jeudi 21 avril 2011

POLITIQUE FICTION D'UNE DIVINISATION DE L'HUMANITE.

Il est vrai qu'il peut y avoir une royauté plus stable et donc juste que certaines de nos démocraties. Mais les royautés ou les empires ont dû faire place peu à peu à des systèmes pluralistes.

Quel serait l'enjeu spirituel d'une telle évolution sociale et politique ? Une harmonie de plus en plus consciente et développée entre la créativité individuelle et la solidarité collective. 
Autrement dit, dans un va-et-vient entre l'éternité et le temps, l'Un qui se manifeste multiple semble se chercher dans la prise de conscience de lui-même au cœur de chaque point de son autocréation multiple.

Dans un clan, une tribu, la créativité individuelle est limitée par la pression du clan pour se perpétuer. Le Seigneur de guerre, le héros mène le clan dans leur propre créativité au dépend souvent de toute solidarité...
La royauté a toujours conduit à un système social hiérarchique assez rigide. C'est à partir de la démocratie qu'on trouvera un meilleur équilibre entre solidarité collective et créativité individuelle. Liberté, égalité, fraternité, notre devise française ne traduit-elle pas un tel idéal ? Au XIXème siècle, Pierre Leroux un des rares penseurs de gauche à s'être intéressé à la spiritualité occidentale et orientale en lien à la politique est aussi l'un des premiers à avoir développer cette devise. Dans de l'humanité, il estime que chaque individu humain qui a le mouvement et la vie du sein même du divin joue en lui-même le sort de l'humanité. Car selon lui le moi individuel n'existe jamais isolé de l'humanité entière. 

 
Prendre conscience de ce point reviendrait à fonder spirituellement la fraternité qui seule réconcilie la tension entre égalité de dignité et liberté de penser, de créer ou d'entreprendre. La fraternité comme prise de conscience de notre non séparation entre moi et humanité éviterait les dérives socialistes et libérales.



Sri Aurobindo lui même attachait beaucoup d’importance aux valeurs révolutionnaires, exprimées dans la devise : «Liberté, Egalité, Fraternité» qu’il commentait de la manière suivante :
« Les révolutionnaires français étaient avant tout  désireux de parvenir à une liberté et à une égalité politique et sociale sans accorder d’attention suffisante à la fraternité ; c'est le manque de fraternité qui explique les lacunes de la Révolution Française. Sans l'esprit et la pratique de la fraternité, ni la liberté ni l'égalité ne peuvent être maintenues au-delà d'une brève période. Les Français ignoraient l'aspect pratique de ce principe ; ils faisaient de la liberté la base, de la fraternité la superstructure, faisant ainsi reposer le triangle sur son sommet. Car en raison de la prédominance de la Grèce et de Rome dans leur imagination, ils étaient imbibés de l'idée de liberté et n'acceptaient que pour la forme le principe chrétien et asiatique de fraternité. Ils bâtirent en fonction de ce qu'ils connaissaient, mais le triangle doit être inversé afin de pouvoir tenir d'une façon permanente »

En termes contemporain, il s'agit d'éviter la dérive ultralibérale où l'égocentrisme est confondu avec la créativité individuelle comme on doit continuer à mettre un terme aux entreprises de massification totalitaire fascistes et communistes pseudo-égalitaires.
C'est à ce niveau que la démocratie pourrait être transformée en profondeur si par hasard la spiritualité devenait plus courante entraînant une érosion de l'égocentrisme.

La volonté générale de Rousseau qui inspire notre idéal démocratique est rarement connue pour ce qu'elle est. Elle s'inspire de l'harmonie musicale : elle est la recherche d'un point de vue qui intègre chaque volonté individuelle comme le chant d'une chorale intègre chaque voix individuelle. Le tout d'une chorale sans trahir la tessiture des voix individuelles a une dimension qui n'est dans aucune des voix en particulier. 
La volonté générale n'est qu'un concept sauf peut-être dans telle équipe de sport, tel groupe musical, tel groupe humain à tel moment en face de telle situation. Mais imaginons que l'égocentrisme s'érode, que l'ouverture au pluralisme de l'Un grandisse... Imaginons que l'autorité de ceux qui facilitent diversement cette évolution soit reconnue comme source du partage de ce pouvoir collectif... Nous ne serions pas loin d'un anarchisme spirituel dont le "isme" lui-même serait sans pertinence.

mercredi 20 avril 2011

VOTER REVIENT A NE PAS IGNORER LE PALIER DEMOCRATIQUE DE L'EVOLUTION DE LA CONSCIENCE.

Aujourd'hui nombre de citoyens estiment qu'il ne vaut pas la peine de voter. Ils dénoncent le semblant de démocratie, la manipulation des foules par les leaders politiques. 

Il y a là un rejet de la modernité qui à la fois a des traits postmodernes et des traits prémodernes.A vrai dire nous sommes à la frontière d'un saut évolutif dans l'évolution des consciences du point de vue de leur mentalité.

Pour eux nous sommes dans un des pires systèmes politiques ayant existé où finalement ce sont toujours les mêmes en train de magouiller qui sont au pouvoir. Certains en sont même à idéaliser le système des castes des sociétés médiévales où le soi-disant pouvoir spirituel faisait contrepoids au pouvoir temporel. Ils ont la nostalgie d'une caste dirigeante au service du peuple. 
Mais y a-t-il eu sur la terre une seule caste dirigeante au service de l'évolution de chaque individu dont elle a la responsabilité ? Il faut se souvenir que la démocratie dans son essence authentique seule autorise le pluralisme qu'il soit de mœurs, de religion ou de spiritualité. Il ne s'agit pas encore d'une politique faisant de l'évolution de la conscience individuelle et collective son objet mais n'est-ce pas un palier meilleur vers une telle politique qu'une société ordonnée, dogmatique, etc. ? La démocratie elle-seule a permis un degré d'individualisation  des êtres humains comme jamais il n'en a existé dans le passé. Bien sûr on peut dire que souvent il y a un consumérisme conformiste dominant mais si vous pouvez vraiment vous en affranchir sans être inquiété, emprisonné et persécuté par les forces de l’État, n'est-ce pas déjà beaucoup ? Entre une dérive ploutocratique et une dictature, il y a un sérieux fossé que la plupart des gens ne perçoivent plus. Certes nous n'avons pas pour la plupart une expérience vécue de la dictature. Mais ne pas faire cette distinction dénote une profonde ignorance d'un idéal vivre ensemble visant à harmoniser le sens du collectif avec l'individualisation de chaque être humain et de sa progression à travers l'histoire.



Ces réactions de désaffection de la chose politique  ignorent ce qu'est une dictature, une vraie. La dictature n'est pas la conséquence logique de la vie démocratique, c'est la tentative impossible et catastrophique de revenir aux pratiques monarchiques et théocratiques qui précédaient la démocratie. Sans une vision évolutive des organisations et une adhésion à la dynamique évolutive, on ne peut pas saisir les forces en jeu. Celui qui est nostalgique des hiérarchies passées et de la théocratie juge la catastrophe dictatoriale  comme une conséquence logique de la dégénérescence démocratique. Il ne voit pas que ce sont précisément sur une telle nostalgie que les fascismes se sont répandus à moins qu'il ne soit fasciste bien sûr car vraiment situé dans le mépris de l'individualisation des personnes et du pluralisme estimant lui-seul posséder la vérité de ce qui est et devient. D'ailleurs les communistes ennemis des fascistes sont victimes eux aussi d'une utopie sociale du passé : le messianisme et d'une caste élue par la providence (l'Histoire) pour le mener à bien. D'ailleurs le vote communiste d'avant 1989 n'est-il pas devenu le vote fascisant d'après 1989 ? Le fascisme et le communisme sont deux visions modernes qui face aux effets de désordre de la modernité envisagent un retour à des traits fondamentaux de la prémodernité.
Ma femme qui est née en Roumanie et a passé sa jeunesse sous Ceaucescu voit là dans la dénonciation de la démocratie comme dictature cachée des lubies de gosses de riches qui ignorent la chance qu'ils ont de vivre dans un monde où ils sont libre de penser, de croire et d'exprimer ce qu'ils veulent tout en ayant la garantie de ne pas manquer de chauffage, de nourriture, etc. Car nos plus pauvres ont de plus en plus l'opportunité d'échapper à cela. Une démocratie même ploutocratique est moins pire qu'une véritable dictature ; à tout point de vue. Ken Wilber essaie de faire prendre conscience aux générations des pays occidentaux d'après 1945 et qui ont donc eu 20 ans après 1968 qu'elles ont été parmi les plus chanceuses de l'histoire humaine. Elles disposent de la plus forte espérance de vie jamais enregistrées, elles ont eu un niveau d'éducation jamais encore aussi généreusement distribué, etc. A vrai dire leur égocentrisme (pas pire que celles des précédentes générations) se caractérise par un narcissisme plus fort, par une victimisation plus accentuée, etc.
 
Si nous ne voulons pas que notre démocratie soit conquise complétement par le pouvoir de l'argent ou devienne vraiment une oligarchie sécuritaire et liberticide, nous pouvons jouir de notre droit de vote et nous en servir comme levier pour écarter les hommes  et les mouvements politiques qui veulent transformer l’État en ce sens.  L'enjeu pour nous postmodernes ou même post-postmodernes est de dépasser le modernisme qui ne voit que par la croissance du profit et les intérêts égocentriques du profit et aussi la nostalgie prémoderne de ceux qui n'assument pas de s'individualiser sans norme collective précise.
Les partis et les idées d'extrême droite aujourd'hui comme ceux d'extrême gauche pour la plupart (il y a aussi une extrême gauche démocratique voire républicaine : cf Pierre Leroux, Jaurès, etc.) sont des dangers pour la vie démocratique. Mais alors faut-il voter pour les partis de la ploutocratie (du pouvoir de l'argent) ? L'offre politique est aujourd'hui plus large heureusement et peut le devenir encore plus ! Le (post)postmoderne conséquent sait par déduction qu'il ne reste plus que l'aventure de l'écologie politique, non plus centrée sur la modernité calculatrice mais axée sur une postmodernité symbiotique et conviviale. Mais déjà on sait que ce choix de l'écologie politique est limité car on sent que le postmoderne ignore précisément ce dont nous parlons d'un point de vue post-postmoderne à savoir l'évolution de la conscience et l'exploration spirituelle.
Ceux qui ne votent pas ou ne votent plus au nom de leurs considérations critiques sont la plupart du temps une énergie perdue pour réformer notre démocratie. (La vision anarchiste qui voudrait se substituer à des institutions démocratiques jugées non réformables exige une mise en pratique alternative de la fraternité qu'on voit rarement se concrétiser matériellement même chez les soi-disant anars de gauche. Seule la mise en place d'une vie collective en dehors des cadres de l’État démocratique l'obligerait s'il se prétend libéral à admettre qu'être usage et pourvoyeur de l’État doit être un choix libre. Mais au fond, on en viendrait à l'idée que l’État libéral peut et doit se réformer par des choix démocratiques qui impliquent le vote pour accepter le développement d'un anarchisme. Soit alors l’État "démocratique" montrerait qu'il n'a jamais été libéral et qu'il est viscéralement totalitaire. J'ai tendance à penser que l’État démocratique est réformable électoralement au point de servir "l'anarchisation" de notre société par une éducation individualisante et non "normalisante", par sa réduction à un organisme de redistribution d'un Revenu Minimum d'Existence, etc.). Il est facile de dire que nos politiciens sont des pourris en leur abandonnant le pouvoir et de souhaiter le chaos d'un grand soir quand le pouvoir politique aura révélé son visage abject. On remarquera qu'il est plus difficile de risquer sa vie contre un dictateur comme ce fût le cas pour des roumains fin 1989 ou avant 1989 à Brasov que d'utiliser la liberté politique démocratique pour y susciter une réforme en éduquant l'opinion. A vrai dire, nous avons là un critère pour reconnaître les grands hommes politiques, veut-on nous séduire ( on est embourbé par des traits de mentalités qui résistent à la postmodernité tout en usant de la séduction postmoderne pour les rendre désirables) ou veut-on nous éduquer (nous amener à devenir pleinement postmodernes ou déjà à l'aube du post-postmoderne ) ?
Le pire est d'entendre ces personnes qui ne votent pas dire qu'elles fuiront la France si le pouvoir devient inadmissible (le comble du narcissisme postmoderne !?!).  Leur lâcheté est confondante. Où est leur énergie pour constituer un mouvement d'opposition consistant capable de proposer une autre vision du monde et de gérer autrement la puissance d’État ? A vrai dire le mal politique qui infecte notre société est plus diffus, un peu comme les polluants dans la nature  et nos corps qui n'agissent pas directement mais par leurs effets croisés. On les sent à l'œuvre, on peut les nommer mais on ne peut pas les expulser, on ne sait pas constituer  la réponse qui en détruira l'action. Il nous faut une intelligence immunitaire en quelque sorte pour ne pas laisser se diffuser nous aussi ce mal (ces types de raisonnements sont vraiment (post)postmodernes au sens où ils ne relèvent pas de la volonté de contrôle moderne qu'on retrouve dans les discours simplistes lorgnant sur la prémodernité (FN, Parti de gauche, LO) ou les discours gestionnaires assumant la seule modernité (PS)). Au fond qui ne dit rien politiquement, consent. Des leaders spirituels comme Sri Aurobindo ont su sortir de leur retrait  apparent de la chose politique pour prendre parti en faveur de l'avenir le moins pire : lors de la deuxième guerre mondiale, Sri Aurobindo a appelé l'Inde à soutenir les alliés plutôt que les nazis par opportunisme contre la Grande Bretagne (qui à l'époque avait de l'Inde une colonie). En effet l'histoire lui a donné raison, les nazis étaient pires que tout.  
La perfection est un chemin où à la croisée du pire et du moins pire, il faut savoir faire son choix à chaque pas. Soyons honnêtes, regardons-nous. Nos complicités avec le pire de nous-même conjuguées à celle des autres est la vraie source du chaos. Mais quand nous ne sommes plus complice de la nôtre, il faut admettre le fait qui suit. Une intelligence au niveau collectif ne grandira pas d'un seul coup à moins d'une catastrophe que la sagesse et la compassion nous commandent d'éviter. 

Enfin en ce qui concerne la question du vote, nous sommes tous des usagers de l’État autant que ses pourvoyeurs de fond par les taxes et l'impôt. Nous avons besoin de l'hôpital quand nous avons une fracture, des pompiers quand nous avons le feu, des professeurs quand nous avons des enfants à éduquer, des policiers et de la justice quand nous sommes agressés, etc. Parmi ceux qui refusent d'aller voter, combien vont refuser la retraite, la sécurité sociale, la CMU, le RSA, la CAF, les allocations chômages, les bourses, etc. ?  (politiquement, nous ne  devons plus encourager l'approche moderne qui démultiplie les gestions d'aides de l'Etat. Il semblerait plus juste de signifier concrètement ce qui est en jeu : le droit pour chaque être humain de ne plus avoir à gagner sa vie comme la plupart des animaux le font en entrant en concurrence avec d'autres .) Il nous faut être conséquent. Soit nous renonçons vraiment à être des usagers de l’État et arguant de là ses pourvoyeur de fond, alors nos politiciens perdront vraiment leur pouvoir sur nous. Soit vraiment en tant qu'usagers de l’État et pourvoyeurs de fond de celui-ci, nous votons pour un type de fonctionnement  étatique et  pour le personnel politique qui nous paraît le moins pire.
A vrai dire la démocratie devrait permettre ce choix fondamental, d'être en relation ou non avec l'Etat (en dehors des questions de justice bien sûr). On pourrait même imaginer qu'il y aurait les citoyens ayant choisi d'être sans État ayant le droit de voter ou non, côtoyant les citoyen avec État. (A vrai dire le pluralisme postmoderne devrait être capable d'offrir la combinaison politique permettant simultanément ces divers choix. Bien sûr on distinguerait le refus de l’État relatif à la solidarité (médecine, aides, éducation, etc.) du refus de l’État servant la justice protectrice des droits de chacun. Au dernière nouvelle un État démocratique assurant la sécurité civile reste nécessaire.)
Aujourd'hui on remarquera que les politiciens ne font pas grand chose pour que les gens votent tous. Ils font bien des pétitions de principe mais élus par tous les citoyens ou par à peine 1%, ils sont élus. Par contre, une minorité d'hommes politiques défendra la liberté citoyenne d'être sans État, libre de ses solidarités et exigences à côté de la liberté citoyenne avec l’État offrant une solidarité nationale. 
En fait dans la dérive ploutocratique, la majorité des politiciens élus œuvrent plus ou moins consciemment pour que les citoyens les plus laborieux soient pourvoyeurs de fond de l’État, que les plus pauvres soient des usagers dépendants et contrôlés tandis qu'ils permettent aux plus riches d'en être les usagers les plus satisfaits dans la mesure où leurs grandes entreprises ont été et sont subventionnées  sans  être vraiment contrôlées et surtout sans être en retour de véritables pourvoyeurs de fond dans une proportion comparable (tant au niveau de l'Etat que des citoyens).

Pour approfondir ces idées, on consultera cet autre autre article

samedi 9 avril 2011

QUALITES POUR LA VOIE SPIRITUELLE ou LA COURONNE DES VERTUS.


-->  "Quelles sont les qualités nécessaires pour la voie spirituelle ?

Douglas Harding en énonçait quelques unes :
-la capacité à être sa propre autorité, ce que je pourrais nommer l’indépendance d’esprit. Cela implique une capacité de douter et de remettre en cause ce qui est dit pour vérifier si cela est vrai pour soi.
-L’ouverture de l’esprit, c’est-à-dire une capacité à aller vers des espaces nouveaux. Une curiosité de soi et des choses. Il faut ici savoir écouter.
-L’objectivité, c’est-à-dire la volonté de voir les choses telles qu’elles sont et non pas comme on voudrait qu’elles soient. Il s’agit de revenir aux faits, non pas de les fuir dans la rêverie ou les croyances.
-la naïveté, c’est-à-dire une certaine jeunesse de l’esprit, prête à jouer et aussi à tenter de nouvelles choses. Cette naïveté ne consiste pas à prendre des vessies pour des lanternes mais c’est une capacité à s’abstraire de la mémoire, des habitudes et des préjugés. Il s’agit de retrouver un regard d’enfant, neuf et frais sur le monde.
-l’humour. Rien n’est plus étranger à la spiritualité authentique que l’esprit de sérieux. L’esprit est spirituel !
-l’audace. De l’audace, toujours de l’audace. Il faut une certaine dose de courage et d’audace en effet pour aller contre l’opinion générale et aussi pour s’aventurer au bord du vide, là où la pensée s’arrête, pour aller vers  l’inconnu en soi.
Et je rajouterai :
-un peu de bonté. De la bonté envers soi, les autres et le monde. Car sans bonté, comment accepter de s’ouvrir à la non-dualité qui va effacer la frontière entre soi et le monde, qui va nous unir à tout ?
José Le Roy"

Commentaire :
Est-ce poser des conditions à l’efficacité de la voie directe ? Mais pourrait-on limiter la manifestation consciente de la lumière de l’éveil au nom de vertus ? Est-ce là le retour malgré tout à l’idée d’une voie progressive préparant au saut final de l’éveil ?

Je remarque que ces qualités sont inhérentes à la lumière même de la conscience pure.

1 – Cette lumière n’est-elle pas radicalement indépendante de ce qu’elle fait émerger en elle ?

2 – Cette lumière n’est-elle pas aperçue dans l’ouverture où toutes les perceptions sont accueillies sans jugement ?

3 – Cette lumière ne peut pas s’auto-illusionner, c’est dans l’évidence de cette lumière que surgit toute évidence objective.  Elle est donc l’évidence de toute évidence objective. Elle est objectivité pure.

4 – En cette lumière le monde surgit à chaque instant dans son commencement. Cette lumière est l’innocence même.

5 – Cette lumière voit du sérieux dans le non sérieux de l’enfant et du non sérieux dans le sérieux affecté de l’adulte. Elle se rit de toutes les valeurs humaines. Elle est humour.

6 – De quoi aurait peur cette lumière ? Toute audace dans le monde ne s’enracine-t-elle pas dans cette lumière même ?

7 – Quant à la bonté, cette lumière qui ne juge personne et vivifie tout le monde sans considération de sa valeur morale n’est-elle pas la racine de toute bonté qui se manifeste à travers les personnes ?

Ainsi toutes les vertus que Douglas Harding et José Le Roy estiment préparatoires à l’éveil se manifestent pleinement quand la lumière de l’esprit s’empare d’une personne et en fait son instrument. La lumière de l’éveil est donc le couronnement de ces vertus. En effet elle est d’une part leur accomplissement et d’autre part c’est elle qui les ordonne et les commande.

Chercher à développer ces vertus n’est certainement pas s’éloigner de la lumière de la conscience pure. Par ces dispositions l’individu reconnaîtra peut-être plus facilement la lumière de la conscience pure quand elle se présentera.

Saint Thomas d’Aquin cite saint Grégoire disant qu' « une vertu sans les autres est soit sans aucune valeur, soit imparfaite". Il nous propose une distinction qui permettra mieux de souligner en quel sens  la sagesse divine est le couronnement des vertus. Partant du fait qu’on a la vie et que Dieu est la vie, il dit que nous avons telle qualité tandis que Dieu est telle qualité. Ou dit dans les termes de Douglas Harding, le petit moi a des qualités, notre grand Moi est ces qualités.



Autrement dit notre désir d’avoir telle vertu est toujours limité car ce que j’ai, je peux le perdre. Réalisant mon lien intime avec le divin (ici nous ne discuterons pas de savoir si le divin est personnel ou impersonnel) je découvre que je participe de sa propre déité, de sa propre lumière, de ses vertus éternelles. Devenir de plus en plus conscient non seulement que nous sommes dans la lumière de la déité mais que le divin lui-même est en nous revient à réaliser dans notre humanité les qualités inhérentes au fait que le divin soit ce qu’il est.






La vision est la couronne de la vertu. Autrement dit, elle est vraiment la réalisation des vertus car avec elle, on passe enfin de l'avoir fragile à l'être de ces vertus : elle accomplit vraiment les vertus, elle est le couronnement des vertus. Et par ailleurs, elle est au-delà des vertus car elle est leur source : en ce sens elle les commande par l'autorité de sa couronne.

Du point de vue de mon individualité quand je m’efforçais d’incarner la bonté, je manquais très souvent de pertinence, mon investissement s’épuisait. Ayant découvert l’œil par lequel mon individualité émerge, je commençais à me voir en cet œil. Je ne pouvais que voir l’artifice de ma bonté. Mais découvrant que la lumière de cet œil est la lumière par laquelle j’existe individuellement, me voici surabondant de lumière et pris d’un élan de bonté, me voici de plus en plus l’instrument de la bonté. Sa lumière me comble de joie et me transporte d’amour pour ceux qui émergent dans sa lumière. Le désir individuel d’amour et de bonté ne m’a-t-il pas conduit à l’être même qui est bonté ? 

samedi 2 avril 2011

PENSEE TOTALISANTE ET ART DE PENSER INTEGRAL.

A la lumière de l'éveil, la rhétorique française de la pensée unique s'avère toujours monologale.

Aujourd'hui dans les médias l'intellectuel et le politique ont  souvent beau jeu de dénoncer la pensée unique. Mais ce qu'ils nomment ainsi leur permet de rejeter en bloc l'autre point de vue. En gros l'autre de point de vue loin d'être un point de vue argumenté serait en quelque sorte une idéologie au service des intérêts d'un groupe dont évidemment ils nous enjoignent de nous émanciper. Cette façon de penser coupe court à toute forme de dialogue. Par exemple, l'un est ainsi accusé par le républicain défenseur d'une intégration culturelle  forte d'un antiracisme irresponsable livrant la France aux délinquants d'origine étrangère, l'autre est accusé  par l'humaniste conscient de son appartenance à une seule humanité de racisme parce qu'il a osé parler de frontière et d'une âme française. Et bien sûr nul dialogue n'est alors possible...

Considérons ces débats à la lumière de ce constat selon nous fondamental :

Celui qui prend conscience qu'au centre de la conscience il n'y a pas de personnalité et donc aucun contenu de pensée commencera par estimer qu'en fait la pensée dans ses tentative de saisir et de contrôler le réel ne pourra que manquer son objectif. Du point de vue de ma profondeur transparente, les mots racistes, antiracistes, frontière, âme française, par exemple, quels sens peuvent-ils recevoir ? Mais surtout  le mot dialogue lui-même ne voit-il  pas sons sens élargi et en quelque sorte verticalisé ? Il reste dès lors un sens non idéologique s'agissant de la dénonciation de pensée unique : il y a une pensée unique dès lors qu'on ne considère le réel et le sens que du sein même de la pensée. La pensée unique serait monologale et jamais authentiquement dialogale dans la mesure où manquerait la racine consciente du sens.  La transparence centrale source des phénomènes dont la pensée serait  le point de vue insaisissable du réel  autrement dit  une dimension fondamentale de conscience par essence impensable où surgit une représentation du réel. Le "dia" du mot dialogue qui en grec pointe un "entre", un "à travers" le logos, le verbe, la pensée serait fondamentalement étranger à la logorrhée intellectuelle de la pensée se prétendant unique contre la pensée soi-disant unique d'un groupe : le "dia" de dialogue pointerait la conscience donnant sens par delà les mécanismes de la pensée.  

Les arts de penser moderne, postmoderne et intégral.
 
Le mouvement intégral dont je me sens membre en me reconnaissant mentalement éclairé par Ken Wilber, Steve Mac Intosh mais aussi Douglas Harding d'une part et Sri Aurobindo, Mère, Satprem ou encore Kireet Joshi d'autre part ou me référant dans la tradition philosophique préférentiellement à Henri Bergson se caractérise sans aucun doute par une méthodologie de pensée qui quelque soit la question abordée cherche à s'axer sur la transparence consciente d'où elle surgit.

Le mouvement moderne a son propre art de penser dont la méthode cartésienne est caractéristique. Il s'agit pour l'essentiel de produire une pensée expurgée de toute forme d'argument d'autorité. Pour caractériser vraiment l'art de penser moderne, il faut ajouter à la méthode cartésienne centrée sur l'art de penser de manière indubitable, l'art de confronter sa pensée à l'expérience. La science a fait du protocole expérimental le modèle de validation par excellence mais le protocole expérimental interroge l'extériorité et presque jamais l'intériorité. Pourtant cet art de penser ne peut-il pas s'y adonner ?
Le mouvement postmoderne aussi a aussi développé un art de penser. Mais là où l'art de penser moderne est une technique méthodique, l'art de penser postmoderne suggère qu'il est impossible d'unifier la pensée en système. Il proclame définitivement la fin des grands récits qui dans la pensée moderne prend la forme d'un mythe du progrès ou qui dans nombres de pensées prémodernes ramènent tout à un seul et unique récit religieux facteur d'ordre. Cependant s'il abandonne le récit monologal et accepte le fait du pluralisme, il n'est pas forcément sans spiritualité. L'art de penser postmoderne suggère une spiritualité qui a à cœur l'authenticité de la rencontre avec l'autre.
Le postmoderne pourra être particulièrement sensible à une spiritualité reliant la singularité de notre personne à celle de l'autre pour approfondir une altérité non séparatrice.

Le postmoderne reconnaîtra des progrès dans certains modes de pensée mais verra d'abord la pluralité du réel, la pluralité de rationalités. Au fond la pluralité d'identités culturelles  et spirituelles  sera pour lui non synthétisable. Il rejette les tendances totalisantes et totalitaires de la raison moderne.
Dans la spiritualité non-duelle contemporaine, il y a souvent malheureusement une rapide négation de cette individualisation culturelle non synthétisable. La spiritualité non-duelle contemporaine est souvent centrée sur une rationalité moderne nostalgique du prémoderne. Sa composante postmoderne consiste en un attrait pour des cultures prémodernes mais cette composante affirmant une unité transcendante de l'Être source, insidieusement en vient à nier la pluralité de ses manifestations.  On rapproche les diverses traditions mais de façon sélective c'est-à-dire en faisant l'impasse sur les différences doctrinales impliquant malgré tout des différences de pratique spirituelle. Par exemple la non-dualité aime bien se référer à la tradition rhénane sans voir que la tradition spirituelle chrétienne dans son ensemble insiste sur la présence personnelle du divin dans une relation de communion créatrice et pas seulement sur la réalisation de la déité abolissant toute relation. Un postmoderne accompli rejetterait-il un point de vue ? Une certaine non-dualité plutôt moderne dans son comportement au final consacre donc une dualité entre l'unicité de l'Être et son Devenir pluriel jugé plus ou moins illusoire (et donc relevant d'une ignorance au lieu d'une richesse)... Une philosophie spirituelle intégrale authentique recherchera, elle, cette non-dualité entre l'Être Un et son Devenir pluriel, valorisé par les postmodernes.
Le lecteur de Ken Wilber a-t-il perçu à quel point la pensée postmoderne qu'il connaît comme French Theory est tout à fait étrangère à la démarche de Hegel ? La lecture de Ken Wilber ou de Mac Intosh donne à Hegel une place de choix tout en affirmant intégrer l'art de penser postmoderniste. Est-ce que la pensée intégrale tient alors assez compte du rejet postmoderne massif de toute pensée totalisante ? La dialectique n'est-elle pas totalisante par essence puisqu'elle veut toujours ramener l'individualisation plurielle à l'Un. Lisons Deleuze, par exemple, un des penseurs postmodernes les plus représentatifs : il présente et construit un Nietzsche d'abord anti-hégélien qui fait de l'individualisation, de la singularité plurielle la seule dimension immanente du réel. Intégrer une telle pensée dans une perspective non-duelle qui réhabilite l'unité de l'Être sans la trahir peut-il vraiment s'inscrire dans un système mental ?

La dialectique de Hegel, l'hyperdialectique ouverte et le mental illuminé.
La pensée intégrale quand elle considère la thèse et l'antithèse entend s'élever au-delà à une synthèse qui subsume les points de vue. Hegel se propose de penser l'Être et le Devenir, l'Un et le multiple.
On voit bien cependant que l'objection postmoderne d'une singularité n'est pas comprise par cette dialectique de Hegel. La singularité est réduite au contingent qui n'a aucun impact sur la révélation de l'Esprit dans l'histoire. Le penseur intégral peut recourir pour essayer de penser cette singularité toujours inassimilable de la traduire par la notion d'hyperdialectique :
 Ici il y a bien un mouvement d'intégration qui fait toujours malgré tout resurgir à des niveaux plus élevés de la singularité et de l'individualité dans la mesure où plusieurs points de vue synthétiques à partir d'une thèse et d'une antithèse sont possibles. L'hyperdialectique ressort aussi de l'idée que dans une perspective évolutive il n'y a pas de fin (comme sens et comme terme) de l'histoire contrairement aux visions dialectiques modernes de Hegel ou de Marx. Mais de fait cette pluralité et cette individualisation toujours ressurgissante d'où vient-elle ? L'approche de Bergson qui montre qu'au-delà de l'intelligence, il y a l'intuition créatrice peut nous inspirer une piste de réponse. L'union mystique à l'Être peut transformer l'intellect hyperdialectique en une conscience mentale illuminée où l'intuition perlerait de manière beaucoup moins éparse. Le sommet dialectique de l'art de penser moderne s'il assume complétement le postmodernisme et sa valorisation de la singularité serait le marche pied pour le développement d'une conscience mentale illuminée par l'intuition créatrice.
La pensée intégrale qui veut intégrer vraiment le postmodernisme se doit d'affirmer qu'elle n'est pas totalisante. En intégrant vraiment le scepticisme relativiste postmoderne à ses tendances hyperdialectiques, elle pourrait s'ouvrir à une vision intégrale au-delà de la pensée intégrale. Quand la pensée s'effondre devant sa limite, elle est parfois illuminée d'une intuition. Ici c'est la pensée dans sa globalité même qui rentrerait en crise tentant à la fois de synthétiser hyperdialectiquement et percevant l'impossibilité de produire de par les limites de la connaissance mentale une synthèse achevée.

La non-dualité nous révèle le champ de conscience pure en nous appelant à reconnaître notre non savoir. Mais ce champ de conscience pure quand il reste lié à un art de penser moderne traduisant une nostalgie des visions prémodernes tend à la pensée monologale. Ce n'est pas ici encore le non savoir sceptique relativiste des postmodernes. Le postmoderne exhibe lui différentes interprétations avant d'évoquer un non savoir. Le postmoderne soupçonnera à juste titre le non-mental d'être encore perçu et mal entendu à cause de la manière d'être mentale de celui qui l'expérimente. 
La construction mentale qui a permis de pointer la lumière permet certes de détruire l'opercule mental qui lui faisait obstacle mais cette lumière ne finit-elle pas par absolutiser la bâtisse mentale qui a permis l'expérience de cette Lumière ? Certains non-dualistes ont beau prétendre qu'ils ont vraiment vaincu les limites mentales, on ne peut qu'être dubitatif quand ils se mettent à parler politique en lien à sa lumière. 
Les traductions politiques de ceux qui s'intéressent à la non-dualité sont bien souvent nostalgiques d'un passé révolu. Et à vrai dire les Eliade, les Julius Evola et bien des lecteurs de Guénon se sont fourvoyés dans les impasses fascistes que le Devenir a montré catastrophique. Bien sûr ne renonçant pas à leur thèse, ceux qui se situent encore dans cette ligne expliquent que l'ignorance a corrompu ces tentatives de rétablissement de l'ordre humain soumis à l'Être. Mais lisons leurs propos, leur art de penser n'est-il pas étranger au plan intuitif créateur qui de toute évidence pour s'élargir a besoin d'une base mentale multiperspectiviste et hyperdialectique ? Certes en pratiquant un art traditionnel jusqu'à laisser la technique s'exécuter sans le parasitage de l'ego on a l'expérience d'une intelligence cosmique mais entre un mouvement cosmique qui remet en ordre et un mouvement cosmique créateur qui bouleverse l'ordre en suscitant une nouvelle manière d'être il y a un fossé...
L'art de penser intégral pour échapper à la pensée totalisante qui nie l'individualisation et la singularité doit intégrer un grand sens de l'incomplétude mentale. Dire qu'on a intégré un tel sens de l'incomplétude mentale ne peut pas seulement se résumer à pointer la lumière non mentale du champ de conscience. Dans la lumière de ce champ de conscience Un il faut laisser se développer l'amour de l'individualisation et de la singularité en intégrant un certain relativisme sceptique. Il faut l'humilité de reconnaître que le mental n'est pas seulement paradoxalement un obstacle et un marchepied pour que l'Être se réalise consciemment mais aussi et surtout un frein pour que le Devenir se dessine dans son élan créateur.
Avouons que même si nous sommes dans la lumière de l'Être, il est fort difficile à notre humanité de renoncer à considérer les phénomènes dans la seule lumière palote du mental. Or il n'y a de Devenir conscient que si nous acceptons de renoncer à notre intelligence pour la confier à l'élan créateur de l'Être afin qu'elle soit illuminée c'est-à-dire de plus en plus transparente à l'intuition créatrice.

Sri Aurobindo dit fort bien cela dans Le cycle humain :

La vie diffère de l'ordre mécanique du monde physique, et c'est justement parce que celui-ci est mécanique et qu'il avance immuablement dans les sillons d'habitudes cosmiques invariables, que la raison a été capable d'en user victorieusement. La vie au contraire, est une force mouvante, progressive et évolutive, une force qui exprime toujours plus l'âme infinie cachée dans les créatures, et à mesure qu'elle progresse, elle devient de plus en plus consciente de ses propres variations, diversités et besoins subtils. Le progrès de la vie implique l'expansion d'un nombre immense de choses entremêlées qui sont en conflit les unes avec les autres et semblent souvent s'opposer et se contredire irréductiblement. Trouver parmi ces oppositions quelque point d'appui ou principe d'unité, quelque levier de réconciliation dont on puisse se servir, et qui permettra un meilleur et plus vaste épanouissement sur la base d'une harmonie et non de conflits et de luttes, tel doit être de plus en plus le but commun de l'humanité dans l'évolution de sa vie active, si elle cherche tant soit peu à s'élever au-dessus du mouvement confus, douloureux et obscur de la vie, au-dessus des compromis que la Nature fait avec l'ignorance du mental dans la vie et avec la nescience de la matière. Ceci ne peut se faire vraiment et de façon satisfaisante que lorsque l'âme se découvre elle-même dans sa réalité spirituelle la plus haute et la plus complète et qu'elle opère une transformation progressive et ascendante de ses valeurs vitales en celles de l'esprit; car là toutes ces valeurs trouveront leur vérité spirituelle, et dans cette vérité, le point d'appui de leur reconnaissance mutuelle et de leur réconciliation. La vérité spirituelle est la vérité unique dont toutes les autres sont des aspects voilés, de brillants déguisements ou d'obscures défigurations, et c'est en elle que toutes ces vérités partielles peuvent trouver les formes justes qui leur sont propres et découvrir leurs véritables relations réciproques. Ce travail, la raison ne peut pas le faire. La tâche de la raison est intermédiaire; c'est d'observer et de comprendre cette vie avec l'intelligence, de lui montrer dans quelle direction elle se dirige et les lois de son propre développement sur le chemin. Afin de pouvoir remplir cet office, la raison est obligée d'adopter temporairement des points de vue fixes dont aucun n'est totalement vrai, et de créer des systèmes dont aucun ne peut réellement apporter le dernier mot de la vérité intégrale des choses. La vérité intégrale des choses n'est pas vérité de la raison mais vérité de l'esprit.

ANNEXE :

Sur ce thème d'un art de penser intégral qui s'ouvre aux domaines de l'intuition voire au-delà, Les Entretiens de Mère sont éclairants. A vrai dire mon post précédent complique un peu les choses pour s'adresser au mouvement intégral large. Donc pour plus de clarté pratique, lisons, par exemple, l'entretien du 23 juillet 1958:

"Mère, comment peut-on développer la faculté d’intuition ?

Il y a différents genres d’intuition, et on porte ces capacités en soi. Elles sont toujours un peu actives, mais nous ne les discernons pas parce que nous ne faisons pas suffisamment attention à ce qui se passe en nous.
il y a, derrière les émotions, profondément dans l’être, dans une conscience qui se trouve à peu près au niveau du plexus solaire, une sorte de prescience, comme une capacité de prévision, mais pas sous forme d’idées   : sous une forme de sentiments plutôt, une perception presque de sensations. Par exemple, quand on va décider de faire quelque chose, quelquefois il y a une sorte de malaise ou de refus intérieur, et généralement si l’on écoute cette indication plus profonde, on s’aperçoit qu’elle était légitime.
Il y a, dans d’autres cas, comme une chose qui pousse, qui indique, qui insiste (je ne parle pas d’impulsions, n’est-ce pas, de tous les mouvements qui viennent du vital et de beaucoup plus bas), des indications qui sont derrière les sentiments, qui viennent du côté affectif de l’être ; là aussi on peut recevoir une indication assez sûre de la chose qu’il faut faire. Ce sont des formes d’intuition ou d’un instinct supérieur qui se cultivent par l’observation et aussi par l’étude des résultats. naturellement, il faut le faire d’une façon tout à fait sincère, objective, sans parti pris. si l’on veut voir les choses d’une certaine manière et en même temps faire cette observation, tout est inutile. il faut le faire comme si l’on regardait ce qui se passait en dehors de soi, chez quelqu’un d’autre.
C’est une forme d’intuition, et peut-être la première forme qui se manifeste généralement. 
Il existe une autre forme, mais celle-là est beaucoup plus difficile à observer parce que, pour ceux qui sont habitués à penser, à agir par la raison — pas par les impulsions mais par la raison —, à réfléchir avant de faire quelque chose, il y a un processus extrêmement rapide de cause à effet dans la pensée semi-consciente qui fait que l’on ne voit pas la ligne, toute la ligne du raisonnement et que par conséquent on ne pense pas que c’est un raisonnement, et cela, c’est assez trompeur. Vous avez l’impression d’une intuition, mais ce n’est pas une intuition, c’est un raisonnement extrêmement rapide, subconscient, qui prend un problème et qui va droit aux conséquences. Il ne faut pas confondre cela avec l’intuition.
L’intuition, dans le fonctionnement cérébral ordinaire, est quelque chose qui tombe tout d’un coup, comme une goutte de lumière. si on a la capacité, un commencement de capacité de vision mentale, cela donne l’impression de quelque chose qui vient du dehors, ou d’au-dessus, et qui est comme le petit choc dans le cerveau, d’une goutte de lumière, absolument indépendant de tout raisonnement.
Ça se perçoit plus facilement quand on arrive à faire taire son mental, à le tenir immobile et attentif avec un arrêt dans son fonctionnement ordinaire, comme si le mental se transformait en une sorte de miroir, qui se tourne vers une faculté supérieure dans une attention soutenue et silencieuse. Ça aussi, on peut apprendre à le faire. Il faut apprendre à le faire, c’est une discipline nécessaire.
Quand on a une question à résoudre, quelle qu’elle soit, généralement on concentre son attention ici  (geste entre les sourcils), dans le centre juste au-dessus des yeux, qui est le centre de la volonté consciente. Mais là, si vous faites cela, vous ne pouvez pas être en relation avec l’intuition. Vous pouvez être en relation avec la source de la volonté, de l’effort, même d’un certain genre de connaissance, mais dans le domaine extérieur, presque matériel; tandis que si vous voulez avoir un rapport avec l’intuition, il faut que ça (Mère désigne le front), ce soit tenu tout à fait immobile. La pensée active doit s’arrêter autant que possible et toute la faculté mentale former comme... au sommet du crâne et un petit peu au-dessus si l’on peut, une sorte de miroir, très tranquille, très immobile, tourné vers le haut, dans une attention silencieuse très concentrée. si l’on réussit, alors on peut — peut-être pas immédiatement — mais on peut avoir la perception de ces gouttes de lumière qui tombent d’une région encore inconnue, sur le miroir, et qui se traduisent par une pensée consciente qui n’a aucun rapport avec tout le reste de sa pensée puisque l’on est arrivé à la garder silencieuse. Ça, c’est le vrai commencement de l’intuition intellectuelle. C’est une discipline à suivre. Pendant longtemps, on peut essayer et ne pas réussir, mais dès que l’on réussit à «   faire le miroir   » immobile et attentif, on a toujours un résultat, pas nécessairement avec une forme de pensée précise, mais toujours avec la sensation d’une lumière qui vient d’en haut. Et alors, cette lumière qui vient d’en haut, quand on peut la recevoir sans immédiatement entrer dans une activité tourbillonnante, la recevoir dans le calme et le silence et la laisser entrer profondément dans l’être, alors, quelque temps après, elle se traduit ou par une pensée lumineuse ou par une indication très précise ici (Mère désigne le cœur), dans cet autre centre.
Naturellement, d’abord il faut arriver à développer ces deux capacités ; ensuite, dès que l’on a un résultat, il faut observer le résultat comme je l’ai dit et voir le rapport avec ce qui se passe, les conséquences   : voir, observer très attentivement ce qui s’est introduit, ce qui a pu déformer, ce que l’on a ajouté de raisonnement plus ou moins conscient, d’intervention d’une volonté inférieure plus ou moins consciente aussi; et c’est par une étude approfondie (au fond presque de chaque instant, en tout cas quotidienne et très fréquente) que l’on arrive à développer son intuition. C’est long. C’est long et il y a des embûches   : on peut se tromper soi-même, on peut prendre pour des intuitions des volontés subconscientes qui essayent de se manifester, des indications données par des impulsions que l’on a refusé de recevoir ouvertement, enfin toutes sortes de difficultés. il faut s’attendre à cela. Mais si l’on persiste, on est sûr de réussir.
Et il y a un moment où l’on sent comme une direction intérieure, quelque chose qui vous conduit très perceptiblement dans tout ce que vous faites. Mais alors, pour que la direction ait son maximum de pouvoir, il faut y ajouter, naturellement, la soumission consciente   : il faut être sincèrement décidé à suivre l’indication donnée par la force supérieure. Si l’on fait cela, alors... on saute des années d’études, on peut se saisir du résultat extrêmement rapidement. Si l’on ajoute cela, le résultat vient très rapidement. Mais là, il faut le faire avec sincérité et... une sorte de spontanéité intérieure.  si l’on veut le faire sans cette soumission, on réussit — comme on réussit aussi à développer sa volonté personnelle et à en faire un pouvoir très considérable —, mais cela prend beaucoup de temps et on rencontre beaucoup d’obstacles, et le résultat est très précaire ; il faut être extrêmement persistant, obstiné, persévérant, et on est sûr de réussir, mais après un grand labeur.
Faites votre soumission dans un don de soi sincère, complet, et vous brûlerez les étapes, vous irez beaucoup plus vite ; mais il ne faut pas le faire avec calcul parce que ça gâte tout !
(silence)"