samedi 30 décembre 2023

POUR UNE SYNTHESE DES VOIES DEVOTIONNELLES PERSONNELLES ET DES VOIES IMPERSONNELLES EN VUE D'UNE PERFECTION DE L'EVEIL SPIRITUEL.

Préambule :

Cet article présuppose d'avoir une intuition phénoménologique de la lumière spirituelle. Ce que je dénomme ainsi s'inscrit dans une convergence des philosophies spirituelles et des spiritualités religieuses. 

L'article ci-dessous précise le concept de lumière spirituelle à travers ses occurrences et propose une démarche phénoménologique expérimentale pour que se reconnaisse ce que le concept désigne : 

https://carnetphilosophique.blogspot.com/2023/11/experimentations-de-la-presence-de-la.html



L'abord d'un chemin spirituel est bien souvent différent de la pratique sur le long terme.

A première vue, l’engagement spirituel théiste ou déiste semble plus périlleux pour demeurer sa propre autorité. La conviction qu’une relation personnelle avec notre réalité ultime a du sens ne va pas de soi. Elle ne semble pas immédiatement favorable à notre sens moderne de l’autorité personnelle. Un moderne regarde avec commisération un individu qui s’adresse à des objets. La conviction que la lumière spirituelle de la vie universelle pourrait communiquer avec notre personne n’est-elle pas du même ordre ?

Toutefois, rien ne dit qu’un engagement sur des voies prônant l’impersonnalité de la vie universelle soit moins périlleux. Telle voie bouddhiste ou telle voie spirituelle venue d’Inde ou de Chine présuppose souvent de suivre aveuglément un chemin traditionnel ou un maître spirituel censé nous guider[1].

Par ailleurs, rien ne permet d’affirmer de façon indiscutable l’absence de dimensions personnelles au sein même de la lumière spirituelle.

Les voies impersonnelles ont une curieuse notion de non savoir de l'absolu lorsqu'elles proclament l'impersonnalité de l'essence de la présence.

Les expérimentations proposées ici donnent à voir la lumière spirituelle comme vacuité et davantage comme ténèbres lumineuses. L'évidence lumineuse est indéniable quand elle s’aperçoit, mais elle s’aperçoit dans notre individualité et ses limites. Des ténèbres demeurent dans cette lumière intérieure. Elles laissent encore indistinctes des dimensions qu’une transformation de notre individualité révélera.

Quand le dévot, ici un amoureux de l’amour, a trouvé en lui la lumière spirituelle, il sait qu’il entrevoit le trône de son Dieu ou de sa déité au centre de l’esprit. Il se situe plus facilement en périphérie. Jusqu’à son unité d’amour avec le Divin, au centre de soi, il se situera en tant que personne, à la périphérie, qui reste à transformer.

Celui qui trouve la lumière impersonnelle en son centre par un chemin de reconnaissance affirme qu’au centre de soi, il n’y a personne. Il évitera sans doute plus aisément les pièges de la croyance que le dévot.

Cependant prêtons attention à la mise en garde de Sri Aurobindo :


"Oui, la soumission au Divin impersonnel (sans forme) laisserait certaines parties de l'être assujetties aux gouna et à l'ego, car les parties statiques seraient libérées dans le sans-forme alors que la nature active resterait livrée au jeu des gouna. Nombreux sont ceux qui se croient libérés de l'ego parce qu'ils ont le sentiment d'une existence sans forme. Ils ne voient pas que des éléments égoïstes subsistent dans leurs actes tout comme avant.", Lettres sur le yoga, III, Buchet/Chastel, p.129.


On ne peut certes pas opposer la sécheresse impersonnelle et la passion dévotionnelle. Il y a aussi une compassion fondée sur cette dimension impersonnelle qui n’est pas sans faire écho à l’amour cultivé par la dévotion.
Mais selon nous, approfondir l’impersonnalité ne devrait pas empêcher de questionner certaines idées et de retrouver la valeur infinie de la dimension personnelle inscrite au cœur même de la source de ce qui est et qui devient.
Par exemple, dans quelle mesure est-il vrai qu'il n'y a rien à faire sinon laisser la vie universelle et impersonnelle se réaliser ici ? En tenant ce discours, nous pouvons en effet aisément nous autoriser un refus subtil de participer personnellement à transformer en nous ce qui résiste à l’élan évolutif de la vie universelle. Affirmer qu’il n’y a rien à faire revient alors à ignorer que notre individualité n’est pas seulement le produit en devenir de forces et d’énergies cosmiques.

Si incarner consciemment une individuation directe de la vie universelle elle-même est possible, nourrir patiemment l’aspiration à le réaliser sera alors crucial.

Si une individuation de la vie universelle a du sens en amont de notre ego qui s'identifie à cette individualisation dont il réclame la propriété, alors en la vie universelle, une dimension impersonnelle s'accompagne d'une dimension personnelle.

S’agripper à la paix immuable de la vie universelle et en ignorer l’impulsion évolutive limite l’ouverture de notre cœur et son intelligence. On préserve secrètement alors un dualisme subtil entre un monde relatif périphérique, endroit où les désirs humains sont perpétués, et la conscience d’une liberté absolue.

Certains philosophes opposent l'altruisme efficace à un altruisme et une compassion s'exerçant d'abord par empathie. S'il y a une évolution mettant en jeu l'amour alors aimer sans y participer ne serait pas très efficace.

Un dévot sait dans la lumière de sa déité qu’il doit être transformé pour ne faire qu’un avec elle : il aspire à fondre sa vie personnelle dans l’absolu. Au centre de tout, du point de vue de l’absolu qui se découvre à lui, il peut voir que tout est parfait en être et en devenir. Pour un dévot, en effet, le divin est parfait en être et en acte. Son amour, cependant, le pousse à discerner davantage ce qui est à transformer en lui pour s’unir totalement à son essence absolue (qu'est le divin) dans les profondeurs de son cœur. Immanquablement, des résistances au devenir se dévoilent. Les surmonter lui réclame un effort d’aspiration plus sincère en vue d'un don de soi au Divin.

Sri Aurobindo précise ce paradoxe de l'effort et du don de soi :

" Dans la mesure du don et de la consécration de soi, le sâdhak [l'aventurier spirituel] prend conscience que la Shakti divine [La Mère Esprit du Devenir] fait la sâdhâna [le chemin spirituel] et pénètre en lui de plus en plus en y établissant la liberté et la perfection de la Nature divine. Plus cette opération consciente remplace son propre effort, plus rapide et véritable devient le progrès. Mais elle ne peut faire disparaître complètement la nécessité de l'effort personnel qu'au moment où la soumission et la consécration sont devenues pures et complètes de haut en bas.
Remarquez qu'une soumission tamasique [liée à notre inertie, induisant léthargie et paresse] refusant de se soumettre aux conditions et demandant au Divin de tout faire et de vous épargner toutes les difficultés et toutes les luttes, est une duperie et ne mène ni à la liberté ni à la perfection.", Sri Aurobindo, La Mère.

A cet endroit, une démarche dévotionnelle sincère peut recourir au tranchant de la connaissance.

Mieux connaître la vie universelle en son être et en son devenir mettra à jour des croyances non questionnées, des ombres insoupçonnées. Ces résistances à la transformation spirituelle ont des composantes socioculturelles autant que personnelles.

Joindre le point de vue impersonnel de la connaissance et le point de vue personnel de la dévotion amènerait alors à mieux entrer dans le processus évolutif de la vie universelle. Il amènerait aussi à mieux le servir.

Une fois la vie universelle réalisée, une fois nos vies personnelles devenues ondes embarquées sur le grand fleuve de la vie, une partie de nous se dissout en effet dans une paix immuable, sans forme, et il n’y a plus rien à faire à ce sujet.

Mais, au nom de cette paix immuable, il y a de la mauvaise foi à affirmer que tout est parfait et à nier qu’il y ait un perfectionnement à l’œuvre.

Il ne s’agit pas d’un idéalisme. Les formes individuelles et socioculturelles peuvent vivre un processus spirituel de transformation.

Si la dynamique de ce perfectionnement de la vie universelle se matérialisait sous nos yeux, elle liquiderait toutes nos tentations nihilistes et notre défiance à la racine. Aucune forme de foi ne serait plus d’actualité. Mais notre attentisme aurait fait partie du nœud évolutif qui viendrait d’être surmonté.

Et surtout, il serait évident que nous aurions pu nous laisser gagner depuis longtemps par la joie intérieure créatrice du processus spirituel de transformation. Nous saurions alors sans aucun doute que cette joie avait toujours brillé et impulsé notre devenir sans attendre notre adhésion pleine et entière.

Dans La cause de Dieu, paragraphes 71 et suivants, l'un de ses Essais de Théodicée, Leibniz décrit ce processus paradoxal liant la paix immuable du fleuve de la vie, qu’il appelle Dieu, et son processus d’écoulement temporel transformateur. Pour lui, ce fleuve divin de la vie nous emmène tous sans exception. Tous nos progrès résultent de sa force d’écoulement et, à la fin, nous pourrions tous être amenés à évoluer à sa vitesse :

« Lorsqu'un fleuve emporte avec soi des embarcations, il leur imprime une vitesse, mais limitée par leur inertie propre, en sorte que, toutes choses égales d'ailleurs, les plus chargées vont le moins vite. Ici donc, la rapidité vient du fleuve, et la lenteur du fardeau ; le positif de la vertu du moteur, et le privatif de l'inertie du mobile.
C'est de la même manière, doit-on dire, que Dieu attribue de la perfection aux créatures, mais une perfection limitée par leur réceptivité propre.
De la sorte, l'entendement se trompera souvent par défaut d'attention, la volonté se brisera par défaut de promptitude, toutes les fois que l'esprit, qui doit tendre jusqu'à Dieu, c'est-à-dire jusqu'au Bien Suprême, s'attachera par inertie […]. »



Chacun est embarqué dans le processus évolutif de la vie universelle, qu’il le veuille ou non, qu’il en soit conscient ou non. Chacun évolue à son rythme, avec ses difficultés et des résistances. Ces différences font partie de notre individuation.
L’aventure de ceux qui naviguent devant nous préfigure la nôtre. Dans le sillage de ceux qui précèdent, certains, dont l’embarcation semblait fragile, prendront le relai. Ils utiliseront les routes tracées par leurs aînés et iront toujours plus avant.
Sur le fleuve de la vie, la foi et la confiance en la vie universelle supposent que ce qui nous sépare ne peut que s’amoindrir.
Le pari spirituel auquel nous invitons ici est de réaliser qu’une même vie s’individue innombrablement. Ce pari spirituel peut faire de certains d'entre nous les pionniers d’une fraternité ouverte surmoderne.





Périssoires à Yerres (1877) - Gustave Caillebotte




[1]. Sur la question de demeurer sa propre autorité spirituelle face à un enseignant qui se présente comme maître spirituel, nous renvoyons aux critères de discernement de notre Guide Almora de la spiritualité.

dimanche 3 décembre 2023

ELEMENTS POUR NOURRIR UNE FOI EN LA VIE AU-DELA DE TOUTE CROYANCE ET NIHILISME

Krishna - Tableau de Niranjan Guha Roy

Un des points les plus délicats pour fonder des sciences de l'art spirituel (comme nous en avons posé les bases dans cet article qu'on trouvera en cliquant ici) est la question de la foi et de la croyance.


LE CONTRAIRE DE LA FOI N'EST PAS L'INCROYANCE MAIS LE NIHILISME


Dans le chant XVII, 3, la Bhagavad Gîtâ affirmait :

« 2. La foi est, dans les âmes, de trois sortes ; expression en chacune de sa nature [énergétique et physique] propre, elle se colore de sattva [VERTU], de rajas [PASSION] et de tamas [IGNORANCE et INERTIE]. 

Écoute !

3. La foi de chacun est, ô Bhârata, conforme à son être intime ; c’est sa foi qui fait l’homme ; telle sa foi, tel il est lui-même.

4. Les êtres de sattva sacrifient aux dieux, les êtres de rajas aux Yakshas et aux Rakshas ; les autres, les hommes de tamas, sacrifient aux morts et aux spectres. »[1]

On peut soupçonner là des ruses de théologiens pour utiliser un vocabulaire religieux applicable à tous, y compris à l’athée. Mais il y a la vérité du propos : nos croyances peuvent changer du tout au tout, mais notre foi ne fait que se déplacer. Il arrive que, parlant d’un passé religieux, on dise qu’on a perdu la foi, mais, à notre insu, on confond alors la foi avec certaines croyances. L’alignement entre notre personne et la vie ne change que si la profondeur de notre foi elle-même se transforme. Le contraire de la foi n’est pas l’incroyance. Un philosophe sceptique authentique aura foi dans la pratique de la suspension de tous ses jugements. Sa foi sceptique lui fait comprendre qu’il faut éviter toute conclusion dogmatique sur quoi que ce soit. Sa relativisation des croyances par le doute est une foi pratique pour s’ouvrir en profondeur au jeu de la vie.


Envisageons le pari que le développement de la foi et de la confiance sous ses diverses formes fasse partie d’une individuation de la vie universelle à travers nous. Les difficultés majeures rencontrées pourraient être semblables à des pathologies auto-immunes. Des systèmes de pensées, des schémas émotionnels ou des habitudes physiques, qui furent, à un moment donné, pertinents pour fortifier notre équilibre psychique et organique, s’avèrent par la suite des obstacles à l’individuation de la vie en nous. Pour notre pari, l’impasse majeure du développement de la foi et de la confiance est certainement la négation de la valeur de la vie par des formes de vie. Ainsi, s’il y a bien un ennemi de la foi et de la confiance, selon nous, c’est le nihilisme.

RETROUVER LA VERTU ENFANTINE D'UNE FOI SANS DEFIANCE ?


Pour réfléchir sur la dimension pathologique du nihilisme, on peut examiner l’émergence dans la petite enfance d’une défiance originaire face à une confiance originaire. Dans ses premières années, un enfant est tout sauf nihiliste, il a une confiance radicale en la vie qui le fait grandir et se développer.

Dans Dieu existe-t-il ?, p.513 sq., avant d’exposer sa vision de la croyance en Dieu face à l’athéisme, Hans Küng, un théologien reconnu et discuté au-delà du monde chrétien, défend le développement, à nouveaux frais, d’une confiance originaire en la vie surmontant toute forme de nihilisme. Il se réfère à ce sujet aux travaux du psychologue Erikson. 
Ainsi autant la croyance en Dieu ne nous semble pas un prérequis pour un pari spirituel, autant un rétablissement dans une confiance originaire en la vie nous semble le b.a.-ba de la démarche spirituelle.

Quand nous voyons un enfant, animé par la foi en la vie, vivre tout ouvert au devenir, nos tentations nihilistes deviennent moins fortes.

Face à un enfant animé par cette foi, notre défiance en la vie peut, certes, reprendre le dessus en évoquant l’ignorance de l’enfant.

Les vieilles béquilles de la croyance avec leurs petits et grands espoirs bien pesés semblent donner le sentiment d’être plus raisonnable et expérimenté que peut l’être l'enfants qui ne connait rien à la vie. Mais, pour un moment, un mouvement spontané de confiance en la vie partagé avec un petit enfant aura relégué notre défiance en arrière-plan. Bien sûr, comme tout le monde, une certaine confiance dans nos relations avec les autres et le monde reste à notre portée. Cependant, sauf exception, pour faire confiance, il nous faut un moment de réflexion, il nous faut du temps pour réactiver une émotion positive ou un acte de volonté. Tout délai est inconnu à la confiance originaire de l’enfance qui est un abandon immédiat entre les mains de la vie. Notre réflexion prend du temps pour qu’à l’aide de croyances qui nous redonnent un peu d’espoir, la balance entre confiance et défiance penche davantage vers la confiance. Cependant, ceci signifie que le mouvement de défiance persiste. Il est la racine première de nos tentations nihilistes. Même si la défiance a peu d’ampleur, l’émotion doit faire face à ce sentiment contraire. A cause d’elle, la volonté reste divisée ; la part qui va vers la confiance n’est jamais sûre de l’emporter. Parfois, le fil de la confiance devient si mince que, pour ne pas succomber au désespoir ou ne pas vivre replié complètement sur nous-même, de l’aide est nécessaire. L’aventure spirituelle, elle, s’appuie sur un socle de confiance qui se trouve dans la plénitude de la vie au moment présent.

Certes, beaucoup d’entre nous peuvent estimer que la vie leur a porté des coups qui justifient leur défiance. Le risque reste cependant de laisser celle-ci se nourrir de représentations hors contexte. Les émotions liées aux blessures passées qui réinvestissent le présent pourraient peut-être être dénouées. L’amour du drame et la défiance ont partie liée. Nous sommes prompts aux généralisations abusives. Nous jugeons la vie trop peu fiable pour participer à son jeu évolutif parce que nous la jugeons trop imparfaite en l’état. Cette défiance dénonce volontiers l’imperfection de la vie pour occulter son caractère perfectible et démobilise en nous les mouvements de participation à son évolution. Or, c’est seulement si la vie était parfaite qu’évoluer n’aurait aucun sens. 
Certes, dans l’immédiat, pour la plupart d’entre nous, la tâche de faire évoluer le monde dans sa globalité est hors de portée. Cependant, ne peut-il pas y avoir une forme de mauvaise foi à affirmer que toutes nos imperfections individuelles morales et psychologiques sont impossibles à surmonter ? 
« Chasser le naturel, il revient au galop ! », affirmera-t-on volontiers en invoquant la « sagesse » populaire. Mais y a-t-il du bon sens à étouffer toute aspiration évolutive, avant même que son cri ne s’élance vers le pressentiment d’autre chose ? 

Même ceux qui pensent avoir été épargnés du pire résistent rarement à la tentation de se défier de l’existence. Il leur suffit d’ajouter au poids de leurs petites blessures présentes et passées celui de toutes ces enfances blessées et de toute cette humanité qui souffre et geint un peu partout. Les bons sentiments sont soigneusement mis en avant pour mieux faire passer en contrebande l’amour du drame. 

Avec Paul Tillich, reconnaissons que notre volonté elle-même joue un rôle non négligeable dans la défiance, puisque « [m]ême dans l'état de désespoir, on a toujours assez d'être pour rendre le désespoir possible. »[2]. Cet être de la vie, aussi fragile nous paraît-il, nous ramène devant une décision, ici et maintenant. Si nous aspirons réellement à une vie en plénitude qui ne prolonge pas l’imperfection du cours ordinaire de la vie, il ne s’agit pas de se décider à nourrir un peu d’espoir pour supporter le désespoir jusqu’à demain. 
Ici et maintenant, il s’agit de nous décider ou non en faveur de l'être, à l’encontre du non être qui se propose. La douleur, la souffrance et le drame auront-ils le dernier mot ? Si la spiritualité d'une vie vécue en plénitude n'est pas illusoire, paix, joie et amour ne sont-ils pas à notre portée en toute circonstance ? Il nous faut aussi apprendre à douter de notre défiance : ne nous empêcherait-elle pas l’accès à une confiance originaire ancrée en la plénitude de la vie-même ? La défiance qui a grandi en l’enfant et en l’adolescent dépendait des circonstances de son développement psychospirituel. La défiance se nourrit de failles intellectuelles, de ressorts émotionnels malencontreux et de faiblesses de l’acte volontaire. Si notre pari est fondé, la vie en sa plénitude n’est enfermée et limitée par aucune des circonstances.

Si l'on prend au sérieux la confiance originaire de l'enfant dans la vie, il apparait que la foi est déformée dès lors qu’elle est vécue d'une façon uniquement centrée sur l’ego. Celui-ci se voit comme auteur exclusif de sa foi à l'encontre de ses défiances. La foi quand elle est celle d'un ego n’existe pas sans des croyances mentales. Elle ne va pas sans aléas émotionnels ou sans habitudes physiques dévitalisantes. Elle se perpétue dans une lutte de la volonté avec elle-même. Immanquablement, l’ego est prisonnier du temps pour rétablir sa foi et sa confiance face à ses mouvements de défiance. Il privilégie forcément telle faculté plus qu’une autre. Sa foi et sa confiance sont alors réduites soit d’abord à une connaissance, soit d’abord à un acte volontaire, soit d’abord à un sentiment. Ceci peut aboutir respectivement à un intellectualisme, un moralisme ou un sentimentalisme[3]. Spirituellement, on privilégie telle philosophie, on ne jure que par la consécration à telle œuvre ou on s’enflamme pour telle dévotion. Une faculté cultivée aux dépens des autres fait manquer à la foi sa profondeur existentielle. La foi, comprise comme ce qui nous tient authentiquement à cœur avant même que notre ego ne s'en mêle, transcende et englobe intellect, volonté et sentiment. La foi originaire de l’enfant est en son cœur un acte psychocorporel de la vie. Chez les tout-petits, elle est éminemment de cet ordre, vu qu’intellect, émotions, habitudes physiques et volonté sont rudimentaires, vu que l'ego n'est pas développé au point de vivre une conscience ego-centrée.

L'INTELLIGENCE DE LA FOI PART DE L'EXPERIENCE DIRECTE DE LA VIE UNIVERSELLE


Nous revoici au faîte d’une spiritualité entendue comme vie vécue en plénitude et non plus seulement comme vie ego-centrée. 
Plus notre foi et notre confiance en la vie seront authentiques, plus leur mouvement prendra racine au fond de nous-mêmes (le cœur donc), là où la vie universelle engendre notre vie individuelle[4]. Une foi ou une confiance, spirituelles, autonomes et authentiques, se déploieront quand leur mouvement amènera notre vie personnelle à s’ouvrir à l’expérience directe de la vie universelle. 

A vrai dire, cette expérience s’éprouvera de plus en plus nettement comme celle que fait la vie universelle à travers nous, y compris à travers notre histoire. Le mouvement de la foi, comme confiance en la vie, vise ainsi un acte de participation à un devenir de la vie universelle. Et, reprécisons-le encore une fois, cet acte lui-même prend racine dans la conscience de la vie universelle comme fait intérieur.


Nous affirmons qu’il est possible de retrouver la confiance originaire qui va vers la vie, de qui elle reçoit son élan. A cette fin, il nous faut redécouvrir en nous-même l’absence de défiance propre à l’innocence psychocorporelle de l’enfance. La science spirituelle met en jeu une science de la foi en la vie. Nous voyons bien que la joie de l’enfant unit confiance originaire en la vie et l’amour de la vie, pour elle-même, à travers son être psychocorporel. Il s’agit d’y revenir à travers une nouvelle amplitude psychologique et socio-culturelle qui n’aura plus rien d’infantile. Le développement de la buddhi intervient ici. Comme réflexion favorisant une intuition de la vie universelle, celle-ci donnera à la foi originaire la capacité de surmonter les obstacles psychospirituels qui, chez l’enfant que nous avons été, ont plus ou moins semé la défiance. Une intelligence mature et une confiance spirituelle en la vie, authentique et autonome, appuieront une participation immédiate à la vie avec de plus en plus de conscience. Ceci confirmera un point sur la foi spirituelle : elle est une aptitude à « prendre le risque, malgré tout, de laisser émerger des prises de conscience ».

Un processus de confiance qui œuvre par-delà l’ego est une forme de foi en la vie produite par la vie elle-même. Le mot confiance est ici utilisé, mais parfois dans une acception qui est plus commune pour la foi. Le mot foi pouvait désigner un processus qui saisit l'ego alors que la confiance est usuellement un acte de l'ego. Ici, un processus de confiance s’impose à l’ego et le dessaisit de sa volonté d’être aux commandes de la vie. Parler de processus de foi ferait peut-être moins violence à la langue. Nous pourrions pointer les avantages et les inconvénients respectifs du mot foi ou du mot confiance. Nous pourrions souligner leur complémentarité. Mais le point qui fait véritablement problème ici est de reconnaître, ou non, le fait de la vie, de voir le mouvement de la vie et non de le penser.


Car comment pourrions-nous abolir la défiance de notre ego et ainsi entrer dans un processus de confiance par-delà l'ego, si l'évidence majeure de la vie universelle manque dans notre paysage ?

Comment une vague qui n'a pas conscience de l'océan pourrait-elle se faire une idée juste de la vie ? Elle verrait le rivage, elle y verrait les traces de cet océan, elle baserait sa confiance sur son interprétation de ces traces. Comme pour cette vague inconsciente de l'océan, notre jugement sur la vie est basé sur des événements, leur interprétation et non sur la conscience de la vie, ici et maintenant. Comme cette vague ignorante de l'océan face au rivage, nous pouvons parfois pressentir, face aux événements, la puissance de la vie. Mais la plupart du temps, comme cette vague, nous ne voyons souvent autour de nous qu'un désert sans vie. Comme elle, nous sommes inconscients de la grande rumeur océanique de la vie ; nous sommes inconscient de cette toute-puissance vivante dont nous ne sommes que l'onde. Nous ne voyons autour de nous que des vagues, s'écrasant sur ce rivage du temps et n’y laissant qu'une trace insignifiante. Et, pour beaucoup, nous nous laissons aller à dire que c'est là tout ce que la vie peut offrir. Nous proclamons l'absurdité de la vie, en oubliant que l'essentiel de son paysage nous fait défaut. Bien sûr, il y a des vagues qui ont marqué le rivage de leur empreinte. Certaines ont même changé durablement le sens de ce paysage. Mais il y a tant de vagues qui disparaissent avant même d'atteindre ce rivage.  Tant que, comme cette vague, nous ne serons pas conscient directement de l'océan de la vie, nous ne ressentirons pas cette force capable de refaçonner entièrement le rivage, d'en redessiner entièrement les contours dans une configuration qui échappe à toute spéculation. Autrement dit, tant que nous ne vivrons pas consciemment à partir de la vie universelle, nous passerons à côté de sa force évolutive, nos petits doutes limiteront l’étendue de ses possibles. Immanquablement, la confiance et la défiance en la vie se coloreront d'abord de ce qui nous arrive, à nous, tout particulièrement. Notre jugement sur la vie varie au fil de nos vécus, mais la vie ne se réduit à aucun de nos vécus, comme l’océan ne se réduit à aucune de ses vagues ou aucune de ses traces sur le rivage… Limitée à une conscience ego-centrique, notre confiance en la vie sera inévitablement teintée de défiance. Une confiance authentique en la vie doit être relative à une conscience directe de la vie universelle et non à ses manifestations, à commencer par celles qui nous concernent. La seule considération ego-centrique des manifestations de la vie nous donnera toujours autant de raisons d'avoir confiance en la vie que de nous en défier. Pour vraiment jouer authentiquement le jeu de la confiance ou non, nous devons voir tout le paysage de l’existence, et particulièrement la vie universelle qui l’englobe, et non plus y penser

La foi est inévitable quand on fait un acte d'audace spirituelle, il s’agit alors aussi de savoir comment éviter ses errances dans l'optique de demeurer à soi-même sa propre autorité. Pour que vraiment se vive la vie en plénitude, surmonter les doutes liés à la défiance n'est pas non plus renoncer à discerner par un usage réfléchi du doute à quel endroit une foi spirituelle risque de tolérer en nous des croyances préjudiciables. Un idéal de purification et d'élévation spirituelle de la foi doit être poursuivi, car « [u]ne foi qui serait fondée sur la compréhension d’un dessein divin, d’un ordre, ne serait plus une foi, mais une croyance (subtile) »[5], rappelle Yvan Amar. Avec lui, nous pouvons affirmer que la purification des croyances a un profond sens spirituel :


« C'est parce que la foi n'a nulle part où se fixer qu'elle peut continuellement se jeter dans le Tout. » [6]



QUAND LE TROUVEUR-EXPLORATEUR REMPLACE LE CHERCHEUR, LA FOI ET LA CONFIANCE SPIRITUELLES BASCULERONT, EN PARTANT DESORMAIS DE L’EXPERIENCE INTERIEURE.

Nos propos précédents peuvent nous amener à distinguer l’amont de l’expérience intérieure et l’aval de celle-ci : ceci vaut pour la vertu de foi et de confiance. Si l’expérience intérieure de la reconnaissance de la lumière spirituelle au centre de nous-même a lieu, la foi et la confiance basculeront. Elles passeront de leur vécu en amont de cette expérience à leur vécu spirituel en aval de celle-ci. La foi ou la confiance qui dépendait d’une conscience ego-centrique basculeront alors en celle initiée par la présence de la vie universelle en un individu.

Nils Kuhn de Chizelle, un aventurier spirituel qui se réclame du mouvement intégral[7], témoigne de ce basculement à propos de sa foi et de sa croyance en Dieu[8] :

« J'ai constaté qu'à partir de cet instant, mon histoire personnelle, mon narratif, ont perdu toute leur importance. Et que ma recherche de Dieu, qui jusque-là était mon moteur le plus intime, avait cessé. Je n'avais plus foi en Dieu, cette notion perdant instantanément tout son sens. En revanche, je me découvrais avoir foi à partir de Dieu. »


Son propos vaut, même si on évite le vocabulaire de Dieu. Un athée qui réalise la présence de la lumière spirituelle pourrait l’interpréter ainsi :



Un individu athée peut se découvrir comme une individualisation de l’univers. A travers cette individualité, l’univers se voit alors soi-même dans sa lumière spirituelle. Un individu ne peut pas s’abandonner à une telle prise de conscience sans un solide courage d’être, puis une confiance en la vie. Mais ces qualités individuelles, requises par l’aventure (sur)moderne, deviennent, dans l’expérience de la lumière spirituelle, une confiance en la vie à partir de l’énergie de la vie universelle elle-même. Dans cette interprétation, l’expérience directe de la lumière spirituelle n’abolit pas la nécessité d’une vertu de confiance. Cet individu, qui participe à cette prise de conscience de l’univers à travers lui, entre dans un processus mystérieux. De la confiance lui est indispensable. Il ne vit plus séparé des autres et de l’univers. Mais, au sein de la vie universelle, tant que son vécu individuel se distingue par certaines émotions ou par certains désirs, il lui faut de la confiance. Toutefois, il ne s’agit plus de celle d’un chercheur en quête de l’expérience de la vie universelle. Il s’agit d’« une confiance à partir » de l’évidence de la lumière spirituelle. Elle peut amener à se vivre de plus en plus radicalement comme une individualisation de la vie universelle.

Nos interprétations de la nature de cette lumière spirituelle ne doivent pas faire obstacle à son action transformatrice. Nous aurons besoin de foi ou de confiance à partir de la lumière spirituelle, tant que nous ne serons pas libéré de toute culture antispirituelle et tant que demeurera un reste d’ego avec d'infimes mouvements ego-centriques. Cette vertu de foi ou de confiance devra faire face à nos ombres, nos nuits obscures où la frêle lumière de la vie universelle n'est, semble-t-il, qu'une blessure. Comme nous le confie Douglas Harding :

 « Toute la pratique de la vie consiste à transférer la confiance de ce que vous paraissez être à ce que vous êtes. »


FOI ET INDIVIDUATION DE LA VIE UNIVERSELLE

La perception de la lumière spirituelle est perception de la vie en plénitude. Cependant, l’individu, en qui il y a cette perception, y est rarement immédiatement totalement transparent. La « foi ou la confiance à partir » de la lumière spirituelle est alors une foi et une confiance en notre aventure individuelle vers plus de transparence à la plénitude de la vie. On voit bien ici que cette vision de l’aventure de la foi et de la confiance n’est pas contraire à l’établissement en profondeur du fait d’être notre propre autorité spirituelle : poursuivre au plus loin cette aventure avec foi et confiance revient à nous rendre libre de toute notre personne.

« Être libre de toute notre personne » peut être entendu comme découverte d’une liberté de la vie universelle qui s’expérimente en dehors de tout plan personnel de l’existence. 
Ceci peut s’entendre aussi comme participation de toute notre personne à une liberté créatrice de la vie universelle. 

Ce deuxième sens nous paraît souvent oublié dans les courants spirituels de la non-dualité francophone. Rares sont ceux qui témoignent qu'à son point de culmination, cette participation pourrait nous amener à nous reconnaître comme une individuation de la vie universelle elle-même. On y insiste sur le caractère impersonnel de la Vie universelle et on y considère la dimension personnelle comme relative. Ce discours parle spirituellement à l'athée qui refuse toute dimension personnelle à l'absolu.

Il nous semble qu'il y a un préjugé mental qui s'oppose au caractère absolu du dialogue. Il nous semble que c'est le dialogue comme critère d'une foi non enfermée dans des croyances qui nous révèlera que l'absolu comporte une dimension dialogale réelle non contraire à sa réalité impersonnelle indéniable (pour approfondir ce point, cliquez ici).  

Explorer ce deuxième sens d'"Être libre de toute notre personne" repose sur le fait qu'il n'y a pas de liberté vraie sans intersubjectivité, sans relation personnelle. "Être libre de toute notre personne" n'irait pas sans déploiement d'un re-façonnement de notre individualité fondé sur le pressentiment d'un horizon d'une possible communion des cœurs et donc des personnes. Se contenter de l'unité immédiate qui se réalise dans la dimension impersonnelle de l'absolu manque de cœur si cela consiste à persister dans les antagonismes personnels ou à se conformer à des injustices courantes arguant que de toute façon il n'y a personne dans l'absolu qui ne fasse d'injustice.

Par sa propre expérimentation intérieure, Ramakrishna affirme qu’il y a plusieurs accès au toit[9], plusieurs chemins vers le sommet unique de la montagne. Le Devenir de l’Être « un » est multiple, puisque les façons dont il se retrouve ou se manifeste humainement sont diverses[10] : « Il y a involution et évolution. C'est un chemin qu'il faut faire deux fois, en arrière et en avant, en revenant sur ses pas. Vous retournez en arrière vers l'Etre suprême, et votre personnalité se fond dans la Sienne, c'est le samadhi. Puis, vous revenez sur vos pas avec cette personnalité accrue. Vous retrouvez votre « moi » et vous regagnez le point d'où vous étiez parti. Vous découvrez alors que vous, comme le monde, êtes issu de ce même Être suprême, et que Dieu, homme et nature sont les visages différents d'une seule Réalité […]. ». A côté des perspectives de dialogues et de synthèses autour de la « montée », il y a donc celles en « descente ». Ainsi, pour Vivekananda, le disciple de Ramakrishna, « chacun doit s’assimiler l’esprit des autres, sans cesser de maintenir son individualisme et de croître selon ses lois propres »[11]. A la suite d’un Ramakrishna ou de son disciple Vivekananda, une spiritualité surmoderne envisagera la diversité des accès à la vie universelle et aussi de ses manifestations. L'« Un innombrable » a une pertinence en « montée » et en « descente » (pour approfondir cette dimension, cliquez-ici pour trouver une analyse autour de l'arbre de vie évoquée par la Katha Upanishad). Toute son action dans un sens ou l’autre semble portée par son amour créateur. Notre pari est que l’aventure spirituelle le révèle en nous comme l’authentique ouverture intérieure dialogale. Nous aspirons à ce qu’il nous unisse à lui sans séparation des autres et du monde. S’il est le moteur de toute individuation véritable, toute mentalité qui favorise des synthèses existentielles l’exprimera davantage. 


En effet, il se pourrait que notre individualisation égoïque soit complètement refaçonnée dans la lumière spirituelle et une dimension individuante de celle-ci, une matrice d'un psychique personnel illuminé (sur ce point, cliquez-ici pour lire cet article qui clarifie les différents niveaux d'évolution d'évolution spirituelle d'une personne). L'intelligence de la vie aurait un ou des visages personnels bien plus vrais que le visage de nos egos. Là encore, il serait dommage que des interprétations métaphysiques, théologiques, athées, etc., même celles d’un trouveur, fassent obstacle à la manifestation une et innombrable de la vie universelle. 

L'amour Divin - Tableau de Niranjan Guha Roy



NOTES :


[1]. La Bhagavad Gîtâ suivie du commentaire de Shankara, Traduction d’Emile Sénart et de Michel Hulin, Points Sagesses, p.114. Le mot « foi » traduit ici le mot sanskrit « sraddha ». « Que signifie le terme ? Dans un sens, la réponse est à la fois simple et explicite. Cela veut dire presque sans équivoque, mettre son cœur sur. C’est composé de deux mots, srad (ou srat), cœur, et dha, mettre. Effectivement dans le Rig-Veda les deux parties apparaissent habituellement séparément, mais même ici elles sont occasionnellement combinées, et plus tard elles le sont régulièrement. […] Sraddha n’est pas en soi-même un concept bilatéral, bien qu’il réfère à ce qui génère des relations. Cela a à voir avec la capacité de l’homme à être impliqué […]. Cette interprétation de sraddha a l’avantage, comme nous l’avons dit, de laisser l’objet de la foi non spécifié. (A cet égard, c’est en quelque sorte comme le « ce qui nous concerne ultimement » de Tillich). » [Nous traduisons], précise Wilfred Cantwell Smith dans Faith and Belief: The Difference Between Them, Oneworld Oxford, 1998, p.61-62. Ainsi, là où la traduction du Chant XVII de la Bhagavad Gîtâ d’Emile Sénart et de Michel Hulin utilise le mot « foi », la traduction d’Alain Porte privilégie plutôt la notion d’« engagement du cœur ».

[2]. Paul Tillich, Le courage d’être, Livre de vie, p.170.


[3]. Nous réinterprétons ici un passage de Paul Tillich dans Dynamique de la foi, Casterman, 1968, p.47 et suivantes. Il y écrit par exemple : « La foi comme le fait d'être saisi par ce qui nous importe de façon absolue est l'acte central de la personne totale. Si l'une des fonctions qui constituent cette totalité vient à s'identifier, en tout ou en partie, à la foi, le sens de la foi est dénaturé. »


[4]. Rappelons que le mot sanskrit « sraddha » peut se traduire par « foi » et aussi par « donner son cœur à ».

[5]. Yvan Amar, Les nourritures silencieuses, aphorismes, Les Editions du Relié, 2000, p. 99.

[6]. Ibid., p. 101.

[7]. Les acteurs principaux de ce mouvement les plus souvent cités ici sont Ken Wilber, Marc Gafni, Sri Aurobindo et Mère. Ils se caractérisent par une spiritualité qui veut nous faire prendre conscience que la réalisation de la plénitude de la vie (Divin, lumière spirituelle, vie universelle) implique aussi notre participation de plus en plus consciente à une évolution cosmique.

[8]. Nils Kuhn de Chizelle, L’expérience évolutive, Le livre de l’émerveillement, Almora, p.360. Ce texte fait écho, sans aucun doute, à ce passage biblique où Paul explique que la foi qui vit en lui part de la vie universelle du Christ, le Fils de Dieu : « Je suis crucifié avec le Christ; et ce n’est plus moi qui vis, c’est le Christ qui vit en moi; et ma vie présente dans la chair, je la vis dans une foi, celle du Fils de Dieu qui m’a aimé et s’est livré pour moi », Lettre aux Galates 2,19-20.

[9]. Par exemple, « De même qu'on peut monter sur une maison au moyen d'une échelle, d'un bambou, d'un escalier, d'une corde, ou par divers autres moyens, de même les chemins et les manières d'arriver à Dieu sont multiples. Chaque religion dans le monde nous montre un des chemins pour l'atteindre. », §280, L’enseignement de Ramakrishna.

[10]L’enseignement de Ramakrishna, §1284.

[11]. Cité par Romain Rolland, La vie de Vivekananda, Almora, p.48.

vendredi 24 novembre 2023

EXPERIMENTATIONS DE LA PRESENCE DE LA LUMIERE SPIRITUELLE Avec Douglas Harding

Toutes les expérimentations spirituelles qui suivent ont été initiées
par Douglas Edison Harding (1909-2007)


LIVRONS-NOUS A DES EXPERIENCES POUR DECOUVRIR LA LUMIERE SPIRITUELLE QUI NOUS FERA VIVRE EN PLENITUDE.                       

AUTHENTIQUE, LA FOI OU LA CONFIANCE EN UNE SCIENCE SPIRITUELLE PEUT NOUS AIDER A EXPERIMENTER INTERIEUREMENT LA VIE UNIVERSELLE. CECI NOUS METAMORPHOSERA DE CHERCHEUR EN TROUVEUR ET EXPLORATEUR.

Oui, mettons nos croyances entre parenthèses et osons une expérience d'ouverture spirituelle.

On peut nourrir et développer progressivement notre confiance en la vie et donc notre foi spirituelle (on pourra consulter sur la question de la foi cet article en cliquant ici). Cependant, sans une expérience directe de la vie universelle, cette confiance ou cette foi demeurera dans l’ombre de nos croyances de chercheurs spirituels. Notre pari mettant en jeu une foi spirituelle surmoderne s’adresse à des aventuriers qui soient des trouveurs et des explorateurs. 

Ci-dessous une esquisse de ce qui distingue dans une évolutions des mentalités dans la ligne des travaux de Fowler, Grave, Beck et Wilber une foi surmoderne :

Cliquez sur l'image pour la voir en détail

[Pour creuser cette approche d'une évolution des mentalités culturelles, en cliquant ici, on trouvera une présentation détaillée]

Ayons l’audace de regarder en nous d’où la vie surgit et s’accueille. Tout en nous appuyant sur notre sens d'être notre propre autorité, essayons-nous à distinguer la présence de la vie universelle en nous. Il n’y a pas de sciences sans expérimentation testable. Mais la science spirituelle est aussi un art, avons-nous dit précédemment. Ce que cette science proposera sera autant de l'ordre d'une transformation de notre relation à la vie, qu'une expérimentation.

En sciences, les faits importent plus que les convictions. L'observation des faits à l'aide de protocoles d'expérimentation est centrale. Ici, nous avons en vue des faits intérieurs à notre vie qui ne sont pas assimilables à notre seule vie psychologique personnelle. Il s’agit pour nous d’avoir foi dans ces faits. Ce sont des croyances qui nous empêchent d’en voir l’évidence et qui nous indisposent à en saisir la valeur infinie. Nous sommes donc à la recherche d'un œil spirituel en nous, qui permet de voir intérieurement au lieu de seulement penser ou croire.

Les meilleurs scientifiques parlent d'idées intuitives qui les saisissent, élargissent et bouleversent leur conscience d'une problématique de recherche, alors que leur seule volonté rationnelle ne la surmontait pas. Ces idées intuitives sont une vision éclairante qui embrasse les faits observés et la manière de les concevoir, permettant ainsi de nouvelles représentations théoriques intellectuelles. L’histoire des sciences, avec ses théories et ses expérimentations, peut donner à penser que de nombreux génies scientifiques font l’expérience d'un troisième œil au-delà de l’œil de l’intellect et de l’œil du sensible.

Mais penser que d’autres ont cette expérience ne nous suffit pas. Au contraire, ceci nous motive à découvrir une sorte d’intuition intellectuelle par laquelle prendre conscience, à volonté, de la présence de cet œil spirituel. Un tel œil développerait la capacité d'une saisie intuitive d'une présence de la vie universelle en nous, et autour de nous, par-delà la conscience réduite de notre vie individuelle. Il couronnerait le développement de la buddhi ; il éclairerait sa réflexion.

Toutefois, comme nous l’avons dit précédemment, celui en qui s’expérimente un fait intérieur doit se maintenir par la foi et la confiance dans le processus transformateur qui en découle. Cet œil spirituel n’embrassera pas en une fois toutes les ombres et les demi-vérités de nos vies humaines. Se mettre dans sa lumière exigera une confiance, malgré les ruses des vieilles mécaniques ego-centriques. L’apprenti(e) surmoderne s’attendra aussi à des mécaniques mentales, émotionnelles, pulsionnelles, etc. résistantes à l’impulsion évolutive de la vie universelle. Si la vie rencontre un obstacle évolutif majeur aujourd’hui, c’est bien à cause de mécanismes du vieil homme que nous répétons. L’aventure qui mènera à faire face à ces mécanismes tapis dans l’ombre nécessite confiance, foi et aspiration, autant que stabilité de la présence de l’œil intérieur.

 

L'œil de chair a besoin de la lumière matérielle pour voir. L'œil de l'intellect qui embrasse ses représentations et sent les idées les animer a aussi une luminosité spécifique nécessaire à sa vision.

Notre quête d’un œil spirituel est la recherche de la lumière propre à l’intuition du réel.

Cette lumière spirituelle serait une lumière au-delà des lumières de l’intellect et des lumières des sens.

Ces trois types de lumières ont d’ailleurs été distingués au sein des diverses traditions spirituelles religieuses ou philosophiques, ainsi que par des individualités isolées[1].

La tradition hindoue[2], les taoïstes[3], les bouddhistes[4], la tradition musulmane[5], la tradition chrétienne mystique[6] et les philosophies platoniciennes[7] nous invitent, en effet, à distinguer ces trois lumières :

- la lumière sensible (1),

- la lumière intellectuelle (2),

- la lumière spirituelle[8] (3).

La lumière sensible (1) nous donne à voir le visible, l'audible, le tangible, etc., mais aussi le désir et l’émotion.

La lumière intellectuelle (2) est celle propre à nos pensées. On notera qu'elle est beaucoup plus transparente que celle du sensible sur laquelle elle s'appose bien souvent. Par exemple, dans mon champ de perception, l'écran ou le livre ainsi que d’autres choses sont implicitement pensés comme tels. Où que je tourne mon attention autour de moi, chaque chose ou presque est ainsi automatiquement nommée mentalement ou reliée à une idée. La lumière intelligible (2) recouvre donc tout ou presque ce qui surgit dans la lumière sensible (1).

Nous reconnaissons en général assez facilement les lumières sensibles (1) et intelligibles (2).

Quelques expérimentations seront sûrement appropriées pour que se distingue ce que nous appelons la lumière spirituelle (3). A la suite des grandes traditions religieuses ou des écoles de sagesses philosophiques, nous faisons le pari qu'un aperçu de cette lumière (3) peut occasionner un élargissement de notre expérience de la vie, jusqu’à présent plus ou moins réduite à une vie individuelle. Notre pari est que voir à partir de cette lumière (3), ne serait-ce qu'un instant, met en jeu une prise de conscience de la vie universelle en nous.

Avant de vous convier à ces expérimentations intérieures, j’aimerais juste en préciser la provenance. Elles sont le fruit de l’aventure spirituelle de Douglas Harding, sage et philosophe anglais, né en 1909 et mort en 2007. Je tiens à dire toute ma gratitude personnelle pour son enseignement et pour ceux de ses amis qui continuent, comme moi ici, à partager ses découvertes.

Avant de commencer à pratiquer ces expérimentations, je tiens aussi à vous redire, une fois encore, que vous seul pouvez voir et non plus penser. Vous seul, donc, pouvez constater si ce que pointe ces expérimentations se voit ou non en vous.

 

EXPERIMENTATION INTERIEURE 1

Mettons-nous en présence de tout ce que nous percevons. Il y a des perceptions sensibles, toutes entières composées de lumière sensible (1). Il y a des perceptions mentales, toutes composées de lumière intellectuelle (2). Il y a des perceptions qui associent lumière sensible (1) et lumière intellectuelle (2).

Mettons-nous en présence de tout le champ de perception sans nous focaliser autrement que sur ce qui permet en nous cette ouverture au champ de perception. Si nous percevons la lumière propre à cette ouverture, nous percevons la lumière spirituelle (3).

Ces indications pourtant traditionnelles sembleront insuffisantes à beaucoup, voire obscures. Nous espérons au moins avoir piqué la noble curiosité portée par le besoin de comprendre. Les deux expérimentations qui suivront approcheront sous d’autres angles cette distinction entre diverses lumières de notre vision intérieure.

Dans Ouvrir nos canaux d'énergie par la méditation, dès les premières lignes de son introduction, Jacques Vigne donne de précieuses indications sur ce que nous entendons par « une ouverture à tout le champ de perception » :

« Les chercheurs en neurosciences ont montré que l'expérience de méditation profonde est liée à une stimulation du centre permettant de percevoir l'espace pur et à une inhibition de celui des obstacles. De fait, avant même ces découvertes, il suffisait déjà de lire la littérature spirituelle pour s'apercevoir qu'une des comparaisons les plus fréquentes pour évoquer les grandes expériences spirituelles était celle de l'espace sans limite ni compartimentations. »

 

Avant de reprendre sous d’autres angles notre expérimentation intérieure 1, on peut commencer par revenir aux expérimentations intérieures proposées auparavant. Au fond, toutes nos expérimentations intérieures sont aussi des exercices spirituels qui visent l’expérience la plus profonde de la méditation. Cependant, pour approfondir spécifiquement l’expérimentation intérieure 1, nous proposons deux autres expérimentations intérieures, qui la reprendront sous des angles particuliers et, nous l’espérons, plus précis. Dans l’expérimentation intérieure 2 qui va suivre, nous nous appuierons d’abord sur le sens de la vue. Dans l’expérimentation intérieure 3 qui viendra ensuite, nous écarterons volontairement le sens de la vue.

 

EXPERIMENTATION INTERIEURE 2

Essayons de repérer cette ouverture intérieure dans la contemplation de tout l’espace, qu’il soit intérieur ou extérieur à notre individualité. La difficulté est de ne pas installer nos limites et nos compartimentations dans cet espace pur où tout apparaît. Dans une promenade, il suffit de trouver le bon promontoire pour que tout le paysage s’y présente de lui-même. Il s’agit ici de trouver au moins un bon geste intérieur pour que se trouve le point de vue où se contemple cet espace où tout paraît.

Il existe quelques critères pour tester si vraiment il y a une attention à tout le champ de perception. Par exemple, si nous y sommes attentifs, devant nous, nous avons alors 180 degrés de champ visuel visible, 360 degrés de champ auditif ou tactile. Autre point essentiel, si nous y sommes attentifs, nos pensées, nos idées, nos émotions et nos pulsions s’inscrivent dans cet espace pur. L’espace pur du champ de perception n’est pas à côté, en face ou à distance de ces éléments qui composent notre vie subjective. Les composantes sensibles et intellectuelles de notre vie subjective apparaissent dans l’espace pur du champ de perception. Ces composantes, au sein de cet espace, sont sans réelles compartimentations avec les perceptions du monde. Au niveau de nos perceptions, il n’y a pas de séparation entre l’intérieur de notre esprit et l’extérieur du monde. 

Ces critères éparpillés font peut-être beaucoup de données à maîtriser simultanément. Nous proposerons donc d’observer quelque chose s’apparentant au schéma qui suit. Vu qu’il est difficile de représenter l’idée, la pensée ainsi que le son et plus encore l’odorat, le toucher ou le goût, ce schéma en donnera une représentation d’ensemble[9] surtout basée sur le visible :

Comparez votre point de vue ici et maintenant avec celui proposé par ce schéma symbolique. Plus vous verrez l’ensemble des similarités avec votre point de vue ici et maintenant, plus vous aurez de chance que se voit l’espace pur où tout apparait. Vous n’avez plus alors qu’à y repérer l’ouverture au champ de perception.

Soyons attentifs à tout le champ de perception. Nous avons devant nous un champ visuel de lumière sensible (1) ouvert à environ 180 degrés. Nous avons aussi le champ mental de lumière intellectuelle avec quelques expressions de pensées (2). Tout ceci apparait dans une ouverture non mentale et non sensible[10].

Pour reconnaître cette ouverture proprement dite dans laquelle tout le champ de perception apparaît, il ne faut pas que notre attention soit exclusivement tournée vers l'extérieur devant nous, il faut aussi la retourner au-dedans de nous vers l’intérieur du champ de perception[11].

Ce second schéma propose ce retournement de l’attention à l'aide d'un doigt pointé vers le dedans de nous-même :


Si, de même, nous pointons notre doigt vers nous, qu'est-ce qui est pointé ? Devant nous, nous avons 180 degrés de champ visuel visible composé de lumière sensible (1) ainsi que le champ mental composé de lumière intellectuelle avec quelques expressions (2). Ce qui est devant nous n'est pas ce que nous voulons pointer par notre doigt. De l’autre côté du champ visuel, dans la direction indiquée par le doigt (3), il n’y a rien de visible. Toutefois, ce rien de visible pointé par ce doigt n'est pas exactement rien et la nuance est essentielle : regardez de nouveau, ce rien n’est-il pas conscience de rien ? Décrivons-le en y restant attentif. N'est-il pas aussi une transparence sans forme, un espace clair et transparent ? Une claire transparence n’est-elle pas une espèce de lumière ? Ne s’agit-il pas de la lumière de notre intériorité, de la lumière spirituelle (3) ?

En pointant du doigt ce par quoi se voit le champ visuel et nos lumières mentales, il y a comme un retournement de l’attention. Revenons à ce que ce retournement de l’attention révèle du champ de notre perception. Sa présence a-t-elle les traits d’une chose ? Sans couleur, sans forme, sans indication temporelle, n’est-ce pas absolument sans les caractéristiques d'une chose ? N'est-ce pas une « non-chose » ?

Pour que cette réalité se perçoive, il nous suffit de pointer du doigt la dimension invisible de notre champ visuel, là où son invisibilité est aisément perceptible. Regardez à la fois devant vous et au-dedans de vous. N'est-ce pas le même espace où tout paraît, tout s’accueille ? N’émerge-t-il pas d’une ouverture intérieure ? A quoi ressemble-t-elle ? Cette réalité invisible, transparente et sans forme n’est-elle pas ce qui englobe toutes nos perceptions sensibles (1) et intellectuelles (2) ? Avec le mouvement intérieur de l'attention que soutient ce geste de pointer le doigt, se découvre une troisième forme de lumière (3). Elle n’est ni celle propre au sensible, ni celle propre à la pensée. Cette lumière est plus claire et transparente que la lumière du jour ou la lumière des pensées. 

EXPERIMENTATION INTERIEURE 3

L’expérimentation précédente a proposé d’accéder à l’expérience de la lumière spirituelle (3) surtout par le biais du sens de la vue. Qu’en est-il quand on ne dispose pas de champ visuel ?

Fermons les yeux et examinons sans le sens de la vue si cette réalité est là ou non. Peut-on la reconnaitre en tout ce qui est encore perceptible ? Yeux fermés, est-ce que les pensées, les émotions, les sons, les sensations, les pulsions n’apparaissent pas dans un même espace conscient ? Pouvez-vous vraiment affirmer que votre présence consciente, votre intériorité est logée seulement dans votre corps ? Ne diriez-vous pas plutôt que ce sont vos sensations corporelles qui sont à l’intérieur de votre présence consciente ? Jusqu’où va alors votre présence consciente ? Explorez-la au-dessus des sensations de votre crâne. Explorez-la par devant les sensations du ventre, par derrière les sensations du dos, en-dessous de vos sensations de pieds. Trouvez-vous une limite à votre présence consciente ? S’il y a des sons, ont-ils lieu en dehors de votre présence consciente ? Les sons les plus lointains n’en sont-ils pas une manifestation ? N’est-ce pas une illusion étonnante de réduire mentalement notre présence consciente, notre intériorité à notre petite subjectivité ?

Pour décrire cet espace immense et son jaillissement, on peut tout aussi bien parler de vide conscient ou d’ouverture. Chaque description a ses avantages et ses limites. Par exemple, les yeux fermés, parler de ténèbres lumineuses n'est-il pas plus pertinent ? Cette luminosité ténébreuse n’englobe-t-elle pas toute lumière intellectuelle (2) et toute lumière sensible (1) ? Observons : si la lumière spirituelle (3) englobe toute forme, ne faut-il pas admettre que tout existe et vit en elle ? Cette conscience de tout l’espace est, avons-nous dit, une conscience de rien et de tout ce qui est. Englobant absolu de toute chose et même de l’absence de chose, n’est-elle pas aussi la vie à l’état pur ? Et réciproquement, cette vie pure n’est-elle pas, au sens propre, la lumière spirituelle (3) ?

 

Si une expérimentation, la 2 ou la 3, vous a permis d’entrapercevoir un troisième type de lumière intérieure, nous vous conseillons de revenir à l’expérimentation intérieure 1 et, ensuite, d’aborder notre expérimentation intérieure 4 qui suit.

Notre dernière expérimentation se veut un récapitulatif des propriétés de la lumière spirituelle (3) au-delà des lumières sensibles (1) et intellectuelles (2). Elle s’adresse donc à ceux qui auront aperçu avec au moins une des expérimentations précédentes une lumière intérieure (3) qui n’est ni sensible (1) ni intellectuelle (2).

EXPERIMENTATION INTERIEURE 4

Récapitulons. Si au moins l’une de nos expérimentations intérieures vous a paru pertinente, alors, tout en retournant de nouveau votre attention vers le champ global de la perception, testez les propositions suivantes :

-        Il y a une lumière (3) au-delà des lumières sensibles (1) et intellectuelles (2) ; elle est présente partout au cœur de toute lumière sensible (1) et intellectuelle (2) ;

-        Cette lumière (3) est invisible, silencieuse, intangible ; elle s’ouvre en un espace qui rend toutes les autres lumières visibles, audibles, tangibles, etc. ;

-        Cette lumière (3) s’ouvre sur un vide plein de présence consciente et de formes ; elle suscite la présence paradoxale d'une conscience de rien et de tout ;

-        Cette lumière (3) est la présence qui embrasse tout et qui rend tout présent ;

-        Cette lumière (3) est une réalité immuable, sans début ni fin ; elle est aussi un perpétuel jaillissement du monde instant après instant ; elle est une autoperception de la vie universelle dans les limites de notre perception humaine.


Kabîr exprime la valeur infinie du fait intérieur, que notre investigation expérimentale a voulu pointer comme ouverture spirituelle[12] :


« Le dehors et le dedans sont devenus pour moi un seul ciel. L’Infini et le fini se sont unis. Je suis ivre de la vue du Tout. Ta Lumière emplit l’univers ; elle est la lampe d’amour, qui brûle sur le plateau du savoir. »


 

Dans l’ouverture spirituelle, tout ce qui semblait, avant, aller à contre-courant devient l’opportunité de savourer la plénitude de la vie et de participer à son évolution globale. Les mots et les gestes qui ramènent à la vie intérieure sont de moins en moins nécessaires. La présence de la vie universelle s’irradie de silence, de paix et de joie.

 

Si cette expérience est claire, laissez-la éclairer votre intellect. La suite de l’aventure vous revient. Ses enjeux concernant votre participation harmonieuse au grand processus de la vie seront de plus en plus évidents. Si cette lumière vous ouvre le cœur, mieux vaut suivre ce qu'elle vous inspire. Et, si vous le pouvez, apprenez à lui soumettre votre volonté.

Cette reconnaissance vivante de la vie par elle-même peut aussi se révéler feu de joie lorsque son autoperception balaiera certaines impuretés qui en limite la vue dans le contexte de notre individualité humaine. Sa luminosité éclairera votre cœur. En vous, il y aura peut-être alors l'évidence que cette lumière intérieure de la vie universelle, cette lumière spirituelle de la vie en plénitude, qui brille en votre cœur est la même qui, d’un unique acte, fait être et fait voir[13]. Elle est le feu de l'ouverture de votre cœur : en elle, votre personne, celle des autres et le monde sont accueillis inconditionnellement et sans préférence pour l’un ou l’autre.

L’ouverture du cœur peut ne pas être immédiate. Mais voir à la lumière de la vie universelle érode toutes nos postures ego-centriques. Avec cette vie renouvelée dans la lumière spirituelle, une transformation opère : un amour suscité par la vie elle-même pour toutes ses formes peut jaillir au centre de nous-même.



Faites confiance à cette lumière, laissez-vous embraser, laissez-vous transformer[14]. Si vous savez vivre patiemment en sa présence silencieuse et revenir à elle autant que possible, elle révèlera l’inaccompli. D'autres fois, elle dévoilera les chemins à prendre pour accomplir. Elle opère rarement par une voix entendue à l'intérieur de vous, car elle peut parler avec bien des voix autour de vous. 

Si vous vivez instant après instant sous son éclairage, elle éclairera ce qui est obscur, ce qui constitue un obstacle sur un chemin d'illumination. Soudain, telle idée s'imposera sous le regard de la lumière spirituelle comme la plus juste et la plus rationnelle dans tel contexte. Parfois, tel rêve exprimera, le plus rigoureusement et clairement, le problème à dépasser ou la direction à prendre. Et quand notre qualité d’écoute s'affinera, telle phrase entendue ou lue, tel regard, tel geste, tel détail, rencontrés opportunément, seront comme des voix que s'est donnée cette lumière pour éclairer la raison. Suivez la lumière spirituelle en tout, pour vous y immerger le plus complètement possible. 

Evoluez en elle et à partir d’elle. Vous pouvez devenir de plus en plus conscient de son feu dans les profondeurs du cœur qui peu à peu fait de vous son individuation.

Il se peut alors que le Soi de la lumière intérieure se vive de plus en plus avec une âme en croissance alors que ce qui reste de mouvements d'ego séparé s'amenuise.

Si vraiment l’« Un innombrable » est au cœur de notre aventure, si vraiment celui-ci est la soif de votre âme, un dernier conseil cependant. Pour œuvrer à son incarnation culturelle, rencontrer des personnes avec qui puissent se tisser des amitiés spirituelles pourra éventuellement être souhaitable. Ces rencontres avec des amis spirituels sont aussi une chance pour ne pas s’illusionner dans notre aventure. Et tant mieux si ces amis cheminent sur des chemins qui ne sont pas forcément les nôtres.



Cette friction spirituelle nous fera le plus grand bien. Il ne s'agit pas, là encore, de s'enfermer dans une quelconque adhésion à une identité labellisée spirituelle. Pour avancer dans l'aventure, la friction de la relation n'est jamais inutile, surtout quand chacun use de ce feu pour nourrir le sens d'une fraternité ouverte.

Un danger spirituel majeur est de s'enfermer dans une interprétation mentale du vécu de la lumière spirituelle sans voir que son autoperception est ainsi limitée par notre contexte humain mental, émotionnel, pulsionnel et corporel. 
Ainsi, malheureusement, l'un dira qu'il n'y a plus rien à réaliser, puisque l'évidence de la lumière spirituelle est au centre de nous-même ; l'autre ajoutera qu'ainsi tout est parfait ; le pire est d'affirmer un non savoir qui permette de justifier de ne plus apprendre d'un autre, de ne plus avoir à évoluer. Dans ces optiques que devient le dialogue ? 
Tout au plus, le dialogue aura lieu avec des personnes qu'il faudrait éveiller pour partager avec qui n'ont pas cette compréhension de l'éveil, la nôtre. Allons-nous enfermer les autres dans les limites de notre éveil à la lumière spirituelle ? 
Un dialogue authentique passe par l'idée que la fenêtre intérieure de l'autre ouvre peut-être sur un paysage que de ma fenêtre intérieure je ne perçois pas. 

Dans la vidéo suivante Raimon Panikkar approfondit cette image de la fenêtre :


La fenêtre intérieure a beau être illuminée et purifiée par la lumière spirituelle, elle n'en est pas moins limitée du fait des limites de toute conscience individuelle mentale.
Ouvrir l'autre à la lumière intérieure revient aussi à l'encourager à trouver son paysage spécifique afin d'apprendre de lui à élargir la perspective de ce qui s'illumine.
Certainement celui en qui il y a pourtant présence évidente d'une lumière spirituelle et qui se refuse à ce dialogue illuminé s'enferme dans une forteresse mentale et propage des petites forteresses illuminées bien clôturées. 

Si nos vies ne jaillissent que d'une seule et unique source, la vie universelle n'en reste pas moins innombrable. Autrement dit, l’Un n’empêche pas l’Autre, l’unité n’empêche pas l’altérité. Une expérience spirituelle vécue de l’Un sans second peut laisser indistincts certains de ses contours. Le soleil de l'absolu aveugle celui qui vient de sortir de son obscurité, comme l’explique l’allégorie de la caverne de Platon. On peut comprendre dès lors que celui qui vit l’expérience de l’absolu peut en affirmer légitimement l'évidence sans pouvoir en avoir une vision parfaite. Pour éviter que ce « clair indistinct » soit prétexte à des représentations confuses et trompeuses, notre pari ici est de distinguer de plus en plus finement l’« Un innombrable »   qu’est la vie universelle ; notre pari ici est de vivre le Soi de la lumière spirituelle avec une âme (en cliquant ici vous trouverez d'autres points d'approfondissement de cette aventure spirituelle).

Pour les développementalistes, Beck et Wilber, qui pointent une évolution au niveau de la conscience mentale voire au-delà, il y a un passage à un deuxième palier où cette évolution devient véritablement une évolution consciente de la conscience illuminée. 
Pour ce faire, il faut prendre au sérieux le fait que le dialogue et ses frictions restent un élément essentiel de cette dynamique. 
Sans cette authenticité dialogale, sans attrait pour la ballet de l'Un et du Multiple, jamais notre âme qui se découvre au faîte de la descente dans l'ouverture du cœur n'y émergera avec sa soif caractéristique d'un regard de l'Un Innombrable (cet article qu'on trouvera en cliquant ici creuse ce point).




Un enjeu de ce tournant spirituel évolutif de la conscience illuminée où son Soi se vit avec une âme est l'ouverture à une conscience au-delà du mental humain. A ce sujet Sri Aurobindo (1872-1950) parle de l'ouverture du Soi se vivant avec une âme à la présence d'une dimension supramentale de la conscience. 




Pour prolonger cette aventure, nous esquissons ici des lignes d'avancées avec ces Aphorismes et pensées sur le flux autocréateur de la Vie qu'on trouvera en cliquant ici.



[1]. Dans La mystique sauvage, Puf, Michel Hulin présente des cas d’expériences spirituelles spontanées. Des gens a priori jusque-là sans religion, sans recherche philosophique et sans préoccupation spirituelle connaissent des basculements mystiques au cours de leur vie ordinaire. Dans son étude, p.57 ou p.92, Michel Hulin cite le témoignage d’éveil hors tradition de Stephen Jourdain. Dans L’irrévérence de l’éveil, Editions Accarias L’originel, p.318, ce dernier écrivait : « La vraie lumière intérieure est, par essence, profane et profanatrice. ». Nombres de ces illuminés sauvages ont remarqué que par-delà la joie ressentie ou le moment d’extase, l’émerveillement devant le fait de l’être prenait sa source dans une lumière intérieure, une transparence lumineuse jusque-là inaperçue. Dans Le voyage vers l’insaisissable, Editions Almora, Marigal témoigne aussi, par exemple, d’un éveil spirituel hors cadre qui met en jeu cette notion de lumière : « Silence-espace-lumière/Tout est là, parfait, limpide propre », écrit-elle significativement p.21.

[2]. Dans une Upanishad, un texte sacré de l’Inde védique, on lit : « Lumineux par lui-même, on en parle comme de l'Atman […]. Ici se termine la Sarvopanishad, qui fait partie de l'Atharvaveda. »

[3]. Le philosophe taoïste Wu Yun écrit : « Dans la quiétude suprême, on peut alors s’unir au Vide suprême. Avec le Vide à son summum vient la lumière. Avec la lumière à son summum, vient la radiance. Avec la radiance à son summum, c’est la communication universelle. »

[4]. Le livre des morts Tibétain affirme : « Ton esprit est à la fois vacuité et luminosité. Il a la forme d’une grande masse de lumière, il n’a ni naissance ni mort, c’est donc le Bouddha de la lumière immortelle. Il est seulement nécessaire de le reconnaître. » Dans le Komyozo Zanmaï, Maître Ejo, un maître du bouddhisme zen écrit : « Telle est la véritable et authentique certification qui existe sans déranger la manifestation de Komyo. C'est le pouvoir spirituel du non-agir par la lumière qui s’illumine d’elle-même. »

[5]. Le Coran en Sourate XXIV verset 35 affirme : « Lumière sur lumière. Dieu guide vers Sa lumière qui Il veut. »

[6]. La première lettre de Saint Jean dans la Bible chrétienne affirme : « Dieu est lumière ». La philocalie orthodoxe ou la théologie médiévale catholique, puis les traditions mystiques ultérieures, dont certaines s’épanouiront dans le protestantisme, approfondissent cet énoncé capital.

[7]. Dans Ennéade VI, 9, 9, Plotin, qui se réclame de Platon, écrit : « Alors, l'âme peut voir Dieu et se voir elle-même, autant que le comporte sa nature ; elle se voit brillante de clarté, remplie de la lumière intelligible, ou plutôt elle se voit comme une lumière pure, subtile, légère ; elle devient Dieu, ou plutôt elle est Dieu. » Les philosophies platoniciennes ont influencé les mystiques chrétiennes, juives et musulmanes.

[8]. Les traditions théistes identifient la lumière spirituelle à la lumière divine. Avec Wikipédia, rappelons que « Le mot « dieu » vient du latin deus, lui-même issu de la racine indo-européenne dei- « briller » […]. Étroitement liée à cette notion de lumière, c'est la plus ancienne dénomination indo-européenne de la divinité qui se retrouve dans le nom du dieu grec Zeus dont le génitif est Dios. De la même racine est issue la désignation de la lumière du jour (diurne) et du jour, lui-même (dies en latin) ». L’utilisation de « dieu » ne sera pas validée par certaines philosophies ou approches religieuses. L’idée de divin insiste davantage sur le caractère impersonnel de la conscience de la lumière spirituelle. Mais certains, comme Schopenhauer, par exemple, estiment que l’absolu est un néant d’où jaillissent forces et matière avant même une quelconque prise de conscience. Cet athéisme rejettera le mot « divin ». Certes nous nous opposons au pessimisme de cet athéisme qui voit en la vie une absurdité tragique, mais reconnaissons que l’aperçu de la lumière spirituelle que nous proposons d’expérimenter ci-après n’a pas pour objet immédiat de trancher ces débats.

[9]. Cette approche expérimentale de la lumière intérieure spirituelle est redevable à Douglas Edison Harding (1909-2007). Celui-ci a forgé avec ses amis de nombreux outils pour réaliser expérimentalement des faits spirituels. On en trouvera un exposé dans le livre de José et Lorène Le Roy, 64 exercices de spiritualités, Almora, 2014 ou celui de Philippe Fabri, Ce que je suis, les autres ne le voient pas, Editions Altess, 2013. 

[10].  Au sens de « invisible, silencieux, insipide, intangible, etc. » mais non pas imperceptible. Dans Phénoménologie de la perception, Tel Gallimard, p. 12, le philosophe Maurice Merleau-Ponty nous éclaire sur le champ visuel invisible mais non pas imperceptible : « La région qui entoure le champ visuel n’est pas facile à décrire, mais il est bien sûr qu’elle n’est ni noire ni grise. Il y a une vision indéterminée, une vision de je ne sais quoi, et, si l’on passe à la limite, ce qui est derrière mon dos n’est pas sans présence visuelle. »

[11]. Cette conversion du regard ou retournement du regard vers l’intérieur est un leitmotiv de nombreuses traditions spirituelles.

[12]. On trouvera ceci dans La Flûte de l’Infini, nrf poésie Gallimard, p.96. Dans notre note 7, on trouvera quelques données biographiques sur lui.

[13].  Dans La Flûte de l’Infini, nrf poésie Gallimard, p.157, Kabîr dit : « Le vrai Maître est tout Lumière. »

[14]. L'éveil à cette lumière spirituelle et à sa guidance peuvent avoir lieu avant que d’un geste intérieur toutes souffrances dues à l'ego puissent être surmontées aisément. Il peut avoir lieu longtemps avant que le décalage entre la volonté propre de l'ego et l‘action qu'impulse la transparence en cette lumière se soit extrêmement amenuisé. Pour bien se repérer dans les écrits spirituels, il faut comprendre que certains auteurs appellent illumination ou éveil quelque chose qui intègre la libération de la souffrance. D’autres désignent avec ces termes l’abolition de la volonté propre ou la conscience d’être une individuation de la vie universelle. A la suite de José Le Roy dans L’éveil spirituel, Almora, 2018, il nous semble pertinent de distinguer l’éveil spirituel, au sens propre, et la sagesse qui se développe par son exploration. Ce que nous dépeignons ici est l'éveil au fait d'être disciple du guide intérieur qu'est la lumière spirituelle. Dans une mentalité moderne, au lieu d’un vocabulaire d’une relation entre disciple et guide intérieur, nous pourrions parler d’une entrée consciente dans le processus de libération intérieure produit par la lumière spirituelle. Pour exprimer ceci, d’autres vocabulaires sont encore possibles. Nous pouvons partir du fait d’être ce véhicule corps-esprit en qui prend place un processus d’amour créateur et de compassion infinie. C’est celui-ci qui transformera le véhicule pour le rendre plus transparent à la lumière spirituelle. Autrement dit, nous parlons d’éveil à la lumière spirituelle au stade où finit, selon nous, la recherche spirituelle et où commence l'aventure spirituelle proprement dite.