mercredi 7 juillet 2010

LIBRE ARBITRE ET DETERMINISME. Episode 2. Extrait des Entretiens de Mère.



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Le 3 juin 1953

« La liberté et la fatalité, le libre arbitre et le déterminisme sont des vérités qui appartiennent à des états de conscience différents. » (Entretien du 28 avril 1929)

Quels sont ces états de conscience différents ?

Mais je l'ai expliqué après. Tout ce qui suit est l'explication.

Je vous ai déjà parlé de différents plans de conscience. Eh bien, dans le plan matériel, purement matériel (si on le sépare du plan vital), c'est un mécanisme absolu où toutes les choses s'enchaînent en conséquence les unes des autres; et comme je le disais l'autre jour, si vous voulez trouver quelle est la cause d'une chose, ou quel est le résultat d'une chose, vous en trouverez une autre et encore une autre, et vous ferez tout le tour de l'univers. Et c'est comme cela, tout est absolument mécanisé. Seulement, dans ce plan purement matériel peut intervenir - et en fait intervient déjà dans la nature végétale - le plan vital. Le plan vital a entièrement un autre déterminisme, un déterminisme qui lui est propre. Mais quand vous faites entrer le déterminisme vital dans le déterminisme physique, cela fait une sorte de combinaison qui change tout. Et au-dessus du plan vital, il y a le plan mental. Le plan mental aussi a son déterminisme propre où toutes les choses s'enchaînent d'une façon rigoureuse.
Mais cela, c'est le mouvement que vous pourriez appeler "horizontal". Si vous prenez un mouvement vertical et que le mental descende dans le vital et que le vital descende dans le physique, voilà trois déterminismes qui vont intervenir, et qui naturellement produisent quelque chose de tout à fait différent. Et là où le mental est intervenu, le déterminisme sera [91] nécessairement différent de l'endroit où il n'intervient pas; c'est-à-dire que dans la vie animale supérieure, il y a déjà un déterminisme mental qui intervient et qui est tout à fait différent des déterminismes du plan végétal.


Au-dessus de ces plans, il y en a d'autres - au-dessus de chaque plan il y en a d'autres, ainsi de suite jusqu'au plan suprême. Le plan suprême, c'est le plan de la liberté absolue. Si vous êtes capable, dans votre conscience, de traverser tous ces plans, pour ainsi dire en une ligne verticale, et d'aller jusqu'au plan suprême et, par cette connexion, de faire descendre ce déterminisme de liberté parfaite dans les déterminismes matériels, vous changez tout. Et tous les intermédiaires changent tout. Alors à force de changements de plan en plan, cela donne tout à fait l'apparence de la liberté complète; parce que l'intervention ou la descente d'un plan dans un autre a des conséquences imprévisibles pour l'autre plan, pour le plan inférieur. Le plan supérieur peut prévoir, mais les plans inférieurs ne le peuvent pas. Alors comme ces conséquences sont imprévisibles, cela donne tout à fait l'impression de l'inattendu et de la liberté. Et ce n'est que si vous restez d'une façon consciente et constante dans le plan le plus élevé, c'est-à-dire la Conscience suprême, que là vous pouvez voir que, à la fois, tout est absolument déterminé mais que, par la complexité de l'enchevêtrement de ces déterminismes, tout est absolument libre. C'est le Plan où il n'y a plus de contradictions, où toutes les choses sont, et sont en harmonie sans se contredire.


Dans les plans inférieurs, on ne peut pas dire ce qui arrivera à un moment ?

Cela dépend. Il y a des plans où se trouvent les consciences qui forment, qui font des formations et qui essayent de les faire descendre sur la terre et de les manifester. Ce sont les plans où il y a les grands jeux de forces, de forces qui sont en lutte les unes avec les autres pour organiser les choses d'une manière ou de [92] l'autre. Dans ces plans sont tous les possibles, tous les possibles qui se présentent et qui ne sont pas encore arrivés à la décision de ce qui descendra... Supposez un plan qui soit plein de toutes les imaginations de gens qui veulent que certaines choses se réalisent sur la terre - ils inventent un roman, ils racontent des histoires, ils produisent toutes sortes de phénomènes; cela les amuse beaucoup. C'est un plan de formateurs, et ils sont là à imaginer toutes sortes de circonstances, d'événements : ils jouent avec les forces; ils sont comme les auteurs d'une pièce de théâtre et ils préparent tout cela là, et puis ils voient ce qui va se produire. Toutes ces formations sont en présence l'une de l'autre; alors ce sont celles qui sont les plus fortes, les mieux réussies ou les plus insistantes, ou celles qui ont l'avantage d'un concours de circonstances plus favorable, qui dominent. Elles se rencontrent, puis du conflit il résulte encore quelque chose d'autre: on perd une chose et on en prend une autre, on fait une nouvelle combinaison; et puis tout d'un coup, on trouve, ploff ! cela descend. Alors si cela descend avec une force suffisante, cela met en mouvement l'atmosphère terrestre et les choses se combinent; comme, par exemple, quand on donne un coup de poing dans la sciure de bois, vous savez comment cela fait, n'est-ce pas ? Vous prenez votre main, vous donnez un coup de poing formidable: tout s'organise autour de votre poing. Eh bien, c'est comme cela. Ces formations-là descendent avec cette force dans la matière, et tout s'organise automatiquement, mécaniquement autour du coup de poing. Et puis voilà que votre circonstance va se réaliser, quelquefois avec des petites déformations à cause de la résistance, mais enfin cela se réalisera comme la personne qui a raconté l'histoire là-haut a voulu plus ou moins que cela se réalise. Alors, si vous êtes pour une raison quelconque dans les secrets de la personne qui a construit l'histoire, si vous suivez la façon dont elle crée son chemin pour arriver jusqu'à la terre, et si vous voyez comment un coup de poing agit sur la matière terrestre, alors vous pouvez dire ce qui va arriver, parce que vous avez vu dans le monde [93] là-haut, et comme cela prend un peu de temps pour faire tout ce trajet, vous voyez d'avance. Et plus vous montez haut, Plus vous prévoyez d'avance ce qui va se passer. Et si vous dépassez trop, si vous allez trop loin, alors tout est possible.

C'est un déroulement qui suit une grande route, qui est pour vous inconnaissable; parce que tout se déroulera dans l'univers, mais dans quel ordre et de quelle façon ? Il y a des décisions qui se prennent là-haut, qui échappent à notre conscience ordinaire, et alors c'est très difficile à prévoir. Mais là aussi, si vous entrez consciemment et que vous puissiez assister de là-haut... Comment vous expliquer cela ? Tout est là d'une façon absolue, statique, éternelle; mais tout cela va se dérouler dans le monde matériel, naturellement plus ou moins une chose après l'autre; parce que dans l'existence statique tout peut être là, mais dans le devenir tout devient dans le temps, c'est-à-dire une chose après l'autre. Eh bien, quel chemin suivra le déroulement ? Là-haut, c'est le domaine de la liberté absolue... Qui vous dit qu'une aspiration suffisamment sincère, qu'une prière suffisamment intense n'est pas capable de faire changer le chemin du déroulement ?

Cela veut dire que tout est possible.

Maintenant, il faut avoir l'aspiration suffisante et la prière suffisamment intense. Mais cela, c'est donné à la nature humaine. C'est l'une de ces grâces merveilleuses qui est donnée à la nature humaine; seulement on ne sait pas s'en servir.
Ce qui revient à dire qu'en dépit des déterminismes les plus absolus en ligne horizontale, si l'on sait franchir toutes ces lignes horizontales et arriver jusqu'au point suprême de la conscience, on est capable de faire changer les choses qui en apparence sont absolument déterminées. Alors vous pouvez appeler cela du nom que vous voulez, mais c'est une sorte de combinaison d'un déterminisme absolu avec une liberté absolue. Vous vous en tirerez comme vous voulez, mais c'est comme cela.

J'ai oublié de dire dans ce livre (peut-être que je n'ai pas oublié, mais j'ai senti qu'il était inutile de le dire) que toutes ces [94] théories ne sont que des théories, c'est-à-dire des conceptions mentales qui sont seulement des représentations plus ou moins imagées de la réalité; mais ce n'est pas la réalité du tout. Quand vous dites le « déterminisme » et quand vous dites la « liberté », vous dites des mots, et tout cela n'est qu'une description très incomplète, très approchée et très affaiblie de ce qui est en vérité au-dedans de vous, autour de vous et partout; et pour que vous puissiez commencer à comprendre comment est l'univers, il faut que vous sortiez de vos formules mentales, autrement vous ne comprendrez jamais rien.
À dire vrai, si vous vivez seulement une petite minute, toute courte minute, de cette aspiration absolument sincère ou de cette prière d'une intensité suffisante, vous saurez plus de choses que si vous méditez pendant des heures.


« ... la Conscience Suprême donne à l'individu, dans la vie active du monde, le sentiment de liberté, d'indépendance et d'initiative. Ces choses en lui sont les instruments et les procédés pragmatiques dont Elle se sert et à travers lesquels les mouvements et les circonstances prévus et décrétés ailleurs sont réalisés ici-bas. » (Entretien du 28 avril 1929)

Ces « choses en lui », c'est-à-dire dans l'individu, ce sont : le sentiment de liberté, d'indépendance et d'initiative. Tu sais ce que c'est que l'indépendance ? C'est justement la liberté de choix. L'indépendance, c'est la liberté de choix, et l'initiative, c'est le fait de choisir. D'abord, on sent qu'on est libre; et puis on sent que personne ne peut vous empêcher de choisir; et finalement on use de sa liberté pour choisir et on décide. Ce sont les trois étapes. Et alors ces trois étapes - le sentiment que tu es libre, l'idée que tu vas te servir de ta liberté pour choisir, et puis le choix -, ces trois choses, je les appelle les instruments et les procédés pragmatiques.
Je suis désolée, mes enfants, c'est dit dans des formes un petit [95] peu trop philosophiques que je n'approuve pas beaucoup maintenant. J'étais obligée de parler un langage qui me parait maintenant un peu trop compliqué. Mais enfin, c'était comme cela. Je disais que ces trois choses-là, ce sentiment de liberté, cette volonté de choisir, et le choix que l'on fait, ce sont les procédés dont la Nature se sert au-dedans de nous pour nous faire agir, autrement on ne bougerait pas.
Si nous n'avions pas cette illusion que nous sommes libres, cette seconde illusion que nous pouvons nous servir de notre liberté pour choisir, et cette troisième illusion de choisir, eh bien, nous ne bougerions pas. Alors la Nature nous donne ces trois illusions et nous fait bouger, parce qu'elle a besoin que nous bougions.

Ce Elle, avec « E » majuscule, j'ai dit que c'était la Conscience Suprême, mais en fait c'est la Nature et c'est le truc de la Nature; parce que la Conscience Suprême n'a pas de trucs, c'est la Nature qui a des trucs. La Conscience Suprême, tout simplement Elle entre en toute chose avec toute sa conscience (parce que c'est la conscience) et avec cela, Elle essaye de faire mouvoir toute cette inconscience vers la conscience, simplement, sans trucs. Elle n'a pas besoin de trucs : Elle est partout. Elle agit partout et Elle met la conscience dans l'inconscience. Quand on allume une lampe dans une chambre sombre, dès qu'on tourne l'électricité, la chambre n'est plus sombre. Dès qu'on met la conscience, il n'y a plus d'inconscience. Alors c'est ce qu'Elle fait. Partout où Elle voit l'inconscience, Elle essaye d'entrer. Quelquefois les portes sont fermées à clef, alors cela prend un peu plus longtemps, mais quelquefois les portes s'ouvrent, alors Elle se précipite immédiatement, l'inconscience disparaît et la conscience vient - sans besoin d'aucun truc ni d'aucun intermédiaire. Elle devient consciente. Mais la Nature matérielle, la Nature physique n'est pas comme cela, elle est pleine de trucs. Elle vous fait marcher tout le temps, elle tire les fils des marionnettes; pour elle, vous êtes autant de petits pantins : on tire les fils et puis on les fait mouvoir. Elle vous met toutes [96] sortes d'illusions dans la tête pour que vous fassiez les choses qu'elle veut sans même que vous le vouliez. Elle n'a pas besoin que vous le vouliez: elle tire la ficelle et vous le faites.
C'est pour cela que nous nous querellons quelquefois, mais cela, il ne faut pas le dire!

Tu as dit ici que l'on est "pris dans la chaîne du karma". Mais alors parfois, quand la Grâce divine agit, cela contredit...

Complètement, la Grâce divine contredit complètement le karma. Tu sais, cela le fait fondre comme quand on met du beurre au soleil.

C'est ce que je disais tout à l'heure. Ce que tu viens de me dire est une autre façon de parler. Moi, je me mettais à votre place et je disais : voilà, si vous avez une aspiration assez sincère ou une prière assez intense, vous pouvez faire descendre en vous Quelque Chose qui changera tout, tout - véritablement on change tout. On peut donner un exemple, qui est extrêmement limité, tout petit, mais qui fait bien comprendre les choses : mécaniquement, une pierre tombe; disons qu'une tuile tombe (si elle se détache, elle tombera, n'est-ce pas), mais s'il vient un déterminisme, par exemple vital ou mental, de quelqu'un qui passe et qui ne veut pas que cela tombe et qui met sa main, cela tombera sur la main, mais cela ne tombera pas par terre. Alors il a changé la destinée de cette pierre ou de cette tuile-, C'est un autre déterminisme qui est venu, et au lieu que la pierre vienne tomber sur la tête de quelqu'un, elle tombe dans la main et elle ne tuera personne. Cela, c'est l'intervention d'un autre plan, d'une volonté consciente qui entre dans un mécanisme plus ou moins inconscient.

Alors les conséquences du karma ne sont pas rigoureuses ?

Non, pas du tout. Les gens qui ont dit cela dans toutes les [97] religions, qui ont donné de ces règles si absolues, moi, je crois que c'était pour se substituer à la Nature et pour tirer les ficelles. Il y a toujours cette espèce d'instinct de vouloir se substituer à la Nature et de tirer les ficelles des gens. Alors on leur dit: « Il y a une conséquence absolue à tout ce que vous faites. »

C'est un concept qui est nécessaire à un moment donné de l'évolution pour empêcher les gens d'être dans un égoïsme complètement inconscient et dans une inconscience totale des conséquences de ce que l'on fait. Il ne manque pas de gens qui sont encore comme cela, je crois que c'est la majorité: ils suivent leurs impulsions et ne se demandent même pas si ce qu'ils ont fait va avoir des conséquences pour eux et pour les autres. Alors c'est bon que quelqu'un vous dise tout d'un coup, avec un air sévère: « Prenez garde, cela a des conséquences qui dureront pendant un temps très long! » Et puis, il y a ceux qui sont venus vous dire : « Vous payerez cela dans une autre vie. » Cela, c'est une de ces histoires fantastiques... Mais enfin, cela ne fait rien; cela aussi peut être pour le bien des gens. Il y a d'autres religions qui vous disent: « Oh! si vous faites ce péché là, vous irez en enfer pour l'éternité. » Tu vois cela d'ici!... Alors les gens ont tellement peur que cela les empêche un peu, cela leur donne juste une seconde de réflexion avant d'obéir à l'impulsion - et pas toujours; quelquefois la réflexion vient après, un peu tard.

Ce n'est pas absolu. Ce sont encore des constructions mentales, plus ou moins sincères, qui coupent les choses en petits morceaux comme cela, bien nettement coupés, et qui vous disent: « Fais ça ou fais ça. Si ce n'est pas ça, ce sera ça. » Oh! comme c'est embêtant la vie comme cela! Et alors les gens s'affolent, ils sont épouvantés : « C'est ça ou bien ça ? » Et s'ils ont envie que ce ne soit ni ça ni ça, comment faire ? Ils n'ont qu'à monter à l'étage supérieur. Il faut leur donner la clef pour ouvrir la porte. Il y a une porte à l'escalier, il faut une clef. La clef, c'est ce que je vous ai dit tout à l'heure, c'est l'aspiration suffisamment sincère ou la prière suffisamment intense. Et j'ai [98] dit « ou » - je ne crois pas que ce soit « ou ». Il y a des gens qui aiment mieux l'un et il y a des gens qui aiment mieux l'autre. Mais il y a un pouvoir magique dans tous les deux; il faut savoir s'en servir.
Il y a quelque chose de très beau dans les deux, je vous en parlerai un jour, je vous dirai ce qu'il y a dans l'aspiration et ce qu'il y a dans la prière, et pourquoi tous les deux sont beaux... Certains détestent la prière (s'ils allaient tout au fond de leur coeur, ils verraient que c'est un orgueil - pire que cela, une vanité). Et alors, il y a ceux qui n'ont pas d'aspiration, qui essayent, qui ne peuvent pas; c'est parce qu'ils n'ont pas la flamme de la volonté, c'est parce qu'ils n'ont pas la flamme d'humilité.

Il faut les deux : il faut une très grande humilité et une très grande volonté pour changer son karma.
Voila, au revoir mes enfants.