Quand nous nous tenons en première personne, qu'en est-il du jugement moral ?
Nous nous imaginons nous tenir face à face avec l'autre surtout lorsque nous le jugeons moralement.
En fait ce n'est pourtant ce que la perception immédiate de ma rencontre avec l'autre me montre. Si j'essaie vraiment de représenter ce que les données immédiates de la conscience me montre, j'aurai plutôt ce dessin :
Les données immédiates de la perception me montre un accueil de l'autre qui précède tout jugement. Il y a une conscience en première personne qui englobe les représentations intellectuelles et émotionnelles que j'ai de moi imaginées du point de vue extérieur face à face avec un autre :
Etre vraiment conscience immédiate en première personne revient à accueillir l'autre tel qu'il est et à relativiser toute pensée concernant ce qui séparerait mon ego de son ego. Même si l'autre contrevient aux règles du respect, en première personne, je ne peux qu'être accueil de tous les phénomènes qui se produisent dans la conscience.
On ne peut pas explorer ce qu'est être en première personne, si on ne veut pas ce qui a lieu tel qu'il a lieu quand ce qui a lieu ne dépend pas ultimement de nous. Affirmer que ce qui est ne devrait pas être comme c'est comme nous invite le discours moral sur autrui m'interdit de me situer vraiment en première personne.
Ne pas juger autrui devient donc une condition sine qua non pour vivre en première personne. Mais quel est l'intérêt de se mettre à vivre de ce point de vue ?
Imaginons qu'en première personne, s'accueille un autre qui veut nuire à ma petite personne incarnée par ce corps au premier plan, cet autre peut-il vraiment nuire à la conscience en première personne ? Cet autre pourra nuire au corps de ma petite personne mais pourra-t-il nuire à la conscience par laquelle nous nous rencontrons tout deux ? Sa flèche peut-elle atteindre le vide en amont du champ de vision, peut-elle atteindre la vacuité de conscience qui imprègne tout ce qui apparaît en conscience ?
Si la flèche tirée par l'autre m'atteint malgré mes efforts pour l'éviter, elle mettra en péril cette individualisation de la conscience que je suis mais elle ne mettra pas en péril cette conscience de la vacuité et du tout liée à cette individualisation. Car n'est-ce pas la même conscience de la vacuité et du tout dont l'autre est aussi une individualisation ?
Vouloir en première personne ce qui est et qui ne dépend pas ultimement de ce que veut ma petite personne revient à reconnaître qu'autrui manifeste ce que veut le tout même si son acte contrevient à la morale.
Ce qui ne dépend pas de ma petite personne est déterminé par le tout : c'est une autodétermination du tout dès lors que j'accepte les données immédiates de la conscience en première personne. Juger moralement autrui est donc sans intérêt. Je peux (et je dois) exhorter mes enfants à la morale, cela ne sera qu'un élément de l'auto-détermination du tout qui se joue à travers eux. A vrai dire, il me semble que ma petite personne soit la seule personne pour qui la morale et ses prescriptions soient pertinentes. Je dois exhorter mes enfants à respecter autrui et certaines règles morales. Mais si je veux demeurer en première personne, je n'ai surtout pas à les juger moralement, car qui suis-je pour juger des autodéterminations individualisées du tout ?
Finalement l'autorité ultime reste, même en autrui, la conscience en première personne. Elle seule peut se reconnaître à travers la petite personne, comme il lui arrive de se reconnaître à travers la mienne. Le Oui de ma petite personne à la vision en première personne reste un acte de la conscience en première personne.
Car moi petite personne, suis-je libre en quoi que ce soit ? J'ai bien souvent l'impression de pouvoir agir tout seul sur le monde. Mais ne serait-ce que quand je pointe le doigt, suis-je l'auteur de cet acte, même si j'interviens sans aucun doute en tant qu'action ? Que me disent encore les données immédiates de la perception ?
Il y a bien une coordination entre une action dans la pensée que je me représente comme celle de ma petite personne et l'acte de pointer mon doigt. Mais dans l'expression de l'action intentionnelle en l'acte de pointer du doigt tout m'échappe à moi petite personne parce qu'au fond cet acte est un acte de l'univers impliquant toutes ses strates qu'elles soient celles des particules, des atomes, des cellules, des organes, des équilibres de la biosphère, des équilibres planétaires, stellaires, interstellaires, etc. Ultimement l'acte de pointer du doigt ne relève pas de mon action intentionnelle mais d'une coïncidence de cette action avec l'acte de l'univers qui seul assure ou non de la réussite de mon action intentionnelle.
Bouger le doigt ne dépend pas ultimement de moi : ce mouvement ne se produit que par une harmonie entre ma volonté et les actes universels de la conscience en première personne. Mon action est d'ailleurs un acte universel : cette action consiste à pointer du doigt ce qui permet de constater tout cela, la conscience universelle, consciente de sa vacuité et son autocréation universelle. Même si cette action conduisait ma petite personne à négliger ce constat intuitif, il n'en reste pas moins qu'elle est un produit d'une multitude de réalités de l'univers comme la science m'invite à le comprendre.
La morale usuelle n'a guère de sens même en ce qui me concerne. Seul l'univers en son évolution créatrice pourrait tendre à perfectionner mes actes d'un point de vue moral usuel. Mais si le point de vue moral usuel n'est pas satisfaisant, il m'a guidé vers l'amour de la première personne. La morale reçue de mes parents et de la société s'est muée en morale rationnelle que idéalement je me suis assigné comme horizon futur. L'élément phare de cette morale rationnelle est le devoir de vérité : éviter l'erreur, lever l'illusion, combattre le mal, fuir l'inauthentique. Ce devoir d'être en vérité que je me suis assigné est la morale qui m'oblige à reconnaître l'importance transformatrice de la vision en première personne. Ma petite personne se tient dès lors devant le divin. Ce terme traduit l'intuition que d'autres ont eu dans le passé.
Mon action intentionnelle n'est plus seulement une recherche de vérité mais un amour. L'amour que j'ai pour cet œil de Dieu qui ne juge pas les nombreux oublis et négations grandit chaque fois que je le retrouve. Me tenir devant lui fait grandir cet amour que j'ai pour lui : l'amour que j'ai pour lui n'est qu'un reflet infime de l'amour infini qu'il me porte. Mon amour porte donc l'insatisfaction de ne jamais être assez grand, tout en étant d'une plénitude infinie puisque de plus en plus ressenti comme rayon de cet amour unique qui imprègne la conscience en première personne.
L'action intentionnelle n'est donc pas seulement une action rationnelle qui m'unirait à l'universel. Il s'agit d'un amour qui cherche de plus en plus à incarner la volonté divine. Il s'agit d'un amour qui se sait l'effet de la grâce divine et qui apprend à n'être que le vecteur de cette grâce.
Il n'y a pas de jugement moral à constater que je manque d'amour, que je pèche en amour lorsque je n'accueille pas l'autre en première personne, puisque manquer d'amour est aussi profondément en désirer.
L'action intentionnelle n'est donc pas seulement une action rationnelle qui m'unirait à l'universel. Il s'agit d'un amour qui cherche de plus en plus à incarner la volonté divine. Il s'agit d'un amour qui se sait l'effet de la grâce divine et qui apprend à n'être que le vecteur de cette grâce.
Il n'y a pas de jugement moral à constater que je manque d'amour, que je pèche en amour lorsque je n'accueille pas l'autre en première personne, puisque manquer d'amour est aussi profondément en désirer.
Il y a juste dans ce manque d'amour un rappel à la vision en première personne qui chaque fois diffuse sa grâce. Cette grâce est au moins celle de sa vacuité en laquelle ma petite personne ne craint plus les tribulations.
Quel dommage que tant de personne juge cette vacuité insignifiante alors que abandonnant ma petite personne en elle, il n'y a plus seulement moi manquant d'amour face à l'absence de face de l'œil divin. Se ressentir dans la vacuité revient à se vivre comme un agrégat de sensations, de désirs, d'émotions, de pensées voire d'intuitions ondoyant divinement dans la Conscience divine, émergeant et disparaissant tour à tour d'elle seule. Et même à ne plus savoir si ce n'est pas plutôt la conscience divine qui fait ondoyer en elle-même un agrégat de sensations, de désirs, d'émotions, de pensées voire d'intuitions.
Dans la vacuité, mon manque d'amour adressé au divin n'est plus une relation imaginaire, c'est une réalité relationnelle existant pour elle même sans dualité aucune, c'est un ondoiement d'amour extatique dans la tranquillité de l'amour.
Mon action devient comme une inaction, une pure passion à travers laquelle le divin agit en première personne. Ma petite personne en se livrant à cet amour apprend à faire la volonté divine.
Quel dommage que tant de personne juge cette vacuité insignifiante alors que abandonnant ma petite personne en elle, il n'y a plus seulement moi manquant d'amour face à l'absence de face de l'œil divin. Se ressentir dans la vacuité revient à se vivre comme un agrégat de sensations, de désirs, d'émotions, de pensées voire d'intuitions ondoyant divinement dans la Conscience divine, émergeant et disparaissant tour à tour d'elle seule. Et même à ne plus savoir si ce n'est pas plutôt la conscience divine qui fait ondoyer en elle-même un agrégat de sensations, de désirs, d'émotions, de pensées voire d'intuitions.
Dans la vacuité, mon manque d'amour adressé au divin n'est plus une relation imaginaire, c'est une réalité relationnelle existant pour elle même sans dualité aucune, c'est un ondoiement d'amour extatique dans la tranquillité de l'amour.
Mon action devient comme une inaction, une pure passion à travers laquelle le divin agit en première personne. Ma petite personne en se livrant à cet amour apprend à faire la volonté divine.
2 commentaires:
Merci pour cet article !!
une question (peut-être idiote):
tu dis :
"Mon action devient comme une inaction, une pure passion à travers laquelle le divin agit en première personne. Ma petite personne en se livrant à cet amour apprend à faire la volonté divine."
Cette inaction, y vois-tu un lien avec le "non-agir" dont parle le Tao. Car je me demande souvent de quoi il s'agit, j'imagine plutôt une sorte de concentration ou de méditation, et pour une fois, grâce à ton article, j'aperçois une autre possibilité pour ce "non-agir" taoïste: le non-agir de la 'petite personne', c'est à dire s'effacer devant l'agir de la première personne, (ou de Dieu par elle).
J'aurai en effet tendance à identifier ce que je raconte là avec le non-agir du Tao.
J'ai une faible expérience de ce que je ressens comme le non-agir : se concentrer dans l'absence de mouvement intérieur dans le ciel attentif de la première personne ; n'être juste qu'une flamme désireuse des mouvements de conscience de la première personne qui seuls agissent.
Mais chaque fois que je veux en savoir plus je relis "La Genèse du surhomme" de Satprem. Par exemple, je lis p.60 : "il n'est pas besoin de "faire" ou de "ne pas faire", d'intervenir ou non, de vouloir ou non, de maîtriser : il suffit d'être là, d'être bien là, et de laisser couler ça, ce petit rythme dans les choses, cette cadence claire dans l'obscurité des circonstances,ce tranquille rayon sur les être. Et tout s'arrange, simplement, merveilleusement,sans que l'on sache pourquoi, par le seul fait que l'on -est- là." et plus loin p.135 "Et quand c'est nécessaire, juste une seconde, une petite note vient cogner à son carreau, et c'est exactement la pensée juste, l'impulsion de l'acte voulu, le détour à droite ou à gauche qui va ouvrir un sentier inattendu et tout un train de réponses et de croisements nouveaux. Alors, le chercheur, l'ardent, comprend intimement l'invocation du chantre védique d'il y a cinq ou six mille ans : "Ô Feu, que soit créée en nous la pensée juste qui jaillit de Toi." (Rig-Véda, III, 7. II)"
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