mardi 24 juillet 2012

EGO EGOÏSTE, EGOCENTRIQUE, EGOÏQUE ET PSYCHISATION.

Beaucoup d'expressions de la spiritualité affirment qu'il faut que l'ego meurt et disparaisse. Il s'agit alors d'humilier l'ego, de lui apprendre à se laisser rabaisser dans son désir de reconnaissance. Ou bien encore de le soumettre à des milliers de prosternations, à des épreuves qui le dégoûte, etc.

On notera qu'une telle approche permet de justifier le pouvoir du gourou sur le disciple. Le disciple qui joue le jeu a l'impression de progresser mais en fait il justifie les abus de pouvoir d'un gourou. Le mot gourou implique les spiritualités de l'orient, mais on trouve dans la spiritualité monothéiste des idées et donc des comportements forts similaires.

Rappelons que psychologiquement de telles relations ne sont pas sans rappeler les relations parents/enfant. L'enfant est dépendant de ses parents, qu'il le veuille ou non, pour sa propre survie et son développement. Beaucoup d'enfants, si ce n'est la plupart, sont victimes d'abus de pouvoir à un moment ou à un autre. Ils sont alors incapables de discerner si l'intention éducative sert leur vérité ou si elle sert aussi et d'abord les intérêts de l'éducateur. Certains se sentent exister auprès de leur parents que dans l'humiliation... Manipuler de tels ressorts si cela était vraiment nécessaire à une démarche spirituelle nécessiterait donc une purification psychologique préalable. De telles pratiques ne peuvent pas avoir d'efficacité spirituelle avec des egos qui ne sont pas sains.


Peut-on surmonter les limites de l'ego en faisant œuvrer l'ego et son monde de dominant/dominé, de ce qui est orthodoxe ou hérétique, etc. ? 
Ne faudrait-il pas trouver le moyen judicieux de court-circuiter ce monde de l'ego autrement que par l'ego ?

Après avoir remédié à certains de mes déséquilibres psychologiques, j'ai constaté certes qu'une humiliation circonstanciée de l'orgueil une fois acceptée ou qu'un renoncement de l'ego à son affirmation de soi avaient entraîné plusieurs fois, pour moi, un lâcher-prise laissant une ouverture produire une expérience spirituelle sans précédent. Mais ceci ne donnait guère un chemin pour vivre vraiment à partir de la lumière de ce qui s'est alors révélé. Si le processus se produit plusieurs fois et qu'on veut bien s'observer, on constatera que l'ego demeure encore dans cette lumière. Il n'est plus égoïste et n'est plus seulement égocentrique mais il demeure. Une inflation de l'ego est même possible en présence de cette réalité. Nous ne sommes plus dans le diabolique de l'égoïsme séparateur mais dans le luciférien d'un reliquat d'égocentrisme qui survit dans la lumière divine. Sri Aurobindo parlait de zone intermédiaire. Ma propre expérience d'une inflation luciférienne de l'ego me fait voir que envisager l'humiliation et l'exigence de sacrifice de soi comme chemin spirituel pour aider les autres serait, par excellence, luciférien. 
L'emprise luciférienne sur la spiritualité contemporaine est encore énorme. Beaucoup de chrétiens ont fait leur aggiornamento à ce sujet même si dans de nombreuses composantes chrétiennes de telles tendances demeurent (opus dei, Les béatitudes, certains groupes pentecôtistes, etc.), mais malheureusement beaucoup de ceux qui ont quitté le judéochristianisme vont auprès d'un gourou (néo-hindouiste, bouddhiste, new age, intégraliste, etc.) accepter les mêmes logiques de plus belles.


J'en suis venu à distinguer trois états de conscience de l'ego : il y a un état égoïste, un état égocentrique et un état simplement égoïque. Il faut considérer ces trois états avant d'envisager la possible dissolution de l'ego qui n'aurait rien à voir avec une destruction de la personne en nous, mais avec plutôt un authentique élargissement de l'individualité dans une conscience universelle et transcendante. 

Il y a un état égoïste qui se caractérise par une négation de toute règle morale. La morale a sans doute une portée seulement relative, mais l'ego qui ignore la morale et qui n'envisage pas son dépassement mais seulement sa transgression en faveur de son seul désir est seulement égoïste. L'état égoïste consiste à ne jamais prendre en considération les autres. La démarche morale est relative, mais toujours nécessaire, car sinon on ne peut pas apercevoir l'état égocentrique est toujours à la racine de nos déviances égoïstes. Donner une importance à la morale pointe du doigt notre incapacité à donner vraiment un amour égal à soi et à l'autre. Nous découvrons que notre point de vue ordinaire reste égocentrique, c'est-à-dire toujours centré sur nous. Cette découverte est facilitée d'ailleurs par la lutte contre le moralisme : c'est-à-dire le refus de compenser les renonciations morales en voulant imposer socialement notre droiture morale. Nous sommes pour la justice entre nous, mais la morale n'a qu'une valeur relative à notre égo-(centrisme).

Pour découvrir un autre état que celui ordinaire de notre égocentrisme même moralisé, la vie (qui est certainement un meilleur gourou que tout autre) peut nous amener à être humilié ou à renoncer à nous-mêmes de telle sorte qu'on lâche-prise : c'est donc par un principe intérieur à nous-même et non par une demande extérieure que notre égo est relativisé. Soudain, nous vivons dans un état non égocentrique. La vision du monde et l'action ne sont pas de notre ressort égoïque. Notre réalité égoïque n'est plus au centre de notre perception du monde, elle est relative à une réalité absolue. Ainsi c'est une décision égoïque qui était à la source de notre effort spirituel pour lâcher-prise comme avant ce sont des décisions égoïques qui ont forgé en nous une conscience morale autonome contre nos égoïsmes. Desjardins ou d'autres insistent sur la constitution d'un ego de disciple rassemblant tous les aspects égoïques, cette foule de dimensions personnelles jusque là informes et chaotiques.

Une pédagogie spirituelle qui se contenterait d'imiter de l'extérieur la vie dans ses contraintes à des humiliations et à des renoncements serait bien fragile. Le pédagogue lui-même serait assez peu dans l'intelligence de la lumière intérieure de la vie. Une spiritualité moderne et authentique pointera directement cette lumière en nous. La voie directe de la non-dualité quand elle ne tombe pas dans une vénération de l'enseignant propose ce chemin. Les voies de l'oraison ou de la méditation peuvent nous apprendre à vivre dans cette lumière. Il ne s'agit pas seulement de changer son ego à partir de son ego pour faire l'expérience de la lumière absolue en nous. Il s'agit de s'appuyer sur des facultés égoïques non égocentriques pour découvrir cette lumière, à utiliser chaque instant pour vivre en elle et amener la réalité égoïque à se transformer en elle. La raison et le sens de l'observation non subjective sont des facultés que la modernité a développé chez beaucoup et sur lesquelles on peut s'appuyer pour faire ce cheminement.

La vision sans tête de Douglas Harding en ce qui me concerne m'indique comment découvrir aisément cette lumière en nous qui précède notre ego  :

Cliquez sur l'image pour voir en détail.


Il y a bien d'autres chemins pour faire cette découverte. Si la lumière intérieure qui relativise notre structure égoïque est vue avec intelligence, et non par des circonstances déstabilisantes, nous pourrons éviter peut-être davantage les circonstances lucifériennes, ce que Sri Aurobindo appelle zone intermédiaire dans sa phénoménologie spirituelle et qui nommée ainsi est moins connotée religieusement.


L’Éveil à la lumière intérieure par l'intelligence égoïque n'est donc pas le point d'arrivée de l'aventure spirituelle, mais son commencement. La réalité égoïque éclairée par cette lumière essentielle, en effet, n'est pas à l'abri de la dérive luciférienne, des pièges de la zone intermédiare. Dans le monde de la non-dualité de nombreuses personnes pensent qu'une fois éveillées à cette lumière intérieure et une fois  cet éveil stabilisé dans la durée, il n'y a plus rien à faire : sont-elles sincères ? Quelle est alors la réalité de nous-même, de notre individualité qui peut vraiment dépasser ces dangers ? 


On peut en venir (au sens d'un horizon de transformation) à l'idée d'une réelle abolition de l'ego et non à sa simple relativisation. De nombreuses traditions affirment la coïncidence de notre personne avec l'absolu : un Soi absolu émergerait où il n'y a plus d'ego du tout. Ou en d'autres termes, la structure égoïque serait pleinement vue dans sa vacuité au point où elle ne pourrait plus être vue que comme une illusion persistant avec l'individualisation corporelle. 

Personnellement ces visions me paraissent relativement possibles, mais une autre qui me paraît trop peu envisagée peut les compléter et les préciser : derrière la réalité égoïque, il y aurait une réalité personnelle divine, ce que certains chrétiens appellent le Fils de Dieu, le Christ en nous ou que Sri Aurobindo ou Mère (Mirra Alfassa) nomme l'être psychique, l'âme. L'ego serait complétement dissout quand notre dimension divine personnelle influencerait directement toute notre individualité en harmonie avec ses autres dimensions au lieu de n'être que la simple résultante d'une série de déterminismes extérieurs. La vie spirituelle ne serait plus liée à des décisions égoïques de suivre ou non cette lumière qui indique la volonté juste. Il n'y aurait plus de tentation, d'hésitation et donc d'effort vers le non-effort de la grâce. Ce qui permet d'être en Vérité au sein de toutes les dimensions du divin serait simplement effectué. Cette transformation spirituelle serait donc de plus en plus sans effort. Au final, l'aventure continuerait comme aventure de la manifestation divine mais non plus comme aventure spirituelle.


Cette dimension divine personnelle serait donc intiment liée à des dimensions divines cosmiques ou transcendantes (comprenant Soi et/ou vacuité). Et si cette vision est juste, alors il s'agit dans le processus de transformation de la structure égoïque qui demeure dans la lumière absolue d'une reconnaissance de la lumière de son âme. Une fois cette présence lumineuse reconnue, Il n'y a pas exactement auto-destruction de l'ego mais dissolution progressive de l'ego par un processus de psychisation et donc d'élargissement authentique de son individualisation. 
Autrement dit, l'ego disparaitra quand, dans le rayonnement absolu, nous serons un rayon de la lumière divine personnalisée au service de la manifestation du divin dans le corps et l'univers. 
Plus simplement, l'individualisation égoïque pourrait être peu à peu complétement refondue dans l'individuation de la vie divine que nous sommes.



2 commentaires:

Olivier Breteau a dit…

Cette distinction entre trois états de conscience de l'ego – égoïste, égocentrique et égoïque – produit une réflexion intéressante qui, tout en éclairant certaines dérives, ouvre sur un chemin authentiquement évolutif. Merci.

Unknown a dit…

J,aime CE manier de pensse