Paul Ricoeur nous invite à être disciple du sens. |
Nous nous voulons souvent maîtres du sens mais n'avons-nous pas le sentiment de perte de ne plus jouer dans le jardin édénique de la source du sens ?
Nous ne voulons plus des dogmes prémodernes. Nous avons intégré une liberté vis-à-vis de toute tradition et de toute autorité. Mais ne plus être prémoderne, signifie-t-il être rationnellement et personnellement maître du sens ? Être sa propre autorité, être libre, est-ce être maître du sens ?
Être maître du sens serait être maître de la réalité matérielle. Il ne s'agit pas de parole magique mais d'une compréhension scientifique qui pourrait nous amener à user sans limite du monde matériel. L'efficacité de nos discours sur le monde est testable et elle nous rend plus puissant. Le progrès technologique n'est-il pas un fait ? Le moderne se veut ainsi le maître du sens.
Mais il y a là un risque d'illusion : l'illusion scientiste. Elle nous fit longtemps croire que nous pourrions tenir dans une formule mathématique l'univers mais le sens fuyant et multiple nécessite plus qu'une formule et puis il y a le mystère de cela qui aurait donné sens y compris suivant un ensemble de formules. L'efficacité technologique est relative : l'accident, l'usure, la panne et la catastrophe nous attendent toujours au tournant.
Le
perspectivisme a donc vu comme un reste de métaphysique religieuse au
cœur du scientisme. Mais en affirmant que nos pensées ne sont pas un
décryptage mais des valeurs bricolées en apparence de vérité, le
perspectivisme a souvent mené à une manière encore plus radicale d'être
maître du sens. Par le biais d'un pluralisme des valeurs, le postmoderne est ainsi moins dogmatique encore que le scientiste mais il risque de demeurer par ses valeurs un maître du sens. Par l'affirmation de ses valeurs, il s'affirme centré sur lui même face au monde et aux autres. Le sens valorisé sépare encore tragiquement.
On pourrait affirmer qu'au fond nous serions vraiment maîtres du sens parce que la substance
objective du réel serait profondément absurde. Le cœur des choses, la
matière serait aveugle à nos pensées. La science offrirait de comprendre
des constantes dans le mouvement de cette matière mais non des lois.
Elle offrirait de l'efficacité à nos actes mais toujours relative.
Nous ne sommes pas seulement perdu au milieu d'un univers matériel d'un silence éternel car nous ne sommes même pas au milieu. Nos vies et nos valeurs sont tout ce qui demeurent pour ne pas sombrer dans la nausée de cet être globalement aveugle à notre présence. Et l'autre homme qui commet le pire sur son frère humain n'est-il pas envahi par cette absurdité inhumaine qui balaie indifféremment dans un cataclysme tout ce qu'elle rencontre devant elle ? Le sens s'abolit dans le hasard et la nécessité matérielle et notre affirmation même d'humanité semble plus que jamais fragile. L'hypermodernité, accomplissement de la modernité et de la postmodernité, n'est-elle pas en pleine crise de sens ?
Un poète ou celui qui entend la poésie peut-il souscrire à ce portrait ? Le poète est depuis la fin du XIXème siècle l'incarnation de l'hypermoderne. Rien d'ancien n'est plus à préserver. Tout le présent gros du passé est prêt à se faire transfigurer dans la nouveauté de l'instant. Si le poète renonce au dérèglement des sens, la parole poétique ne s'écoule-t-elle pas comme une onde de scintillements dessinant au plus près le jaillissement d'être de la source première ?
Nous ne tiendrons jamais la source qui donne sens même si nous lui arrachons tout ce qu'elle peut susciter comme sens. L'abolition du sens dans l'absurde ne serait-elle pas le châtiment pour celui qui refuse de se ressourcer ? En perdant de vue le mystère de la source et en regardant nos corps broyés sous les griffes de l'énergie-espace-temps, n'avons-nous pas perdu de vue le rayonnement de notre âme ? Ne sommes-nous pas aveugles au symbole secret qui peut nous rendre la dignité d'être une image de Dieu au royaume des cieux ?
Car si une âme du sens existe serait-elle le produit du hasard et de la nécessité d'une matière aveugle ? Le sens profond d'une telle âme ne serait-il pas d'être un rayon individualisant au sortir de la source elle-même ? Celui qui se vivrait en tant qu'âme ne se demanderait plus s'il en a une. Recouvrant son âme, le sens serait entièrement reçu. L'ego manipulateur aurait disparu. Entre l'égo manipulateur du sens et la réalisation de l'âme du sens, il y a un apprentissage pour recevoir le sens, une pratique interprétative de l'attention ouverte. En termes philosophiques nous avons besoin d'une certaine phénoménologie herméneutique. Une spiritualité répondant au défi de la crise hypermoderne du sens peut donc être une spiritualité de la réintégration du sens comme réintégration de l'âme du sens.
Risquons-nous à réécouter les voies prémodernes à commencer par celles propres à notre propre tradition occidentale mais dans le contexte de notre crise hypermoderne du sens.
Notre déchéance ne serait-elle pas de nous être emparés des fruits de l'arbre du sens, le plaisant et le déprimant, l'enthousiasmant et le terrifiant, etc. ? Notre déchéance n'est-elle pas de vouloir être le maître du sens, de voir notre emprise confirmée jusqu'à ce que l'horreur de l'absurdité, de la mort de tout sens triomphe à nos yeux (oubliant notre âme éternelle pour ne contempler que la mort inéluctable de nos corps) ? Nous suons alors sang et eau pour retrouver du sens contre la nature aveugle, nos conceptions sont bien douloureuses, elles broient ceux qui les engendrent et elles meurent souvent avant d'avoir portée leur propre fruit. L'histoire du XXème siècle et ses catastrophes récurrentes sont centralement des dérives de ceux qui ont voulu être maîtres du sens de l'histoire (marxisme), de l'évolution (nazisme et eugénisme) et de la matière (Hiroshima, Nagasaki, Tchernobyl, Fukushima, etc.).
Nous ne sommes pas seulement perdu au milieu d'un univers matériel d'un silence éternel car nous ne sommes même pas au milieu. Nos vies et nos valeurs sont tout ce qui demeurent pour ne pas sombrer dans la nausée de cet être globalement aveugle à notre présence. Et l'autre homme qui commet le pire sur son frère humain n'est-il pas envahi par cette absurdité inhumaine qui balaie indifféremment dans un cataclysme tout ce qu'elle rencontre devant elle ? Le sens s'abolit dans le hasard et la nécessité matérielle et notre affirmation même d'humanité semble plus que jamais fragile. L'hypermodernité, accomplissement de la modernité et de la postmodernité, n'est-elle pas en pleine crise de sens ?
Un poète ou celui qui entend la poésie peut-il souscrire à ce portrait ? Le poète est depuis la fin du XIXème siècle l'incarnation de l'hypermoderne. Rien d'ancien n'est plus à préserver. Tout le présent gros du passé est prêt à se faire transfigurer dans la nouveauté de l'instant. Si le poète renonce au dérèglement des sens, la parole poétique ne s'écoule-t-elle pas comme une onde de scintillements dessinant au plus près le jaillissement d'être de la source première ?
Nous ne tiendrons jamais la source qui donne sens même si nous lui arrachons tout ce qu'elle peut susciter comme sens. L'abolition du sens dans l'absurde ne serait-elle pas le châtiment pour celui qui refuse de se ressourcer ? En perdant de vue le mystère de la source et en regardant nos corps broyés sous les griffes de l'énergie-espace-temps, n'avons-nous pas perdu de vue le rayonnement de notre âme ? Ne sommes-nous pas aveugles au symbole secret qui peut nous rendre la dignité d'être une image de Dieu au royaume des cieux ?
Car si une âme du sens existe serait-elle le produit du hasard et de la nécessité d'une matière aveugle ? Le sens profond d'une telle âme ne serait-il pas d'être un rayon individualisant au sortir de la source elle-même ? Celui qui se vivrait en tant qu'âme ne se demanderait plus s'il en a une. Recouvrant son âme, le sens serait entièrement reçu. L'ego manipulateur aurait disparu. Entre l'égo manipulateur du sens et la réalisation de l'âme du sens, il y a un apprentissage pour recevoir le sens, une pratique interprétative de l'attention ouverte. En termes philosophiques nous avons besoin d'une certaine phénoménologie herméneutique. Une spiritualité répondant au défi de la crise hypermoderne du sens peut donc être une spiritualité de la réintégration du sens comme réintégration de l'âme du sens.
Risquons-nous à réécouter les voies prémodernes à commencer par celles propres à notre propre tradition occidentale mais dans le contexte de notre crise hypermoderne du sens.
Notre déchéance ne serait-elle pas de nous être emparés des fruits de l'arbre du sens, le plaisant et le déprimant, l'enthousiasmant et le terrifiant, etc. ? Notre déchéance n'est-elle pas de vouloir être le maître du sens, de voir notre emprise confirmée jusqu'à ce que l'horreur de l'absurdité, de la mort de tout sens triomphe à nos yeux (oubliant notre âme éternelle pour ne contempler que la mort inéluctable de nos corps) ? Nous suons alors sang et eau pour retrouver du sens contre la nature aveugle, nos conceptions sont bien douloureuses, elles broient ceux qui les engendrent et elles meurent souvent avant d'avoir portée leur propre fruit. L'histoire du XXème siècle et ses catastrophes récurrentes sont centralement des dérives de ceux qui ont voulu être maîtres du sens de l'histoire (marxisme), de l'évolution (nazisme et eugénisme) et de la matière (Hiroshima, Nagasaki, Tchernobyl, Fukushima, etc.).
Le péché originel au sens de ratage et de perte du sens originel n'est
pas le péché de nos ancêtres dont nous aurions hérité génétiquement par
la conception matérielle. Non, le péché originel, la ratée du sens
originel nous est transmis dans notre conception spirituelle à laquelle
nos familles, nos nations et nos cultures participent dès avant notre
conception matérielle. L'immaculée conception spirituelle est-elle
possible ? Ce point de foi les chrétiens l'entendent-ils ? Tout dogme
ânonné l'est par une volonté secrète d'être maître du sens : le
dogmatisme participe donc du péché originel qui dans son mouvement même
consiste toujours à voiler la nudité de notre âme. Car le péché originel
est originé : nous souscrivons librement à la perte de notre âme, le sens divin du sens de notre existence individuelle. La perte de l'âme est ici
entendue comme son enfouissement sous des complexes psychologiques et la perte plus ou moins définitive de son influence par la dramatisation de la vie opérée par notre ego. Notre ego est déterminé par le monde humain où règne la perte de sens, par l'animalité privée de ses régulations instinctives mais aussi sa marge de manœuvre est focalisée sur le
sens de son identité, sur ses désirs issus de son monde désormais entachée par la perte de
sens.
Nous pouvons envisager une voie apophatique (une voie de l'inconnaissance par la maîtrise intellectuelle du sens) : la lumière divine est la lumière ténébreuse de l'esprit où par delà toute qualification se tient notre vie divine. L'amour de cette lumière dans l’œil converti (retourné) à sa simplicité contribuera à nous éviter la déchéance. Il nous faut éviter le monde du sens de notre déchéance.
Nous devons envisager aussi une voie cataphatique authentique (une voie reposant sur la reconnaissance des théophanies en s'appuyant sur des révélations au niveau des symboles, de l'inspiration poétique et prophétique, etc.). La voie apophatique nous fait sauter par delà l'obstacle de la question du sens mais nous y serons immanquablement ramené. Car nous sommes humains et nous agissons (y compris sans agir) dans ce monde humain à travers le sens. Se rappeler la lumière divine au cœur de l'opération du sens met en jeu le salut de notre âme perdue dans la déchéance. Mais ce rappel fondé sur la foi et le désir de l'absolu, va-t-il produire la transformation du monde de l'ego redonnant vie à notre âme ou va-t-il produire une captation égocentrique de cette lumière.
La théophanie qui pourrait guider une manière de vivre le monde du sens non déchue est donc un objet essentielle de cette voie cataphatique libérée des tentations prémodernes au traditionalisme, à l'autoritarisme, au dogmatisme. La prémodernité a peut-être connue une valorisation sociale de la recherche spirituelle que la modernité a piétinée largement à travers le matérialisme. Mais cette valorisation de la recherche spirituelle a presque toujours été limitée au sein d'une valorisation de la religion et au prix des méfaits que nous avons indiqués. Ceux qui défendent la légitimité du monde prémoderne arguent d'un âge d'or d'équilibre entre religion exotérique et spiritualité ésotérique transmettant ainsi une Tradition primordiale où se révélerait une unité transcendante des religions. Où est le sens du dialogue de Shankara avec le bouddhisme ? Où envisage-t-il l'unité transcendante des traditions ? Plotin entend-il quelque chose d'une expérience spirituelle chrétienne ? Toute cette idée de Tradition primordiale est une construction moderne même si elle affiche son antimodernité.
L'âme s'exhume-t-elle dans une tradition qu'elle soit primordiale ou non ? La tradition n'existe que par une construction de pensée. L'âme est tel un poète hypermoderne. Rien ne sert à son désir (une soif d'être et non un appétit animal déguisé en costume humain) de surmonter la déchéance de cautionner une quelconque chaîne historique d'initiations. Elle ne veut pas nous attacher à quoi que ce soit, elle veut d'abord nous libérer. Pour répondre à son désir, nous voulons être disciple du sens qui sourd non perverti de la source de la théophanie.
Reconnaître rétrospectivement le tentateur qui nous ramène au monde déchu signifie que le salut n'est pas encore gagné irréversiblement. Il nous faut reconnaître la tentation inconsciente qui pervertit la théophanie qui pourtant peut aller jusqu'au monde du sens humain.
Tâchons de voir au quotidien grâce à l’œil de la conscience comment nous pouvons être vraiment disciples du sens pour retrouver l'influence de notre âme.
Nous pouvons envisager une voie apophatique (une voie de l'inconnaissance par la maîtrise intellectuelle du sens) : la lumière divine est la lumière ténébreuse de l'esprit où par delà toute qualification se tient notre vie divine. L'amour de cette lumière dans l’œil converti (retourné) à sa simplicité contribuera à nous éviter la déchéance. Il nous faut éviter le monde du sens de notre déchéance.
Nous devons envisager aussi une voie cataphatique authentique (une voie reposant sur la reconnaissance des théophanies en s'appuyant sur des révélations au niveau des symboles, de l'inspiration poétique et prophétique, etc.). La voie apophatique nous fait sauter par delà l'obstacle de la question du sens mais nous y serons immanquablement ramené. Car nous sommes humains et nous agissons (y compris sans agir) dans ce monde humain à travers le sens. Se rappeler la lumière divine au cœur de l'opération du sens met en jeu le salut de notre âme perdue dans la déchéance. Mais ce rappel fondé sur la foi et le désir de l'absolu, va-t-il produire la transformation du monde de l'ego redonnant vie à notre âme ou va-t-il produire une captation égocentrique de cette lumière.
La théophanie qui pourrait guider une manière de vivre le monde du sens non déchue est donc un objet essentielle de cette voie cataphatique libérée des tentations prémodernes au traditionalisme, à l'autoritarisme, au dogmatisme. La prémodernité a peut-être connue une valorisation sociale de la recherche spirituelle que la modernité a piétinée largement à travers le matérialisme. Mais cette valorisation de la recherche spirituelle a presque toujours été limitée au sein d'une valorisation de la religion et au prix des méfaits que nous avons indiqués. Ceux qui défendent la légitimité du monde prémoderne arguent d'un âge d'or d'équilibre entre religion exotérique et spiritualité ésotérique transmettant ainsi une Tradition primordiale où se révélerait une unité transcendante des religions. Où est le sens du dialogue de Shankara avec le bouddhisme ? Où envisage-t-il l'unité transcendante des traditions ? Plotin entend-il quelque chose d'une expérience spirituelle chrétienne ? Toute cette idée de Tradition primordiale est une construction moderne même si elle affiche son antimodernité.
L'âme s'exhume-t-elle dans une tradition qu'elle soit primordiale ou non ? La tradition n'existe que par une construction de pensée. L'âme est tel un poète hypermoderne. Rien ne sert à son désir (une soif d'être et non un appétit animal déguisé en costume humain) de surmonter la déchéance de cautionner une quelconque chaîne historique d'initiations. Elle ne veut pas nous attacher à quoi que ce soit, elle veut d'abord nous libérer. Pour répondre à son désir, nous voulons être disciple du sens qui sourd non perverti de la source de la théophanie.
Reconnaître rétrospectivement le tentateur qui nous ramène au monde déchu signifie que le salut n'est pas encore gagné irréversiblement. Il nous faut reconnaître la tentation inconsciente qui pervertit la théophanie qui pourtant peut aller jusqu'au monde du sens humain.
Tâchons de voir au quotidien grâce à l’œil de la conscience comment nous pouvons être vraiment disciples du sens pour retrouver l'influence de notre âme.
(A suivre)
Je propose ici un exercice qui suggère ce que signifie "être disciple du sens" :
http://foudreevolutive.blogspot.fr/2013/06/lenonce-je-ne-suis-pas-cette-pensee.html
http://foudreevolutive.blogspot.fr/2013/06/lenonce-je-ne-suis-pas-cette-pensee.html
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