seulement
les pensées, mais aussi les émotions, les désirs et les sensations. La
méditation n’est pas un exercice mental comme peut l’être, au premier abord,
l’exercice méthodique du doute. Originellement, elle est l’expression d’une
expérimentation intérieure. Celle-ci peut découvrir cependant une dimension
intérieure qui produit un état mental visé par le doute méthodique. En effet, la
méditation donne accès à un état de conscience où se produit une totale
suspension de toutes les identifications liées à quoi que ce soit qui apparait.
Cette dimension intérieure est aussi intrinsèque à la découverte d’un silence
intérieur préexistant. C’est sa présence qui effectue, par nature, cette mise
entre parenthèses bienveillante de tout ce qui apparaît. Cette découverte est
certainement un des aboutissements les plus précieux des pratiques de
méditation. Dans le scepticisme issu de Pyrrhon, ce silence qui accomplit la
suspension des jugements est aussi l’aboutissement de la pratique. Car,
au-delà, le basculement dans une paix intérieure immuable ne dépendrait
absolument pas d’une pratique : ce serait un surgissement sans cause,
comme une grâce. Là encore, avec cette ultime description, il y a une
convergence avec les pratiques méditatives spirituelles qui parlent de l’éveil
d’une réalité intérieure étrangère à tout effort d’un ego.
Pour mieux
comprendre cette convergence, nous vous proposons de passer à l’expérimentation
d’une pratique méditative laïque.
EXPERIMENTATION INTERIEURE
Cette expérimentation s’inscrit dans une
pratique laïque de la méditation de pleine conscience. La pratique popularisée
par Jon Kabat-Zinn a été validée scientifiquement pour ses bénéfices suite à un
épisode de dépression[xlix] ou plus généralement face aux stress. La pratique présentée ici est
aussi de plus, et avant tout, une expérimentation d’ordre spirituel. ElIe a pour objet de prendre conscience de là où
nous en sommes de notre autonomie, c’est-à-dire du sens
d’être à nous-même notre propre autorité. Elle vise, en même temps, à en faciliter le développement. Celui-ci fera alors, selon nous, un terrain propice à
l’authenticité.
Cette
expérimentation de méditation en pleine conscience prolonge notre expérimentation
intérieure 2 qui nous demandait d’investiguer le vécu de notre respiration. Menons,
si vous le voulez bien, ce premier exercice spirituel de
méditation guidée suivant[L] :
Asseyons-nous de façon ni avachie, ni
rigide. Dans un premier temps, focalisons-nous d’abord sur la présence de notre
respiration. Laissons-nous respirer sans rien faire d’autre qu’être présent à
cette respiration. Sentons la présence de l’inspiration de l’air, sentons son
expiration ainsi que le petit intervalle entre la fin de l’expiration et le début
de l’inspiration[li]. Essayons de percevoir cette succession sans la modifier.
Focalisons-nous sur le fait de trouver comme une présence neutre à notre
respiration : cherchons d'où l’observer sans intervenir sur son amplitude
ou son rythme.
Dans un deuxième temps, tout en demeurant
en présence neutre à notre respiration, soyons aussi en présence neutre à tout
ce qui apparaît. Découvrons que la présence neutre à notre respiration est au
fond une présence où tout apparaît. Nous laissant être dans cette présence,
nous resterons intérieurement en retrait de ce que nous pensons et ressentons.
Si cela échoue, revenons simplement à
notre respiration et à la présence à tout ce qui apparaît.
Pratiquant cet exercice en débutant, je
reconnais rapidement que mes pensées ne peuvent s’empêcher d’intervenir sur mon
rythme et mon intensité respiratoire. Il m’est très difficile de demeurer un
simple et pur observateur d’une respiration naturelle. Suis-je bien le maître
dans la maison de mes pensées ?
Si je reprends cet exercice avec
confiance, je vais mieux parvenir à percevoir non pas comme un observateur
neutre de ma respiration naturelle mais une pure présence à la respiration. Il
ne s’agit pas d’être l’observateur de sa respiration ; j’ai à prendre note
que j’apparais moi aussi dans l’espace de présence où prend place le
va-et-vient de ma respiration. A partir de là, attentif à la pure présence de la
respiration naturelle, peut s’observer tout ce qui apparaît dans l’esprit. Tant
que nous restons attentif à la respiration en ce sens, nous ne nous laisserons
plus focalisé entièrement sur une pensée, une émotion, un désir ou n’importe
quelle chose jusqu’à devenir inconscient de toute autre réalité. Attentif à ne
pas perdre en arrière-plan la présence à la respiration, la présence aux
pensées voire aux émotions et aux sensations inclura bienveillance et
détachement. On a ici une explicitation concrète et pratique de ce que peut
être une mise entre parenthèses des phénomènes de la conscience. Il s’agit d’une
présence égale et détachée à ce qui apparaît.
Malgré un peu de pratique, à nouveau, je
devrai admettre une désillusion au sujet de mon autonomie. Mon autorité dans la
maison de mes pensées n’est pas garantie. Je dois constater que mes pensées
s’enchaînent et que pris dans leur fil, je ne pense plus à prendre du recul. Ma
respiration aura été perdue de vue ; la perception à partir de laquelle
j’entendais découvrir une pure présence aux pensées s’est évanouie. Je suis
emporté par mes pensées et elles suscitent une atmosphère émotionnelle
indépendamment du sens de ma propre autorité.
Freud remarquait déjà que le moi
n’est pas maître dans sa maison. La méditation
nous amène à ce constat qui ébranle la surestimation de notre ego.
Mais ne perdons pas de vue que la méditation de pleine conscience est
aussi un exercice de croissance du sens d’être notre propre autorité. Car si nous réitérons cet exercice, nous
percevrons de plus en plus une pure présence aux phénomènes de notre esprit. Cette
présence silencieuse est un détachement sans mépris, une ouverture équanime et
bienveillante à tous les phénomènes de notre esprit. Une telle expérimentation
pratiquée en profondeur peut mener à réaliser que le fond de la présence à ce
qui apparaît est un silence intérieur. Il se révèle être une présence immuable dans
laquelle prend place le bruissement de l’existence. Ce silence peut se
découvrir être à la source de la présence même de tout ce qui apparaît.
NOS CROYANCES, MÊMES ATHEES, PEUVENT AVEUGLER NOTRE SENS CRITIQUE. NOTRE CONFIANCE EN LA VIE CROÎTRA EN SE LIBERANT DE CERTAINES REPRESENTATIONS.
Nous avons déjà affirmé qu'il y a des voies
spirituelles solides qui ne nécessitent pas de renoncer à un point de vue
athée.
On peut le comprendre à
la lumière de ce qui précède : pratiquant le doute méthodique, il est
bienvenu spirituellement d’être agnostique en théorie et athée en pratique[lii].
Le doute me fait renoncer à toute prétention de posséder la vérité : je
suis agnostique en théorie. En pratique, je peux me comporter en athée qui
refuse toute adhésion religieuse dogmatique et qui reste étranger à toute forme
de foi déiste. Cette position ne m’empêche pas de développer une confiance en
la vie car, instruit par le doute, je peux affirmer que toute conclusion
nihiliste est dogmatique. L’absence de conclusion prônée par le doute donne de
la valeur à toute forme de vie. Pour celui qui est agnostique en théorie et athée
en pratique, l’ouverture intérieure propre à la vie universelle n'est pas un
prétexte pour minimiser les formes de vie manifestées. Enracinée dans
l'ouverture intérieure à tout ce qui est, la confiance agnostique en la vie
universelle se prolonge en un courage d'être athée. Celui-ci permet de ne pas
se résigner devant la fragilité des manifestations de la vie jusqu’à abandonner
toute idée de perfectionnement. Et en effet, l'expérience du sublime n'évacue
pas forcément la lutte contre l'injustice sociale. La beauté d’ensemble d’une
ville vue d’un promontoire ne rend pas négligeable la misère qui demeure entre
ses murs. Pour le dire dans un vocabulaire bouddhiste, la vie pure réalisée
comme vacuité n'amoindrit pas les problématiques altruistes. L’athée en
pratique, quel que soit son vécu spirituel, s’il est fidèle à sa perspective,
n’est jamais tenté d’imaginer le secours d’une quelconque forme de divin. Pour
lui, aucune forme de divin ne fait office d’échappatoire aux événements
négatifs ou de bouche-trou face aux tentations nihilistes. Il ne s’enfermera
jamais dans un scénario où une forme de salut demeure accessible pour des élus,
malgré l'échec jugé inévitable de l'humanité et de la vie terrestre.
Notre part athée ou agnostique[liii] qui doute de toute croyance religieuse n’est cependant pas non plus
à l'abri de se satisfaire de positions mentales ininterrogées[liv].
Dans nos pays européens
et francophones où les positions athées et agnostiques sont assez bien
protégées, relativement soutenues et encouragées, nous pourrions prendre le
risque de davantage de raison critique.
Nous devons à l’athéisme libertaire, dont
la France est un des hauts lieux, une rupture salutaire avec l’autoritarisme
prémoderne politique et religieux. Mais derrière les combats
libertaires pour la tolérance et l’affirmation d’un pluralisme antiautoritaire,
il y a aussi certaines formes d'athéismes ou d'agnosticismes[lv] bien peu ouverts d'esprit. Ceux qui les véhiculent sont capables d’alliances de circonstances avec des membres des religions traditionnelles. Ensemble, ils veulent
contrer ce qu'ils estiment la pensée extrême ou le « sectarisme » religieux des nouvelles spiritualités[lvi]. Ainsi quand la science démontre les bienfaits de la méditation de
pleine conscience d’origine bouddhiste, nous voici, peut-être engoncé dans nos
idées, gêné dans notre athéisme ou notre agnosticisme. Imaginons notre embarras
voire notre résistance quand la science du cerveau tend à montrer les bienfaits
de l'oraison issue de la tradition spirituelle chrétienne[lvii]. Au fond, quand, athée, nous mettons dans un même panier des choses à
jeter, étroitesses mentales de la religion et ouvertures intérieures de la
spiritualité[lviii], nous sommes nous-même un croyant dogmatique. Notre athéisme
« bon teint » peut se contracter et se montrer sous un jour bien peu
ouvert et libertaire face à des aventures spirituelles collectives nouvelles.
Il cherche l'eau sale, la trouve (car il y en a toujours) et risque fort de
jeter le bébé avec l'eau du bain... Agnostique en théorie et athée en pratique,
nous voulons ici devenir un authentique libertaire, ouvert d'esprit, qui se
méfie de toutes les clôtures dogmatiques. Il y a celles qui reconduisent à des
idéologies religieuses. Il y a celles qui conduisent à des idéologies
politiques liberticides au nom d’un matérialisme scientifique. Car agnostique
en théorie, nous n’ignorons pas non plus que le matérialisme, lui-même, reste
une croyance. Le matérialisme est certes un postulat métaphysique utile aux
sciences mais il n’en demeure pas moins un paradigme discutable, amendable et
modulable. Attaché à la démarche scientifique et à ses apports, chercheur et
aventurier spirituel libertaire, nous cherchons donc d’abord à être sans
préjugé pour explorer le fait de l'intériorité[lix].
Dans le contexte
de notre pari qui écarte tout renoncement à la vie, nous pouvons être un athée
ou un agnostique, qui veut vivre la vie en plénitude. Nous ne devrions pas
ignorer alors que notre confiance en la vie, même impersonnelle, peut rester une
foi teintée de croyances. Seule l’expérience spirituelle directe d’une vie
impersonnelle auto-organisatrice, en arrière-plan de toute vie individuelle,
pourra rendre nos croyances moins arbitraires[lx]. Mais la foi en la raison critique, elle-même,
interdit de conclure quant à l'exhaustivité de tout ce qui est réalisé
spirituellement. Elle apprend à se méfier des demi-vérités confondues avec une
vérité ultime. Elle sait rester ouverte. Qui sait si une dimension
impersonnelle de la réalité absolue n’ouvrirait pas ultimement à d’autres
dimensions absolues ? Et parmi elles, par exemple, qu’est-ce qui exclut la possibilité de
certaines liées à l’existence des personnes ? Douter à tort et à travers
pour étouffer le monde des possibles est sans objet[lxi].
Il est vrai que la raison critique use d'un doute méthodique pour prêter foi à
des théories mentales testables et s’appuyer sur des faits vérifiables.
Cependant elle se cultive aussi pour ne pas s’enfermer dans un système mental rigidement
clos. Affirmer quelque chose impossible, n’est-ce pas dogmatique ?
La raison critique ne nous enfermera donc pas forcément
dans le pari d’une spiritualité uniquement athée et agnostique[lxii]. Nous pouvons apprendre à voir la conjonction postmoderne de notre
confiance en la vie avec d’autres formes de foi. Ceci est caractéristique du
stade de la foi conjonctive selon Fowler. Toutefois, on peut puiser dans la
démarche spirituelle athée et agnostique une forme vraiment authentique de
confiance absolue en la vie. Ceci portera vraiment le stade réflexif et moderne
de la foi à son summum. Nous pensons que le plein développement de la foi
au-delà de ce stade nécessite d’intégrer un moment, ou une dimension, athée et
agnostique de confiance en la vie. Le devenir de l'univers se joue à travers nous, ici et maintenant,
chacun de nous est l'œil de l'univers, ses bras, ses mains. La vie universelle
passe par nous pour se perfectionner. Elle cherche à incarner sa plénitude à
travers nous, insistera, à juste titre, le spirituel athée en pratique et
agnostique en théorie.
Quand nous étions enfant, une confiance
originaire en la vie universelle nous habitait. Renouons avec elle !
Pour beaucoup, enfants, nous nous vivions le plus
souvent dans un état d’esprit spontané de confiance en la vie au moment présent.
Nulle croyance ne venait s’y greffer. En grandissant, nous avons intégré des
systèmes de croyances qui l’ont brouillée. Et surtout, des mauvais coups ont
occasionné des jugements qui l’ont émoussée. Certains d’entre nous ont nourris
des appréhensions qui ont eu raison, ou presque, de cette forme originaire de
la confiance en la vie. Nous n’avons plus alors que les béquilles de la
croyance pour avancer malgré notre défiance dans la vie.
Pour Erik H. Erikson et,
à sa suite, Fowler, cette foi originaire non verbale du tout petit enfant est
le stade de base de la foi[lxiii]. Quand nous voyons un enfant, animé par cette foi, vivre tout ouvert à la vie, nos tentations nihilistes deviennent moins
fortes. Notre défiance en la vie peut, certes, reprendre le dessus en évoquant
l’ignorance de l’enfant. Les vieilles béquilles de la croyance avec leurs
petits et grands espoirs bien pesés semblent donner le sentiment d’être plus
raisonnable que l’enfant. Mais pour un moment, un mouvement spontané de confiance en la vie aura relégué notre
défiance en arrière-plan. Bien sûr, comme tout le monde, une certaine confiance dans nos relations avec les
autres et le monde reste à notre portée. Cependant, sauf exception, pour faire
confiance, il nous faut un moment de réflexion, il nous faut du temps pour
réactiver une émotion positive ou un acte de volonté. Tout délai est inconnu à
la confiance originaire de l’enfance qui est un abandon immédiat entre les
mains de la vie. Notre réflexion prend
du temps pour qu’à l’aide de croyances qui nous redonnent un peu d’espoir, la
balance entre confiance et défiance penche davantage vers la confiance.
Cependant ceci signifie que le mouvement de défiance persiste. Il est la racine
première de nos tentations nihilistes. Même si la défiance a peu d’ampleur, l’émotion
doit face à ce sentiment contraire. A cause d’elle, la volonté reste divisée ;
la part qui va vers la
confiance n’est jamais sure de l’emporter. Parfois, le fil de la confiance devient
si mince que, pour ne pas succomber au désespoir ou ne pas vivre replier complètement
sur nous-même, de l’aide est nécessaire. L’aventure spirituelle, elle, s’appuie
sur un socle de confiance qui se trouve dans la plénitude de la vie au moment
présent.
Certes beaucoup d’entre
nous peuvent estimer que la vie leur a porté des coups qui justifient leur défiance.
Le risque reste cependant de laisser celle-ci se nourrir de représentations hors
contexte. Les émotions liées aux blessures passées qui réinvestissent le
présent pourraient peut-être être dénouées. L’amour du drame et la défiance ont
partie liée. Nous sommes prompts aux généralisations abusives. Nous jugeons la
vie trop peu fiable pour participer à son jeu évolutif parce que nous la
jugeons trop imparfaite en l’état. L’incohérence est manifeste : on
dénonce le caractère perfectible de la vie pour rejeter sa dimension évolutive
alors que si la vie était parfaite, évoluer n’aurait aucun sens. Même ceux qui
pensent avoir été épargné du pire ne résistent pas à la tentation de se défier
de l’existence. Il leur suffit d’ajouter au poids de leurs petites blessures
présentes et passées celui de toutes ces enfances blessées et de toute cette
humanité qui souffre et geint un peu partout. Les bons sentiments sont soigneusement
mis en avant pour mieux faire passer en contrebande l’amour du drame. Avec Paul
Tillich, avouons que notre volonté elle-même joue un rôle non négligeable dans
la défiance, puisque « [m]ême dans l'état de désespoir, on a toujours
assez d'être pour rendre le désespoir possible. »[lxiv]. Cet être de la vie, aussi fragile nous
paraît-il, nous ramène devant une décision, ici et maintenant. Si nous aspirons
réellement à une vie en plénitude qui ne prolonge pas l’imperfection du cours
ordinaire de la vie, il ne s’agit pas de se décider à nourrir un peu d’espoir
pour supporter le désespoir jusqu’à demain. Ici et maintenant, il s’agit de nous
décider ou non en faveur de l'être, à l’encontre du non être qui se propose. La
douleur, la souffrance et le drame auront-ils le dernier mot ? Si la
spiritualité d'une vie vécue en plénitude n'est pas illusoire, paix, joie et
amour ne sont-ils pas à notre portée en toute circonstance ? Il nous faut aussi
apprendre à douter de notre défiance : ne nous empêcherait-elle pas
l’accès à une confiance originaire ancrée en la plénitude de la vie-même ? La
défiance qui a grandi en l’enfant et en l’adolescent dépendait des
circonstances de son développement psychospirituel. La défiance se nourrit de
failles intellectuelles, de ressorts émotionnels malencontreux et de faiblesses
de l’acte volontaire. Si notre pari est fondé, la vie en sa plénitude n’est
enfermée et limitée par aucune des circonstances.
La foi est donc déformée lorsqu’elle est
conçue d'une façon uniquement centrée sur l’ego, vu comme auteur exclusif de sa
foi. La foi de l’ego n’existe pas sans croyances mentales. Elle ne va pas sans
aléas émotionnels. Elle se perpétue dans une lutte de la volonté avec
elle-même. Immanquablement l’ego est prisonnier du temps pour rétablir sa foi
et sa confiance face à ses mouvements de défiance. Il privilégie forcément
telle faculté plus qu’une autre. Sa foi et sa confiance sont alors réduites
soit d’abord à une connaissance, soit d’abord à un acte volontaire, soit
d’abord à un sentiment. Ceci peut aboutir respectivement à un intellectualisme,
un moralisme ou un sentimentalisme[lxv]. Spirituellement, on privilégie telle philosophie, on ne jure que par
la consécration à telle œuvre ou on s’enflamme pour telle dévotion. Une faculté
cultivée aux dépens des autres fait manquer à la foi sa profondeur
existentielle. La foi, comprise comme ce qui nous tient authentiquement à cœur
transcende et englobe intellect, volonté et sentiment. La foi originaire de
l’enfant est en son cœur un acte psychocorporel de la vie. Chez les tous
petits, elle est éminemment de cet ordre vu qu’intellect, émotions et volonté
sont rudimentaires.
Nous revoici au faîte d’une spiritualité
entendue comme vie vécue en plénitude. Plus notre foi et notre confiance en la
vie seront authentiques, plus leur mouvement prendra racine au fond de
nous-mêmes (le cœur donc) là où la vie universelle engendre notre vie
individuelle[lxvi]. Une foi ou une confiance, spirituelles, autonomes et authentiques,
se déploieront quand leur mouvement amènera notre vie personnelle à s’ouvrir à
l’expérience directe de la vie universelle. A vrai dire, cette expérience
s’éprouvera de plus en plus nettement comme celle que fait la vie universelle à
travers nous, y compris à travers notre histoire. Le mouvement de la foi, comme
confiance en la vie, vise ainsi un acte de participation à un devenir de la vie
universelle. Et, reprécisons-le encore une fois, cet acte lui-même prend racine
dans la conscience de la vie universelle comme fait intérieur.
Notre pari spirituel
affirme que la confiance originaire en la vie, qui prend son élan dans la vie
elle-même, peut retrouver l’absence de défiance propre à l’innocence
psychocorporelle de l’enfance. La science spirituelle met en jeu une science de
la foi en la vie. Nous voyons bien que la joie de l’enfant unit confiance
originaire en la vie et l’amour de la vie, pour elle-même, à travers son être
psychocorporel. Il s’agit d’y revenir à travers une nouvelle amplitude
psychologique et socio-culturelle qui n’aura plus rien d’infantile. Le
développement de la buddhi intervient ici. Comme réflexion favorisant une
intuition de la vie universelle, celle-ci donnera à la foi originaire la
capacité de surmonter les obstacles psychospirituels qui, chez l’enfant que
nous avons été, ont plus ou moins semé la défiance. Une buddhi mature et une
confiance spirituelle en la vie, authentique et autonome, appuieront une
participation immédiate à la vie avec de plus en plus de conscience. Ceci confirmera une des clés que nous avons donné au début de ce
chapitre sur la foi spirituelle : elle est une aptitude à « prendre le risque,
malgré tout, de laisser émerger des prises de conscience ».
C’est d’abord dans une démarche agnostique
en théorie et athée en pratique que chacun devrait forger une confiance
réaliste et adulte en la vie, du sein même de la vie. Les croyances imaginaires
mêmes sacralisées et portées par des autorités traditionnelles ne sont pas d’un
grand secours. Christophe Massin nous en précise le portrait[lxvii] :
«
· Fais confiance à la confiance ! Lâche la crispation qui veut
obtenir un résultat.
· Cette confiance demande le courage de ne plus te raccrocher à quoi que
ce soit pour te rassurer. L'évidence la plus fondamentale, c'est l'incertitude
quant au devenir. […]
· La confiance ne veut rien de spécial, ne cherche pas à se rassurer,
elle se contente de regarder avec pénétration et clairvoyance. Sa bienveillance
embrasse la situation dans son ensemble.
· Quand l'ego abdique de ses préférences et ne cherche plus à diriger,
tu es avec, tu participes au mouvement de la vie, sans restriction. Le
processus de la confiance peut œuvrer sans entrave puisque tu n'interfères
plus. »
Un processus de confiance qui œuvre
par-delà de l’ego est une forme de foi en la vie produite par la vie elle-même.
Le mot confiance est ici utilisé, dans une acception qui est plus commune pour
la foi. Plus tôt, nous avions déjà suggéré que le mot foi pouvait désigner
un processus qui saisit l'ego alors que la confiance est usuellement un acte de
l'ego. Ici un processus de confiance s’impose à l’ego et le dessaisit de sa
volonté d’être aux commandes de la vie. Parler de processus de foi ferait
peut-être moins violence à la langue. Mais nous avons déjà pointé les avantages
et les inconvénients respectifs du mot foi ou du mot confiance. Nous avons vu
leur complémentarité. Le point qui fait véritablement problème ici est de
reconnaître, ou non, le fait de la vie, de voir le mouvement de la vie
et non de le penser.
Car
comment pourrions-nous abolir la défiance de notre ego et ainsi entrer dans un
processus de confiance par-delà l'ego, si l'évidence majeure de la vie
universelle manque dans notre paysage ? Comment une vague qui n'a pas
conscience de l'océan pourrait-elle se faire une idée juste de la vie ? Elle
verrait le rivage, elle y verrait les traces de cet océan, elle baserait sa
confiance sur son interprétation de ces traces. Comme pour cette vague inconsciente
de l'océan, notre jugement sur la vie est basé sur des événements, leur
interprétation et non sur la conscience de la vie, ici et maintenant. Comme
cette vague ignorante de l'océan face au rivage, nous pouvons parfois
pressentir, face aux événements, la puissance de la vie. Mais la plupart du
temps, comme cette vague, nous ne voyons souvent autour de nous qu'un désert
sans vie. Comme elle, nous sommes inconscients de la grande rumeur océanique de
la vie ; nous sommes inconscient de cette toute puissance vivante dont
nous ne sommes que l'onde. Nous ne voyons autour de nous que des vagues,
s'écrasant sur ce rivage du temps et y laissant qu'une trace insignifiante. Et
pour beaucoup, nous nous laissons aller à dire que c'est là tout ce que la vie
peut offrir. Nous proclamons l'absurdité de la vie en oubliant que l'essentiel
de son paysage nous fait défaut. Bien sûr, il y a des vagues qui ont marqué le
rivage de leur empreinte. Certaines ont même changé durablement le sens de ce
paysage. Mais il y a tant de vagues qui disparaissent avant même d'atteindre ce
rivage. Tant que, comme cette vague,
nous ne serons pas conscient directement de l'océan de la vie, nous ne
ressentirons pas cette force capable de refaçonner entièrement le rivage, d'en
redessiner entièrement les contours dans une configuration qui échappe à toute
spéculation. Autrement dit, tant que nous ne vivrons pas consciemment à partir
de la vie universelle, nous passerons à côté de sa force évolutive, nos petits
doutes limiteront l’étendue de ses possibles. Immanquablement, la confiance et
la défiance en la vie se colorera d'abord de ce qui nous arrive, à nous, tout
particulièrement. Notre jugement sur la vie varie au fil de nos vécus, mais la
vie ne se réduit à aucun de nos vécus, comme l’océan ne se réduit à aucune de
ses vagues ou aucune de ses traces sur le rivage… Limitée à une conscience
ego-centrique, notre confiance en la vie sera inévitablement teintée de
défiance. Une confiance authentique en la vie doit être relative à une
conscience directe de la vie universelle et non à ses manifestations, à
commencer par celles qui nous concernent. La seule considération ego-centrique
des manifestations de la vie nous donnera toujours autant de raisons d'avoir
confiance en la vie que de nous en défier. Pour vraiment jouer authentiquement
le jeu de la confiance ou non, nous devons voir tout le paysage de
l’existence, y compris la vie universelle qui l’englobe, et non le penser.
Une expérience d'ouverture spirituelle à la vie universelle est nécessaire pour
rompre avec une confiance et une défiance fondées sur des croyances et des
interprétations propres à une conscience ego-centrique.
NOTES :
[i]. Pour creuser cette reconnaissance d’un mouvement de foi commun à toutes les spiritualités religieuses, on peut lire Wilfred Cantwell Smith, Faith and Belief: The Difference Between Them, Oneworld Oxford, 1998 ou John Hick, God and the Universe of Faiths, Oneworld Oxford, 1993.
[ii]. Yvan
Amar, Les nourritures silencieuses, aphorismes, Les Editions du Relié,
2000, p. 99.
[iii]. Ibid., p. 101.
[iv].
Définition extraite de la page https://www.cnrtl.fr/definition/protocole
du Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales.
[v].
La Bhagavad Gîtâ suivie du commentaire de Shankara, Traduction d’Emile Sénart
et de Michel Hulin, Points Sagesses, p.114. Le mot « foi » traduit
ici le mot sanskrit « sraddha ». « Que signifie le
terme ? Dans un sens, la réponse est à la fois simple et explicite. Cela
veut dire presque sans équivoque, mettre son cœur sur. C’est composé de deux mots, srad (ou srat),
cœur, et dha, mettre. Effectivement dans le Rig-Veda les deux parties
apparaissent habituellement séparément, mais même ici elles sont
occasionnellement combinées, et plus tard elles le sont régulièrement. […] Sraddha
n’est pas en soi-même un concept bilatéral, bien qu’il réfère à ce qui génère
des relations. Cela a à voir avec la capacité de l’homme à être impliqué […].
Cette interprétation de sraddha a l’avantage, comme nous l’avons dit, de
laisser non spécifié l’objet de la foi. (A cet égard, c’est en quelque sorte
comme le « ce qui nous concerne ultimement » de Tillich).» [Nous traduisons], précise Wilfred
Cantwell Smith dans Faith and Belief: The Difference Between Them,
Oneworld Oxford, 1998, p.61-62. Ainsi là où la traduction du Chant XVII
de la Bhagavad Gîtâ d’Emile Sénart et de Michel Hulin utilise le mot
« foi », la traduction d’Alain Porte privilégie plutôt la notion
d’« engagement du cœur ».
[vi]. Pour
réfléchir sur la dimension pathologique du nihilisme, on peut examiner
l’émergence dans la petite enfance d’une défiance originaire face à une
confiance originaire. Dans ses premières années, un enfant est tout sauf
nihiliste, il a une confiance radicale en la vie qui le fait grandir et se
développer. On peut se reporter à ce sujet aux travaux du psychologue Erik
Homburger Erikson. Dans Dieu existe-t-il ?, p.513 sq., avant
d’exposer sa vision de la croyance en Dieu à l’encontre de l’athéisme, Hans
Küng, un théologien chrétien reconnu et discuté, défend le développement, à
nouveaux frais, d’une confiance originaire surmontant toute forme de nihilisme.
Il se réfère aussi aux travaux d’Erikson. Autant la croyance en Dieu ne nous
semble pas un prérequis pour un pari spirituel, autant un rétablissement dans une
confiance originaire en la vie nous semble le b.a.-ba de la spiritualité.
[vii].
Nous détournons ici un vers de Gérard de Nerval.
[viii]. Dans La
foi philosophique, Plon, 1953, p.214, Karl Jaspers donne une description du
nihilisme à laquelle nous souscrivons ici : « il y a aujourd’hui bien des
formes de nihilisme. Des hommes sont apparus qui semblent avoir renoncé à leur
dignité d’êtres libres, qui n’accordent plus de valeur à rien, qui s’agitent au
hasard de l’instant, qui meurent et tuent avec indifférence, tout en paraissant
enivrés par des valeurs quantitatives, aveuglés par des fanatismes
interchangeables, poussés par des impulsions élémentaires, dénuées de sens,
irrépressibles et pourtant vite épuisées, et enfin par une volonté purement
instinctive de jouissance immédiate. Ecoutons les paroles qu’ils
profèrent : elles résonnent comme un appel voilé à la mort. »
[ix]. Paul
Tillich, Le courage d’être, Livre de vie, p.165.
[x]. Fowler
expose sa théorie dans Stages of faith,
Harper Collins, 1995. En langue francophone, on peut trouver un usage de
celle-ci dans Vers la maturité
spirituelle par un chartreux, p.135-176. Cet ouvrage présente une
spiritualité religieuse chrétienne. Notre approche n’est pas religieuse.
Cependant cet ouvrage offre de nombreux points utiles à un discernement
spirituel et qui convergent bien souvent avec ceux que nous avons exposés ici.
[xi]. On
trouvera ici un article de Gary K. Leak avec, dans l’appendice, le
questionnaire que nous avons adapté à un contexte moins centré sur la foi
monothéiste :
https://www.researchgate.net/publication/233577957_Validation_of_the_Faith_Development_Scale_Using_Longitudinal_and_Cross-Sectional_Designs
[xii]. La tradition spirituelle occidentale
n’ignorait pas cette faculté. Jean Borella dans La Charité profanée nous
le rappelle et éclaire comment certains modernes l’ont négligée : « On
voit par là tout ce qui distingue la raison de l’intellect (en grec : dianoia
et noûs). Sans doute cette distinction ne va-t-elle pas jusqu’à la
séparation totale, puisque la ratio est la lumière brisée et
fragmentaire de l’intellectus. Mais on ne saurait les confondre, pas
plus qu’il n’est possible de nier l’un ou l’autre de ces modes de l’activité
cognitive. C’est pourtant ce qu’ont fait maints philosophes. […] La confusion
de l’intellectus et de la ratio s’opère avec la philosophie de
Descartes. A dire vrai, cette confusion est assez étonnante, puisque, nous le
verrons, ces termes avaient toujours été distingués, en particulier chez saint
Thomas d’Aquin, et que Descartes ne pouvait guère l’ignorer. C’est pourtant ce
qui se passe. [...] Quant à la négation de l’intellectus, ou
intellect intuitif, elle est l’œuvre de la philosophie kantienne. […] Et,
puisqu’il n’y a pas d’intellectus, il n’y a point de métaphysique
possible : « ... l’intuition intellectuelle, en effet, n’est pas la nôtre, et
[...] nous ne pouvons même pas en envisager la possibilité » [, Critique
de la Raison pure, trad. Tremesaygues et Pacaud, P. U. F., p. 226.] »
Xavier Tilliette dans L’intuition intellectuelle de Kant à Hegel montre
comment cette faculté a été réhabilitée par certains modernes comme Fichte.
[xiii]. Dans le
chapitre III strophe 42 de la Bhagavad Gîtâ, on peut lire : « La
pensée est souveraine sur les sens et la buddhi souveraine sur la pensée.
Souverain de la buddhi, il y a Lui [le divin] ».
[xiv] . D'après
le Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales (http://www.cnrtl.fr),
l’intuition est un terme emprunté au latin scolastique intuitio, au
sens de « vue, regard », lui-même dérivé de intueri « regarder
attentivement ; avoir la pensée fixée sur ».
[xv]. Le
fidéisme est une attitude qui affirme que l’intelligence ne peut pas nourrir le
saut de la foi. Mais, dès lors, la foi est réduite à une croyance aveugle en
l’existence de Dieu. Cette doctrine a été condamnée par de nombreuses Eglises
chrétiennes. Si dans une approche théiste
une vie spirituelle est possible comme expérience vécue
d‘une relation personnelle à la présence divine, alors le fidéisme en est une
négation. Le fidéisme ne croit qu’en la foi, comme croyance, et non à la foi,
comme confiance relationnelle en une présence divine, reconnue en soi et
éprouvée. En termes philosophiques, le fidéisme refuse l’intuition
intellectuelle du divin qui permet à la foi de ne plus se limiter à une
croyance. La foi véritable
commence, selon nous, avec la confiance et l'espérance suscitées par la
présence expérimentée du divin. Et comme le vocabulaire du divin est l’objet de
projections idéologiques ou suggère de l’extraordinaire ou du merveilleux, il
peut être plus approprié de parler de foi ou de confiance en l’expérience de la
vie universelle. Cette foi peut s’appuyer sur une présence ressentie de façon
ténue et sporadique : « la foi peut être une étincelle de la
connaissance qui connaît, si éloignée qu’elle en soit, et en attendant il n’y a
pas le moindre doute qu’elle aide à accomplir. », dit Sri Aurobindo
dans ses Lettres sur le yoga, tome II.
[xvi]. Dans
l’anthologie Sri Aurobindo et L'Avenir
de la Révolution française, p.134, on lit : « L'union de la
liberté et de l'égalité ne peut s'accomplir que par le pouvoir de la fraternité
humaine ; elle ne peut se fonder sur rien d'autre. Mais la fraternité n'existe
que dans l'âme et par l'âme ; elle ne peut exister par rien d'autre. Car cette
fraternité n'est pas affaire de parenté physique ni d'association vitale ni
d'accord intellectuel. Quand l'âme réclame la liberté, c'est la liberté de se
développer, de développer le divin dans l'homme et dans tout son être. Quand
elle réclame l'égalité, ce qu'elle veut, c'est cette même liberté également
pour tous, et la reconnaissance d'une même âme, une même divinité dans tous les
êtres humains. Quand elle cherche la fraternité, elle fonde cette égale liberté
de développement sur un but commun, une vie commune, une unité de pensée et de
sentiment, elle-même fondée sur la reconnaissance de l'unité spirituelle
intérieure. En fait, cette trinité constitue la nature même de l'âme ; car la
liberté, l'égalité et l'unité sont les attributs éternels de l’Esprit. »
[xvii]. Il vivra
l’expérience spirituelle de Jésus qui admira la foi d’une païenne Cananéenne
(Matthieu 15, 21-28), de Mohammed qui admira la foi des moines chrétiens
(Coran, Sourate 3, versets 113-115), etc.
[xviii]. C’est dans cet esprit que Vivekananda, suite à Ramakrishna, décrit
l'essence d'une voie dévotionnelle. La dévotion authentique à une forme divine
personnelle y transcende tout exclusivisme religieux et donc se libère de toute
croyance pour n'être qu'une expérience transcendantale (voir note 3).
[xix]. Ceci s'inspire d'Henry David Thoreau : « There is no remedy for love but to love more »
[« il n’y a pas de remède à l’amour sinon d’aimer davantage »] (Journal
1, 81).
[xx].
Rappelons que les Lumières, à la base de la modernité, ont souvent proposé une
spiritualité déiste débarrassée de toute croyance théiste à la révélation
biblique et de toute soumission aux institutions religieuses monothéistes.
[xxi]. Le fameux
« Heureux qui croit sans avoir vu » des Evangiles n’annule pas cette
invitation à voir. Car il concerne la
croyance en la résurrection charnelle de Jésus après sa mort et non la foi en
la relation personnelle à la présence divine (christique éventuellement)
reconnue en soi. Pour nous, ce voir
est à relier à ces mots attribués à Jésus : « L’œil est la lampe du corps. Si ton œil est simple, tout ton corps sera
éclairé » (Matthieu, 6,22). Le mot grec « haplous » ici
traduit par « simple » signifie aussi « seul »,
« entier » et « remplissant bien sa fonction ».
[xxii]. Dans Une
vie en confiance, p.166-167, Christophe Massin écrit :
« • Ouvre grand les yeux sur la réalité,
y compris dans ses aspects les plus choquants et reste fidèle à la vérité des
faits tels qu’ils se présentent – ni tu les dramatises, ni tu les enjolives.
Reconnais la négativité des projections de la peur pour ne plus les croire.
• La confiance embrasse la situation
dans sa totalité, le pire et le meilleur, elle ne peut reposer sur une vue
partielle ni partiale. »
[xxiii]. Avec la
notion de « transpersonnel », nous voulons signifier ici que le
« personnel » et l’« impersonnel » sont intégrés mais aussi
dépassés. A l’origine, « [l]e terme de « transpersonnel » […]
a été choisi en 1969 par Abraham Maslow [...]. Il commence par une étude des
motivations humaines qu'il classe hiérarchiquement en cinq niveaux :
physiologique, de sécurité, d'intégration, d'estime de soi et de réalisation de
soi. C'est alors, qu'après une étude des expériences des sommets
(peak-experience), il découvre un sixième besoin, celui du dépassement de soi.
Ce niveau supérieur regroupe toutes les expériences de dépassement de la
personne humaine vers la Transcendance qu'il nomme un transpersonnel. Par-delà
le cinquième besoin d'actualisation de soi, se situe donc un besoin inaliénable
de transcendance, le besoin d'une vie signifiante (value-life) qui, par-delà
les limites habituelles de l'identité humaine, pousse à se mettre au service
des autres. Ce niveau suprême est tellement important pour Maslow que l'on ne
peut plus parler à son sujet de besoin ou de motivation, mais de métabesoins
(metaneeds) ou Besoin-Etre (Being-needs, B-needs). Ce sont les besoins de
Vérité, de Beauté ou de Transcendance, qui constituent donc l'expérience des
Valeurs. […] Pour Maslow la première psychologie était celle du comportement,
la seconde la psychanalyse, la troisième la psychologie humaniste ou le
mouvement du potentiel humain et la quatrième transpersonnelle. »,
Marc-Alain Descamps,
http://www.europsy.org/aft/pg131.html.
[xxiv]. Ici avec
« du » nous
voulons dire en même temps « pour le » et « reçu du ».
[xxv]. Ce commentaire fait évidemment écho à l'adage T'chan : « Petit
doute, petit éveil ; grand doute, grand éveil ; pas de doute, pas
d'éveil. »
[xxvi]. Le
« Satori » en japonais désigne une compréhension perceptive ou une
réalisation. Bien entendu, dans le bouddhisme, elles sont de nature spirituelle
et mettent en jeu des dimensions jusque-là inconnues.
[xxvii]. Nisargadatta Maharaj, Je Suis, Les deux océans.
[xxviii]. Il y a
là une difficulté. Tant que j’ai des doutes au sujet de l’expérience intérieure
de la vie universelle, je n’en ai assurément pas une expérience évidente. Or, nous
avons affirmé qu’on devait douter de notre croyance sur l’enseignement suivi
pour mieux le réaliser. Comment une disparition de tout doute peut-elle se
produire si on maintient volontairement un doute ? Pour nous, ce paradoxe
peut s’éclairer. Il nous faut mieux différencier le doute méthodique de qualité
et nos doutes mesquins. Un doute de qualité, qui porte sur mes croyances liées
à l’enseignement que je pratique, développera ma buddhi. La tentation nihiliste
est une forme de doute mesquin qui bloque le développement de la buddhi et un
doute de qualité nous en défera. Quand la buddhi sera mature, l’intuition de la
vie universelle prendra place, le doute de qualité mettra en relief l’évidence
de la vie. Le geste intuitif planté en nous, une confiance peut s’ancrer dans
l’évidence de l’expérience et son
mystère. En grandissant, elle finira par chasser tous les doutes mesquins, qui
peuvent encore avoir assez de force, dans des circonstances favorables, pour
nous détourner de la présence à la vie universelle. Nous décrirons ces
éventuelles nuits de la foi en la vie dans les notes 205 et 260.
[xxix]. L'article Wikipédia francophone sur cette notion est d'assez bonne
tenue. Le livre de Gérald Bronner, La Pensée extrême : Comment des hommes
ordinaires deviennent des fanatiques est une bonne source de questionnement
sur ces sujets.
[xxx]. Gérald Bronner, La Pensée extrême : Comment des hommes ordinaires
deviennent des fanatiques, Denoël, p. 80-81.
[xxxi]. Nous disons bien l'aventure et non la recherche. Nous ne nions pas que,
malgré une étroitesse mentale, peut se réaliser une certaine présence de la
lumière. Cette réalisation est alors encadrée et limitée par une petite lucarne
dans un édifice mental. Cet édifice est parfois très impressionnant mais il
n‘en demeure pas moins fort rigide. Il limite la participation à la dimension
évolutive de la lumière spirituelle.
[xxxii]. Au vu des évènements récents, ce sens moral manque encore souvent aux
religieux. Que penser d'une morale religieuse chrétienne catholique pour qui
l’acte de viol d'enfants est jugé moins grave moralement qu'un acte
d'interruption de grossesse, considéré comme un meurtre ? Et que penser
quand, bien plus inhumainement encore, l’acte terroriste kamikaze est promu
comme un acte religieux suprême de sacrifice de soi par des musulmans. Blaise Pascal au XVIIème siècle, un savant
éminent et un apologète majeur du christianisme catholique avait assimilé
parfaitement cette difficulté d'évaluation des actes moraux. Nous étendons son
raisonnement aux contextes religieux et communautaristes. Dans ses Pensées fragment
47 de l'édition Le Guern, il écrit : « Pourquoi me tuez-vous ? - Et quoi !
Ne demeurez-vous pas de l'autre côté de l'eau ? Mon ami, si vous demeuriez de
ce côté je serais un assassin, et cela serait injuste de vous tuer de la sorte.
Mais puisque vous demeurez de l'autre côté je suis un brave et cela est juste. »
[xxxiii]. Notre chapitre II a déjà dénoncé cette impasse typique d'une certaine
religiosité et a attaqué toute prétention à un amour authentique non fondé sur le
dépassement d'une conscience ego-centrique.
[xxxiv]. Cette affirmation a plusieurs faiblesses. Premièrement, elle confond
trop vite l’histoire des cultures et l’évolution des mentalités au sein de
n’importe quelle culture. Si la théorie de la spirale dynamique est juste,
l’évolution des mentalités concerne n’importe quelle culture. La modernité et
la postmodernité ne concernent pas que la culture occidentale et vaudraient
pour d’autres cultures qui lui survivraient. Deuxièmement, cette affirmation ne
voit pas toujours assez que, par exemple, nombres de civilisations disparues
sur-vivent (au sens fort de « vivre davantage ») dans notre civilisation
occidentale contemporaine.
[xxxv].
Rappelons par exemple que les religions antiques celtiques, grecques et
romaines pratiquaient le sacrifice humain. Toutefois l’abolition du sacrifice
humain par les religions monothéistes n’a pas diminué le nombre de victimes
dues aux religions : combien de vie ces religions ont-elles sacrifiées par
des condamnations à mort pour hérésie ou apostasie puis par des guerres ? Quoi
qu’il en soit, percevoir que le sang humain ne rapproche pas du divin prépare,
sans aucun doute, le progrès qu’ont apporté les humanistes et les Lumières, en
obligeant les religieux chrétiens à faire de la tolérance une vertu exigée par
la charité.
[xxxvi]. Nous nous inspirons de Jésus dans l'Evangile selon Marc : « Personne
ne met du vin nouveau dans des outres vieilles. Sinon, le vin fera éclater les
outres. Et le vin se perd ainsi que les outres. Mais il faut mettre le vin
nouveau dans des outres neuves. » (Mc 2, 22). Ce propos peut suggérer,
entre autres interprétations possibles, une évolution culturelle nécessaire
pour recueillir une révélation renouvelée du divin (Mt 9,17 ; Mc 2,22 et Lc 5,
37-58). Jésus précise ailleurs que l'Esprit renouvellerait la révélation de la
vie divine après son départ (Jn 16).
[xxxvii]. Ce qui n'est pas à confondre avec son efficacité illuminatrice. Il y a
de nos jours beaucoup de syncrétismes qui ne sont pas des synthèses
spirituelles vivantes. Mais reconnaissons qu’au cours du temps, il y a toujours
eu de nombreuses synthèses spirituelles capables de favoriser l’illumination et
la transformation spirituelle.
[xxxviii]. La
psychologie cognitive a fait beaucoup de progrès sur cette notion
d’intelligence collective. On sait par exemple mesurer le Quotient Intellectuel
d’un groupe et donc on a des indicateurs pour le rendre plus intelligent. Dans Supercollectif, Fayard, 2018, Emile
Servan-Schreiber rend compte de ces connaissances expérimentales. Un groupe
peut être formidablement intelligent s’il met en œuvre, entre autres, ces trois
ingrédients que sont « diversité, indépendance et agrégation ». Plus précisément, il s’agit de :
1.
Intégrer une diversité de points de vue aussi
grande que possible ;
2.
Favoriser l’expression de toutes les
différences en faisant que chacun puisse faire valoir son point de vue en
toute indépendance et en promouvant les règles qui y contribuent ;
3.
Agréger au mieux l’expression de chacun, la
recueillir et la partager de manière à faciliter l’émergence de résolutions
collectives ; d’où l’utilité, par exemple, d’une intelligence émotionnelle
alliée à l’intelligence intellectuelle.
Notre pari spirituel sur l’« Un
innombrable » veut faciliter une évolution des mentalités en lien avec ce
qui rend intelligent collectivement, y compris selon ces recherches en
psychologie cognitive.
[xxxix]. Pour
avoir un aperçu d’ensemble, on peut, par exemple, se référer au livre de
François Marxer, Au péril de la nuit -
Femmes mystiques du XXème siècle, Cerf, 2017. Pour avoir un éclairage sur
la nuit de la foi en dehors des spiritualités judéo-chrétiennes, on peut lire
notre note 260. Dans Ecouter le silence à
l’intérieur, L’iconoclaste, 2018, Thierry Janssen décrit sa propre nuit
spirituelle et il conclut p.167 en disant : « Dès lors, il me paraît dommage de supprimer l’inconfort lié à
ces crises de vie sans entreprendre un travail psychologique et spirituel. […]
La partie psychologique du travail consiste à observer avec objectivité comment
s’est construit le moi, quelles sont ses peurs et ses défenses névrotiques, et
quels sont ses croyances et ses conditionnements. La partie spirituelle
consiste à ouvrir le cœur et à écouter le silence à l’intérieur afin de laisser
le Soi, la pure conscience – accueillir le moi sans jugement dans un espace où
de nouveaux choix sont possibles. »
[xl]. Dans une interview sur le site internet
http://www.vipassana.fr/Textes/Stephen-Batchelor-CheminsComplementaires.htm, Stephen Batchelor précise la notion de grand
doute : « D'abord je pense qu'il faut distinguer entre le doute en tant
qu'obstacle et le doute en tant que partie du chemin spirituel. Dans la
tradition bouddhiste Zen, qui utilise couramment le terme, il y a une claire
conscience que si vous êtes dans un état d'hésitation ou d'incertitude sur ce
que vous êtes en train de faire lorsque vous vous asseyez pour pratiquer, alors
ce doute est un obstacle. Mais le genre de doute dont je parle dans mon livre
consiste plus en une perplexité essentielle sur la nature de la vie. Quand il
était prince, le Bouddha devint perplexe devant les dures réalités de la vie :
la maladie, le vieillissement et la mort. Nous perdons parfois de vue ce qui
nous a réellement motivés à nous engager dans la pratique : souvent un doute
profond ou un questionnement fondamental de nos vies. Si nous perdons cela de
vue nous tombons très facilement dans un système de croyances et de techniques
et perdons contact avec les profondeurs de notre existence spirituelle. »
[xli]. Les nourritures silencieuses, aphorismes, Les Editions du Relié, 2000, p.95.
[xlii]. Cet
exercice s’inspire librement de la démarche de Descartes dans son fameux Discours
de la méthode ou encore ses Méditations métaphysiques. Descartes
était aussi un héritier du scepticisme spirituel de Pyrrhon. Il y a ainsi une
tradition philosophique occidentale du doute qui n’est pas tout à fait
étrangère au grand doute du T’chan et du zen.
[xliii]. Maître
Eckhart, Traités et sermons, sermon n°52, GF, p.354.
[xliv]. Je me
suis aperçu, par exemple, que ma dépendance aux réseaux sociaux internet était
plus problématique que mon rapport à la télévision. Certains ont chassé
définitivement la télévision de leur vie et l’affirment haut et fort sur les
réseaux sociaux où ils passent désormais beaucoup de temps…
[xlv]. Dans Pour
une sagesse moderne, Les psychothérapies de 3e génération,
Poches Odile Jacob, p.82, le docteur Yasmine Liénard écrit : « En
quoi douter de la réalité de nos pensées a un impact sur notre état intérieur,
et peut nous permettre de devenir plus sereins ? Ma croyance n’est pas la
réalité. […] Selon que ma croyance à ma pensée est forte, je serai plus ou
moins déçu par la réalité. […] La sérénité vient de la capacité à douter de la
réalité de ce que mon esprit me dit sur ce qui n’existe pas. Donc douter de la
réalité de ma pensée a un impact sur mon état intérieur. »
[xlvi]. De nouveau nous paraphrasons Henry David
Thoreau, Journal 1, 81.
[xlvii]. Citation proposée par Stephen Batchelor dans The
Faith to Doubt: Glimpses of Buddhist Uncertainty.
[xlviii]. On
notera que des contemporains ont réactivé la spiritualité pyrrhonienne :
Alexandre Lacroix, Marcel Conche, Patrick Carré, etc. Dans la pratique
pyrrhonienne, quatre niveaux peuvent être distingués, dont le dernier
vient involontairement compléter le troisième : le premier : zététique ou
mise en doute, le second : épochè ou mise entre parenthèse, le
troisième : aphasie ou silence intérieur et le quatrième : ataraxie
ou paix intérieure. Ceci est à relier à notre note 52 qui citait déjà Sextus
Empiricus et qui expliquait le passage de l’épochè à l’ataraxie, l’aphasie
étant donc le point de départ de l’ataraxie.
[xlix].
Certaines nuances sont ici nécessaires. Dans le cas de dépression extrêmement sévère,
la méditation de pleine conscience peut avoir le défaut de s'ouvrir davantage
au retour d’une atmosphère émotionnelle d’angoisses et de souffrances
infernales. Et parce
que le mal-être de l'ego frise la dépersonnalisation, il ne peut s'en détacher.
L’attention laisse alors l’ego incapable de se laisser distinguer de son
émotion. L'amour ou l’attention venant de l'extérieur par un collectif est dans
ce cas nécessaire. L'hospitalisation offre souvent la meilleure solution en ce
sens. Des techniques spirituelles axées sur la croissance de la concentration sont
peut-être plus indiquées. Enfin des techniques spirituelles s'appuyant
davantage sur l’enracinement corporel ont fait leur preuve. Dans Guérir l’anxiété, le
docteur Jacques Vigne en propose.
[l]. Il va de
soi que lire l’exercice ne permettra pas d’en faire l’expérience. Seul
l’expérimentateur aura l’autorité de confirmer ou d’infirmer les conclusions
que nous tirons de cet exercice.
[li]. Pour
mieux saisir le propre de cet intervalle entre l’inspiration et l’expiration,
Éric Baret mentionne dans son enseignement de yoga une technique. Il conseille
de s’observer lors d’un bâillement. L’absence de toute activité mentale de
l’esprit au niveau de l‘intervalle entre inspiration et expiration y est plus
nette.
[lii]. Nous
nous inspirons ici de Bertrand Russel dans Le
Mariage et la morale suivi de Pourquoi je ne suis pas chrétien.
[liii]. Athées et agnostiques sont encore de nos jours bien minoritaires au plan
mondial. Dans de nombreux pays, leurs positions sont nettement risquées
socialement et politiquement face aux pouvoirs de religieux autoritaires. Mais
ce courage anticonformiste ne garantit pas d’être à l'abri de toute croyance.
Le droit à la liberté de conscience, dont nous disposons ici, doit nous
permettre d’interroger toute croyance…
[liv]. Nous avons déjà évoqué le matérialisme athée antispirituel dans notre chapitre III. Malgré les guerres de religions et le
terrorisme religieux qui occupent le devant
de la scène, il reste sous des formes marxistes une des idéologies les plus
meurtrières et les plus liberticides de l'histoire. En Chine sous Mao ou au Cambodge sous Pol Pot, deux chefs communistes
athées extrémistes, tous les chrétiens et les bouddhistes ont été persécutés
pour leurs croyances. Leurs victimes se comptent en millions, ceci sans compter
aussi les croyants religieux persécutés par les communistes du bloc soviétique.
Jusqu'à présent, les conflits religieux actuels et passés n'ont pas produit
autant de victimes.
[lv]. Voir nos
définitions conceptuelles dans la note 72.
[lvi]. On notera que le passage à une alimentation végétarienne ou
végétalienne était encore donné, il y a peu, pour un des critères permettant de
discerner si un de nos proches ne serait pas en train de tomber sous l'emprise
d'une secte. Actuellement, tout démontre qu'une consommation régulière de
chairs animales détruit nos équilibres écologiques au point de compromettre le
fait de nourrir l'humanité dans le futur. Le sectarisme était-il seulement du côté
qu’on croyait ? Le bon sens exige de prendre régulièrement des repas
végétariens voire végétaliens avant de ne plus avoir le choix d’autres menus
possibles... Autrement dit à l’écoute du tout de la vie, nous devons au moins
devenir flexitarien.
[lvii]. On peut
consulter, par exemple, les
études du neurobiologiste Mario Beauregard. Il en donne un aperçu dans son
livre Du cerveau à Dieu, Guy Trédaniel Editeur.
[lviii]. La
spiritualité est ici entendue comme exploration des dimensions de la vie en
plénitude.
[lix]. Tout
d’abord, suite à notre chapitre III, rappelons que le matérialisme n’est pas
antispirituel, dès lors qu’il souscrit au fait de l’intériorité de l’esprit non
réductible à notre subjectivité. Par ailleurs, si la science et sa raison
critique valent plus que tout dogme matérialiste, les paradigmes matérialistes
seront eux-mêmes évolutifs. Par exemple,
les neurosciences auraient-elles la même forme si la biologie devait prendre
vraiment en compte les nouveaux paradigmes des sciences physiques ? Ces
dernières années, le paradigme du tout génétique s'est effondré et les travaux
sur l’épigénétique ainsi que sur la plasticité cérébrale sont devenus plus
centraux. La méditation de pleine conscience et les techniques d'attention ont
été testées et approuvées dans ce cadre. Qui sait si d'autres paradigmes ne
justifieraient pas un matérialisme divin ? Les croyances matérialistes athées et les croyances religieuses
seraient alors des demi-vérités. Le philosophe Serge Carfantan défend un
paradigme en ce sens dans Connaissance de la totalité, Almora.
[lx].
L’expérience d’une vacuité, d’une vie sans forme englobant toutes les formes
est une expérience spirituelle impersonnelle libératrice. C’est une expérience
athée ou agnostique.
[lxi]. Ce point met en jeu l’arrogance de la
conscience humaine mentale qui prétend être au sommet de l’univers pour fixer
le possible et l’impossible.
[lxii]. Nous
suivons ici le philosophe Sam Harris. Aux USA, il est considéré comme un leader
d’un athéisme spirituel. Mais lui-même affirme que la « destruction de
mauvaises idées » vaut mieux qu’un dogme ou une philosophie athée.
[lxiii]. Dans Stages
of faith, p. 109, Fowler cite Erik Erikson au sujet de la confiance et de la
défiance originaire et indique comment ceci se connecte à son stade 0 du
développement de la foi. On retrouvera l’exposé d’Erikson dans The Life
Cycle Completed.
[lxiv]. Paul
Tillich, Le courage d’être, Livre de vie, p.170.
[lxv].
Nous réinterprétons ici un passage de Paul Tillich dans Dynamique de la foi, Casterman, 1968, p.47 et suivantes.
Il y écrit par exemple : « La
foi comme le fait d'être saisi par ce qui nous importe de façon absolue est
l'acte central de la personne totale. Si l'une des fonctions qui constituent
cette totalité vient à s'identifier, en tout ou en partie, à la foi, le sens de
la foi est dénaturé. »
[lxvi].
Rappelons que le mot sanskrit « sraddha » peut se traduire par
« foi » et par « donner son cœur à ».
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