samedi 15 octobre 2011

ÉLARGIR LA CONSCIENCE POUR FAIRE FACE A LA DIFFICULTÉ. LES ENTRETIENS DE MÈRE.


Henri Borel dans Wu Wei écrit : 

« Lorsque tu sauras être Wu Wei, Non-Agissant, au sens ordinaire et humain du terme, tu seras vraiment, et tu accompliras ton cycle vital avec la même absence d’effort que l’onde mouvante à nos pieds. Rien ne troublera plus ta quiétude. Ton sommeil sera sans rêves, et ce qui entrera dans le champ de ta conscience ne te causera aucun souci. Tu verras tout en Tao, tu seras un avec tout ce qui existe, et la nature entière te sera proche comme une amie, comme ton propre moi. Acceptant sans t’émouvoir les passages de la nuit au jour, de la vie à trépas, porté par le rythme éternel, tu entreras en Tao où rien ne change jamais, où tu retourneras aussi pur que tu en es sorti. »


Mère dans ses Entretiens du 29 août 1956 disait :

« Maintenant, après cette explication préliminaire, je vais vous lire ce que j'avais écrit et que l'on m'a demandé de commenter. Ce sont des aphorismes, qui peut-être appellent des explications. J'avais écrit cela, inspirée peut-être par la lecture dont je vous pariais tout à l'heure [Wu Wei de Henri Borel], mais c'était surtout l'expression d'une expérience personnelle :

"Il faut être spontané pour pouvoir être divin."

C'est ce que je vous ai expliqué juste maintenant. Alors se pose la question : comment être spontané ?

"Il faut être parfaitement simple pour pouvoir être spontané."

Et comment être parfaitement simple ?

"Il faut être absolument sincère pour pouvoir être parfaitement simple."

Et maintenant, que veut dire être absolument sincère ?

"Être absolument sincère, c'est n'avoir aucune division, aucune contradiction dans son être."

Si vous êtes fait de morceaux, qui sont non seulement différents, mais souvent tout à fait contradictoires, ces morceaux nécessairement créent une division dans votre être. Par exemple, vous avez une partie de vous-même qui aspire à la vie divine, à connaître le Divin, à s'unir à Lui, à Le vivre intégralement, et puis vous avez une autre partie qui a des attachements, des désirs (ce qu'elle appelle des « besoins ») et qui non seulement recherche ces choses, mais est tout à fait bouleversée quand elle ne les a pas. Il y a d'autres contradictions, mais celle-là est la plus flagrante. Il y en a d'autres, comme celle-ci, par exemple, de vouloir se soumettre complètement au Divin, s'abandonner totalement à sa Volonté et à sa Direction, et en même temps, quand vient l'expérience qui est une expérience courante sur le chemin quand on essaie sincèrement de s'abandonner au Divin), la notion qu'on n'est rien, qu'on ne peut rien, qu'on n'existe même pas en dehors du Divin; c'est-à-dire que s'il n'était pas là, on n'existerait pas et on ne pourrait rien faire, on ne serait rien du tout... Cette expérience vient naturellement comme une aide sur le chemin du don de soi total, mais il y a une partie de l'être, quand l'expérience vient, qui entre dans une terrible révolte et qui dit : « Mais pardon ! Je tiens à être ! Je tiens à être quelque chose, je tiens à faire les choses moi-même, je veux avoir une personnalité ». Et naturellement, la seconde défait tout ce que la première avait fait.
Ce ne sont pas des cas exceptionnels, c'est très fréquent. Je pourrais vous donner d'innombrables exemples de contradictions comme cela dans l'être : quand l'un essaie de faire un pas en avant, l'autre vient et démolit tout. Alors on a tout le temps à recommencer, et tout le temps c'est démoli. C'est pour cela qu'il faut faire ce travail de sincérité qui fait que si l'on aperçoit dans son être une partie qui tire de l'autre côté, la prendre soigneusement, l'éduquer comme on éduque un enfant et la mettre en accord avec la partie centrale. Cela, c'est le travail de sincérité qui est indispensable.
Et c'est naturellement, quand il y a une unité, un accord, une harmonie dans toutes les volontés de l'être, que l'on peut avoir un être simple, candide, et uniforme dans son action et dans sa tendance. C'est seulement quand tout l'être est groupé autour d'un mouvement central unique, que l'on peut être spontané. Parce que si, au-dedans de vous, il y a quelque chose qui est tourné vers le Divin et qui attend l'inspiration et l'impulsion, et qu'en même temps il y ait une autre partie de l'être qui recherche ses propres fins et qui travaille à réaliser ses désirs, on ne sait plus où l'on en est, et on ne peut pas non plus être sûr de ce qui arrive, parce qu'une partie peut non seulement défaire, mais contredire totalement ce que l'autre veut faire.

Et bien sûr, pour être en accord avec ce qui est dit dans Wu Wei, après avoir vu très clair ce qu'est nécessaire et ce qui doit être fait, il est recommandé de ne mettre ni de violence ni trop d'ardeur dans la réalisation de ce programme, parce qu'un excès d'ardeur est au détriment de la paix et de la tranquillité, et du calme nécessaire pour que la Conscience divine puisse s'exprimer à travers l'individu. Et cela revient à ceci :
L'équilibre est indispensable, le chemin qui évite soigneusement les extrêmes opposés est indispensable, la trop grande hâte est à redouter, l'impatience vous empêche d'avancer ; et en même temps, l'inertie vous met des boulets aux pieds.
Alors pour toutes choses, -c'est le chemin du milieu comme l'appelait le Bouddha, qui est le meilleur.

(silence)

Il y a deux autres questions ici, qui sont corollaires. La première question est comme ceci :

Qu'entendez-vous par ces paroles : "Quand vous avez une difficulté, élargissez" ?


Je parie naturellement des difficultés sur le chemin du yoga, des incompréhensions, des limitations, des choses qui sont comme des obstacles, qui vous empêchent d'avancer. Et quand je dis « élargissez », je veux dire élargissez votre conscience.
Les difficultés proviennent toujours de l'ego, c'est-à-dire de la réaction personnelle, plus ou moins égoïste, que vous avez vis-à-vis des circonstances, des événements et des gens qui vous entourent, des conditions de votre vie. Elles viennent aussi de ce sentiment d'être enfermé dans une sorte de coque, qui empêche votre conscience de s'unir à des réalités plus hautes et plus vastes.

On peut très bien penser qu'on veut être vaste, qu'on veut être universel, que tout est l'expression du Divin, qu'il ne faut pas avoir d'égoïsme — on peut penser beaucoup de choses — , mais ce n'est pas nécessairement une guérison, parce que très souvent on sait ce que l'on doit faire, et puis on ne le fait pas, pour une raison ou une autre. Mais si, quand on a à faire face à une angoisse, une souffrance, une révolte, une douleur, ou un sentiment d'impuissance — n'importe, toutes les choses qui vous arrivent sur le chemin et qui sont justement des difficultés — , si vous pouvez physiquement, c'est-à-dire dans votre conscience corporelle, avoir l'impression de vous élargir, on pourrait dire de vous déplier
 (vous vous sentez comme quelque chose qui est tout replié, un pli sur l'autre, comme une étoffe, n'est-ce pas, qui est pliée et repliée et encore pliée), alors si vous avez cette impression que ce qui vous tient et qui vous serre et qui vous fait souffrir, ou qui vous immobilise dans votre mouvement, est comme une étoffe qui serait pliée trop serrée, trop étroitement, ou comme un paquet qui serait trop bien ficelé, trop bien fermé, et que lentement, petit à petit, vous défaites tous les plis et que vous vous étalez, comme on déplie justement une étoffe ou un papier et qu'on le répand à plat, qu'on se fait plat et très large, aussi large que l'on peut, en se répandant aussi loin que l'on peut, en s'ouvrant et en s'étalant dans une attitude de complète passivité, avec ce que je pourrais appeler « la face à la lumière » : ne pas se recroqueviller sur sa difficulté, se replier sur elle, l'enfermer pour ainsi dire dans votre personne, mais au contraire vous déployer autant que vous pouvez, aussi parfaitement que vous pouvez, en présentant la difficulté à la Lumière — la Lumière qui vient d'en haut — , si vous faites cela dans tous les domaines, et même si mentalement vous n'y arrivez pas (parce que c'est quelquefois difficile), si vous pouvez imaginer que vous faites cela physiquement, presque matériellement, eh bien, quand vous aurez fini de vous déplier et de vous étaler, vous vous apercevrez, que plus des trois quarts de la difficulté sont partis. Et alors juste un petit travail de réceptivité à la Lumière, et le dernier quart disparaîtra.

C'est beaucoup plus facile que de lutter contre une difficulté avec sa pensée, parce que si vous commencez à discuter avec Vous-même, vous vous apercevrez qu'il y a des arguments pour et contre qui sont tellement probants, qu'il est tout à fait impossible de s'en tirer sans une lumière supérieure. Là, vous ne luttez pas contre la difficulté, vous n'essayez pas de vous convaincre vous-même, ah ! Simplement, vous vous étalez devant la lumière comme si vous vous étendiez sur le sable devant le soleil. Et vous laissez la lumière faire son œuvre. Voilà.

(Silence
Et voici l'autre question :

Quelle est la façon la plus aisée de s'oublier soi-même?

Naturellement cela dépend de chacun ; chacun a sa manière spéciale de s'oublier, qui est pour lui la meilleure. Mais évidemment, il y a une manière assez générale qui peut s'appliquer sous des formes diverses : c'est de s'occuper de quelque chose d'autre. Au lieu de s'occuper de soi, on peut s'occuper de quelqu'un d'autre, ou des autres, ou d'un travail, ou d'une activité intéressante et qui demande de la Concentration.
Et c'est encore la même chose : au lieu de se replier sur soi et de se contempler, ou de se choyer pourrait-on dire, comme la chose la plus précieuse au monde, si l'on peut se déployer et s'occuper d'autre chose, de quelque chose qui n'est pas exactement vous-même, alors c'est la manière la plus simple et la plus prompte de s'oublier.
Il y en a beaucoup d'autres, mais celle-là est à la portée de tout le monde. Voilà mes enfants.
Maintenant, si vous n'avez rien à dire sur ce sujet ou sur autre chose, nous pouvons nous taire. »