dimanche 11 octobre 2009

HARMONISER LA VOLONTE ET L'ETRE. Episode 1. AU-DELA DU SCEPTICISME.



Toute recherche spirituelle et surtout celle du mouvement intégral est confrontée à la question de la volonté divine. Si on veut éviter un retour au religieux où une élite nous dira quoi faire et quoi penser parce qu'elle aurait, elle, plus de lumières sur la nature de la volonté divine, il faut peut-être commencer par éviter de personnaliser abusivement ce que nous entendons par volonté divine. Il faut éviter de la concevoir sans réfléchir comme issue d'une parole d'un être divin qui se donnerait à entendre dans notre conscience soit directement, soit par des intermédiaires qui entendent ou ont entendu et consigné cette parole dans des livres saints et révélés. Milgram avec ses expériences sur l'obéissance pointe combien nous sommes fragiles pour découvrir en nous contre tous les messages extérieurs l'attitude la plus humaine. Travailler à faire de mieux en mieux la volonté divine rencontre rarement au début du moins une synergie avec la société où l'on vit. Si l'on regarde la vie de ceux qui ont le plus marqué de leur empreinte la vie spirituelle comme Jésus ou Mohammed, cette absence de synergie entre volonté divine et société est d'autant plus forte que la société où l'on vit est soi-disant religieuse.

Dans le mouvement intégral, il y a un recoupement fondamental entre évolution consciente de la conscience et faire la volonté divine. Celui qui fait de plus en plus authentiquement la volonté divine entre dans une dynamique d'évolution consciente de la conscience. Pour lui, faire la volonté divine ne consiste pas seulement, même s'il s'agit d'une condition nécessaire à sa démarche, à vouloir ce qui est. Il ne s'agit pas de refuser le processus de manifestation de la conscience au nom de ce qui devrait être selon son point de vue égocentrique mais il faut dans une démarche d'évolution consciente de la conscience aspirer au devenir le plus authentique de ce qui est.

Accepter ce qui est pourrait au fond résumer la position du stoïcien telle que nous l'avons réinterprété à l'aide de la vision en première personne partagée par Douglas Harding dans un de nos postes précédents :

Le stoïcien comme nous l'avons donc vu dans un poste précédent sur ce blog, parvient à vouloir harmonieusement ce que Dieu ou la nature veut. Il a appris à distinguer ce qui dépend exclusivement de la conscience du tout et ce qui dépend de sa conscience individuelle qui aspire à être la conscience individualisée du tout qu'elle est.

Mais le stoïcien laisse peu d'espace dans sa réflexion pour nous dire comment notre conscience individualisée dans la conscience du tout peut agir de façon à manifester une évolution consciente de la conscience synergétiquement individuelle et universelle. Socialement, politiquement, le stoïcien même s'il fait montre d'une moralité héroïque n'en est pas moins un conservateur. Rares sont ceux qui du point de vue de leur pratique stoïcienne ont mis l'esclavage en cause ou encore le machisme de leur société... Même si on peut affirmer qu'ils ont posé les bases philosophiques de ce qui allait devenir au contact du christianisme les bases de l'humanisme.

Cette critique de la volonté divine comprise exclusivement comme "acceptation de ce qui est" au nom d'une évolution consciente de la conscience auto-créatrice et donc non conformiste induit aussi une critique des religions. On peut généraliser cette critique à propos de toute révélation religieuse qui présente les limites d'un véhicule qui peut nous porter d'un point à un autre. Toute révélation religieuse et philosophique semble contreproductive dès qu'elle prétend incarner le point ultime de la réalisation spirituelle : dès lors elle devient une demie vérité par son traditionalisme conformiste dont l'ignorance entre en lutte ou du moins présente une inertie devant de nouvelles évolutions conscientes de la conscience. Certes les révélations religieuses peuvent se réinterpréter de l'intérieur pour surmonter certaines de leurs lourdeurs puisqu'elles sont en leur coeur le produit de l'Être en Devenir mais arrive un moment où lucidement on doit admettre un décalage entre ces réinterprétations et le message originel, entre l'autocréation de l'Être et sa trace dans une tradition. Arrive un moment où l'ouverture d'esprit amènera à dialoguer avec d'autres perspectives religieuses, d'autres traces de l'Être autocréateur en Devenir et où dès lors la démarche spirituelle même si elle se reconnaît enracinée à une culture spirituelle pousse en dehors de toute appartenance et inféodation à un quelconque message révélé ou à une pratique traditionnelle de la spiritualité.

La philosophie par exemple a toujours revendiqué le statut spécifique de sa démarche où il s'agit de discerner ce qui est juste de façon individuelle et universelle. Faire la volonté divine pour un philosophe rationaliste consistera précisément à suivre sa raison qui permet de se donner à soi-même des règles de vie valant ou essayant de valoir pour tous. Des philosophes rediscutant le discours religieux comme Kant ou Fichte ont essayé de donner un idéal universel et non égocentrique de ce qui devrait être. Cette démarche n'est pas étrangère d'ailleurs avec notre idée d'une évolution consciente de la conscience dont elle est la trace qu'on désigne par Les Lumières.

Hans Jonas prolongeant cette recherche a renouvelé avec son principe responsabilité ce sens de l'autonomie philosophique en remarquant que nos problèmes écologiques montrent que notre évolution humaine pour être durable et préserver des conditions de vie valable pour les générations futures doit tenir compte des lois évolutives de la nature. Notre évolution humaine est donc obligée à une autonomie respectueuse de l'évolution globale de la nature.

Mais la raison et l'autonomie si elles forment une étape indispensable dans le développement de la conscience humaine et donc dans le cadre même d'une évolution consciente de la conscience s'avèrent désarmées face à des cas de conscience singuliers. Contrairement aux religions elles représentent de nos jours encore un passage obligé dans le développement individuel de tout être humain au-delà de la bestialité mais elles ne permettent sans doute pas d'atteindre intégralement notre humanité.

D'ailleurs, le mouvement intégral le plus radical inspiré par Sri Aurobindo, Mère et Satprem n'hésite pas à affirmer que la conscience humaine et donc l'être humain n'est qu'un être de transition. Si on admet cette possibilité ontologique dans le mouvement autocréateur, dès lors la conscience rationnelle qui représente un sommet de la conscience mentale humaine qui doit être atteint ne peut certainement pas être le sens profond de l'autonomie créatrice qui allie harmonieusement individualité et universalité dans une dynamique évolutive.

A ce niveau le mouvement intégral dans sa version wilberienne évoquerait la vision logique comme accomplissement mental le plus élevé au service d'une pleine expression de l'individualisation psychique. Le wilbérien prétendrait que la vision logique permet seule une exploration des niveaux de conscience surmentaux. Mais la vision logique telle que Wilber lui-même ou ceux qu'il influence la manipulent peut-elle prendre en compte le geste sceptique ?
Partant d'une vision en première personne, on pourrait synthétiser ainsi le geste sceptique :
Lorqu'on se tient en première personne, tout ce qui apparaît de nos raisonnements ne peut-il pas être suspendu ? Toutes nos interprétations mentales de ce qui apparaît et de la scène sur la quelle cela apparaît, aussi raffinées soient-elles, ne sont-elles pas suspendables ? Notre volonté n'est-elle pas dès lors une apparence parmi d'autres ? Notre champ de conscience ou ce que nous nommons comme tel a-t-il une unité en tant que tel ? L'absence de quoi que ce soit qui regarde le théâtre des apparences n'est-elle pas Rien plutôt que une conscience de Rien ? Parler de vision en première personne n'est-ce pas dèjà affirmer la réalité du théâtre de la conscience ?
Notre volonté d'évoluer consciemment en conscience n'est-elle pas alors illusoire puisque elle est un jugement, une interprétation c'est-à-dire une apparence parmi d'autres ?
Ne faudrait-il pas reconnaître que nous sommes entourés par un nuage d'inconnaissance d'où des apparences conscientes émergent d'un monde sans conscience ?


Si on admet que nous n'échappons pas au nuage d'inconnaissance où émerge la première personne, peut-on prendre au sérieux l'impression d'une première personne comme sommet de la vie spirituelle ? Que vaut la valorisation d'une vision en première personne accompagnée en son bord d'une troisième personne formée au fil d'une histoire en interaction avec d'autres apparences de personne qui soit confondent leur troisième personne et leur première soit qui s'avouent relatives à une première personne que nous partagerions avec eux ?

Toutefois même si la radicalité sceptique exige de s'en prendre à la vision en première personne, elle ne peut pas ne pas se placer en première personne pour constamment éviter de confondre les apparences avec une réalité ultime. Car c'est en première personne que le nuage d'inconnaissance qui l'entoure peut être vraiment assumé. Toute la radicalité de la suspension du jugement sceptique n'a lieu donc qu'en première personne et donc seule la vision en première personne comprenant son nuage d'inconnaissance peut générer le calme et la tranquillité de l'esprit qui en prend le risque. Celui qui suspend ainsi son jugement cesse aussi de projeter quoi que ce soit d'inutile sur la vision en première personne en percevant les limites du connu.

Assumer la suspension radicale du jugement en première personne imprégné de la présence de son nuage d'inconnaissance nous amène à ne plus rien vouloir changer dans les apparences de notre troisième personne sinon par le jeu même du processus du jeu des apparences jaillissant au sein du nuage d'inconnaissance. Intégrer les connaissances dans une vision logique synthétique ne contrevient-il pas à cette suspension radicale du jugement qui laisse autant qu'il se peut le processus des apparences à lui-même ?

Toutefois reste alors comme une double flèche de la volonté. Une partie de la volonté s'enfonce dans la volonté spirituelle de suspension radicale du jugement qui en vient à se laisser être dans sa dissipation calme et tranquille. L'autre dans la direction du monde joue son jeu relativisé depuis l'au-delà de la suspension du jugement.


Il y a comme un dualisme entre l'homme centré vers sa suspension du jugement et l'homme centré sur le jeu du monde. Laisser le processus à lui-même revient à ne pas vouloir y introduire quoi que ce soit de neuf. Cela revient à nier qu'on puisse attendre que émergeant du nuage d'inconnaissance un ensemble d'apparences nouvelles métamorphose radicalement le processus jusque là usuel des apparences. Suspendre son jugement risque d'interdire le renouvellement même du jeu des apparences. Suspendre son jugement face au nuage d'inconnaissance ne doit pas consister à limiter les possibles qui tentent de s'implanter dans la sphère mentale en la renouvelant ou même en la brisant dans ses prétentions vis-à-vis de l'ignorance et du savoir qu'elles soient sceptiques ou intégrales. L'ignorance sceptique volontaire si vraiment le processus des apparences s'enrichit de nouveauté peut être contestée comme un conformisme volontariste. Le savoir intégral des wilbériens s'il impose sa volonté à ce qui peut librement surgir du nuage d'inconnaissance fortifie la sphère mentale et peut risquer de se fermer à ce qui pourrait la faire éclater.
Le DEVENIR DE L'ÊTRE qui se révèle à travers le nuage d'inconnaissance de la vision en première personne est vraiment la manifestation de la volonté divine à la quelle la volonté personnelle mentale peut apprendre à se soumettre pour de plus en plus intégralement se relier à sa source.