samedi 3 avril 2010

LIBRE ARBITRE ET DETERMINISME. Episode 1.

Ce débat philosophique a de sérieux enjeux pratiques. Et ce sont eux qui nous intéressent ici. Il ne s'agit pas d'opposer des arguments à d'autres arguments mais d'intégrer des observations phénoménologiques pour mieux approfondir l'évidence.


La spiritualité telle que nous l'approchons, nous amène à reconnaître un unique champ de conscience dans lequel se déploie l'espace du monde et du temps. L'aventure humaine et spirituelle part de cette reconnaissance.

En ce qui nous concerne, réaliser la présence de cet unique champ de conscience n'induit pas l'élimination de la présence d'une conscience individuelle. Mais réaliser la présence de cet unique champ de conscience n'induit pas non plus un savoir absolu : l'évidence si elle est lumineuse est en même temps celle d'une nuée insaisissable.

Le débat sur le libre-arbitre et le déterminisme ne peut s'engager pour nous que dans ce contexte.

Tout se joue quelque part entre le champ de conscience unique, le grand dirait Douglas Harding et ce qui demeure de conscience individuelle une fois la présence de ce champ de conscience réalisée, le petit.

Le grand est liberté. Rien ne le détermine de l'extérieur. Tout ce qui se produit se produit en son sein.

A partir de là nous pouvons esquisser au moins quatre points de vue sur le lien entre cette liberté du grand et la question de la liberté du petit.

Approche 1 :
La liberté du champ de conscience ne suppose ni auteur, ni intention. On peut envisager cette liberté comme une bullition non intentionnelle des phénomènes.

Dans le Dzogchen on a souvent une description similaire de la liberté : une liberté sans auteur et sans intention où un ego aurait l'impression de fabriquer des pensées. Longchenpa par exemple écrit dans La liberté naturelle de l'esprit :

"La méditation est la grande liberté spontanée de l'esprit dans son cours naturel.
Les artifices correcteurs y sont inutiles : tout ce qui s'élève est Grande Perfection !
Dans cet état primordial, nul besoin d'accepter ou de rejeter quoi que ce soit,
Extérieur, intérieur et tous les phénomènes du samsâra et du nirvâna y sont égaux et omniprésents. [...]
Dans la détente sans fabrications, la conscience de l'ordinaire est une conscience qui s'écoule d'elle-même, comme de l'eau versée dans de l'eau.
La conscience non duelle demeure sans corrections ni altérations.
Sans effort, elle s'établit dans la grande réalité absolue."

La liberté est associée au champ de conscience dont l'essence est méditation. La méditation ici n'est pas non plus le fruit d'un exercice, d'un entraînement qui soit le fait d'un auteur ou d'une certaine qualité d'intention. La liberté naturelle de l'esprit semble justement révéler le caractère illusoire d'une intention, d'un effort, etc. Elle est sans auteur sans intention et donc sans effort.

On retrouve des thématiques connues dans le milieu de la non dualité. Par exemple, personne ne peut revendiquer : je me suis libéré ou éveillé au nirvâna car la libération inclut précisément la libération d'une intention personnelle de se libérer. De même s'il y a un effort pour se libérer, il s'agit d'un effort vers le non effort. Croire qu'il faille des efforts terribles pour se souvenir de qui nous sommes vraiment est une illusion car qui nous sommes vraiment dès qu'il est aperçu est hors du temps où se déroule l'impression mentale de l'effort.
Certes au niveau du corps pour apprendre à se relaxer tel muscle que notre attitude mentale a l'habitude de tendre quasi automatiquement et donc inconsciemment, il faut parfois commencer par le tendre davantage pour ensuite vraiment le laisser se détendre en laissant la tension ordinaire s'effacer. En général cette découverte d'un état de relaxation musculaire inconnu provoque au début une douleur et la tentation de se crisper à nouveau pour y échapper. Cette image qu'un Arnaud Desjardins développe explique la nécessité d'un effort spirituel pour se libérer même si l'objectif est sans effort, sans auteur, sans intention donc sans objet.
Dans l'enseignement de Kalou Rinpoché qui appartient à la tradition tibétaine comme Longchenpa, le Dzogchen doit être préparé par les véhicules Hinayana, Mahayana et Vajrayana.

Dans son livre, La voie du Bouddha selon la tradition tibétaine, on constate que Hinayana est plutôt une voie de la discipline et donc de l'intention, Mahayana est plutôt une voie de la compassion et de l'apprentissage du point de vue d'autrui (ceci se rapproche de notre approche 2 sur l'intentionnalité relationnelle), et enfin que Vajrayana fondé sur les textes tantra utilise les désirs personnels persistants pour accéder guidé par un maître à la puissance de transmutation des émotions et désirs personnels dans le champ de conscience, l'esprit en sa liberté naturelle.

Approche 2 :
Les voies tibétaines ou de la spiritualité non duelle nous expliquent comment passer d'une recherche spirituelle intentionnelle à une liberté naturelle de l'esprit non intentionnelle. Mais même si ces voies jugent cette question oisives par rapport à la libération, nous nous permettons de chercher à voir comment le non intentionnel caractéristique selon l'approche 1 du grand peut susciter de l'intentionnel. Autrement dit il nous faut préciser comment l'intentionnalité du petit peut être vue comme au fond un phénomène du grand non intentionnel ?

Cette question a un enjeu pratique : apercevoir sa vraie nature, le champ de conscience unique serait possible sans que toute trace d'intentionnalité personnelle doive en être absente et la spiritualité pourrait s'envisager non plus seulement comme effacement de l'ego pour réaliser un nirvâna. La pratique spirituelle pourrait s'envisager dès le début comme une relation entre l'apparente intentionnalité du petit avec l'apparente non intentionnalité du grand.

On pourrait esquisser dès lors une réponse à la question du surgissement de l'intentionnalité personnelle dans le seul et unique champ de conscience en s'intéressant à la relation de la partie au tout, l'intentionnalité du petit serait le reflet mental de l'effet possible d'être une partie du tout qu'est le phénomène monde au sein du grand.
C'est le mental qui relie par exemple l'idée d'un colis dans les mains à un tas de colis là-bas. Ce lien constitue la base de l'intentionnalité. La dimension mentale de cet unique champ de conscience se lit et rend possible de multiples interprétations du tout phénoménal du monde perceptif. Dans ce jeu interprétatif mental, la pensée, par exemple, de l'action du corps qui tient le colis privilégie un sens dans cette mise en relation mentale : la source de l'intentionnalité est là.

Vivre le petit à partir du grand, c'est-à-dire vivre en état de non dualité, semblerait relativiser la vision d'un sujet intentionnel séparé d'un monde non intentionnel alors que vivre essentiellement à partir du petit reviendrait à vivre en état de dualité et donc sous la forme séparée d'une intentionnalité faisant face à une réalité non intentionnelle.

Lors du développement de l'enfant dans le monde mental, il y aurait au départ une prise de conscience de soi du point de vue des autres (des parents). D'où au départ une utilisation réversible sur le plan mental entre le point de vue d'un personnage 3ème personne (pour les autres et pour soi) et la première personne ("inenvisageable" pour autrui) pour se désigner. Daniel C. Dennett estime que pour comprendre l'émergence de l'intentionnalité, il faut partir d'une hétérophénoménologie : notre point de vue est le fruit d'une assimilation du point de vue de l'autre sur nous. Pour Dennett, toute phénoménologie de la conscience en première personne est inutile pour expliquer l'émergence de l'intentionnalité. L'interprétation mentale du monde des objets s'identifiant à l'expression des désirs associés au développement corporel de l'enfant, la vision d'un soi intentionnel séparé du monde non intentionnel des objets l'emporte définitivement pour la plupart. Le point de vue d'une seule et unique conscience inenvisageable disparaît : il y a le point de vue de ma conscience et le point de vue des autres consciences. Pour Denett le terme conscience d'ailleurs est illusoire en l'occurence et peut nous ramener vers ce qu'il estime en matérialiste sans aucun doute des lubies métaphysiques spiritualistes. Il y a donc dans l'idée de la plupart des gens, une conscience différente par sujet. L'idée d'une seule conscience est d'ailleurs considérée presque toujours comme un symptôme psychotique : ceci est affirmé d'ailleurs à juste titre si c'est un sujet qui affirme que les autres sont ses produits intentionnels. Une intersubjectivité est parfois envisagée comme une culture mentale commune mais jamais comme une conscience enveloppant tous les sujets. Dès lors l'intersubjectivité semble toujours en faillite du fait de la séparation des consciences et de leurs valeurs culturelles en opposition. Dans le monde où l'hétérophénoménologie rejette toute phénoménologie en première personne inenvisageable, nous nous débattons avec notre personnalité et notre intentionnalité face au monde et aux autres.

Cependant à l'autre qui paraît comme un élément du monde des objets non intentionnels, on semble prêter une intentionnalité. On s'attribue à soi une intentionnalité et on engage avec l'autre une relation entre intentionnalités. L'intentionnalité relationnelle postule un face à face mais qu'en est-il réellement lorsqu'on revient à une phénoménologie en première personne "inenvisageable" et qu'on regarde cette relation à partir du seul et unique champ de conscience où elle apparaît ?

Dans cet exemple d'une intentionnalité en jeu dans une relation, on voit que dans la sphère mentale l'intentionnalité postule une relation de face à face : ce qui n'est pas le donné perceptif représenté ci-dessus. Penser un face à face de deux intentionnalités implique que mes décisions mentales en troisième personne sont toujours pensées dans ce cadre à face avec les crainte et les désirs qu'induisent pour soi et l'autre le double statut d'être en troisième personne sujet et objet. Du point de vue de la première personne c'est-à-dire du donné perceptif dans le seul et unique champ de conscience, cette intentionnalité relationnelle reste un point de vue mental mais désormais si tout est vécu à partir de ce champ de conscience, l'autre n'affecte jamais plus fondamentalement ce que je suis car l'ambiguïté d'être à la fois sujet et objet n'est plus le fait ultime. L'autre peut s'attaquer à ma personnalité, à mon corps, il peut contrecarrer mon action personnelle mais il ne peut rien contre mon essence qui demeure sa propre essence. L'intentionnalité relie le phénomène mental ma personnalité à une interprétation mentale de l'autre. Non relativisée comme une fiction, mon jugement intentionnel m'incite à croire qu'il y a deux consciences en relation : ce n'est qu'une interprétation mentale du perçu relative au percept premier qui m'indique qu'il n'y a qu'un unique champ de conscience. Si mon intentionnalité veut bien accepter les données perceptives c'est-à-dire les faits phénoménologiques, mon intentionnalité se subordonne au fait qu'il y a un face à espace. Des gens comme Daniel C. Dennett en parlant d'une hétérophénoménologie pratique non une phénoménologie mais une interprétation scientifique, c'est-à-dire une approche épistémique plutôt matérialiste et scientiste d'une troisième personne imaginaire extérieure à ce qui est étudiée. La phénoménologie de la rencontre avec autrui la plus authentique part du donné perceptif anépistémique : le seul visage dans l'unique conscience qui se déploie au dessus des épaules d'un corps sans tête est celui de l'autre corps et ce visage regarde vers un rien d'où surgissent les perceptions et ce qui les perçoit. Deux corps sont bases d'une relation dans un unique champ de conscience mais seul l'autre est envisageable. L'autre devient comme le visage exigeant de l'unique et seul champ de conscience auquel j'essaie intentionnellement de me subordonner en ne m'imaginant plus dans un face à face du point de vue d'une troisième personne. J'essaie de retourner la flèche de mon intentionnalité vers l'unique essence à l'aide de l'intentionnalité de l'autre qui s'avère toujours pointer vers elle au-delà de ma propre intentionnalité (quoique cet autre en pense).

M'interrogeant sur l'émergence de l'intentionnalité au milieu de la liberté naturelle de l'esprit, j'en viens à apprendre à vivre mon intentionnalité personnelle pour la subordonner à la vision de ce seul et unique esprit. L'essence de notre approche 2 tient à ce geste de subordination de notre intentionnalité à la vision à partir du seul et unique champ de conscience. N'est-il pas un geste de liberté accomplit par l'intentionnalité qui retourne à la non-intentionnalité dont elle émerge ? Qui peut s'opposer à ce geste de liberté de retournement vers notre source d'être intentionnel ?

Il n'est pas interdit de penser que dans le milieu de la non dualité certains s'autorisent à faire n'importe quoi invoquant la liberté naturelle de l'esprit. Une fois le ventilateur de l'intentionnalité coupé, c'est-à-dire une fois l'absence d'auteur et d'intention réalisée, comment se permettre de juger les phénomènes qui circulent librement dans l'esprit ? Même si le ventilateur est coupé, il continue cependant à tourner, nous dira-t-on. Si ce qui vient dans ce libre tournoiement du résidu d'intentionnalité est de gagner de l'argent par tous les moyens à commencer par l'enseignement de la non dualité, pourquoi pas ? Etc.

Notre approche 2 esquisse une correction de l'approche 1 même si au fond elle en part. Nous ne sommes pas là pour gagner quoi que ce soit sur le dos d'autrui. Subordonner notre intentionnalité à l'unique essence qui transparaît aussi dans le visage d'autrui quelle que soit la connaissance qu'ait autrui de son essence, peut-il justifier de le traiter comme un objet dont on tire bénéfice ? Autrui n'est-il pas d'abord en relation avec mon essence qui est sa propre essence ? Pourquoi monnayer cet accès de quelque manière que ce soit ? N'est-ce pas donner une valeur à notre personnalité, faire d'elle une condition nécessaire pour accéder à l'essence ? N'est-ce pas dès lors empêcher l'autre de retourner lui aussi son intentionnalité dans la bonne direction au sein de la relation ? La recherche spirituelle ne risque-t-elle pas de se confondre avec l'adoration d'une personne qui empêche la véritable aventure qu'est la transformation de l'intentionnalité qui se retourne vers son essence...


Approche 3 :
Partant de l'approche 2, si l'intentionnalité n'est que le ressenti de la partie au sein d'un tout qui n'est qu'un enchaînement de causes et d'effets phénoménaux, on peut se poser la question de la causalité matérielle et de l'enchaînement des pensées qui se manifeste comme le monde de l'intentionnalité.
La causalité matérielle nous demeure souvent subconsciente, elle nous est connue indirectement.

On peut penser en recueillant des informations diverses que nous sommes en tant que phénomène du monde, univers, galaxie, stellaire, planétaire, biologique, moléculaire, atomique, corpusculaire, etc. tout autant qu'un être humain se reconnaissant parmi les siens (sur le schéma précédent grâce au miroir). Si on admet qu'il s'agit là d'une pensée c'est-à-dire d'une connaissance indirecte et non d'une connaissance perceptive directe, qu'est-ce que cela signifie quant à notre réalisation du grand ? Si c'est vraiment le grand ce champ de conscience évident à partir duquel je vois de cet unique instant à cet unique instant, comment expliquer une subconscience de ce qui n'est que conscience ?

Puis-je vraiment subordonner librement mon intentionnalité personnelle à la pleine conscience du seul et de l'unique champ de conscience ? Si mon intentionnalité ne dispose que de pensées comment peut-elle retourner au champ de conscience et pas seulement le pointer fictivement ?

L'ego, la conscience individuelle usuelle, le petit serait donc d'après notre interprétation des schémas précédents comme un phénomène mixte tissé par la subconscience matérielle et la pensée.
En niant la réflexion dont la condition de possibilité est inhérente au champ de conscience, il s'enferme dans une auto-signification, il ignore que le sens même de qu'il pense a une origine "verticale" provenant de son essence. Il gère des idées et des sens seulement sur un plan horizontal. Pris dans le fil de ses pensées, son intentionnalité devient inconsciente des mouvements de conscience "verticaux" qui déterminent son activité pensante que ce soit pour l'éclairer de sa lumière en l'unifiant ou pour l'inféoder à des mouvements obscurs qui la divisent.

L'ego pour réaliser l'unicité du champ de conscience où son intentionnalité se libérera de l'auto-signification aliénante a-t-il une marge de manœuvre qui lui est propre ? La question que pose cette approche 3 est : y a-t-il des choix libres au cœur de l'activité pensante qui demeurent malgré les déterminations matérielles subconscientes ? La libération de l'autosignification pensante par la découverte du sens réel et vertical du symbole qu'elle est est-elle le fruit d'une lumière, d'une grâce ou y a-t-il un choix qui peut aller à la rencontre de cet éclairage verticalisant ?

Spinoza avec sa pensée du parallélisme esprit matière et son troisième genre de connaissance offre des réponses à prendre en considération. Ce troisième genre de connaissance consiste entre autre en la saisie singulière de l'effort individuel pour persévérer dans son être. En d'autres termes, l'énergie inhérente à l'effort pour persévérer dans l'être qui est au coeur de tout mouvement intentionnel s'illuminerait consciemment et prendre conscience ainsi de cet effort permet de prendre conscience de ce qui l'engendre. Mais cette saisie qui semble une prise de conscience laissant dans l'ombre une énergie subconsciente est-elle convaincante pour celui qui éprouve l'évidence insaisissable que tout apparaît dans le seul et unique champ de conscience ?

Spinoza pense que la vision réfléchie du singulier permet d'accéder à la totalité du champ de conscience (Dieu ou la nature) à partir du présupposé que l'effet (la partie) enveloppe sa cause (le tout).
Dans ce schéma, la partie à savoir la conscience humaine individuelle du seul et unique champ de conscience n'est pas possible sans la totalité des niveaux qui permettent la constitution du corps humain d'où elle émerge et prend conscience. Le corps du grand n'est pas conscient en sa totalité mais chaque sensation du corps propre implique l'univers en ses niveaux galactiques, stellaires, planétaires, atmosphériques, écologiques, organiques, cellulaires, moléculaires, atomiques, corpusculaires, etc. De même nous ne sommes pas conscient en détail et à la fois de toute la réalité mentale mais être conscient maintenant d'une manifestation plus ou moins explicite du mental implique l'horizon de toutes les possibilités mentales.
Il semble que le déploiement limité du phénomène du monde auquel notre conscience individuelle a accès maintenant et qui marque en un sens sa finitude individuelle n'empêche pas que maintenant nous soyons conscient pleinement à partir du seul et unique champ de conscience. Au cinéma, à chaque instant, l'image projetée pour le spectateur se tient dans le champ lumineux du seul projecteur. Toutes les autres images du film que nous ne voyons plus ou ne voyons pas encore se tiennent aussi dans le champ de ce seul projecteur même si elles ne sont pas à l'instant dans son champ lumineux qui les projette pour le spectateur.

Ce présupposé d'une partie effet qui enveloppe son tout qui la cause permet de comprendre comment Spinoza introduit de quoi observer une individualisation du tout du phénomène cosmique sans postuler nécessairement une quelconque intention personnelle à cela. Seul l'effet partiel a à proprement parler une individualité. Autrement dit l'intentionnalité individuelle ressaisie dans son individualité implique tout l'esprit c'est-à-dire un unique champ de conscience éternelle qui englobe tous les moments présents de l'intentionnalité et en parallèle les mécanismes cérébraux sont l'effet de l'enchaînement temporel de l'univers matériel obéissant à une nécessité matérielle éternelle. Plus l'intentionnalité se réfléchit comme une individualisation du tout en un effort individualisé pour persévérer dans l'être, plus les choix se réalisent non pas comme un choix intentionnel d'un individu mais comme une auto-détermination du tout exprimée sous la forme individualisée d'une intention. Pour Spinoza le choix individuel est illusoire car la liberté se situe en amont de l'intentionnalité individuelle, là où elle émerge en tant qu'individualisation du tout de la conscience. Seul le choix de la connaissance du déterminisme de la conscience libère de l'illusion d'un choix strictement individuel et peut nous ramener à notre approche 1. Notre approche 3 relativise profondément l'éventuelle interprétation moralisante de notre approche 2. C'est seulement la conscience "inenvisageable" en première personne qui peut se reconnaître elle-même à travers un individu et plus précisément à travers l'effort pour persévérer dans son être qui caractérise la substance profonde de son intentionnalité.

Si on accepte l'écheveau du déterminisme, alors peu importe contrairement à ce que suggère l'approche 2, la qualité morale de celui à qui on se réfère pour saisir au sein de nos déterminations en apparence contraire à la liberté ce qui nous libère. La prise de conscience de l'auto-détermination de la conscience à travers nos choix intentionnels n'est qu'une dimension impersonnelle quelle que soient les qualités personnelles. Il s'agit de percevoir dans l'énergie de notre effort pour persévérer dans notre être à travers nos moments d'intentionnalité, la non-intentionnalité auto-déterminante de la conscience "inenvisageable". Notre approche 3 nous ramène du côté de l'approche 1 en relativisant tous les jugements moraux de notre approche 2. Cependant avec cette approche 3 nous avons l'idée d'une libération à l'aide de la prise de conscience du subconscient et des déterminations qu'habituellement nous estimons contraires à la liberté : ceci rend notre approche 1 plus accessible. Nous n'avons pas besoin de maître car tous les maîtres se tiennent dans le monde des déterminations. Les conséquences pratiques de l'approche 2 sont reprises en dehors de tout cadre moral. A la rigueur nos maîtres nous découvrent nos déterminations autant que les leurs et ce qui est vrai en eux est ce qui participe à notre prise de conscience. C'est la détermination du disciple qui fait donc ultimement l'efficacité de ce qu'il avait jugé comme son maître pour ultimement opérer la prise de conscience libératrice qui met fin aux déterminations liées au rapport maître-disciple. L'auto-détermination de la conscience "inenvisageable" n'est plus déterminée par aucune relation, seul l'effort pour persévérer dans son être le demeure. Lui seul a un début et une fin. L'auto-détermination non-intentionnelle perçoit le caractère relatif de l'effort intentionnel face aux forces qui l'amèneront inévitablement à expirer dans le temps.

Approche 4 :
Cependant n'y a-t-il pas une évolution consciente de la conscience singulièrement individuelle au sein du champ de conscience qui est en jeu ? Selon cette approche 4, une certaine évolution créatrice de la présence du petit dans sa singularité individuelle au sein de l'universalité et de la transcendance du grand n'est-elle pas en jeu ? N'y a-t-il pas une dimension individuelle du grand parfaitement une avec ses autres dimensions qui essaie de s'exprimer du sein du petit ?

Est-ce qu'au final, il n'y a pas quelque chose d'absolu à la croisée de ce qui paraît d'abord non-intentionnel et/ou intentionnel ? Si nous considérons que chaque être est l'individualisation novatrice de l'Un (comme dans le schéma ci-dessus d'inspiration platonicienne), l'intentionnalité ne met pas seulement en jeu le seul monde des phénomènes, elle est la manifestation de la l'innovation de l'Un, de cette unicité sans second du champ de conscience. Une verticalité de l'intentionnalité par rapport au monde mental accolé aux mondes des phénomènes sensibles n'est-elle pas recevable ? Dans la tradition platonicienne, par exemple, la volonté de l'âme peut servir les appétits charnels et/ou l'amour érotique de la beauté la plus absolue. L'évolution de l'intentionnalité vers plus de proximité avec la beauté absolue est ascendante selon cette tradition platonicienne. Quand l'intentionnalité se transcende est-elle encore seulement intentionnelle ?

Cette ascension fait écho à notre approche 2 : il y a bien là une forme de libre choix individuel mais elle rend compte aussi d'un certain déterminisme lié à un inconscient découvert par notre approche 3. Notre personnalité et nos désirs personnels sont le fruit d'un déterminisme universel comme le suggère l'approche 3 mais il y a comme en amont de notre personnalité et de ses déterminations un désir individualisé de la conscience elle-même qui cherche à intégrer et/ou ces déterminations pour se retourner vers la Conscience unique. Ce désir individualisé de la conscience elle-même n'est donc pas le fruit d'un déterminisme immanent mais d'une singularisation verticale de l'Un transcendant lui-même. Dans la perspective ascensionnelle, il est question d'une libération comme dans l'approche 3 mais cette libération qui nécessite d'intégrer des déterminations énergétiques implique une marge de manoeuvre ainsi qu'une transformation partielle de l'environnement individuel de l'intentionnalité psychique fruit de la singularisation du divin.

Cependant se retourner vers la Conscience unique est-ce seulement faire ascension vers son unicité ? L'émanation en multiple rayons qui a poussé l'âme vers les déterminations de la personnalité et donc vers le subconscient est-elle seulement une chute comme souvent la tradition platonicienne le suggère ? L'émanation peut-elle au cœur même du subconscient devenir plus consciente ? Faut-il seulement évoluer dans le sens de l'ascension pour juste y ramener l'innovation singulière de l'âme (le principe d'individualisation individualisé) à sa source ou faut-il apercevoir et participer à l'aventure d'une individualisation consciente de l'Un dans la direction de la matière qui d'abord s'étendrait au niveau du monde pulsionnel organique puis vraiment conquerrait la matière ?

Si nous voulons une réponse phénoménologique au débat du libre arbitre et du déterminisme de notre intentionnalité, est-ce que cela n'implique pas que l'observation non duelle du grand a à s'approfondir comme exploration d'une évolution consciente de la conscience de la singularité individuelle enfouie au coeur du petit (par émanation) et du grand (par ascension) ?

Les pensées de Bergson ou de Sri Aurobindo et Mère ne pourraient-elles pas nous inspirer dans quelle direction évoluer ?

Qu'est-ce qui pour le champ de conscience intensifie le surgissement de nouvelles façons de percevoir le monde et donc y manifeste de nouveaux phénomènes imprévisibles suivant les mécaniques déterministes ? Voici la question de la liberté posée à nouveau frais par notre approche 4. Notre intentionnalité ne traduit-elle pas comme une singularisation créatrice dans le mouvement du grand au sein de sa réalité éternelle non-intentionnelle ?