vendredi 18 décembre 2009

LA DIMENSION PERSONNELLE DE L'ABSOLU A TRAVERS PRIERE DU COEUR ET VISION SANS TETE.

LE MYSTERE PROBLEMATIQUE DE LA VALEUR DE LA MANIFESTATION ET DE LA PERSONNE.

Voici la carte dressée par Douglas Harding :


Se vivre enfermé dans les apparences qu'on conçoit à partir de notre reconnaissance dans le miroir revient à perdre de vue en quoi forcément nous incarnons le tout, le rien d'un Je suis irréductible à notre personnalité.

Ici il est aussi question d'un mystère. Faut-il envisager en place et lieu de ce mystère un Dieu personnel ? Ou bien s'agit-il d'un processus impersonnel insaisissable intellectuellement en tant que source même de toute forme qui échappe à toute forme d'existence particulière ? Sous-jacentes à ces deux questions, il y a les approches religieuses monothéistes ou bouddhistes.


A vrai dire nous sommes capable d'assumer nos responsabilités dans cette réalité auto-créatrice dont nous sommes un vecteur d'individualisation sans nous référer au vocabulaire religieux. Nous sommes athée au sens où personne n'a d'autorité à nous révéler quoi que ce soit d'autre que ce que nous sommes déjà. Au coeur le plus profond de nous-même, nous sommes en effet le processus d'auto-création qui révèle tout ce qui est. Ce processus d'auto-création pointe autant ce qui se manifeste dans la conscience que ce qui est proporement non-manifesté.

Du point de vue du manifesté, nous sommes à la fois le résultat du hasard et de la nécessité de l'évolution et à la fois son élan créateur car en nous ils sont aussi vécus de l'intérieur.

Cependant ce serait seulement depuis la transcendance de la transcendance de cet intérieur qui reste un mystère qu'il n'y aurait éventuellement plus de hasards et de nécessités puisque tous les hasards et nécessités pourraient être vécus consciemment comme des expressions d'un Principe créateur.
Il se peut que la structure même du réel nous interdise du point de vue personnel cet accès car au fond arriver à s'identifier à cette transcendance ultime nécessiterait de ne plus être rien de personnel. Dès lors la dimension personnelle serait relative et notre liberté créatrice limitée par des hasards et nécessités aveugles à nos intentions créatrices même les plus nobles.

S'approcher de ce mystère de l'intériorité a donc un enjeu fondamental concernant la valeur de notre individualisation, de l'évolution de notre univers et du sens qu'il faut attribuer à l'humanité, etc.
L'autocréation n'est-elle qu'une auto-illusion de la transcendance de la transcendance qui serait confirmée en découvrant des hasards et nécessités constitutifs de notre réalité personnelle et de l'univers manifesté ? Ou bien l'autocréation est-elle au cœur même de notre constitution personnelle une évolution consciente de la conscience de (une prise de conscience autant qu'une expression de) la transcendance de la transcendance ?

Il importe de considérer la tradition chrétienne lorsqu'elle affirme la divinisation des personnes. Une telle affirmation n'aurait-elle pas un rapport avec une expérience intérieure reproductible en dehors d'une adhésion à des dogmes indiscutables ?


LE POINT DE VUE SPIRITUEL CHRETIEN.

Relisant la Philocalie et les Pères de l'Eglise, je tombe sur quelques perles qu'appréciera celui qui vit l'espace de conscience en ayant dépassé avec l'aide de Douglas Harding l'illusion que cette conscience serait enfermée dans une boule de chair communément appelé tête.

Ainsi on peut lire l'apophtegme 11 :

L'abbé Bessarion mourant dit : " Le moine doit, comme les chérubins et les séraphins, n'être qu'œil"

Evagre le Pontique, un moine du IVe siècle précise dans La Prière :

" 66
Quand tu pries, ne t'imagine pas la présence du divin en toi, ne laisse pas ton esprit se soumettre à une quelconque figuration : aborde l'immatériel en immatériel et tu comprendras.
[...]

69
Reste vigilant, préserve ton esprit de toute pensée au temps de la prière, pour le maintenir dans la paix qui est la sienne. Ainsi, Celui qui prend pitié des ignorants viendra aussi sur toi, et tu obtiendras le don le plus glorieux, celui de la prière.
[...]

117
J'ajouterai ceci, que j'ai dit aussi dans d'autres écrits : Bienheureux l'esprit qui, à l'heure de la prière, se trouve en totale vacuité de représentations.

118
Bienheureux l'esprit qui, priant sans distraction, voit s'accroître toujours en lui la soif de Dieu.

119
Bienheureux l'esprit qui, à l'heure de la prière, devient immatériel, en totale disponibilité."


Cet œil dont parle Bessarion et que Douglas Harding nous révèle est par-delà l'œil de chair. La Kena Upanishad dit bien qu'il s'agit de "Cela, qui est ouïe derrière l'ouïe, mental du mental, Verbe derrière la parole - cela aussi est vie du souffle de vie, et vue derrière la vue. Par-delà, les sages trouvent leur libération, et continuant leur route après ce monde, ils deviennent immortels."

Justin, un philosophe du IIe siècle converti au christianisme et qui ignore la Kena Upanishad, écrit dans son Dialogue III, 7-IV, 1,5 :

"Ce n'est pas par les yeux que le divin est visible aux philosophes, mais il n'est saisissable que par l'esprit seul, comme dit Platon, et je l'en crois... Platon dit en effet que l'œil de l'esprit est bien ainsi et qu'il nous a été donné pour pouvoir contempler cet Être même dans sa propre transparence, cet Être qui est cause de toutes les réalités intelligibles, n'ayant ni couleur, ni forme, ni dimension, ni rien de ce que l'œil perçoit, mais étant cela même qui est au-dessus de toute substance, qu'on ne peut ni dire ni exprimer, mais seul Beau et Bien, immédiatement inné aux âmes bien nées grâce à leur parenté et à leur désir de le voir... Et tant que l'âme est dans une forme humaine, il est possible que cette vision lui soit donnée, grâce à l'esprit, mais c'est surtout quand elle est déliée du corps et qu'elle est devenue elle-même, qu'elle obtient ce qu'elle a toujours désiré."

Grégoire de Naziance, théologien du IVe Siècle, dans ses Discours théologiques, 28,3 approfondit cette recherche intérieure et écrit :

" Que m'est-il arrivé, mes amis qui êtes initiés et épris avec moi de vérité ? Je courais pour atteindre Dieu ; j'avais ainsi gravi la montagne, j'avais pénétré dans la nuée en me mettant intérieurement loin de la matière et des choses matérielles et en me concentrant en moi-même autant qu'il est possible ; et, lorsque j'ai regardé, à peine ai-je vu Dieu par derrière, et encore j'étais abrité par le rocher, par le Verbe fait chair à cause de nous. En me penchant un peu j'ai vu non pas la nature première et sans mélange, connue d'elle-même - je veux dire la trinité - et tout ce qui en demeure derrière le premier voile et se trouve couvert par les Chérubins, mais seulement ce qui est à l'extrémité et arrive jusqu'à nous. C'est, autant que je sache, la grandeur de Dieu dans les créatures et dans les choses produites et gouvernées par lui ou, comme l'appelle le divin David, sa "magnificence". Voilà ce que l'on voit de Dieu par derrière, ce que l'on reconnaît de lui après son passage, comme les ombres du soleil sur les eaux et les images de cet astre représentent le soleil pour les yeux malades, puisqu'il n'est pas possible de le regarder lui-même : la pureté de sa lumière triomphe de nos sens."

On pourrait interpréter les propos de Grégoire de Naziance en ce sens :

Au sommet de la montagne, c'est-à-dire au-delà du perçu matériel, il y a en effet le monde de l'esprit.

En regardant en arrière du perçu de l'œil de l'esprit, je tombe sur la nuée divine des voiles d'inconnaissance. Là je connais la paix de la conscience.

Séraphim de Sarov dans ses Instructions spirituelles insiste sur la paix :

"Il n'y a rien au-dessus de la paix en Christ, par laquelle sont détruits les assauts des esprits aériens et terrestres. [...] Un homme raisonnable dirige son esprit à l'intérieur et le fait descendre dans son cœur. Alors la grâce de Dieu l'illumine et il se trouve dans un état paisible et suprapaisible : paisible, car sa conscience est en paix ; suprapaisible, car au-dedans de lui il contemple la grâce du Saint-Esprit..."

Il y a ainsi un deuxième niveau de paix évoqué aussi en un autre sens par Grégoire de Naziance.

En mon âme, je suis relié au Fils de Dieu, ce rocher sur lequel est fondé la vie de notre humaine. Et de là, il y a l'émergence simultanée de mon âme et du monde, mais la lumière et les mouvements d'énergie en jeu sont d'un éclat plus transparent et plus subtil encore que la transparence usuelle de l'esprit. Ces mouvements jaillissent de la nuée des voiles d'inconnaissance mais faute d'un esprit plus affûté, on ne voit pas au sein de cette nuée ou au-delà d'elle.

Grégoire de Nysse, un autre Père de l'Eglise du IVe siécle, de Cappadoce comme Grégoire de Naziance, dans ses Homélies sur les Béatitudes, VI, 1270C-1272C peaufine ce tableau :

"Il dit : "Le royaume de Dieu est en vous" (Luc, 17,21), afin que nous apprenions que celui qui a purifié son coeur de toute créature et de toute disposition sensible saisit l'image de la nature divine dans sa propre beauté. [...] Il y a en toi une mesure accessible de contemplation divine. Celui qui t'a façonné a introduit dans ta nature, avec l'essence même, un tel bien. Dieu a gravé dans tes dispositions naturelles les images des biens de sa propre nature, comme s'il frappait à l'avance une cire d'une image à sculpter. mais la perversité répandue autour du caractère déiforme a rendu inutilisable le bien caché par des voiles honteux. Si au contraire tu nettoies par une vie attentive la crasse déposée sur ton cœur, tu recouvreras ta beauté déiforme. [...] Ce qui ressemble à la bonté est entièrement bon. Alors qui se regarde lui-même contemple en lui l'objet désiré. Et ainsi devient bienheureux celui qui a le cœur pur, parce que, regardant sa propre pureté, dans l'image, il saisit l'archétype, comme ceux qui regardent le soleil dans un miroir, même s'ils regardent le ciel fixement, néanmoins voient le soleil dans l'éclat du miroir."

De manière plus concise, Grégoire de Nysse disait dans cette même homélie en 1269 :

"On peut dire à la fois en toute vérité et que "les cœurs purs voient Dieu", et que : nul n'a jamais vu Dieu. En effet, ce qui est invisible par nature devient visible par les énergies apparaissant ainsi autour de sa nature"

Basile un autre des Pères Cappadociens du IVe siècle introduit pour exprimer ceci une notion essentielle dans la théologie orthodoxe de la prière du cœur : les énergies divines. Ainsi il écrit :

"Nous affirmons que nous connaissons Dieu dans ses énergies, mais nous ne promettons guère de l'approcher dans son essence même, car son essence inaccessible, tandis que les énergies viennent jusqu'à nous."

Dans ses Ecrits sur l'hésychasme, Jean-Yves Leloup cite Syméon le Nouveau théologien :

"Nous ne parlons pas de choses que nous ignorons, mais de ce qui nous est connu nous rendons témoignage. Car la lumière brille déjà dans les ténèbres, dans la nuit et dans le jour, dans nos cœurs et dans nos esprits, elle nous illumine, cette lumière sans déclin, sans changement, inaltérable, jamais éclipsée ; elle parle, elle agit, elle vit, elle vivifie, elle transforme en lumière ceux qu'elle illumine. Dieu est lumière et ceux qu'Il rend dignes de le voir le voient comme lumière ; ceux qui l'ont reçu l'ont reçu comme lumière" (Homélie LXXIX,2,318-319).

BILAN PERSONNEL.

A partir de là, observant les prémisses d'une divinisation de la personne en suivant les pratiques spirituelles de la tradition chrétienne, doit-on se dire chrétien et réaffirmer la réalité de Dieu ?


L'absence d'observateur avec une tête humaine qui se voit sur l'image précédente révèle un JE SUIS au-delà de tout attribut. Ce JE SUIS est-il Dieu comme l'affirme Douglas Harding et comme le suggère le blog de José Le Roy (qu'on trouvera en cliquant ici) ?

Un lecteur de saint Augustin prétendra qu'il y a de l'orgueil à confondre ainsi mon essence personnelle et celle de Dieu s'il existe.
José Le Roy répond justement sur son blog à l'aide d'Eckhart mais aussi de mystiques salués par les institution catholiques ou orthodoxes qu'il y a de l'orgueil à vouloir subsister en face de Dieu puisque Dieu est tout et que je ne suis rien.
A vrai dire faire de Dieu un objet-sujet extérieur au monde et à la conscience permet d'en avoir une approche fermée et dogmatique. Celui qui conçoit Dieu comme extérieur à notre être va prétendre s'appuyer sur des autorités privilégiées par Dieu lui-même pour vouloir m'imposer son discours et sa propre autorité sur moi. Grâce à ce que JE SUIS, je reste heureusement athée de telles formes religieuses.
Reprenant à mon compte les positions mystiques d'un JE SUIS divin plus moi que moi-même, je désire donc connaître, aimer et servir autant que possible l'ouverture et la transparence de mon champ de conscience en première personne. Suivant mon désir de ce JE SUIS du mieux que je peux, en me détachant de ma personnalité extérieure, je me sens souvent glisser dans le coeur. Là il y a comme quelque chose derrière dont je me sens le reflet personnel et qui grandit dans cette ouverture de la première personne que JE SUIS plus moi que moi-même.

Le JE SUIS que je sais plus moi que moi-même ne me semble pas simplement l'essence entière de Dieu, car je ne sais pas vraiment ce que JE SUIS plus moi que moi-même. Tout autour et au sein même du sentiment de mon intentionnalité libérée de toute identification relative qui s'ignore à une personnalité, il y a une opacité qui m'interdit l'accès plénier à ce que JE SUIS absolument.

D'une part, il y a le JE SUIS et sa transparence d'où se perçoit mon opacité personnelle en tant que trouble de la vacuité. De ce point de vue, on pourrait me dire que mon désir personnel de servir, d'aimer et de connaître est l'obstacle car il ne faut être rien, vraiment rien pour vraiment jouir de ce que JE SUIS. Faut-il juste voir dans cette opacité une résistance à l'abandon de la connaissance intellectuelle au profit d'une docte ignorance paisible inhérente au JE SUIS, une résistance d'auteur égocentrique du service qu'il prétend rendre au profit d'une action spontanée et qui transcende paisiblement le jeu grinçant de l'effort et du lâcher-prise, une résistance d'amoureux jaloux de l'amour dont il aime et qu'il amoindrit en le dérivant au profit de sa persistance, s'interdisant au fond la paix inhérente à l'amour de JE SUIS ?
Mais d'autre part, l'opacité du sentiment de mon intentionnalité s'est découvert avec la tradition chrétienne de la prière du cœur comme une nuée d'inconnaissance enveloppant d'une dimension de mystère JE SUIS à travers laquelle passe une lumière suprapaisible qui vient des tréfonds et d'au-delà d'elle-même. Cette lumière illumine ma personne et semble la transformer pour répondre à son désir d'union et de service à JE SUIS. Le chrétien lecteur des textes des Pères de l'Eglise et de la Philocalie parlera de grâce ou d'énergies divines et celui qui ne renonce pas à connaître, servir et aimer JE SUIS verra concrétement à l'oeuvre.

A un certain stade d'illumination, l'harmonie croissante entre le sentiment d'intentionnalité et JE SUIS me procure l'impression forte que nous sommes vraiment en tant que communion de personnes l'objet d'attention de JE SUIS. Illuminé, je perçois comme au fond du coeur une étincelle, un feu personnel grandissant de cette illumination et dont mon amour et ma volonté de servir et de connaître JE SUIS sont des expressions intellectuelles, émotionnelles, physiques, etc. J'ai parfois l'expérience qu'en l'étincelle primordiale de ce feu, je deviendrais si l'illumination accomplit son oeuvre parfaitement un sans distinction le processus conscient de la dimension du JE SUIS qui individualise autrui et fait grandir la communion des personnes.

Il y a une lutte entre le vieil homme et l'homme illuminé qui crée des aléas dans la perception du sens de cette opacité. Mais certains Pères semblent témoigner d'une stabilisation de l'illumination : "Je dors mais mon coeur veille" dit en ce sens le cantique des cantiques dans La Bible. On ne s'endormirait plus paisiblement dans la nuée d'inconnaissance, l'activité suprapaisible ne cesserait plus d'être consciente...

Pour décrire l'expérience en première personne d'une transformation du sentiment de soi intentionnel vers plus d'authenticité personnelle, il faut admettre que JE SUIS a une dimension personnelle. Le JE SUIS dans le coeur en tant que principe d'individualisation agissant pour une communion universelles de personnes peut être considéré comme le FILS de Dieu, le Christ, si on se risque ainsi à prendre le vocabulaire chrétien.

Dieu le Père ? Ce serait alors une dimension du JE SUIS qui est un au-delà au-delà de tout au-delà du très haut du champ de conscience (qu'indique le dessin ci-dessous) et qui engendre le FILS. Le FIlS de Dieu est donc comme un Fils de Dieu qui grandit engendrant et engendré par et dans l'ESPRIT qui l'unit au Père qui n'existerait pas sous cette qualification sans le FILS. Autrement dit, le Père serait la dimension transcendante de la réalité, Le FILS sa dimension individualisante, l'Esprit sa dimension immanente.

C'est là une interprétation de la Trinité et du mystère de JE SUIS qui s'appuie sur la seule expérience du service, de l'amour et du désir de connaître ce que JE SUIS plus moi-même que moi-même. Elle rejoint le discours chrétien et la pratique mystique de certains chrétiens.

Mais peut-on aller plus loin dans la reconnaissance du point de vue chrétien comme une révélation possible du réel ? La lumière glorieuse du FILS de Dieu qui grandit en arrière plan du sentiment de moi et fait grandir un centre authentique du DEVENIR manifesté de JE SUIS annonce-t-elle par delà le vieil homme à l'homme neuf, un fils de l'homme ? L'évolution de l'univers qui se jouerait de plus en plus consciemment conduirait-elle à une nouvelle forme de vie venant après l'homme ? Notre interprétation peut-elle vraiment coller à la tradition et aux textes fondateurs du christianisme et y reconnaître la promesse d'une vie sans mort au coeur de la chair ?

Un lecteur de saint Augustin m'accusera justement sans doute de ne pas être un bon chrétien au sens religieux courant. Mais ce ne serait pas tant sur ma spéculation interprétative de l'idée de Fils de l'homme qu'il m'interpellerait mais plutôt sur ma conception du FILS de Dieu.

En effet, pour lui, le FILS de Dieu est unique et c'est Jésus-Christ. Mais il reconnaîtra que je décris une participation à un processus divin trinitaire que les continuateurs contemporains de maître Eckhart n'ont pas ou peu considéré du point de vue d'une divinisation de notre humanité.

A vrai dire le vocabulaire m'importe peu et c'est là que je ne suis pas ou plus religieux, je peux volontiers redire tout ceci dans la terminologie de Sri Aurobindo. Ce que le moi se fondant dans l'ouverture de conscience découvre être sa véritable individualité surgie de l'absence d'observateur est l'être psychique. Tout au fond, ce qui dans l'être psychique relie à l'éternel divin transcendant qui se tient au très haut du champ de conscience et ainsi à toutes les âmes en devenir au sein de la matière est l'étincelle de l'âme.

C'est cela que le Christ a voulu peut-être révéler et que la religion qui s'est fondée autour de son enseignement et de sa vie interdit d'envisager pleinement en tant qu'elle veut se constituer en religion fondée sur des autorités extérieures ou sur un salut fondé sur l'adhésion à des dogmes qui prennent très souvent un sens doloriste pernicieux (en cliquant ici on trouvera sur mon blog Foudre un article vindicatif contre ce christianisme uniquement religieux).

On peut percevoir un Jésus-Christ qui n'est pas tout à fait celui des Églises chrétiennes même à travers Les Évangiles canoniques (c'est-à-dire reconnus par les Églises chrétiennes dominantes aux IVe siècle après Jésus-Christ contre des Évangiles de courants minoritaires gnostiques). Par exemple, dans ces Évangiles officiels des Églises chrétiennes, Jésus-Christ ne dit pas qu'il est l'unique Fils de Dieu. A ceux qui l'accusent de blasphème lorsqu'il s'affirme le Fils de Dieu, il répond par le psaume de David "Vous êtes tous des Fils de Dieu" et il nous enseigne à prier en disant "Notre père qui es aux cieux que ton nom soient sanctifiés [...]". Le fait qu'il soit unique en tant que Fils de Dieu n'est pas à comprendre selon mon expérience spirituelle comme le fait qu'il soit le seul étant le Fils Unique de Dieu. Nous sommes tous au fond de nous-même le seul et unique FILS de Dieu qui engendre l'étincelle des âmes et les fait grandir dans les grâces divines. Nous pouvons nous approcher tous de cet UNIQUE Fils de Dieu qu'au fond de nous nous sommes et en lequel toutes les âmes y compris la nôtre communient.

Au-delà de l'ego, il y a l'âme et au plus profond de l'âme, il y a cette étincelle incréée où toutes les âmes prennent vie et communient avec plus ou moins de proximité. Si nous retrouvons cette étincelle alors ce n'est plus nous qui vivons en Christ mais le Christ seul qui vit en nous. Le Fils unique de Dieu est alors éveillé. Reste à le réaliser consciemment dans l'âme et le corps. Jésus-Christ semble avoir réalisé son essence de Fils de Dieu intégralement.

Cette réalisation de Jésus en tant que Christ induit en outre la possibilité qu'il puisse être le premier des fils de l'homme. Rien n'interdit de penser si Jésus-Christ n'est pas un mythe qu'il soit réapparu comme ressuscité après sa mort sur la croix. Qu'est-ce qui est impossible à la source de l'Être et donc à celui qui réalise JE SUIS ? Jésus-Christ pourrait, dans le vocabulaire de Sri Aurobindo, être celui dont l'âme a forgé l'être supramental, autrement dit une conscience manifestée charnellement et matériellement de la toute conscience du divin le plus transcendant, le Suprême. La pensée de Sri Aurobindo évoque la réincarnation et l'impact physique de l'incarnation d'une grande âme ou d'un Avatar, une individualisation directe du divin. Imaginons que l'âme de Jésus-Christ revienne et incarne le premier Fils de l'homme capable de maîtriser l'espace, le temps et la matière. Ne pourrait-elle pas revenir en ce temps reculé où elle subit la crucifixion ? Mais cette spéculation en voulant justifier rationnellement le kérygme (la proclamation de foi) chrétienne ne s'en éloigne-telle pas encore ? Sri Aurobindo ne nous invite-t-il pas à ne plus compter sur personne d'autre que nous-même en notre être divin pour participer à l'élaboration du fils de l'homme, cette espèce nouvelle qui révélera le divin au cœur de la matière, si bien qu'une vie sans mort sera naturelle ?

Quoi qu'il en soit, les statuts de Fils de Dieu et de fils de l'homme tels que nous les avons définis seraient offerts à chacun d'entre nous. Cependant rien n'interdit cependant de penser que lui Jésus-Christ l'incarnerait de manière unique et première, si sa résurrection est authentique et qu'il est bien à la tête du corps des âmes Fils de Dieu devenant cette nouvelle espèce d'une vie sans mort dont parlent dans un autre vocabulaire Sri Aurobindo, Mère ou encore Satprem.

Mais à l'heure où j'écris, je ne sais pas grand chose directement et par expérience de tout cela. Je n'ai pas été aux tréfonds de mon cœur et n'ai pas avancé suffisamment sur le chemin du fils de l'homme pour en savoir davantage sur Jésus-Christ et son accomplissement. Sri Aurobindo estime dans La Vie Divine que la croyance en la résurrection de Jésus-Christ n'est pas une supramentalisation mais appartient encore à la surmentalisation, son corps s'étant absorbé dans son ascension et la matière n'ayant pas été modifiée à ce point qu'une nouvelle espèce amplifiant considérablement les possibilités terrestres de divinisation se développe. Edelman dans Jésus parlait araméen rapproche la résurrection et l'ascension des phénomènes du corps arc-en-ciel chez les bouddhistes. Là encore ceci irait dans le sens d'une expérience surmentale de la chair mais non de l'évolution de la chair dans une conscience supramentale d'une espèce autrement plus consciente de la matière. Mais qu'est-ce qui empêche une supramentalisation de ce corps surmentalisé et enlevé au ciel évoqué par les traditions spirituelles ?

Après tout, peu importe, avançons et expérimentons nous-même en voyant ce que peuvent éclairer du chemin les propos des uns et des autres. Je me perçois effectivement en tant qu'ego comme une créature déchue, puisque je ne vois pas continument les rayons du Fils de Dieu qui grandit à travers moi comme un dimension plus intime de moi que je serai déjà.
Moi ego qui essaie de servir le divin tant bien que mal, je me reconnais de ce point de vue un Fils adoptif de Dieu par la grâce de ce Fils de Dieu, fils de l'homme à venir que JE SUIS et SERAI. Le filtre d'ignorance de l'ego et son imperfection personnelle m'empêchent donc de m'identifier sans nuances à JE SUIS. Ce corps de chair qui retombe souvent dans les griffes de l'ego n'a guère l'expérience d'une possible vie sans mort de la chair. La moindre trace d'ego (à commencer par le désir égocentrique de se voir individuellement immortel psychiquement et corporellement) empêche de voir pleinement la gloire immense et infiniment joyeuse de JE SUIS qui forcément couve dans le tréfonds de la matière cosmique.

Avec l'ego et son imperfection, malgré eux, se découvre cependant JE SUIS dans la transparence en première personne, ce presque rien au cœur de tout, cette paix et cette ouverture infinie de Dieu à sa propre création. L'âme grandit par la grâce de Dieu et je peux apercevoir cette grâce à l’œuvre à partir des reflets et mouvements grandissants de l'âme dans l'ego. Cependant, à l'évidence, je ne cocrée pas consciemment en plénitude cet univers matériel et biologique en évolution : j'ignore de nombreux plans du processus autocréateur à commencer par l'autocréation matérielle. Mais du point de vue de mon expérience de Fils adoptif de Dieu encore ignorant du processus divin autocréateur, je peux affirmer que la divinisation n'est pas seulement un objet de foi et d'espérance plus ou moins lointaine : elle est à l'œuvre que nous le voulions ou non, l'Amour de Dieu, cette surabondance extraordinaire de joie créatrice augmente notre participation à son processus autocréateur. JE SERAI un jour le Fils de Dieu partageant complétement l'essence autocréatrice du Père. Ce ne sera plus moi qui vivra en Dieu mais le Christ, Le principe divin d'individualisation qui vivra en moi. Et dès lors une vie divine sans discontinuité pourrait perdurer dans la matière : une forme de résurrection serait alors l'un des fruits rendu possible par l'apocalypse (ce terme en grec désigne la révélation ultime du divin et non la destruction du monde) dans la matière.
D'un certain point de vue, je suis chrétien encore et d'un autre je ne suis pas ou plus chrétien. Certes je marche à la suite de Jésus-Christ qui lui aussi se moquait de toutes les orthodoxies et hétérodoxies. De grands théologiens comme Bonhoeffer ou Barth, inspirés par Kierkegaard, n'ont-ils pas opposé foi et religion ? Mais je réinterprète tellement le vocabulaire qui me vient des Évangiles à la lumière de mon expérience spirituelle personnelle, de celle de Sri Aurobindo et d'expériences mystiques d'autres horizons religieux qu'on me situera en lisière du christianisme ayant encore quelques pas à faire pour vraiment me dire du Christ. Mais si on faisait de moi un chrétien, on ferait de moi une autorité religieuse, ce serait pire encore. Donc je ne suis pas chrétien et refuse de l'être mêmes si mes pas s'attachent beaucoup à ceux de Jésus-Christ et à certains de ceux hommes et femmes qui ont marché à sa suite.

Quoi qu'il en soit, "il y a plusieurs demeures dans la maison du Père" et je puis dire à l'adresse de ceux qui se limitent à saint Augustin ou à Maître Eckhart ou à untel ou untel, je suis du Christ, le FILS unique de Dieu, archétype d'individualisation des Fils de Dieu dont la conscience et la chair de l'homme est une individualisation de transition vers le fils de l'homme, cet après l'homme. Peut-on concevoir cet après l'homme comme l'être supramentalisant la chair, lui permettant une vie sans mort survenant au fil de cette divinisation de la matière ? J'assume ceci comme une croyance. Toutefois contrairement à une foi aveugle en un jugement dernier et une résurrection, elle est fondée en ce qui me concerne sur de multiples indices issus d'expériences spirituelles, même si pour la plupart elles ne sont restées que des ouvertures momentanées.

J'ai donc une foi mais sans religion : certains dont je me reconnais n'ont-ils pas commencé à s'individualiser au-delà des frontières communautaristes religieuses même les moins exclusivistes (on pourra lire en cliquant ici une tentative de développer ce point de vue)...


OUVERTURE

Satprem dans Sri Aurobindo ou L'aventure de la conscience me confirme dans le sens de ma propre aventure spirituelle lorsqu'il écrit p.218-220 :

"Une fois que cette étendue là-haut sera devenue concrète, vivante, comme une plage de lumière au-dessus, le chercheur sentira le besoin d'entrer en communication directe, et de jaillir au large, car il sentira aussi, avec une acuité croissante, que la vie du dessous) le mental du dessous, sont étroits, mensongers, une sorte de caricature; il aura l'impression de se cogner partout, de n'être nulle part chez lui, et que tout est faux, grinçant, les mots, les idées, les sentiments; que ce n'est pas ça, jamais ça - c'est toujours à côté, toujours à peu près, toujours en dessous. Parfois, dans le sommeil, comme un signe avant-coureur, nous serons peut-être pris dans une grande lumière éblouissante, si éblouissante qu'instinctivement on se voile les yeux - le soleil est sombre dans ces cas-là, constate la Mère. Alors il faudra faire grandir, grandir cette Force dedans, cette Conscience-Force qui tâtonne vers le haut, la pousser par notre besoin d'autre chose, d'une vie plus vraie, d'une connaissance plus vraie, d'une relation plus vraie avec le monde et les êtres - notre plus grand - progrès est un besoin qui s'approfondit; refuser toutes les constructions mentales qui à chaque instant essayent d'accaparer le fil lumineux; se garder en état d'ouverture, être trop grand pour les idées. Parce que ce n'est pas d'idées dont nous avons besoin, mais d'espace. Non seulement il faut briser le piège du mental et des sens, mais fuir il faut briser le piège du penseur, le piège du théologien et du fondateur d'Eglise, les filets de la Parole et l'esclavage de l'Idée. Tout cela est en nous, prêt à emmurer l'Esprit dans les formes; mais nous devons aller toujours au-delà, toujours renoncer au moindre pour le plus grand, au fini pour l'Infini ; nous devons être prêts à avancer d'illumination en illumination, d'expérience en expérience, d'état d'âme en état d'âme... et n'être attachés à rien, pas même aux vérités auxquelles nous tenons le plus solidement, car elles sont des formes seulement et des expressions de l'Ineffable, et l'Ineffable refuse de se limiter à aucune forme, aucune expression ; toujours, nous devons rester ouverts à la Parole d'en haut qui ne s'enferme pas dans son propre sens et à la lumière de la Pensée qui porte en soi ses propres contraire (Sri Aurobindo, La synthèse du yoga). Puis un jour, à force de besoin, à force d'être comme une masse comprimée, les portes s'ouvriront : La conscience s'élève, dit la Mère, elle brise cette carapace dure, là, au sommet du crâne, et on émerge dans la lumière.


Une blanche tranquillité ardente au-dessus.(Sri Aurobindo, Savitri)

Cette expérience est le point de départ du yoga de Sri Aurobindo. C'est l'émergence dans le Supraconscient, le passage d'un passé qui nous ligote à un futur qui voit. Au lieu d'être en dessous, toujours sous un poids, on est au-dessus et on respire : La conscience n'est plus enfermée dans le corps ou limitée par lui ; elle sent qu'elle est non seulement au-dessus du corps, mais étendue dans l'espace ; le corps est en dessous de cette haute station et enveloppé dans la conscience élargie.. il devient seulement une circonstance dans la largeur de l'être et sa partie instrumentale... Quand cette haute station est définitivement établie, on ne redescend plus vraiment, sauf avec une fraction de la conscience qui peut venir travailler dans le corps ou aux niveaux inférieurs tandis que l'être stationné en permanence au-dessus dirige toute l'expérience et tout le travail. (Sri Aurobindo, Lettres sur le yoga II)


dimanche 22 novembre 2009

HARMONISER LA VOLONTE ET L'ETRE. AU-DELA DE LA MORALE.Episode 2.


Quand nous nous tenons en première personne, qu'en est-il du jugement moral ?


Nous nous imaginons nous tenir face à face avec l'autre surtout lorsque nous le jugeons moralement.
En fait ce n'est pourtant ce que la perception immédiate de ma rencontre avec l'autre me montre. Si j'essaie vraiment de représenter ce que les données immédiates de la conscience me montre, j'aurai plutôt ce dessin :

Les données immédiates de la perception me montre un accueil de l'autre qui précède tout jugement. Il y a une conscience en première personne qui englobe les représentations intellectuelles et émotionnelles que j'ai de moi imaginées du point de vue extérieur face à face avec un autre :


Etre vraiment conscience immédiate en première personne revient à accueillir l'autre tel qu'il est et à relativiser toute pensée concernant ce qui séparerait mon ego de son ego. Même si l'autre contrevient aux règles du respect, en première personne, je ne peux qu'être accueil de tous les phénomènes qui se produisent dans la conscience.

On ne peut pas explorer ce qu'est être en première personne, si on ne veut pas ce qui a lieu tel qu'il a lieu quand ce qui a lieu ne dépend pas ultimement de nous. Affirmer que ce qui est ne devrait pas être comme c'est comme nous invite le discours moral sur autrui m'interdit de me situer vraiment en première personne.

Ne pas juger autrui devient donc une condition sine qua non pour vivre en première personne. Mais quel est l'intérêt de se mettre à vivre de ce point de vue ?
Imaginons qu'en première personne, s'accueille un autre qui veut nuire à ma petite personne incarnée par ce corps au premier plan, cet autre peut-il vraiment nuire à la conscience en première personne ? Cet autre pourra nuire au corps de ma petite personne mais pourra-t-il nuire à la conscience par laquelle nous nous rencontrons tout deux ? Sa flèche peut-elle atteindre le vide en amont du champ de vision, peut-elle atteindre la vacuité de conscience qui imprègne tout ce qui apparaît en conscience ?
Si la flèche tirée par l'autre m'atteint malgré mes efforts pour l'éviter, elle mettra en péril cette individualisation de la conscience que je suis mais elle ne mettra pas en péril cette conscience de la vacuité et du tout lié à cette individualisation car n'est-ce pas la même conscience de la vacuité et du tout dont l'autre est une individualisation ?
Vouloir en première personne ce qui est et qui ne dépend pas ultimement de ce que veut ma petite personne revient à reconnaître qu'autrui manifeste ce que veut le tout même si son acte contrevient à la morale.
Ce qui ne dépend pas de ma petite personne est déterminé par le tout : c'est une autodétermination du tout dès lors que j'accepte les données immédiates de la conscience en première personne. Juger moralement autrui est donc sans intérêt. Je peux (et je dois) exhorter mes enfants à la morale, cela ne sera qu'un élément de l'auto-détermination du tout qui se joue à travers eux. A vrai dire il me semble que ma petite personne soit la seule personne pour qui la morale et ses prescriptions soient pertinentes. Je dois exhorter mes enfants à respecter autrui et certaines règles morales. Mais si je veux demeurer en première personne, je n'ai surtout pas à les juger moralement car qui suis-je pour juger des autodéterminations individualisées du tout ?

Finalement l'autorité ultime reste, même en autrui, la conscience en première personne. Elle seule peut se reconnaître à travers la petite personne comme il lui arrive de se reconnaître à travers la mienne. Le Oui de ma petite personne à la vision en première personne reste un acte de la conscience en première personne.

Car moi petite personne, suis-je libre en quoi que ce soit ? J'ai bien souvent l'impression de pouvoir agir tout seul sur le monde. Mais ne serait-ce que quand je pointe le doigt, suis-je l'auteur de cet acte, même si j'interviens sans aucun doute en tant qu'action ? Que me disent encore les données immédiates de la perception ?

Il y a bien une coordination entre une action dans la pensée que je me représente comme celle de ma petite personne et l'acte de pointer mon doigt. Mais dans l'expression de l'action intentionnelle en l'acte de pointer du doigt tout m'échappe à moi petite personne parce qu'au fond cet acte est un acte de l'univers impliquant toutes ses strates qu'elles soient celles des particules, des atomes, des cellules, des organes, des équilibres de la biosphère, des équilibres planétaires, stellaires, interstellaires, etc. Ultimement l'acte de pointer du doigt ne relève pas de mon action intentionnelle mais d'une coïncidence de cette action avec l'acte de l'univers qui seul assure ou non de la réussite de mon action intentionnelle.

Bouger le doigt ne dépend pas ultimement de moi : ce mouvement ne se produit que par une harmonie entre ma volonté et les actes universels de la conscience en première personne. Mon action est d'ailleurs un acte universel qu'elle consiste à pointer du doigt ce qui me permet de constater tout cela ou qu'elle conduise ma petite personne à négliger ce constat.

La morale usuelle n'a guère de sens même en ce qui me concerne. Seul l'univers pourrait tendre à perfectionner mes actes d'un point de vue moral usuel. Mais si le point de vue moral usuel n'est pas satisfaisant, il m'a guidé vers l'amour de la première personne. La morale reçue de mes parents et de la société s'est muée en morale rationnelle que idéalement je me suis assigné comme horizon futur. L'élément phare de cette morale rationnelle est le devoir de vérité : éviter l'erreur, lever l'illusion, combattre le mal, fuir l'inauthentique. Ce devoir d'être en vérité que je me suis assigné est la morale qui m'oblige à reconnaître l'importance transformatrice de la vision en première personne. Ma petite personne se tient dès lors devant le divin.

Mon action intentionnelle n'est plus seulement une recherche de vérité mais un amour. L'amour que j'ai pour cet oeil de Dieu qui ne juge pas les nombreux oublis et négations grandit chaque fois que je le retrouve. Me tenir devant lui fait grandir cet amour que j'ai pour lui : l'amour que j'ai pour lui n'est qu'un reflet infime de l'amour infini qu'il me porte. Mon amour porte donc l'insatisfaction de ne jamais être assez grand, tout en étant d'une plénitude infinie puisque rayon de cet amour unique qui imprègne la conscience en première personne.

L'action intentionnelle n'est donc pas seulement une action rationnelle qui m'unirait à l'universel mais il s'agit d'un amour qui cherche de plus en plus à incarner la volonté divine. Il s'agit d'un amour qui se sait l'effet de la grâce divine et qui apprend à n'être que le vecteur de cette grâce.

Il n'y a pas de jugement moral à constater que je manque d'amour, que je pèche en amour lorsque je n'accueille pas l'autre en première personne puisque manquer d'amour est aussi profondément en désirer.

Il y a juste dans ce manque d'amour un rappel à la vision en première personne qui chaque fois diffuse sa grâce. Cette grâce est au moins celle de sa vacuité en laquelle ma petite personne ne craind plus les tribulations.

Quel dommage que tant de personne juge cette vacuité insignifiante alors que abandonnant ma petite personne en elle, il n'y a plus seulement moi manquant d'amour face à l'absence de face de l'oeil divin. Se ressentir dans la vacuité revient à se vivre comme un agrégat de sensations, de désirs, d'émotions, de pensées voire d'intuitions ondoyant divinement dans la Conscience divine, émergeant et disparaissant tour à tour d'elle seule. Et même à ne plus savoir si ce n'est pas plutôt la conscience divine qui fait ondoyer en elle-même un agrégat des ensations, de désirs, d'émotions, de pensées voire d'intuitions.

Dans la vacuité, mon manque d'amour adressé au divin n'est plus une relation imaginaire, c'est une réalité relationnelle existant pour elle même sans dualité aucune, c'est un ondoiement d'amour extatique dans la tranquillité de l'amour.

Mon action devient comme une inaction, une pure passion à travers laquelle le divin agit en première personne. Ma petite personne en se livrant à cet amour apprend à faire la volonté divine.

dimanche 11 octobre 2009

HARMONISER LA VOLONTE ET L'ETRE. Episode 1. AU-DELA DU SCEPTICISME.



Toute recherche spirituelle et surtout celle du mouvement intégral est confrontée à la question de la volonté divine. Si on veut éviter un retour au religieux où une élite nous dira quoi faire et quoi penser parce qu'elle aurait, elle, plus de lumières sur la nature de la volonté divine, il faut peut-être commencer par éviter de personnaliser abusivement ce que nous entendons par volonté divine. Il faut éviter de la concevoir sans réfléchir comme issue d'une parole d'un être divin qui se donnerait à entendre dans notre conscience soit directement, soit par des intermédiaires qui entendent ou ont entendu et consigné cette parole dans des livres saints et révélés. Milgram avec ses expériences sur l'obéissance pointe combien nous sommes fragiles pour découvrir en nous contre tous les messages extérieurs l'attitude la plus humaine. Travailler à faire de mieux en mieux la volonté divine rencontre rarement au début du moins une synergie avec la société où l'on vit. Si l'on regarde la vie de ceux qui ont le plus marqué de leur empreinte la vie spirituelle comme Jésus ou Mohammed, cette absence de synergie entre volonté divine et société est d'autant plus forte que la société où l'on vit est soi-disant religieuse.

Dans le mouvement intégral, il y a un recoupement fondamental entre évolution consciente de la conscience et faire la volonté divine. Celui qui fait de plus en plus authentiquement la volonté divine entre dans une dynamique d'évolution consciente de la conscience. Pour lui, faire la volonté divine ne consiste pas seulement, même s'il s'agit d'une condition nécessaire à sa démarche, à vouloir ce qui est. Il ne s'agit pas de refuser le processus de manifestation de la conscience au nom de ce qui devrait être selon son point de vue égocentrique mais il faut dans une démarche d'évolution consciente de la conscience aspirer au devenir le plus authentique de ce qui est.

Accepter ce qui est pourrait au fond résumer la position du stoïcien telle que nous l'avons réinterprété à l'aide de la vision en première personne partagée par Douglas Harding dans un de nos postes précédents :

Le stoïcien comme nous l'avons donc vu dans un poste précédent sur ce blog, parvient à vouloir harmonieusement ce que Dieu ou la nature veut. Il a appris à distinguer ce qui dépend exclusivement de la conscience du tout et ce qui dépend de sa conscience individuelle qui aspire à être la conscience individualisée du tout qu'elle est.

Mais le stoïcien laisse peu d'espace dans sa réflexion pour nous dire comment notre conscience individualisée dans la conscience du tout peut agir de façon à manifester une évolution consciente de la conscience synergétiquement individuelle et universelle. Socialement, politiquement, le stoïcien même s'il fait montre d'une moralité héroïque n'en est pas moins un conservateur. Rares sont ceux qui du point de vue de leur pratique stoïcienne ont mis l'esclavage en cause ou encore le machisme de leur société... Même si on peut affirmer qu'ils ont posé les bases philosophiques de ce qui allait devenir au contact du christianisme les bases de l'humanisme.

Cette critique de la volonté divine comprise exclusivement comme "acceptation de ce qui est" au nom d'une évolution consciente de la conscience auto-créatrice et donc non conformiste induit aussi une critique des religions. On peut généraliser cette critique à propos de toute révélation religieuse qui présente les limites d'un véhicule qui peut nous porter d'un point à un autre. Toute révélation religieuse et philosophique semble contreproductive dès qu'elle prétend incarner le point ultime de la réalisation spirituelle : dès lors elle devient une demie vérité par son traditionalisme conformiste dont l'ignorance entre en lutte ou du moins présente une inertie devant de nouvelles évolutions conscientes de la conscience. Certes les révélations religieuses peuvent se réinterpréter de l'intérieur pour surmonter certaines de leurs lourdeurs puisqu'elles sont en leur coeur le produit de l'Être en Devenir mais arrive un moment où lucidement on doit admettre un décalage entre ces réinterprétations et le message originel, entre l'autocréation de l'Être et sa trace dans une tradition. Arrive un moment où l'ouverture d'esprit amènera à dialoguer avec d'autres perspectives religieuses, d'autres traces de l'Être autocréateur en Devenir et où dès lors la démarche spirituelle même si elle se reconnaît enracinée à une culture spirituelle pousse en dehors de toute appartenance et inféodation à un quelconque message révélé ou à une pratique traditionnelle de la spiritualité.

La philosophie par exemple a toujours revendiqué le statut spécifique de sa démarche où il s'agit de discerner ce qui est juste de façon individuelle et universelle. Faire la volonté divine pour un philosophe rationaliste consistera précisément à suivre sa raison qui permet de se donner à soi-même des règles de vie valant ou essayant de valoir pour tous. Des philosophes rediscutant le discours religieux comme Kant ou Fichte ont essayé de donner un idéal universel et non égocentrique de ce qui devrait être. Cette démarche n'est pas étrangère d'ailleurs avec notre idée d'une évolution consciente de la conscience dont elle est la trace qu'on désigne par Les Lumières.

Hans Jonas prolongeant cette recherche a renouvelé avec son principe responsabilité ce sens de l'autonomie philosophique en remarquant que nos problèmes écologiques montrent que notre évolution humaine pour être durable et préserver des conditions de vie valable pour les générations futures doit tenir compte des lois évolutives de la nature. Notre évolution humaine est donc obligée à une autonomie respectueuse de l'évolution globale de la nature.

Mais la raison et l'autonomie si elles forment une étape indispensable dans le développement de la conscience humaine et donc dans le cadre même d'une évolution consciente de la conscience s'avèrent désarmées face à des cas de conscience singuliers. Contrairement aux religions elles représentent de nos jours encore un passage obligé dans le développement individuel de tout être humain au-delà de la bestialité mais elles ne permettent sans doute pas d'atteindre intégralement notre humanité.

D'ailleurs, le mouvement intégral le plus radical inspiré par Sri Aurobindo, Mère et Satprem n'hésite pas à affirmer que la conscience humaine et donc l'être humain n'est qu'un être de transition. Si on admet cette possibilité ontologique dans le mouvement autocréateur, dès lors la conscience rationnelle qui représente un sommet de la conscience mentale humaine qui doit être atteint ne peut certainement pas être le sens profond de l'autonomie créatrice qui allie harmonieusement individualité et universalité dans une dynamique évolutive.

A ce niveau le mouvement intégral dans sa version wilberienne évoquerait la vision logique comme accomplissement mental le plus élevé au service d'une pleine expression de l'individualisation psychique. Le wilbérien prétendrait que la vision logique permet seule une exploration des niveaux de conscience surmentaux. Mais la vision logique telle que Wilber lui-même ou ceux qu'il influence la manipulent peut-elle prendre en compte le geste sceptique ?
Partant d'une vision en première personne, on pourrait synthétiser ainsi le geste sceptique :
Lorqu'on se tient en première personne, tout ce qui apparaît de nos raisonnements ne peut-il pas être suspendu ? Toutes nos interprétations mentales de ce qui apparaît et de la scène sur la quelle cela apparaît, aussi raffinées soient-elles, ne sont-elles pas suspendables ? Notre volonté n'est-elle pas dès lors une apparence parmi d'autres ? Notre champ de conscience ou ce que nous nommons comme tel a-t-il une unité en tant que tel ? L'absence de quoi que ce soit qui regarde le théâtre des apparences n'est-elle pas Rien plutôt que une conscience de Rien ? Parler de vision en première personne n'est-ce pas dèjà affirmer la réalité du théâtre de la conscience ?
Notre volonté d'évoluer consciemment en conscience n'est-elle pas alors illusoire puisque elle est un jugement, une interprétation c'est-à-dire une apparence parmi d'autres ?
Ne faudrait-il pas reconnaître que nous sommes entourés par un nuage d'inconnaissance d'où des apparences conscientes émergent d'un monde sans conscience ?


Si on admet que nous n'échappons pas au nuage d'inconnaissance où émerge la première personne, peut-on prendre au sérieux l'impression d'une première personne comme sommet de la vie spirituelle ? Que vaut la valorisation d'une vision en première personne accompagnée en son bord d'une troisième personne formée au fil d'une histoire en interaction avec d'autres apparences de personne qui soit confondent leur troisième personne et leur première soit qui s'avouent relatives à une première personne que nous partagerions avec eux ?

Toutefois même si la radicalité sceptique exige de s'en prendre à la vision en première personne, elle ne peut pas ne pas se placer en première personne pour constamment éviter de confondre les apparences avec une réalité ultime. Car c'est en première personne que le nuage d'inconnaissance qui l'entoure peut être vraiment assumé. Toute la radicalité de la suspension du jugement sceptique n'a lieu donc qu'en première personne et donc seule la vision en première personne comprenant son nuage d'inconnaissance peut générer le calme et la tranquillité de l'esprit qui en prend le risque. Celui qui suspend ainsi son jugement cesse aussi de projeter quoi que ce soit d'inutile sur la vision en première personne en percevant les limites du connu.

Assumer la suspension radicale du jugement en première personne imprégné de la présence de son nuage d'inconnaissance nous amène à ne plus rien vouloir changer dans les apparences de notre troisième personne sinon par le jeu même du processus du jeu des apparences jaillissant au sein du nuage d'inconnaissance. Intégrer les connaissances dans une vision logique synthétique ne contrevient-il pas à cette suspension radicale du jugement qui laisse autant qu'il se peut le processus des apparences à lui-même ?

Toutefois reste alors comme une double flèche de la volonté. Une partie de la volonté s'enfonce dans la volonté spirituelle de suspension radicale du jugement qui en vient à se laisser être dans sa dissipation calme et tranquille. L'autre dans la direction du monde joue son jeu relativisé depuis l'au-delà de la suspension du jugement.


Il y a comme un dualisme entre l'homme centré vers sa suspension du jugement et l'homme centré sur le jeu du monde. Laisser le processus à lui-même revient à ne pas vouloir y introduire quoi que ce soit de neuf. Cela revient à nier qu'on puisse attendre que émergeant du nuage d'inconnaissance un ensemble d'apparences nouvelles métamorphose radicalement le processus jusque là usuel des apparences. Suspendre son jugement risque d'interdire le renouvellement même du jeu des apparences. Suspendre son jugement face au nuage d'inconnaissance ne doit pas consister à limiter les possibles qui tentent de s'implanter dans la sphère mentale en la renouvelant ou même en la brisant dans ses prétentions vis-à-vis de l'ignorance et du savoir qu'elles soient sceptiques ou intégrales. L'ignorance sceptique volontaire si vraiment le processus des apparences s'enrichit de nouveauté peut être contestée comme un conformisme volontariste. Le savoir intégral des wilbériens s'il impose sa volonté à ce qui peut librement surgir du nuage d'inconnaissance fortifie la sphère mentale et peut risquer de se fermer à ce qui pourrait la faire éclater.
Le DEVENIR DE L'ÊTRE qui se révèle à travers le nuage d'inconnaissance de la vision en première personne est vraiment la manifestation de la volonté divine à la quelle la volonté personnelle mentale peut apprendre à se soumettre pour de plus en plus intégralement se relier à sa source.

mercredi 22 juillet 2009

QUE VOTRE OUI SOIT OUI, QUE VOTRE NON SOIT NON !

Les stoïciens nous permettent de mieux saisir la puissance de la carte dessinée par Douglas Harding :
Si nous n'acceptons pas ce qui ne dépend pas de nous, nous refuserons en vain ce qui est de l'ordre du fait. Ce qui dépend vraiment de nous est la conscience du vide qui entoure le monde et en laquelle il nous est aisé d'accueillir les faits du monde. Ce qui dépend de nous est donc la volonté de vouloir ce que le tout manifeste. Autrement dit nous acceptons et voulons tout ce qui se passe dans le monde, tout ce qui arrive aux autres mais aussi tout ce qui arrive à notre corps qui est le fruit de la nature où celle-ci prend conscience d'elle-même en tant que conscience du tout agissant en lui selon sa capacité.

Le malheur survient de ce ce que nous ne voulons pas ce qui est en train d'être et surtout de ce que nous ne voulons pas ce que nous sommes en train de faire. Nous aimons le drame et nous brisons sans cesse l'harmonie de base entre ce qui dépend vraiment de nous et ce qui n'en dépend pas au niveau de notre capacité d'action individuelle.


La contradiction entre ce que nous faisons et ce que nous désirons est la source de notre malheur. A vrai dire notre désir est souvent divisé : nous faisons telle chose parce que nous le désirons, mais, tout en le faisant, une partie de nous désire aussi autre chose voire quelque chose d'opposé.

Notre OUI n'est pas un OUI et notre NON n'est pas un NON. Or sans cette intégrité du OUI et du NON, nous ne pourrons pas retrouver l'harmonie entre ce qui dépend vraiment de nous et ce qui n'en dépend pas. Car nous ne serons pas simultanément conscience Je SUIS désidentifiée de la troisième personne et prise de CONSCIENCE DU TOUT.


mardi 21 juillet 2009

VISION SANS TETE ET MOUVEMENT INTEGRAL . EPISODE 4.

Si on considère l'éveil ou quelque nom que l'on donne à l'expérience spirituelle, du point de vue du mouvement intégral néo-wilbérien, il y a des éveillés plus éveillés que d'autres. Ken Wilber implicitement affirme que son éveil est supérieur à celui du Bouddha ou de Jésus-Christ puisqu'il se déploie dans une mentalité plus éclairée.

Nous avons essayé dans nos post précédents de traduire cette approche de l'éveil en utilisant l'apport de Douglas Harding et nous avons proposé ceci :

A vrai dire, une fois ce nouveau tableau tracé, le fait que certains éveils seraient plus éveillés que d'autres devient assez peu convaincant.


Premièrement, tous les niveaux d'expériences et d'états d'être non-duels présentés dans notre schéma se rejoignent dans l'absence de temps de celui qui se vit en première personne (selon Douglas Harding) et ceci quelle que soit sa mentalité et donc sa conception du temps du monde. D'où la nécessité d'un schéma d'évolution des mentalités s'intégrant en une unité de l'Être :



Deuxièmement, ce sera le même corps subtil dont les centres s'illumineront dans cette vision sans tête au fil même de son expression. Cette illuminations des centres subtils aura bien des nuances liées à un contexte culturel mais au final c'est la conscience elle-même qui anime ces centres d'un corps subtil qui se découvre au grès de son bon vouloir et non d'une conception mentale.

Ainsi sur notre dessin nous avons représenté des centres mais cette illumination au fil du Devenir peut en privilégier certains et laisser d'autres inaperçus, elle peut déplacer sa présence dans une zone et non un centre, etc. Prendre conscience du corps subtil est souvent lié à une technique et donc à une culture comme celles qui ont donné lieu aux yogas, au Qi Qong, aux pratiques soufis des Latifa. Vivre la non dualité en première personne revient à relativiser ces pratiques et ces techniques pour laisser se manifester l'énergie de l'Être, comme bon lui semble, dans le Devenir de l'individualisation du corps universel. Cette illumination des centres ou plus généralement la vie du corps subtil met donc en jeu à chaque fois la croisée de l'Être et du Devenir.

Les états les plus approfondis sont donc autant à la croisée de l'Être et du Devenir d'une culture qu'à la croisée de l'Être et du Devenir d'une individualisation de la Conscience en première personne. En ce point d'acte pur où le mobile et l'immobile, le personnel et l'impersonnel, etc. sont des dimensions d'une unique réalité, peut-on affirmer un éveil plus éveillé qu'un autre du point de vue de la vie culturelle où il s'interprète ? N'est-ce pas risquer de juger le point d'émergence de la lumière qui se manifeste à l'aide d'une lumière fossile qui ne vit guère en son propre point d'émergence ?

Troisièmement, se tenant vraiment à la croisée de la forme et du sans forme, à la croisée de l'Être et du Devenir, etc., c'est la première personne qui s'individualise pouvant même à travers son individualisation susciter une évolution des mentalités. Ceci dit peut-on comparer une individualisation de la première personne à une autre ? Car ce qui est en jeu est d'abord un processus et non sa trace mèmètique mentale. Faire la volonté de Dieu est l'état de non-dualité le plus profond car alors la volonté individuelle ne se distingue plus du processus divin de manifestation. La volonté usuelle de l'ego reste une action de la manifestation divine mais au niveau de désirs déterminés qui visent à reproduire cette manifestation sans souci de sa pérénnité. La volonté divine est auto-créatrice tandis que nos désirs restent seulement reproducteurs et de ce fait s'avèrent au final consommateurs de la manifestation et enfin destructeurs. Faire la volonté divine revient à se libérer du désir relatif à la séparation entre l'ego et le monde. Quelle que soit, dès lors, notre niveau de développement mental, faire la volonté de Dieu nous place dans la dynamique même du processus divin à la croisée de son Être et de son Devenir. De ce point de vue, un enfant axé sur son authenticité exprime la volonté divine : il doit être entendu par nous si nous voulons nous-même faire la volonté divine...

Quatrièmement, toutes les inscriptions mentales de ces processus semblent ainsi s'inscrire sur une seule et même sphère mentale. Un enfant peut se faire comprendre d'un adulte et peut à sa façon exprimer des subtilités que certains adultes auront du mal à entendre. Bien sûr réciproquement, un adulte peut répondre en un sens à un enfant à ses questions les plus abstraites de manière satisfaisante. Il dispose pour ce faire de symboles, de métaphores, d'allégories, de paraboles, etc.


Ces faits nous amènent à relativiser le schéma de développement mental sur lequel le mouvement intégral wilbérien s'appuie couramment. Il y a un développement mais il doit être relativisé comme lié, selon nous, à une exploration d'un même niveau de conscience mentale. Plus cette exploration s'approfondit, plus elle révèle le mental comme une sphère qui limite le regard de la conscience humaine et cela même si la conscience humaine est éveillée au fait de manifester la vie divine. Sur cette sphère mentale, aucun point n'est plus élevé qu'un autre, mais chaque point s'avère une exploration de cette sphère qui d'un certain point de vue complète et enrichit l'exploration de la sphère entière. Les lecteurs de Sri Aurobindo, Mère et Satprem auront reconnu ici un de leur thème récurrent.

La "logique-visionnaire" qui est pointée comme la mentalité propre au mouvement intégral au sens de Ken Wilber risque en un sens de manquer le but et l'enjeu de cette exploration. Tout d'abord, l'exploration de la sphère mentale, s'il s'agit comme d'une sphère, ne peut que tourner en rond. Ensuite, seule la prise de conscience des fissures d'ignorances insurmontables propres à cette sphère mentale peut susciter une insatisfaction authentique c'est-à-dire un besoin d'Être qui nous en arrachera éventuellement.