mardi 7 février 2012

"TOUTES LES CIVILISATIONS SE VALENT-ELLES ?" SELON L'APPROCHE INTEGRALE. EPISODE 2.

Voir l'épisode 1 ici.

Quand on aborde la question "Toutes les civilisations se valent-elles ?" du point de vue d'une philosophie intégrale. On a en tête ce schéma de Ken Wilber :
A l'évidence ce schéma postule que toutes les mentalités ne se valent pas. Elles sont certes la condition des unes des autres et il est inutile d'en nier une si on veut atteindre une mentalité plus élaborée et plus intégrale. De ce point de vue être conscient du caractère intégral des mentalités nous place forcément tout en haut de ce schéma de développement.

Voici une première interprétation de ce développement des mentalités :


On peut proposer ce schéma un peu différent. Il cherche à réinterpréter le niveau 3 plus positivement.S'inspirant du Cycle humain de Sri Aurobindo, il distingue au niveau 4 des sociétés hiérarchiques quasi-holarchiques et des sociétés de castes traditionalistes. Enfin, il cherche à intégrer le phénomène totalitaire non pas comme un retour au niveau 4 et 3  au sein du niveau 5 (ce qui est la thèse de Steve MacIntosh, cette thèse serait plus vraie pour le fascisme de Franco, de Salazar, etc.) mais comme une déviance du niveau 5 lui-même (la thèse guénonienne du règne de la quantité sans ses conclusions traditionalistes mais aussi la thèse d'Adorno et d'Horkheimer : le caractère moderne du nazisme est nette sur la question eugéniste et le caractère moderne du marxisme ne fait pas de doute) :


Autre point capital, ce développement des mentalités peut se produire surement de façon différenciée suivant les civilisations et les cultures. Il y a, par exemple, un judéochristianisme qui pense incarner la seule vérité : il est prémoderne ou moderne. Il y a des mentalités judéochrétiennes qui ont renoncé à cette position en intégrant de plus en plus le dialogue interreligieux sans plus prétendre posséder l'intégralité de la vérité : cette mentalité judéochrétienne est alors postmoderne. Des différences similaires peuvent être établies par exemple pour le Bouddhisme ou l'Islam. Un certain bouddhisme  (cf le Dalaï Lama) et un certain Islam (cf. Abdennour Bidar, Mohammed Arkoun, etc.) commencent à comprendre que on ne peut pas penser que l'expérience spirituelle est simplement la même quand on a réalisé l'absolu : le dialogue interreligieux montre en effet que l'expérience spirituelle se manifeste socialement de manière diverse. On peut légitimement s'interroger sur le statut des femmes ou le régime politique sans dénigrer cette expérience spirituelle fondamentale. Autrement dit le traditionalisme socio-politique n'est pas du tout une manifestation indiscutable de l'expérience spirituelle. Ce n'est pas parce que les sociétés traditionnelles semblaient mettre davantage l'expérience spirituelle au sommet de leur idéal qu'elles manifestaient davantage le souci de l'individualisation des personnes au sein d'un collectif structuré et solidaire.

Ainsi il y a plusieurs civilisations mais chacune peut produire différents niveaux de mentalités. Une culture est le fruit d'un alliage entre diverses mentalités.

Les intégralistes esquissent ainsi ce schéma (que nous pourrions nuancer avec notre propre proposition développementaliste):

Si on faisait une répartition des mentalités sur un pays comme la France, on aurait une idée de notre culture. On voit qu'un enjeu est alors la mentalité dominante dans une culture même si elle est en nombre moins représentée. Pour se faire une idée de la mentalité dominante et donc de la culture d'un pays le système politique est une bonne indication :

En rouge, les flèches indiquent les sens des évolution politiques possibles.
Si on se demande sans préjugé si toutes les civilisations se valent, on peut et on doit donc aussi considérer la question du point de vue des organisations politiques mais aussi de leur dégénérescence.

Aujourd'hui quand on affirme la supériorité du modèle démocratique et quand on veut en faire la promotion du point de vue moderne qui affirme sa supériorité culturelle, il faut se méfier de la dégénérescence de ce modèle qui produit le totalitarisme. La mentalité moderne n'est pas très bien armée pour éviter cette dérive. Une mentalité pluraliste postmoderne est certainement plus sensible à ce qui dans la culture, alliage de multiples mentalités, peut produire ce désastre démocratique. C'est le rapport de cette mentalité et les limites de cette mentalité que nous devons examiner plus en détail. Comment doit-elle évoluer pour assurer de manière cohérente une nouvelle forme d'alliage des mentalités ? Comment peut-elle relever les défis des autres mentalités ?

Examinons la question de savoir si l'organisation clanique prémoderne est par exemple meilleure ou moins bonne que l'organisation démocratique pluraliste ?


Nous voyons que les valeurs spirituelles claniques se rapprochent des recherches spirituelles d'un postmoderne devenu sensible à l'écologie, à un néobouddhisme et s'intéressant à son avenir individuel postmortem en dehors des religions prémodernes hiérarchiques. Pour ce postmoderne, il y a un réenchantement possible si on apprend des spiritualités des cultures claniques à reconnaître que tout est vivant (eau, vent, soleil, arbres, etc.), que tout est interdépendant, qu'il y a un monde des esprits qui interagit avec le monde des vivants, etc.
 
Il est donc difficile pour un pluraliste postmoderne d'affirmer que l'organisation pluraliste démocratique a plus de valeur que l'organisation clanique. En effet conscient des limites des prétentions de la modernité, ce pluraliste postmoderne relativise désormais la notion de progrès liée à la raison. Le succès des spiritualités chamaniques montre à quel point le postmoderne se reconnaît dans la prémodernité clanique. Par contre on doit admettre que ce pluraliste postmoderne a souvent du mal à se reconnaître dans les spiritualités que la prémodernité héroïque ou hiérarchique a produite : il y a une désaffection des religions monothéistes qui en sont issues. Pourtant s'il veut vraiment aller au-delà des compromis avec la modernité qui font dégénérer la démocratie en ploutocratie (pouvoir des riches) et permettent à celle-ci d'ignorer les bornes des ressources terrestres, il faudra qu'elle trouve des points d'accroche avec elles.

Contre les pulsions majoritaires qui font errer la démocratie, nous avons peut-être grâce à cette réflexion sur le développement des mentalités des points d'éclairage pour repenser un alliage des mentalités au-delà de la modernité et des illusions de postmodernité pluraliste usuelles.
 
Dans notre schéma où nous proposons de traduire les fondamentaux des cultures spirituelles chamaniques, nous esquissons pourquoi l'ego narcissique qui souhaite être ouvert trouve dans les pratiques chamaniques une paix intérieure sans toujours voir comment reproduire cela dans son quotidien relationnel. Nous suggérons dans un schéma sur la mentalité postmoderne pluraliste qu'une réponse spirituelle spécifique existe qui n'aura pas la même pédagogie que celle du chamanisme même si au final on voit clairement que cela renvoie à la même façon d'être ouvert au monde et aux autres en première personne.

Le rapport du postmoderne pluraliste aux religions issues de la prémodernité héroïque ou hiérarchique est donc lui très ambigu.
La mentalité prémoderne héroïque ne laisse en effet aucune place au pluralisme : il y a la loi du plus fort, de celui qui a la troupe la mieux organisée pour soumettre les autres. Le postmoderne pluraliste est en général sensible à des approches non violentes et même s'il consent à la violence face à certaines situations, il ne place certainement les valeurs guerrières au plus haut. Son refus de l'ethnocentrisme le met paradoxalement en porte à faux avec une mentalité qui nie la sienne : il ne saurait ni la condamner, ni la célébrer.

Le postmoderne est souvent assez embarrassé de reconnaître qu'une telle mentalité puisse exister dans sa brutalité : elle va symboliser pour lui le résultat d'une histoire tragique, l'homme violent serait au fond une victime de la violence. Même les penseurs du mouvement intégral comme Don Beck ou Ken Wilber sont embarrassés pour pointer la dimension positive de cette mentalité que souvent ils appellent égocentrique. La dimension héroïque guerrière pourtant suppose une relativisation de l'ego pour affronter le risque de la mort et donc la peur au combat. Les arts martiaux qui mettent en jeu une intelligence de l'harmonie dans leur pratique peuvent donner les moyens au postmoderne de comprendre la positivité des valeurs de la mentalité héroïque. Ils permettent sans doute de conduire ceux qui sont fixés sur cette mentalité héroïque d'entrevoir un ordre hiérarchique nécessaire pour vivre en paix.
Le postmoderne pluraliste ignore encore cette possibilité éducative. Il est aussi en général peu à l'aise avec une vision du monde ethnocentrique et hiérarchique fondée au sens spirituel sur l'initiation et la qualité de la naissance. Certes on peut douter d'une qualité héréditaire mais les rites initiatiques ne sont-ils pas utiles? Le postmoderne pluraliste ne sait pas trop comment agir contre cette mentalité quand elle utilise le pluralisme pour poser ses revendications : inégalité homme/femme revendiquée comme droit à des activités séparées, exigences sur la nourriture présentée comme droit au respect, volonté de faire condamner les blasphèmes au nom de la tolérance. Mais il peut s'appuyer sur elle pour remettre vraiment les intérêts collectifs au centre contre les pulsions ploutocratiques modernes.

Au nom du pluralisme, le postmoderne pluraliste défend l'idée que toutes les cultures se valent mais il sent bien qu'être pluraliste induit une certaine culture qui rejette hiérarchie et violence d'origine communautariste.

Deux options s'offrent à lui, soit il redevient moderne et oppose les valeurs de la raison républicaine moderne au communautarisme religieux soit il donne à son pluralisme plus de souffle.
Pour lutter contre l'obscurantisme ethnique et hiérarchique, la raison est une arme efficace. Elle ébranle l'autorité, elle permet de se faire sa propre vision. La raison moderne est en ce sens indispensable au développement d'une mentalité postmoderne pluraliste.

Dans cette première option, en jouant la modernité contre ce qui refuse le progrès, le danger (en Europe) est souvent de rejouer le colonialisme vis-à-vis de la plupart des communautés immigrées installées sur son sol et qui sont fascinées par la prémodernité héroïque et hiérarchique. Cette option est convaincante si il y a un enrichissement économique mais dès que la croissance faiblit, il y a retour en force du traditionalisme. L'ombre fasciste plane toujours au sein des crises économiques. En fait la modernité n'empêche pas une crispation identitaire : le romantisme est une adaptation de la subjectivité égocentrique et nationaliste au triomphe de la raison. Les catastrophes fascistes et nazies sont dues à ce dérapage de la subjectivité identitaire adaptée à la raison plus particulièrement dans des pays qui n'avaient pas pu en jouir à travers la colonisation. Fascisme et nazisme ne sont pas simplement dus à une nostalgie pour la prémodernité : ils marquent un retour de la subjectivité ethnocentrique au sein de la modernité : la raison n'est plus l'instrument d'une personne égocentrique mais d'un peuple égocentrique. Il faut bien voir qu'un des premiers actes politiques de l'Italie fasciste est de se donner des colonies et que l'Allemagne nazie a commencé par se donner des colonies à l'Est si on peut dire.
Les tyrannies de la majorité que sont le fascisme ou le nazisme sur des minorités ou les tyrannies d'un groupe politique qui prétend incarner la volonté de la classe sociale la plus importante (les marxismes) ramènent des schémas hiérarchiques dans un contexte démocratique moderne. Les schémas hiérarchiques ne sont plus du tout liés à une harmonie cosmique, un Dharma, un ordre du monde voulu par la sagesse : ce sont des moyens d'oppression et de contrôle d'individu qui ont trop tendance à penser de façon individualiste. Mais à vrai dire le moderne les a toujours utilisés dans ses entreprises économiques.
Là où la dégénérescence du pouvoir politique ethnique aboutit à un despotisme ou une oligarchie, la dégénérescence politique de la modernité aboutit au totalitarisme. Quand la raison veut faire système elle est totalitaire. Elle est utile et ouvre au pluralisme postmoderne dès lors qu'elle est une activité critique qui sait voir autant le positif que le négatif.

Comment donner plus de souffle au pluralisme sans tomber dans les dangers de la subjectivité romantique moderne mais sans non plus ignorer les ennemis du pluralisme qui se réfèrent à notre passé colonial dès que nous les dénonçons sous quelque angle que ce soit pour ne pas voir qu'ils reproduisent notre propre refus du pluralisme qui se jouait au sein du colonialisme ? Il faut précisément leur faire comprendre les dangers de la subjectivité romantique moderne non pas en affirmant que toutes les cultures se valent mais en apprenant à relativiser sa propre culture sans pour autant la mépriser. Cette option demeure inconnue des formes de mentalités modernes. Mais cette relativisation de l'identité peut aussi pointer dans les mentalités traditionnelles la nostalgie d'un cosmos que la modernité avait transformé en "silence éternel des espaces infinis" (Pascal).
Le postmodernisme ayant renoncé au tout est relatif et à tout ce qui ramènerait au totalitarisme, peut pointer au-delà du dépassement de l'ethnocentrisme et des risques de l'anthropocentrisme (l'homme moderne refusant la sagesse écologique) un cosmocentrisme nécessaire. Les nouvelles connaissances scientifiques lui permettent d'esquisser une forme d'holarchie céleste où une partie constitue l'autre qui elle-même.. Mais savoir n'est pas connaître : c'est là l'erreur moderne qui aboutit au totalitarisme. Imposer un savoir mental revient à ignorer que ce savoir n'établit que des lignes de faits. Le postmoderne systémique comme un Ken Wilber, un Jürgen Habermas laisse toujours un ouvert : la raison ne peut pas se substituer à la rencontre et au dialogue contrairement à ce que croient encore certains penseurs modernes. Ce sens cosmique pointe en son centre une vacuité dans laquelle nous émergeons. Il reste une énigme qui doit doit rester un mystère dans la rencontre avec notre plus proche et notre prochain. Mais ce mystère n'est pas non plus extérieur, il est notre vie la plus intime, il se porte sans cesse à notre connaissance. Par exemple, ce vide quantique objectif que la connaissance pointe coïncide-t-il avec le vide de la conscience ? En tout cas, il y a une vacuité mentale, une vacuité émotionnelle, une vacuité pulsionnelle et une vacuité sensorielle d'où mentalisation, émotion, pulsion et sensation émerge. La totalité de ce que je perçois de moi renvoie au tout, ma vie pointe la Vie subjective de l'univers. Cette approche systémique ouverte nous amène à une manière de vivre spécifique cette énigme du proche et du prochain. Nous apercevons que la vie humaine et ses diverses cultures sont relatives à une évolution consciente de l'individualisation de la conscience cosmique.

Ce relativisme n'est pas le relativisme faible qui au fond permet au danger communautariste lié à la subjectivité romantique moderne de prospérer dans des partis d'extrême droite ultranationalistes ou dans des groupes religieux anti-occidentaux qui cherchent à imposer par exemple l'interdiction du blasphème comme une conséquence de la tolérance. Il s'agit d'un relativisme fort parvenu à sa maturité extrême qui estime que toute identité culturelle n'est qu'un moment d'une évolution de la conscience et de la Vie. Il comprend que toute forme culturelle qui refuse l'évolution de la conscience commet un péché contre l'esprit, contre le divin que parfois elle prétend révérer. Nietzsche refusait précisément de parler de divin à propos de cette Vie parce que ce mot et ceux qui s'y rattachent tendent à exclure des perspectives qui les dérangent.

Là nous entrevoyons la seule rupture qui nous fera rompre définitivement avec les pulsions majoritaires dont celles engendrant le danger totalitaire. Le relativisme faible est une valeur de surface comme a su le conceptualiser la théorie de la spirale dynamique du développement des mentalités : il sert les seuls intérêts égocentriques ou collectifs contraires à l'idéal pluraliste postmoderne. Seule la sagesse peut nous enseigner un détachement premier qui relativise l'identité culturelle quelle qu'elle soit. Elle seule nous donne les moyens d'apprendre à communiquer, à dialoguer authentiquement.
 
Le pouvoir démocratique aujourd'hui s'exerce par la seule représentation qui tient souvent du spectacle publicitaire, du slogan cherchant à recueillir les voix de tels groupes. Un barrage direct serait dans notre démocratie d'accorder le pouvoir de citoyen qu'à ceux qui participeraient à des actions citoyennes incluant un dialogue avec d'autres citoyens sans considération communautariste, partisane, etc. Il faudrait instituer un niveau de démocratie directe et seuls ceux qui participeraient à ce niveau de démocratie pourraient voter et se présenter à des élections. C'est une démocratie fondée sur la délégation qui pourrait nous sauver d'une démocratie de la représentation qui ignore tout du relativisme fort qui libère de tout attachement identitaire et de la sagesse qui développe le sens de la rencontre et du dialogue. 

A ce niveau le postmodernisme relativiste serait dépassé. L'organisation politique serait au service de l'évolution consciente dans la manifestation de Cela qui est l'Être. Accélérer l'évolution des mentalités serait rendu possible si on utilisait le chemin de la non dualité présent au sein de chaque culture dans ce qu'elle a de positif et non de dégénérer. Bien souvent l'évolution s'est produite en réaction à une impasse culturelle mais nous estimons qu'on peut faciliter cette évolution en aidant les gens à assumer le Devenir de l'Être à la fine pointe de ce que nous appelons l'état spirituel non duel.
Ce schéma reprend toutes les mentalités que nous avons identifiée et leur adjoint leurs dimensions spirituelles.

Le schéma de développement des mentalités pointe dans sa fine pointe spirituelle le mystère de l'Être du Devenir

Par exemple si l'état non duel de la mentalité chamanique clanique ouvre à un grand esprit qui embrasse tout, on comprend la démarche héroïque qui cherche à unir les clans. Si l'état non duel de la mentalité héroïque découvre la paix alors on comprend le passage à la mentalité ethnique hiérarchique. Mais de même celui qui se tient au sommet de la vie spirituelle dans ce type de mentalité découvre au fond l'égale dignité de tous qui ouvre à une mentalité moderne. Ensuite le moderne découvrant la beauté où la différence sujet objet est dépassée va relativiser l'objectivité et la rationalité. Cette modernité qui redécouvre la subjectivité peut se fourvoyer en totalitarisme ethnocentrique. Face à cette impasse, la postmodernité pluraliste se déploie dans la rencontre qui met en jeu la subversion de la différence sujet-objet. Une postmodernité systémique propose une synthèse entre raison moderne et le sens de la qualité de subjectivité ou l'intériorité. Mais au final c'est l'évolution consciente de la conscience culturelle voire humaine qui s'avère en jeu dans le Devenir de l'Être.

TOUTES LES CIVILISATIONS SE VALENT-ELLES ? EPISODE 1.


En première personne tout m'exprime y compris cette personne qui exprime son communautarisme identitaire qu'il soit Musulman soi-disant anti-occidental ou qu'il soit lié à la France Occidentale. Tout être humain se rattache à une communauté. Sans appartenance sociale, nous ne nous humanisons pas mais certaines communautés se ferment sur elles-mêmes et ne veulent plus évoluer en dialogue avec les autres : elles sont alors communautaristes. C'est un chemin certainement contraire à l'évolution et qui se solde sans aucun doute, si c'est le cas, par des résistances dramatiques.
En première personne, mon premier geste est d'accueillir toutes les personnes y compris mes propres réflexes identitaires. En première personne, toutes les civilisations se valent donc au sens où toutes les identités expriment ce que je suis et d'ailleurs je n'ignore pas intellectuellement que toutes les identités culturelles ont laissé en leur sein un espace à la prise de conscience de la première personne.
Et au cœur de cette expérience, il y a une ligne de force du Devenir qui s'ouvre, l’auto-création de cette première personne. J'entrevois comme une spiritualité libre des religions et à l'image d'une telle spiritualité, m'apparaît l'évidence d'un pouvoir politique moderne enfin désidentifié de toute ethnocentrisme et vraiment centré sur égalité, liberté et fraternité.

Le meilleur de la culture française et occidentale a pour moi à voir avec la reconnaissance de cette source de tout ce qui est et le meilleur de la culture musulmane a à voir avec cela aussi. Tout mode de vie est le fruit d'une intuition créatrice qui a trouvé un chemin d'adaptation et de création dans une situation donnée. Il y a donc en toute civilisation un noyau qui porte la trace de cette inspiration initiale. Le nazisme, le fascisme ou le communisme n'ont jamais formé une civilisation quelconque, ce sont des aberrations de notre civilisation occidentale. Mais au fond aujourd'hui un certain communautarisme musulman s'apparente au fascisme ou au communisme. Qu'on compare le musulman fondamentaliste, intégriste et anti-occidental de nos cités et notre bon français fasciné par le fascisme, ils sont sont en fait très proches. C'est là un seul et même problème politique qui met en jeu l'accueil de l'autre et le sens du dialogue (le deux qui fait consciemment un en première personne). Si la réalisation de la première personne est assez éloignée de la plupart et que sa présence dans les textes restent souvent ésotériques, les valeurs de l'accueil et de l'hospitalité, elles, sont clairement au centre du fondement de nos civilisations. On trouve clairement la trace de ces valeurs dans les textes fondateurs (qu'ils soient religieux ou philosophiques) de nos civilisations occidentales judéo-chrétiennes et arabo-turco-musulmanes !!! Ce n'est que sur ces valeurs communes que nous pourrons édifier une nouvelle civilisation qui ne nie pas l'identité racine de ses membres : cette civilisation couronnera le cœur de notre identité française que la devise liberté, égalité, fraternité dessine encore comme un idéal fidèle à la manifestation dans la culture de la première personne.

Seule la mentalité postmoderne dotée d'un relativisme fort permet de traiter nos identités sous un mode ludique et créatif. Le relativisme vulgaire affirme une égalité pour ne pas au final interroger ses propres crispations identitaires. Le relativisme fort affirme que les identités ont une même valeur mais quand elles savent leur relativité. Sans cette connaissance intime de la relativité de notre identité, aucune création n'est possible, il n'y a que des crispations, des adaptations négatives, etc. jusqu'à la dissolution. Le relativisme fort peut donc devenir un chemin d'accès à la conscience auto-créatrice en première personne. Car à vrai dire on peut être en première personne mais croire en la vérité de notre identité qui nous permet cette connaissance. On ne laisse pas alors la première personne déployer totalement sa spontanéité créatrice. Comment toucher le cœur blessé de ce communautariste sans cette spontanéité ? Ce ne sont pas des arguments qui le toucheront, un ego vaincu est humilié et précisément tout communautariste se renforce dans sa crispation en s'affirmant victime d'une humiliation de ceux qui n'appartiennent pas à sa communauté. Si nous devons penser une éducation républicaine pour un élève baignant dans le communautarisme, nous devons lui donner le chemin au sein de sa propre identité pour atteindre la relativisation de son identité. Toutes les identités se valent : elles ne sont que relatives. Seul le cœur n'est pas relatif au cœur de notre identité ! Quand l'identité étouffe le cœur, alors c'est le début de l'horreur !!!


Les expressions culturelles des civilisations ne se valent pas mais en leur fond chaque civilisation contient un chemin d'accès à la conscience créatrice, au cœur créateur. Affirmer que les civilisations ne se valent pas est un propos polysémique imprécis qui ne fait que confirmer notre musulman intégriste dans sa croyance, même si électoralement c'est un évident appel du pied au fasciste franco-français.

Dire que les expressions culturelles des civilisations ne se valent pas mais qu'en leur fond chaque civilisation contient un chemin d'accès à la conscience créatrice est la seule position précise qui permet le dialogue et l'évolution qui peuvent manifester dans nos cultures la conscience en première personne et plus encore la lumière du cœur. Pour combattre l'obscurantisme communautariste qu'il soit musulman ou français, c'est le dialogue qui doit rester l'idéal politique même s'il faut sanctionner et lutter activement contre ce qui s'y oppose.

Un républicain authentique ne doit pas se sentir menacé davantage par le communautarisme musulman que par le communautarisme français parce que au fond en poids électoral le communautarisme français aujourd'hui menace peut-être davantage la république.

En effet, ce communautarisme français nie l'humanisme et estime qu'on peut pas être vraiment français si nos racines sont musulmanes. Un tel type de communautarisme au début du XXe siècle estimait qu'on ne pouvait pas être vraiment français si on était juif. Même si aujourd'hui un parti comme le Front National semble s'écarter de l'antisémitisme, il n'en reste pas moins qu'il a été fondé d'ailleurs par des gens qui se recommandaient d'un communautarisme antisémite. Et quand aujourd'hui, ses membres estiment pour la plupart qu'être français et musulman est impossible, ils en sont clairement les héritiers. Ce communautarisme est dangereux : nier une minorité pourtant française revient forcément à nier la démocratie et ses valeurs humanistes. Une nation authentiquement moderne n'est pas fondée sur une culture ethnique même si elle en dérive.




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mardi 10 janvier 2012

IDEE D'INFINI ET EXPERIENCE DU DIVIN.

 
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 Je peux avoir affaire à l'infini comme reflets de reflets. Je conçois l'idée d'infini par ce biais mais je ne parviens pas à la comprendre :


 Un dessin de reflets de reflets ne peut pas être fidèle à la réalité de cet infini se faisant mais il peut suggérer  par des symboles que l'infini restera indéfini. D'ailleurs la lumière met du temps pour construire le reflet puisqu'il y a une distance. Le dessin comme le reflet tendent à suggérer l'infini sans jamais pouvoir le mettre en acte.

Dans la philosophie occidentale, l'idée d'infini a été souvent invoquée pour justifier l'existence de Dieu. Un infini en acte et infiniment parfait peut être conçu de façon évidente sans être représentable (compréhensible) par notre intellect.

Descartes estime que cette idée d'infini est une idée que nous ne pouvons pas avoir élaborée puisque nous la concevons clairement et distinctement sans pouvoir la comprendre.
Dans la 3ème des Méditations Métaphysiques, il écrit :
Cette idée, dis-je, d'un être souverainement parfait et infini est très vraie; car encore que peut-être l'on puisse feindre qu'un tel être n'existe point, on ne peut pas feindre néanmoins que son idée ne me représente rien de réel, comme j'ai tantôt dit de l'idée du froid. Elle est aussi fort claire et fort distincte, puisque tout ce que mon esprit conçoit clairement et distinctement de réel et de vrai, et qui contient en soi quelque perfection, est contenu et renfermé tout entier dans cette idée. Et ceci ne laisse pas d'être vrai, encore que je ne comprenne pas l'infini, et qu'il se rencontre en Dieu une infinité de choses que je ne puis comprendre, ni peut-être aussi atteindre aucunement de la pensée; car il est de la nature de l'infini que moi qui suis fini et borné ne le puisse comprendre; et il suffit que j'entende bien cela, et que je juge que toutes les choses que je conçois clairement, et dans lesquelles je sais qu'il y a quelque perfection, et peut-être aussi une infinité d'autres que j'ignore, sont en Dieu formellement ou éminemment, afin que l'idée que j'en ai soit la plus vraie, la plus claire et la plus distincte de toutes celles qui sont en mon esprit.
Par exemple si nous essayons de la faire correspondre à ce qu'elle indique en nous en la faisant grandir :







Nous arrivons à un point où il nous faut admettre que l'idée que nous avons de nous-même est inclus dans cette idée infinie et non l'inverse.


 Descartes conclut sa 3ème Méditation métaphysique en disant :
Mais auparavant que j'examine cela plus soigneusement, et que je passe à la considération des autres vérités que l'on en peut recueillir, il me semble très à propos de m'arrêter quelque temps à la contemplation de ce Dieu tout parfait, de peser tout à loisir ses merveilleux attributs, de considérer, d'admirer et d'adorer l'incomparable beauté de cette immense lumière au moins autant que la force de mon esprit, qui en demeure en quelque sorte ébloui, me le pourra permettre. Car comme la foi nous apprend la souveraine félicité de l'autre vie ne consiste que dans cette contemplation de la majesté divine, ainsi expérimentons-nous dès maintenant qu'une semblable méditation, quoique incomparablement moins parfaite, nous fait jouir du plus grand contentement que nous soyons capables de ressentir en cette vie.
A la lecture, on peut hésiter : nous parle-t-il d'une idée intellectuelle de Dieu ou d'une expérience de la lumière de Dieu ?

En revenant à Anselme de Canterbory, nous percevons que la chose la plus grande qui se puisse penser déborde vers quelque chose au-delà de notre pensée sans pouvoir l'atteindre. Nous atteignons par l'idée d'infini le bord extrême de notre pensée qui semble suspendu dans une conscience plus large et ample que la nôtre.

En effet il écrit dans son Prolosgion, chapitres II-IV :
Or donc, l'insensé lui-même doit convenir qu'il y a dans l'intelligence quelque chose dont on ne peut rien concevoir de plus grand, parce que lorsqu'il entend (cette expression), il la comprend, et tout ce que l'on comprend est dans l'intelligence. Et certainement ce dont on ne peut rien concevoir de plus grand ne peut être dans l'intellect seul. En effet, s'il n'était que dans l'intelligence, on aurait pu penser qu'il soit aussi en réalité : ce qui est plus. Or donc, si l'être dont on ne peut concevoir de plus grand est dans l'intelligence seule, cette même entité, dont on ne peut rien concevoir de plus grand, est quelque chose dont on peut concevoir quelque chose de plus grand : mais certainement ceci est impossible. Par conséquent, il n'y a aucun doute que quelque chose dont on ne peut rien concevoir de plus grand existe et dans l'intelligence et dans la réalité.

Le monothéisme interprète cette expérience comme le point où dans notre vision intérieure nous touchons la lumière incréée de Dieu. Ce n'est jamais immédiatement lumineux et glorieux mais c'est une conscience au-delà de toute idée d'infini et qui seule la contient réellement alors que la nôtre en est débordée.

L'expérience de l'idée d'infini nous permet de distinguer notre pensée, notre connaissance et la conscience divine qui va au-delà de toute pensée et donc s'en distingue.

Nous touchons avec cette réalité au-delà de notre pensée humaine à la nuée obscure où Dieu se voile. Il y a la situation paradoxale dans cette expérience de la présence de Dieu par le biais de l'idée d'infini. D'une part on perçoit une part de la gloire divine dans l'idée d'infini, une lumière où il se dévoile à nous tout. D'autre part, en percevant les limites de cette représentation de Dieu à travers l'idée d'infini, Dieu transcende son idée en nous et entourant notre pensée d'une nuée obscure où rien ne se donne à connaître de lui. Dans la nuée nous sommes plus proches de lui mais sa gloire nous échappe. Dans l'idée d'infini nous en avons une connaissance mais déjà nous sommes loin de lui.


Anselme écrit  dans son Prolosgion :

CHAPITRE XVI.

Oui, Seigneur, elle est inaccessible la lumière au soin de laquelle vous habitez; nul regard, excepté le vôtre, ne peut en sonder les profondeurs mystérieuses pour vous contempler face à face. Il est donc vrai de dire que je ne la vois point parce qu'elle est trop éclatante pour moi ; et cependant tout ce que je vois c'est par elle que je le vois. Ainsi celui dont la vue est faible, voit tous les objets qui l'entourent au moyen de la lumière du soleil, bien qu'il ne puisse contempler dans le soleil lui-même la lumière qui l'éclaire. Votre majesté, ô mon Dieu, étonne mon intelligence; la splendeur qui vous environne a trop d'éclat; les yeux de mon âme ne peuvent supporter les rayons de votre gloire. Votre lumière m'éblouit. Votre grandeur m'accable. Votre immensité m'écrase, et ma raison se perd dans les profondeurs mystérieuses de votre nature.
Ô lumière sublime et inaccessible ! Ô vérité suprême et éternelle ! Que tu es loin du moi, qui suis si près de toi ! Tu m'environnes, et je ne puis jouir de ton aspect; tu remplis l'univers de ta présence, et je ne te vois pas; je vis et j'existe en toi, et je ne puis t'approcher; tu es en moi, autour de moi, partout, et je ne t'aperçois point !

CHAPITRE XVII.

Ô mon Dieu ! Vous restez encore caché à mon âme dans les profondeurs de votre lumière et de votre béatitude, et c'est pourquoi mon âme reste encore dans ses ténèbres et dans sa misère. Elle vous regarde et ne peut contempler votre beauté ; elle vous écoute et ne peut entendre l'harmonie de votre voix; elle vous respire et ne peut s'enivrer des parfums délicieux qu'exhale votre essence ; elle vous goûte et ne peut connaître votre saveur divine ; elle vous touche et ne peut sentir combien vous êtes doux. Pourtant toutes ces propriétés sont en vous, elles sont en vous d'une manière ineffable, puisque vous les avez données aux objets que vous avez créés ; mais les sens de mon âme sont énervés, engourdis par la longue torpeur du péché.
Poursuivons encore dans la plus pure tradition chrétienne notre approche de l'existence de Dieu en considérant l'idée d'infini comme absence de bornes (contrairement à certains infinis mathématiques bornés). Dans son Traité de l'existence de Dieu, Fénelon reprend cet examen de l'idée d'infini :
L'être borné peut-il imaginé et inventer l'infini, si l'infini n'est point ? Notre esprit, si faible et si court, ne peut se former par lui-même cette image, qui n'aurait aucun patron. Aucun des objets extérieurs qui nous environnent ne peut nous donner cette image ; car ils ne peuvent nous donner l'image que de ce qu'ils sont ; et ils ne sont rien que de borné et d'imparfait. Où la prenons-nous donc cette image distincte, qui ne ressemble à rien de tout ce que nous sommes, et de tout ce que nous connaissons ici-bas hors de nous ? D'où nous vient-elle ? Où est donc cet infini que nous ne pouvons comprendre parce qu'il est réellement infini, et que nous ne pouvons néanmoins méconnaître, parce que nous le distinguons de tout ce qui lui est inférieur ? où est-il ? S'il n'était pas, pourrait-il venir se graver au fond de notre esprit ?

Par la suite, il conclura en insistant sur le fait que notre intériorité et l'immensité (l'idée d'infini donc) sont forcément toutes deux inclues dans la lumière divine. A l'occasion, il déconstruit toutes nos compartimentations (sur ce concept, voir notre article ici) pour nous permettre de la reconnaître dans son évidence. Non, Dieu n'est pas extérieur à nous comme l'est usuellement ce qui correspond à tel concept concernant une existence autre que la nôtre. Mais non plus, on ne peut le dire strictement intérieur à nous ou autrement dit de même substance que nous puisqu'il nous dépasse infiniment :
C'est donc à la lumière de Dieu que je vois tout ce qui peut être vu.
Mais quelle différence entre cette lumière et celle qui me paraît éclairer les corps ! C'est un jour sans nuage et sans ombre,sans nuit, et dont les rayons ne s'affaiblissent par aucune distance. C'est une lumière qui n'éclaire pas seulement les yeux ouverts et sains, elle ouvre, elle purifie, elle forme les yeux qui doivent être dignes de la voir. Elle ne se répand pas seulement sur les objets pour les rendre visibles; elle fait qu'ils sont vrais, et hors d'elle rien n'est véritable; car c'est elle qui fait tout ce qu'elle montre. Elle est tout ensemble lumière et vérité; car la vérité universelle n'a pas besoin de rayons empruntés pour luire. Il ne faut point la chercher, cette lumière en dehors de soi : chacun trouve en soi-même ; elle est la même pour tous. Elle découvre également toute chose ; elle se montre à la fois à tous les hommes dans tous les coins de l'univers. Elle met au dedans de nous ce qui est dans la distance la plus éloignée ; elle nous fait juger de ce qui est au-delà des mers, dans les extrémités de la terre, par ce qui est au dedans de nous. Elle n'est point nous-mêmes ; elle n'est point à nous ; elle est infiniment au-dessus de nous : cependant elle nous est si familière et si intime, que nous la trouvons aussi près de nous que nous-mêmes. Nous nous accoutumons même à supposer, faute de réflexion, qu'elle n'est rien distingué de nous. Elle nous réconcilie souvent avec nous-mêmes : jamais elle ne tarit ; jamais elle ne nous trompe ; et nous ne nous trompons que faute  de la consulter assez attentivement, ou en décidant avec impatience quand elle ne décide pas.

Ô vérité, ô lumière, tous ne voient que par vous ; mais peu vous voient et vous reconnaissent ! On ne voit tous les objets de la nature que par vous ; et on doute si vous êtes !
Plus loin dans ce Traité de l'existence de Dieu, Fénelon reprenant sa réflexion sur l'idée d'infini aboutira logiquement à l'énoncé suivant :
Il faut donc en conclure invinciblement que c'est l'être infiniment parfait qui se rend immédiatement présent à moi quand je le conçois, et qu'il est justement l'idée que j'ai de lui.
[...]  N'étant rien, du moins n'étant qu'un être emprunté, borné, passager, je tiens de l'infini et de l'immuable que je conçois : par là je ne puis me comprendre moi-même. J'embrasse tout, et je ne suis rien, je suis un rien qui connaît l'infini : les paroles me manquent pour m'admirer et me mépriser tout ensemble. O Dieu ! Ô le plus être de tous les êtres ! ô être devant qui je suis comme si je n'étais pas ! vous vous montré à moi ; et rien de tout ce qui n'est pas vous ne peut vous ressembler. Je vous vois; c'est vous-même : et ce rayon qui part de votre face rassasie mon cœur, en attendant le plein jour de la vérité.

Mais cette expérience spirituelle corrélée à l'idée d'infini et à la conscience de la conscience infinie au-delà de l'idée qui réellement la contient ne semble pas exclusivement une expérience monothéiste.




« Verset 25.25
Et encore, ô Ananda, un disciple, sans se concentrer sur la perception concernant la " sphère de la conscience infinie", sans se concentrer sur la perception concernant la " sphère du néant", se concentre sur le caractère unique fondé sur la perception concernant la "sphère sans perception ni non-perception". Sa pensée plonge dans la perception concernant la "sphère ni de la perception ni de la non-perception". Sa pensée s’y plaît. Sa pensée s’y établit. Sa pensée s’y libère.
Verset 25.26
Alors il sait : Ici, il n’existe pas de soucis qui se produisent à cause de la perception concernant la "sphère de la conscience infinie". Ici, il n’existe pas de soucis qui se produisent à cause de la perception concernant la "sphère du néant". Ici, il y a seulement des soucis qui se produisent à cause du caractère unique de la pensée fondée sur la perception concernant la "sphère sans perception ni non-perception ".
Verset 25.27
Alors il sait : "Cette aperception est vide de la perception concernant la "sphère de la conscience infinie". Cette aperception est vide de la perception concernant la "sphère du néant". Cette aperception est non vide seulement du caractère unique fondé sur la perception concernant la "sphère sans perception ni non-perception".
Verset 25.28
De cette façon, s’il n’y a pas une chose, il constate bien cette absence. S’il y en a un résidu, à propos de ce résidu, il comprend : "Quand ceci est, cela est." Ainsi, ô Ananda, pour ce disciple, c’est aussi l’arrivée dans une vacuité qui est vraie, non fausse et pure.
Verset 25.29
Et encore, ô Ananda, un disciple, sans se concentrer sur la perception concernant la "sphère du néant", sans se concentrer sur la perception concernant la "sphère sans perception ni non-perception ", se concentre sur le caractère unique fondé sur la "concentration mentale qui est sans indice". Sa pensée plonge dans la " concentration mentale qui est sans indice". Sa pensée s’y plaît. Sa pensée s’y établit. Sa pensée s’y libère.
Verset 25.30
Alors il sait : "Cette concentration mentale qui est sans indice est un état conditionné. Elle est un état produit par la pensée. Si une chose est conditionnée, si elle est une production de la pensée, elle est sûrement impermanente ; elle est sujette à la dissolution."
Verset 25.31
Quand il sait cela et quand il voit cela, la pensée se libère de la souillure du désir sensuel ; la pensée se libère de la souillure du désir d’existence ; la pensée se libère de la souillure de l’ignorance. Quand il est libéré vient la connaissance : "Voici la libération."
Verset 25.32
Alors il sait : "Toute naissance nouvelle est anéantie, la Conduite pure est vécue, ce qui devait être accompli est accompli, plus rien ne demeure à accomplir." »

Ce sermon est assez difficile à comprendre en tant que tel. La conscience infinie est perçue comme une donnée qui fonctionne avec la conscience du néant. Ceci fait écho à notre idée d'infini qui déborde notre conscience et qui se tient dans une nuée obscure. 
 


Cette représentation du champ de perception par Douglas Harding permet de voir que la conscience du néant ou la nuée obscure (le je ne suis rien) enveloppe et se superpose à la conscience infinie de l'univers. Le Bouddha nous invite à nous intéresser à cette superposition au lieu de nous perdre dans l'idée de l'ego et de ses objets. Il y a alors un au-delà de la perception et de la non perception. La conscience infinie est le tout de la perception tandis que la conscience du néant ou de la nuée obscure est la non perception.



Le verset 25.26 montre l'effet bénéfique de se tenir simultanément dans la conscience infinie et la conscience du néant. Douglas Harding parlait d'une flèche à double direction. le doigt pointé vers nous pointe la conscience du néant et le doigt pointé vers le monde, la conscience infinie. Je continue de m'intéresser au tout des phénomènes du monde tout en étant détaché : je me tiens sans souci dans la double direction. Je ne cherche ni à fuir le monde par une ascèse exagérée ni je ne me retrouve prisonnier du monde grâce au détachement offert par la conscience du néant. Par exemple dans le monde je tiens compte du temps mais la temporalité ne m’atteint pas dans la conscience simultanée du néant ?

Le verset 25.27 traduit le fait qu'il n'y a pas mouvement de perception, il n'y a aucun effort à faire. les efforts sont ce qui nous dirige soit vers la conscience infinie au dépend de la conscience du néant soit vers la conscience du néant au dépend de la conscience infinie et donc du monde des phénomènes. Il n'y a plus effort de perception ou de non perception, il y a aperception.

Le verset 25.28 nous indique que cette expérience est l'expérience authentique de la vacuité ou plus exactement sa réalisation puisqu'il n'y a plus de pensée à ce niveau pour faire une expérience. La pensée dans cette équilibre n'est qu'un phénomène de la conscience infinie englobée dans la non dualité aperceptive de la perception et de la non perception.

Les versets suivant montrent comment cette compréhension issue d'un effort de concentration mentale peu à peu se réalise sans qu'il soit besoin de pensée précise, ni même de désir soubassement de la pensée. Le sermon pointe alors le Nirvana, cette réalisation où il n'y a plus aucun désir pouvant faire renaître le désir comme illusion.



Ce schéma tente une présentation de cette réalisation sans trancher entre l'interprétation bouddhiste et l'interprétation des plus grands mystiques chrétiens. Car le divin ou la réalisation absolu selon ces deux visions est au-delà d'au-delà de tout, l'infini de l'infini. Elle n'est pas du tout personnelle puisqu'il n'y a en elle absolument aucun trait de personnalité. Elle n'est pas non plus totalement impersonnelle puisqu'elle embrasse la personne. Il est l'évidence insaisissable d'une transcendance "transpersonnel" englobant tout et d'où tout se manifeste sur fond de rien.

La question sur l'interprétation de la conscience qui s'aperçoit dans l'expérience de l'infini reste ouverte puisque cette conscience en permet de multiples.

On notera que la place et le statut de la manifestation (de l'univers) sont différents dans l'approche bouddhiste de ce sermon et dans l'approche monothéiste d'Anselme, de Descartes et de Fénelon.

Le bouddhisme dans ce sermon sur la vacuité en voulant se libérer de la soif de vie affirme qu'il faut se libérer de l'identification à une personne alors que le monothéisme assure la rédemption de la personne en lui (re)donnant le statut de fils (adoptif) de Dieu qu'elle avait perdue de vue à cause de la faute originelle. Mais ne pourrait-on pas redonner à la personne un statut positif dans le cadre de la vacuité bouddhiste ? N'est-ce pas ce que le grand véhicule avec la notion de Bodhisattva a accompli puisqu'il s'agit de faire le vœu de rester une personne par compassion pour que l'humanité entière se libère de la souffrance ? La personne (1) est le fruit de la transcendance suprême (l'infini de l'infini) au sein de la vacuité (0).


samedi 15 octobre 2011

ÉLARGIR LA CONSCIENCE POUR FAIRE FACE A LA DIFFICULTÉ. LES ENTRETIENS DE MÈRE.


Henri Borel dans Wu Wei écrit : 

« Lorsque tu sauras être Wu Wei, Non-Agissant, au sens ordinaire et humain du terme, tu seras vraiment, et tu accompliras ton cycle vital avec la même absence d’effort que l’onde mouvante à nos pieds. Rien ne troublera plus ta quiétude. Ton sommeil sera sans rêves, et ce qui entrera dans le champ de ta conscience ne te causera aucun souci. Tu verras tout en Tao, tu seras un avec tout ce qui existe, et la nature entière te sera proche comme une amie, comme ton propre moi. Acceptant sans t’émouvoir les passages de la nuit au jour, de la vie à trépas, porté par le rythme éternel, tu entreras en Tao où rien ne change jamais, où tu retourneras aussi pur que tu en es sorti. »



Mère dans ses Entretiens du 29 août 1956 disait :

« Maintenant, après cette explication préliminaire, je vais vous lire ce que j'avais écrit et que l'on m'a demandé de commenter. Ce sont des aphorismes, qui peut-être appellent des explications. J'avais écrit cela, inspirée peut-être par la lecture dont je vous pariais tout à l'heure [Wu Wei de Henri Borel], mais c'était surtout l'expression d'une expérience personnelle :

"Il faut être spontané pour pouvoir être divin."

C'est ce que je vous ai expliqué juste maintenant. Alors se pose la question : comment être spontané ?

"Il faut être parfaitement simple pour pouvoir être spontané."

Et comment être parfaitement simple ?

"Il faut être absolument sincère pour pouvoir être parfaitement simple."

Et maintenant, que veut dire être absolument sincère ?

"Être absolument sincère, c'est n'avoir aucune division, aucune contradiction dans son être."

Si vous êtes fait de morceaux, qui sont non seulement différents, mais souvent tout à fait contradictoires, ces morceaux nécessairement créent une division dans votre être. Par exemple, vous avez une partie de vous-même qui aspire à la vie divine, à connaître le Divin, à s'unir à Lui, à Le vivre intégralement, et puis vous avez une autre partie qui a des attachements, des désirs (ce qu'elle appelle des « besoins ») et qui non seulement recherche ces choses, mais est tout à fait bouleversée quand elle ne les a pas. Il y a d'autres contradictions, mais celle-là est la plus flagrante. Il y en a d'autres, comme celle-ci, par exemple, de vouloir se soumettre complètement au Divin, s'abandonner totalement à sa Volonté et à sa Direction, et en même temps, quand vient l'expérience qui est une expérience courante sur le chemin quand on essaie sincèrement de s'abandonner au Divin), la notion qu'on n'est rien, qu'on ne peut rien, qu'on n'existe même pas en dehors du Divin; c'est-à-dire que s'il n'était pas là, on n'existerait pas et on ne pourrait rien faire, on ne serait rien du tout... Cette expérience vient naturellement comme une aide sur le chemin du don de soi total, mais il y a une partie de l'être, quand l'expérience vient, qui entre dans une terrible révolte et qui dit : « Mais pardon ! Je tiens à être ! Je tiens à être quelque chose, je tiens à faire les choses moi-même, je veux avoir une personnalité ». Et naturellement, la seconde défait tout ce que la première avait fait.
Ce ne sont pas des cas exceptionnels, c'est très fréquent. Je pourrais vous donner d'innombrables exemples de contradictions comme cela dans l'être : quand l'un essaie de faire un pas en avant, l'autre vient et démolit tout. Alors on a tout le temps à recommencer, et tout le temps c'est démoli. C'est pour cela qu'il faut faire ce travail de sincérité qui fait que si l'on aperçoit dans son être une partie qui tire de l'autre côté, la prendre soigneusement, l'éduquer comme on éduque un enfant et la mettre en accord avec la partie centrale. Cela, c'est le travail de sincérité qui est indispensable.
Et c'est naturellement, quand il y a une unité, un accord, une harmonie dans toutes les volontés de l'être, que l'on peut avoir un être simple, candide, et uniforme dans son action et dans sa tendance. C'est seulement quand tout l'être est groupé autour d'un mouvement central unique, que l'on peut être spontané. Parce que si, au-dedans de vous, il y a quelque chose qui est tourné vers le Divin et qui attend l'inspiration et l'impulsion, et qu'en même temps il y ait une autre partie de l'être qui recherche ses propres fins et qui travaille à réaliser ses désirs, on ne sait plus où l'on en est, et on ne peut pas non plus être sûr de ce qui arrive, parce qu'une partie peut non seulement défaire, mais contredire totalement ce que l'autre veut faire.


Et bien sûr, pour être en accord avec ce qui est dit dans Wu Wei, après avoir vu très clair ce qu'est nécessaire et ce qui doit être fait, il est recommandé de ne mettre ni de violence ni trop d'ardeur dans la réalisation de ce programme, parce qu'un excès d'ardeur est au détriment de la paix et de la tranquillité, et du calme nécessaire pour que la Conscience divine puisse s'exprimer à travers l'individu. 
Et cela revient à ceci :
L'équilibre est indispensable, le chemin qui évite soigneusement les extrêmes opposés est indispensable, la trop grande hâte est à redouter, l'impatience vous empêche d'avancer ; et en même temps, l'inertie vous met des boulets aux pieds.
Alors pour toutes choses, - c'est le chemin du milieu comme l'appelait le Bouddha, qui est le meilleur.

(silence)

Il y a deux autres questions ici, qui sont corollaires. La première question est comme ceci :

Qu'entendez-vous par ces paroles : "Quand vous avez une difficulté, élargissez" ?


Je parle naturellement des difficultés sur le chemin du yoga, des incompréhensions, des limitations, des choses qui sont comme des obstacles, qui vous empêchent d'avancer. Et quand je dis « élargissez », je veux dire élargissez votre conscience.
Les difficultés proviennent toujours de l'ego, c'est-à-dire de la réaction personnelle, plus ou moins égoïste, que vous avez vis-à-vis des circonstances, des événements et des gens qui vous entourent, des conditions de votre vie. Elles viennent aussi de ce sentiment d'être enfermé dans une sorte de coque, qui empêche votre conscience de s'unir à des réalités plus hautes et plus vastes.


On peut très bien penser qu'on veut être vaste, qu'on veut être universel, que tout est l'expression du Divin, qu'il ne faut pas avoir d'égoïsme — on peut penser beaucoup de choses — , mais ce n'est pas nécessairement une guérison, parce que très souvent on sait ce que l'on doit faire, et puis on ne le fait pas, pour une raison ou une autre. Mais si, quand on a à faire face à une angoisse, une souffrance, une révolte, une douleur, ou un sentiment d'impuissance — n'importe, toutes les choses qui vous arrivent sur le chemin et qui sont justement des difficultés — , si vous pouvez physiquement, c'est-à-dire dans votre conscience corporelle, avoir l'impression de vous élargir, on pourrait dire de vous déplier
 (vous vous sentez comme quelque chose qui est tout replié, un pli sur l'autre, comme une étoffe, n'est-ce pas, qui est pliée et repliée et encore pliée), alors si vous avez cette impression que ce qui vous tient et qui vous serre et qui vous fait souffrir, ou qui vous immobilise dans votre mouvement, est comme une étoffe qui serait pliée trop serrée, trop étroitement, ou comme un paquet qui serait trop bien ficelé, trop bien fermé, et que lentement, petit à petit, vous défaites tous les plis et que vous vous étalez, comme on déplie justement une étoffe ou un papier et qu'on le répand à plat, qu'on se fait plat et très large, aussi large que l'on peut, en se répandant aussi loin que l'on peut, en s'ouvrant et en s'étalant dans une attitude de complète passivité, avec ce que je pourrais appeler « la face à la lumière » : ne pas se recroqueviller sur sa difficulté, se replier sur elle, l'enfermer pour ainsi dire dans votre personne, mais au contraire vous déployer autant que vous pouvez, aussi parfaitement que vous pouvez, en présentant la difficulté à la Lumière — la Lumière qui vient d'en haut — , si vous faites cela dans tous les domaines, et même si mentalement vous n'y arrivez pas (parce que c'est quelquefois difficile), si vous pouvez imaginer que vous faites cela physiquement, presque matériellement, eh bien, quand vous aurez fini de vous déplier et de vous étaler, vous vous apercevrez, que plus des trois quarts de la difficulté sont partis. Et alors juste un petit travail de réceptivité à la Lumière, et le dernier quart disparaîtra.

C'est beaucoup plus facile que de lutter contre une difficulté avec sa pensée, parce que si vous commencez à discuter avec Vous-même, vous vous apercevrez qu'il y a des arguments pour et contre qui sont tellement probants, qu'il est tout à fait impossible de s'en tirer sans une lumière supérieure. Là, vous ne luttez pas contre la difficulté, vous n'essayez pas de vous convaincre vous-même, ah ! Simplement, vous vous étalez devant la lumière comme si vous vous étendiez sur le sable devant le soleil. Et vous laissez la lumière faire son œuvre. Voilà.

(Silence
Et voici l'autre question :

Quelle est la façon la plus aisée de s'oublier soi-même?

Naturellement cela dépend de chacun ; chacun a sa manière spéciale de s'oublier, qui est pour lui la meilleure. Mais évidemment, il y a une manière assez générale qui peut s'appliquer sous des formes diverses : c'est de s'occuper de quelque chose d'autre. Au lieu de s'occuper de soi, on peut s'occuper de quelqu'un d'autre, ou des autres, ou d'un travail, ou d'une activité intéressante et qui demande de la Concentration.
Et c'est encore la même chose : au lieu de se replier sur soi et de se contempler, ou de se choyer pourrait-on dire, comme la chose la plus précieuse au monde, si l'on peut se déployer et s'occuper d'autre chose, de quelque chose qui n'est pas exactement vous-même, alors c'est la manière la plus simple et la plus prompte de s'oublier.
Il y en a beaucoup d'autres, mais celle-là est à la portée de tout le monde. Voilà mes enfants.
Maintenant, si vous n'avez rien à dire sur ce sujet ou sur autre chose, nous pouvons nous taire. »